Par ailleurs, le législateur a souhaité que la Médiature dispose d'un référent dans chaque maison départementale des personnes handicapées.
Un tour de France des maisons départementales des personnes handicapées nous a permis, avec l'Assemblée des départements de France, de mettre le doigt sur un certain nombre de problèmes qui nous paraissent aujourd'hui avoir été intégrés dans la loi. Ainsi, les conseils généraux, qui ont été investis de cette responsabilité, n'ont pas bénéficié d'un transfert de personnels. Nous avons donc constaté une très forte diminution du délai de traitement des dossiers ex-COTOREP. En outre, certains départements se sont retrouvés en grande difficulté, car le personnel d'État a refusé d'être muté. Lorsque l'on transfère des compétences, il faut également transférer les moyens, à l'instar de ce qui s'est fait avec les TOS, afin de permettre aux départements de faire face à leurs responsabilités.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'administration modèle telle que je la conçois doit disposer d'une capacité d'accueil adaptée, rendre des décisions de qualité et avoir un contentieux digne de ce nom. Or le contentieux pour les handicapés n'est pas à la hauteur du problème.
Tout d'abord règne la confusion entre les tribunaux administratifs, les tribunaux des affaires de sécurité sociale et les tribunaux du contentieux de l'incapacité. Ensuite, les conditions de fonctionnement sont anormales par rapport au problème des handicapés : le personnel dépend des directions régionales des affaires sanitaires et sociales, sous couvert de la Chancellerie, perçoit des vacations de 85 euros et souffre d'une pénurie de locaux. En conséquence, un certain nombre de juridictions ne trouvent plus de magistrats honoraires pour traiter les contentieux, alors qu'il s'agit des personnes les plus fragiles de notre société.
Nous avons également mis le doigt sur un certain nombre de problèmes, par exemple l'insertion des personnes handicapées dans l'emploi.
Avec un taux d'incapacité entre 50 % et 80 %, il faut rester un an sans emploi pour percevoir l'AAH, l'allocation aux adultes handicapés.
En même temps, lorsqu'on perçoit le RMI, on a un contrat d'activité. Or, paradoxalement, ayant un contrat d'activité, la personne handicapée perd le bénéfice de l'AAH pendant un an.
Le résultat est que les personnes handicapées qui sont les plus capables de retrouver un emploi sont également les plus fragilisées par rapport à ce dispositif. Nous devons donc réfléchir à une solution.
Nous avons aussi soulevé le problème posé aux handicapés psychiques dont les médecins estiment que l'équilibre passe par un retour à l'activité. En effet, ils sont classés en catégorie 4 et ne peuvent donc pas bénéficier du soutien de l'ANPE.
Au moment où le Gouvernement lance une réflexion sur les valeurs du service public, nous pensons qu'une de ces valeurs devrait être l'exemplarité. Le service public doit demander à l'administré ce qu'il s'impose à lui-même.
Nous devons réfléchir sur le fait que, aujourd'hui, avec les « tapez 1 », « tapez 2 », « tapez 3 », « tapez 4 » et les vingt-cinq minutes d'attente téléphonique, il y a, à l'évidence, un déficit de qualité en termes d'accueil et d'écoute.
Nous avons constaté l'émergence, notamment pour les étrangers, dans une préfecture du bassin parisien, d'un métier nouveau : celui de négociateur de place. Des personnes prennent une place à six heures du matin et la revendent 50 euros à celles et à ceux qui désirent éviter trois heures de file d'attente.
En conséquence, si l'on veut apaiser les relations entre l'administré et l'administration, il faut mettre en oeuvre une capacité d'accueil à la hauteur des enjeux.
Il faut également améliorer la qualité des réponses apportées. Aujourd'hui, la non-réponse, liée quelquefois au principe de précaution, pose un vrai problème d'instabilité de la situation de l'administré.
La notion de preuve est aussi un sujet sur lequel il nous faut réfléchir. Nous nous fondons, le Conseil d'État l'a confirmé, sur le fait que l'administration a raison. Il faut toutefois tenir compte de comportements nouveaux, comme l'usurpation d'identité.
Je prends un exemple : une personne a vu brusquement exploser son imposition. Elle a découvert, après enquête auprès de l'administration fiscale, que cinq entreprises avaient déclaré cinq revenus sous son nom. Comme l'administration considère que la déclaration de l'employeur fait foi, nous avons dû faire un énorme effort pour inverser la charge de la preuve.
