a indiqué que, à sa connaissance, le CSM était le seul organe constitutionnel dans une telle situation, la Cour de justice de la République, par exemple, possédant son indépendance budgétaire vis-à-vis du ministère de la justice.
A l'invitation de M. Jean-Jacques Hyest, président, il a fait part ensuite de ses observations sur le projet de loi organique relative à la question préjudicielle de constitutionnalité. Il a estimé que toutes les conséquences de cette réforme n'avaient pas été perçues et qu'il convenait de veiller à ce que sa mise en oeuvre ne bouleverse pas les équilibres institutionnels, certains commentateurs parlant déjà de la création d'une sorte de Cour suprême subordonnant les ordres administratif et judiciaire.
Il a axé son propos sur l'article 23-2 du projet adopté par l'Assemblée nationale qui articule la question de constitutionnalité et l'exception d'inconventionnalité, deux séries de critiques pouvant être développées relativement :
- au contrôle de conformité à la Convention européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- à l'articulation entre question de constitutionnalité et exception préjudicielle devant la Cour de justice des communautés européennes.
Sur le premier point, il a relevé une assimilation inexacte entre le contrôle de constitutionnalité traditionnel qui est un contrôle de légalité erga omnes et le contrôle du respect de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales qui est un contrôle concret par rapport à une situation donnée. En outre, il a jugé que la priorité donnée par le projet à la question de constitutionnalité sur le contrôle de conformité à la Convention européenne n'était pas conforme à la réalité de la hiérarchie des normes dans l'ordre européen. Enfin, il a craint que cette priorité n'aboutisse dans certaines circonstances à priver le justiciable de son droit d'accès au juge pendant six mois. Il a estimé qu'il ne fallait pas exclure la possibilité qu'une juridiction soit conduite à écarter l'application de dispositions de la loi organique qu'elle jugerait contraires aux exigences de l'article 6-1 de la Convention européenne.
Il a ajouté que le contrôle de conventionnalité s'avérait, dans bien des cas, plus efficace et mieux adapté à une protection effective des droits fondamentaux.
Pour lui, la priorité risque d'être inopérante dans les cas de mesures privatives de liberté : le juge, après avoir transmis la question à la Cour de cassation, devra se prononcer sur la question de conventionnalité sans attendre la décision du conseil constitutionnel. Le premier président s'est demandé si la priorité n'incitera pas les avocats à ne soulever qu'une exception d'inconventionnalité toutes les fois où elle leur apparaîtrait pouvoir satisfaire immédiatement les intérêts de leur client. M. Vincent Lamanda a privilégié, en conséquence, la faculté, pour le juge, de statuer en premier sur le moyen qui lui apparaîtrait le plus opérant.
Le premier président de la Cour de cassation a rappelé la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) qui, même si elle reconnaît l'autonomie des systèmes judiciaires nationaux, conduit, depuis son arrêt Simmenthal du 9 mars 1978, le juge national à écarter toute disposition nationale contraire aux normes communautaires, tout acte ou pratique qui réduirait l'efficacité du droit communautaire. Il a évoqué l'obligation, pour le conseil d'Etat et la Cour de cassation, de saisir la CJCE d'une question préjudicielle, qualifiée d'exigence constitutionnelle par le conseil constitutionnel dans une décision du 10 juin 2004. Selon lui, la priorité va inciter les parties, devant le conseil constitutionnel, à tirer partie du défaut de conformité des dispositions législatives au droit communautaire.
Il a conclu au risque de placer le conseil constitutionnel dans une situation délicate si son analyse se révélait différente de celle de la CJCE, auquel cas elle ne pourrait pas s'imposer aux juges nationaux. En outre, le juge judiciaire comme le juge administratif pourront difficilement se retrancher derrière la décision du conseil constitutionnel pour refuser de saisir la CJCE. Là encore, a poursuivi le premier président, il n'est pas à exclure qu'une juridiction s'estime tenue d'écarter l'application de la loi organique pour pouvoir saisir la CJCE sans attendre la saisine du conseil constitutionnel.