La nécessité du regroupement de 10 000 personnes sur le site de Balard ne va pas de soi. Ce projet est apparu brutalement, en contradiction avec les orientations antérieures du ministère. Jusqu'en 2007, le ministère de la défense considérait qu'il n'avait pas besoin de regrouper ses services parisiens sur un site unique. Il poursuivait le projet dit de « pôle stratégique de Paris », qui consistait à réorganiser le dispositif autour de l'îlot Saint-Germain, qui aurait comme aujourd'hui réuni environ 3 200 personnes. Ce projet impliquait de réaliser deux transferts : celui de la direction générale pour l'armement (DGA) de Balard vers Bagneux, et celui de l'état-major de l'armée de terre (EMAT) de l'îlot Saint-Germain vers l'Ecole militaire. Ce dernier projet n'a pas eu le temps d'être réalisé. En revanche, le déménagement de la DGA - par ailleurs indispensable, ne serait-ce qu'à titre temporaire, puisqu'il fallait rénover la « tour A » dans laquelle elle était installée - a eu lieu en 2007. Ainsi, la DGA occupe actuellement à Bagneux d'anciens locaux de la société Thalès, dont elle est locataire par bail arrivant à échéance en 2016. La DGA reviendrait donc sur le site de Balard sept ans après l'avoir quitté.
Le site de Balard regroupe trois entités distinctes. La « parcelle est », actuellement la plus utilisée par le ministère de la défense, réunit 4 500 personnes. Elle comprend notamment la « tour A » anciennement occupée par la DGA, et actuellement en cours de rénovation. Cette parcelle resterait à peu près en son état actuel. C'est sur la « parcelle ouest » que doit être construit le nouveau siège du ministère de la défense. Les effectifs regroupés sur cette parcelle passeraient de 1 500 à 5 000 personnes. Elle comprend les bassins d'essais de la Marine, construits par Auguste Perret, qui ne sont pas inscrits à l'inventaire des monuments historiques et doivent être détruits. Cette parcelle comporte également un bâtiment, dit bâtiment « en L » ou « bâtiment Perret » (lui aussi construit par Auguste Perret), inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, et qui sera conservé. Enfin, la « corne ouest » devrait être utilisée par le futur prestataire pour construire des bureaux (pour lesquels il paierait un loyer au ministère de la défense).
Il convient de distinguer trois points :
- Premièrement, est-il justifié de réunir 5 000 personnes - les 5 000 de la future parcelle ouest, les seules devant véritablement travailler avec le ministre - sur un site unique ?
- Deuxièmement, parmi tous les sites possibles, celui de Balard est-il le meilleur ?
- Troisièmement, faut-il recourir à un partenariat public-privé ?
- Quatrièmement, que se passera-t-il si l'on n'arrive pas à vendre les biens parisiens, et en particulier l'îlot Saint Germain ?
En ce qui concerne la première question, mon collègue Didier Boulaud et moi-même nous sommes efforcés de faire un peu de « parangonnage », pour voir ce qui se fait à l'étranger. On a souvent recours à l'expression de « Pentagone à la Française », mais le Pentagone n'est pas le seul exemple possible. Si l'on voulait faire comme les Américains, ce n'est pas deux fois 5 000 personnes qu'il faudrait réunir, mais 23 000. On est loin du compte. Cependant, il n'y a pas que les Américains. Il y a aussi, par exemple, les Britanniques. Ceux-ci ont considéré en 2000 que la meilleure solution pour eux était non d'essayer de faire comme les Américains, mais de moderniser leur « Main Building », équivalent de notre îlot Saint Germain, qui a une capacité analogue. Les travaux se sont achevés en 2004, et apparemment ils sont très satisfaits du résultat. Leur « Main Building » réunit pourtant seulement 3 300 personnes.
Dans ces conditions, l'exemple américain et la nécessité de réunir tous les états-majors autour du ministre ne suffisent pas à justifier le regroupement de 5 000 personnes. Le projet Balard est certes compatible avec la réduction des effectifs centraux actuellement prévue par la RGPP, mais la RGPP va-t-elle assez loin ? Et ne pourrait-on pas délocaliser davantage d'emplois en banlieue ?
En revanche, dès lors que l'on admet la nécessité de regrouper 5 000 agents sur un site unique, le choix du site de Balard paraît raisonnable. La parcelle est de Balard est déjà occupée par la Cité de l'Air, qu'il n'est évidemment pas question de raser, et qui ne présente peut-être pas le « standing » requis pour abriter le siège du ministère de la défense. Arcueil et Vincennes sont intéressants, mais il n'y existe pas de droit à construire. Il aurait donc fallu, en tout état de cause, modifier le plan local d'urbanisme, ce qui aurait pris du temps, sans compter les éventuels recours. Les autres sites sont inappropriés ou trop éloignés du centre de Paris.
J'en viens à la troisième question : faut-il recourir à un partenariat public-privé ?
Le ministère de la défense prévoit de recourir à un contrat de partenariat intégrant la conception, la construction, la rénovation, le financement, l'entretien, la maintenance et les services pendant 30 ans pour la construction (27,5 ans à partir de la livraison en 2014). Il n'est pas certain que le recours à un partenariat public-privé coûte moins cher que l'acquisition « classique » du nouveau bâtiment. Selon les estimations du Gouvernement, le projet devrait coûter sur 30 ans environ 3,5 milliards d'euros, dont 600 milliards d'euros pour le bâtiment et 100 milliards d'euros par an pour le loyer payé au prestataire. Ces ordres de grandeur sont vraisemblables, en particulier si l'on se réfère au précédent du « Main Building » britannique. Cependant, la marge d'incertitude est telle qu'il n'est pas possible d'affirmer que le recours à un partenariat public-privé permettra de faire des économies. Il faut en outre rappeler qu'aucun contrat n'est encore conclu.
Dans ces conditions, quel jugement porter sur le projet Balard ? Celui-ci présente probablement plus d'avantages que d'inconvénients, même si ces avantages sont moindres que ce qu'indique le ministère de la défense.
Ce dont dépendra a posteriori le bien-fondé de la décision, c'est probablement les modalités de cession des autres biens parisiens, et en particulier de l'îlot Saint Germain. Celui-ci n'est pas facile à vendre parce qu'il représente une superficie énorme, égale à la moitié de celle de tous les biens parisiens. Avant la crise financière, sa cession ne semblait pas poser de problème particulier, mais la situation a changé. Il ne faudrait pas que le « projet Balard » conduise à conserver pendant des années un immeuble inoccupé, de très grande superficie, que l'on ne parviendrait pas à céder. Faute de quoi, nécessairement, on se demandera à quoi aura servi ce projet.