Les délais et les recours, que j'ai évoqués tout à l'heure, ont également leur importance.
L'exemplarité, c'est aussi la réflexion sur la précarité dans l'éducation nationale. J'ai abordé ce sujet avec le ministre de l'éducation nationale et avec les représentants syndicaux. Nous assistons aujourd'hui à un détournement du décret de la vacation. Le vacataire devrait pallier momentanément une absence de professeur, limitée à 200 heures. Or quand ce seuil est atteint, un nouveau vacataire intervient, et ainsi de suite, une même classe voyant se succéder trois ou quatre vacataires.
De plus, les vacataires sont parfois affectés dans plusieurs collèges, si leur affectation ne concerne que le secondaire, et leurs frais de déplacement ne sont pas pris en charge. De surcroît, ils sont quelquefois recrutés au mois de septembre et ne sont payés que quatre mois plus tard.
Il s'agit d'une situation absolument anormale pour des bac+6 ou bac+7. C'est un des sujets sur lesquels nous devrions ouvrir une réflexion. Si on ne peut pas avoir le « tout-titularisation », on ne peut pas avoir non plus le « tout-précarisation ».
Je vous remercie des réformes que vous avez su faire avancer sur nos propositions : la représentation devant les tribunaux par le concubin ou le partenaire pacsé, le droit à la décharge de solidarité du couple. Je remercie la commission des finances d'avoir intégré la suppression de la différence, pour les veufs, entre enfants légitimes et enfants naturels.
Je sais que la commission des finances travaille sur une autre proposition de réforme que nous lui avons suggérée et selon laquelle, puisque l'on peut déduire des impôts les enfants de moins de vingt-cinq ans qui sont étudiants, la déduction devrait être possible pour tous les enfants de moins de vingt-cinq ans qui vivent au foyer - ils sont de plus en plus nombreux -, dès lors qu'ils sont réellement à charge.
Il en va de même pour les revenus différés. De plus en plus de contentieux sont résolus au bout de trois ou quatre ans. L'indemnité alors perçue fait brusquement augmenter les revenus, ce qui aboutit à une surtaxation fiscale. Une possibilité d'étalement devrait exister.
Je vous remercie également pour les assurances vie en déshérence, ainsi que pour le soulever d'office pour le juge en matière de droit de la consommation.
Je sais, monsieur le président, monsieur Hyest, que vous y êtes attentifs, ainsi que MM. Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Sueur, mais je veux insister sur un point.
Dans les deux derniers rapports, nous avions souligné la lacune juridique de la circulaire fondée sur les critères définis par l'Organisation mondiale de la santé et concernant la notion de viabilité pour les enfants nés sans vie.
La Cour de cassation a pris une décision logique, qui pose aujourd'hui un véritable problème auquel nous ne pouvons échapper. L'établissement des actes de naissance et de décès d'un enfant né sans vie est confié à la responsabilité du médecin, comme la libre interprétation de la notion de viabilité. Si le médecin délivre un certificat attestant que l'enfant est né vivant et viable, il donne une responsabilité juridique à l'enfant et des droits aux parents.
Cette circulaire, sur le fondement de laquelle des congés de paternité ont été octroyés, se trouve fragilisée.
Cela pose un vrai problème à la sécurité sociale, qui avant vingt-deux semaines, en cas de rupture de grossesse, accorde un congé maladie et, après vingt-deux semaines, accorde un congé maternité.
Cela pose enfin un vrai problème à l'ensemble des officiers d'état civil de nos communes. Aujourd'hui, il y a prescription d'inscription sur les registres de l'état civil en cas de déclaration de naissance après trois jours. Or une telle prescription n'existe pas pour les enfants nés sans vie. Cela signifie que même vingt-cinq ans après, il est possible de demander à l'officier d'état civil d'établir un acte. Actuellement, en l'absence de circulaire, les officiers d'état civil ne savent que faire.
Dans un service d'état civil d'une grande ville, il m'a été dit qu'une instruction avait été donnée pour ne pas délivrer d'acte civil en dessous de douze semaines. Une telle décision n'a aucun fondement juridique.
Aujourd'hui, il n'est pas question de rouvrir le débat sur la nature juridique du foetus ni sur l'avortement ; il est question de savoir si la notion de viabilité est normative ou subjective, si elle est laissée au soin du médecin ou du politique.
