Intervention de Guillaume Drago

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 23 septembre 2009 : 1ère réunion
Application des articles 61-1 et 65 de la constitution — Audition de M. Guillaume Drago professeur de droit à l'université de paris ii et de M. Bertrand Mathieu professeur de droit à l'université de paris i et président de l'association française du droit constitutionnel

Guillaume Drago, professeur de droit à l'université de Paris II :

Puis la commission a entendu M. Guillaume Drago, professeur de droit à l'université de Paris II, et M. Bertrand Mathieu, professeur de droit à l'université de Paris I et président de l'Association française de droit constitutionnel.

Concernant le projet de loi organique portant application de l'article 61-1 de la Constitution, M. Guillaume Drago a estimé que la réforme ne serait réussie que si elle était à la fois effective, efficace et au service des citoyens.

Revenant sur les innovations introduites par l'Assemblée nationale en première lecture, il a rappelé que la question de constitutionnalité était désormais appelée « question prioritaire de constitutionnalité » ; il a jugé que cette terminologie n'était pas équilibrée et qu'il était préférable de maintenir l'appellation initialement proposée par le projet de loi organique.

a ensuite dégagé quatre points qui méritaient particulièrement d'être analysés.

Premièrement, il a indiqué que l'article 23-1 du projet de loi organique interdisait aux juges de relever d'office l'inconstitutionnalité d'une loi. Il a déclaré que cette interdiction risquait de nuire à l'effectivité de la réforme pour trois raisons :

- l'interdiction du relevé d'office réduira drastiquement le nombre de questions de constitutionnalité dont le juge aura effectivement à connaître ; en tant que telle, elle aura des effets disproportionnés par rapport à son objectif, qui est de prévenir le développement anarchique de ces questions ;

- dans un contexte où l'initiative du juge est prohibée, seuls les justiciables ayant les moyens financiers de faire appel à un conseil juridique pourront effectivement formuler des questions de constitutionnalité ;

- enfin, les juges pourront difficilement s'approprier un mécanisme qui est soustrait à leur initiative.

En conséquence, il a souhaité que l'inconstitutionnalité soit, à l'inverse de ce que prévoit le projet de loi organique dans sa rédaction actuelle, consacrée comme un moyen d'ordre public. Il a donc appelé le Parlement à faire confiance aux juges et à leur permettre de faire respecter la hiérarchie des normes, et donc de protéger l'Etat de droit, en les obligeant à relever d'office l'inconstitutionnalité des lois.

Deuxièmement, M. Guillaume Drago a constaté que, aux termes de l'article 23-2 du projet de loi organique, la question de constitutionnalité devait être transmise « sans délai et dans la limite de deux mois » au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Ayant souligné que cette précision, ajoutée par l'Assemblée nationale, était opportune car elle démontrait que la question d'inconstitutionnalité était une procédure d'urgence, il a jugé qu'il était nécessaire de permettre une résolution rapide des questions de constitutionnalité et donc de prévoir une transmission « sans délai ». Il a néanmoins émis des réserves sur la fixation d'un délai maximal de deux mois, en faisant valoir qu'un tel mécanisme, qui entraîne, dans la rédaction de l'Assemblée nationale, la transmission automatique des questions au terme de ce court délai, risquait d'inciter le juge à s'abstenir de traiter la question et à s'en remettre au juge suprême de son ordre.

En troisième lieu, M. Guillaume Drago a exprimé son opinion sur les conditions de transmission posées par le projet de loi organique :

- il a estimé que, à l'article 23-2, la formulation retenue par l'Assemblée nationale (qui prévoit que la disposition faisant l'objet de la question doit être « applicable au litige », plutôt que « commande[r] l'issue du litige ou la validité de la procédure ») était plus lisible, plus claire et plus conforme à la volonté du constituant que la rédaction initiale ;

- il a craint que la possibilité de remettre en cause les déclarations antérieures de conformité à la Constitution en cas de changement des circonstances de fait ne soit une source excessive de variabilité ; il a donc suggéré, conformément à l'intention du constituant telle qu'elle ressort de ses débats, de ne permettre au juge de se prononcer sur une question déjà traitée par le Conseil constitutionnel qu'en cas de changement des circonstances de droit ;

- ayant rappelé que l'article 88-1 de la Constitution ne concernait que le droit communautaire dérivé, à l'exclusion des traités, il a salué le choix de l'Assemblée nationale de supprimer la référence à cet article au cinquième alinéa de l'article 23-2, dans la mesure où elle était peu pertinente, et qualifié cette simplification de « salutaire ».

Quatrièmement, M. Guillaume Drago a évoqué les rapports entre le contrôle de conventionnalité et le contrôle de constitutionnalité. Il a tout d'abord souligné qu'il était logique de donner une priorité à la question de constitutionnalité sur les moyens tirés de l'inconventionnalité d'une loi : non seulement la Constitution est supérieure au droit conventionnel dans la hiérarchie des normes, mais surtout la déclaration d'inconstitutionnalité a des effets plus puissants qu'un constat d'inconventionnalité, puisqu'elle entraîne l'abrogation de la disposition contestée. Toutefois, se plaçant du point de vue du justiciable, il a expliqué qu'une telle priorité pouvait agir comme un repoussoir : à l'inverse de l'inconventionnalité, qui peut être sanctionnée immédiatement et directement par le juge du fond, l'inconstitutionnalité est prononcée, au mieux, au bout de huit mois. Dès lors, il a une nouvelle fois estimé nécessaire de faire de l'inconstitutionnalité un moyen d'ordre public, afin de donner tout son sens à la question de constitutionnalité et de garantir qu'elle soit soulevée malgré les probables réticences des justiciables.

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