Mon combat en tant que Médiateur est de restaurer l'autorité politique. Le politique doit précéder le droit. Il ne doit pas fuir ses responsabilités par crainte d'un débat. Il doit au contraire l'assumer.
Je sais que MM. Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Sueur travaillent sur ce sujet. Nous sommes conscients que, en l'absence de décision politique, il existe aujourd'hui une insécurité juridique qui met des officiers d'état civil dans une situation difficile, fait subir aux familles une douleur insupportable et engendre une incertitude qui pourrait poser de redoutables problèmes éthiques si la vague médiatique émotionnelle s'en emparait.
Nous avons également soutenu très clairement, devant le rapport Guinchard-Kunstler, la mise en oeuvre de pôle de famille, notamment en ce qui concerne la problématique du conjoint violent.
Nous serons attentifs à la réforme des tutelles et à son application en 2009.
Par ailleurs, sans entrer dans le débat sur la déjudiciarisation, je crois qu'une société a besoin de repères. Elle a besoin du repère à son instituteur, elle a besoin du repère au juge. En matière de contestations des contraventions, l'accès au juge doit être aujourd'hui absolument primordial. Il correspond à la conception européenne des droits de l'homme.
Concernant l'amiante, il appartient au politique de définir le montant budgétaire. Je comprends bien les contraintes budgétaires. Mais je pose, en tant que Médiateur, la question de l'équité : à situation équivalente, y a-t-il traitement équivalent ? La réponse est non.
En travaillant sur le même chantier, avec les mêmes risques d'exposition, les mêmes déclenchements de maladie, si vous êtes salarié d'une entreprise sous-traitante, vous n'avez pas droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, l'ACAATA, si vous êtes salarié d'une entreprise reconnue, vous avez droit à l'ACAATA. Selon le statut du salarié et selon le statut de l'entreprise, il existe des différences de traitement : ce n'est pas normal.
Il est question de la mobilité européenne et internationale. On a supprimé les frontières pour la circulation des marchandises, mais on a élevé des barrières juridiques pour la circulation des hommes.
Je prends un exemple. Une personne qui travaillait en Belgique revient s'installer en France pour y travailler et demande un logement. On lui dit : très bien, apportez-moi votre déclaration de revenu. Vous n'avez aucun revenu en France ? Vous n'avez pas droit au logement !
Autre exemple : un homosexuel, avec un certificat de vie maritale au Danemark, qui n'a aucune valeur juridique en France, doit divorcer de son compagnon au Danemark, mettant en péril sa succession, pour avoir le droit d'acquisition d'un patrimoine immobilier avec un partage d'indivision.
Il existe également un problème d'équivalence de diplômes, qui ne favorise pas la mobilité européenne.
On ne peut pas imaginer un continent où les marchandises ont plus de facilité de circulation que les hommes, sauf à risquer d'avoir un marché du droit : chacun cherche le pays qui permet d'adopter sans difficulté, de se marier avec un partenaire du même sexe, d'accéder à l'euthanasie active, etc.
Laisser cette Europe se transformer en marché du droit est le contraire même de la philosophie de la construction européenne, à laquelle nous étions les uns et les autres attachés.
Nous avons également posé la question de l'expertise judiciaire médicale. Il est évident que nous avons un vrai problème devant nous : celui de la dépendance entre le pouvoir décisionnel et le pouvoir de l'expertise. Je pense notamment à la médecine légale. L'année dernière, j'avais déjà demandé la mise en place d'un système d'observation parlementaire sur les applications positives et négatives de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.
Dans certaines enquêtes criminelles, des présidents renoncent aux autopsies pour des raisons financières et, au nom de la tarification à l'activité, la T2A, certains établissements hospitaliers estiment que la médecine légale ne rapporte pas - mobiliser deux praticiens pendant une après-midi est facturé 150 euros.
Il me semble donc, mesdames, messieurs les parlementaires, que vous devez mettre en place une capacité d'analyse et d'évaluation des conséquences positives et négatives de la LOLF sur le comportement des administrations.
Par ailleurs, je soulève un débat sur un problème que je ne connaissais pas : le don du corps à la science. Paradoxalement, le donataire, c'est-à-dire celui qui reçoit le corps, fait facturer au donateur, donc à ses héritiers, des frais d'établissement, etc. Une correction législative doit être apportée pour que le donateur ne soit pas pénalisé.
De plus, nous avons soulevé l'année dernière le problème du malendettement. En ce qui concerne la protection des consommateurs, nous avons alerté le Président de la République sur le comportement très préoccupant d'un certain nombre d'opérateurs de téléphonie mobile : problèmes de facturation, de recouvrement, de changement d'abonnement sans même en avertir les différents abonnés. J'ai en mémoire le cas d'un professeur d'université qui s'est vu supprimer trois abonnements, dont celui de sa mère atteinte de la maladie d'Alzheimer et qui était lié aux urgences.
En ce qui concerne les prisons, je voudrais apporter un éclairage. Nous avons mis en place une expérimentation, extrêmement positive, tant du point de vue de l'administration pénitentiaire que des ONG ou des observateurs. Actuellement, 40 % de la population carcérale est concernée.
Seulement 30 % des réclamations émanant des détenus concernent l'administration pénitentiaire : le rapprochement familial, le calcul de remise de peine, l'inventaire sur les objets perdus. Le reste des réclamations concerne des procédures classiques de contact avec l'administration.
Nous avons demandé, dans le cadre de la future loi pénitentiaire, de réfléchir à des modifications de procédure administrative. Par exemple, pour le renouvellement des titres de séjour d'étrangers en situation régulière emprisonnés, on peut sans doute imaginer, pour simplifier la vie du détenu, d'autres méthodes administratives que d'aller à la préfecture.
Nous devons également réfléchir à la problématique de la présence dans les prisons françaises de détenus étrangers, qui sont souvent maintenus sur place en raison de problèmes de recouvrement de créance de la douane en cas de trafic de drogue. Le rapprochement familial, au sein de cette communauté européenne, avec les règles pénitentiaires européennes, permettrait peut-être l'exécution de la peine dans le pays d'origine.
Nous avons également un vrai débat sur l'accès aux soins, débat que vous avez ouvert sur la psychiatrie.
Alerté par le commissaire européen, je me suis rendu en tant que Médiateur à l'infirmerie de psychiatrie de la préfecture de police, et j'y suis d'ailleurs retourné depuis. J'y ai découvert une capacité d'expertise médicale extrêmement importante, avec un système d'urgence et de respect de la dignité des personnes tout à fait à la hauteur de l'enjeu.
Il convient éventuellement d'avoir une réflexion sur le transfert par les commissaires auprès de cette infirmerie. Mais c'est un autre sujet.
Sur la problématique de l'Europe, nous menons, avec la Cour européenne des droits de l'homme, une réflexion expérimentale avec trois pays, dont la France, sur la saisine de cette juridiction.
À Paris, avec le commissaire européen, le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Mme Arbour, le représentant du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, une réflexion a été conduite avec de nombreux pays - je remercie M. Robert Badinter et Mme Yade d'y avoir participé - au sujet de la mise en place d'un contrôle extérieur des lieux privatifs de liberté. Le commissaire européen m'a d'ailleurs téléphoné il y a quarante-huit heures pour me dire à quel point l'impact de cette réunion avait été important.
Actuellement, de nombreux pays sont en train d'essayer d'imaginer la mise en place d'un contrôleur extérieur des lieux privatifs de liberté.
Les résultats de vos travaux parlementaires ont été particulièrement étudiés. Nous formons le voeu qu'ils puissent être rapidement mis en oeuvre.
Enfin, nous avons réuni, les 8, 9 et 10 novembre 2007 à Rabat, l'ensemble des ombudsmans du bassin méditerranéen - marocain, algérien, palestinien, israélien, maltais, grec, turc - de manière que, si les États ne se parlent pas en raison de conflits qui les concernent, les institutions qui sont réunies par la cause des droits de l'homme puissent se rencontrer. Le principe a été arrêté d'une réunion sous présidence française à Marseille au second semestre. En outre, un centre de formation pour le personnel des ombudsmans a été mis en place, à Rabat, et la première séance de formation devrait intervenir dans les deux mois qui viennent.
Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, brièvement présentée, une synthèse de ce rapport d'activité.
L'intérêt que nous portons aux défenseurs des droits fondamentaux correspond au souhait que nous avions exprimé devant la commission Balladur de voir émerger un ombudsman « à la française ». Dans la société actuelle, les institutions indépendantes doivent apaiser le rapport entre le collectif et l'individu. Si elles n'y parviennent pas, il est à craindre que le droit de la force ne l'emporte sur la force du droit, ce droit auquel nous sommes tous attachés, et que, du dialogue, nous ne basculions malheureusement vers la violence.