Ayant rappelé que le contentieux de constitutionnalité serait un contentieux de la norme, au cours duquel la loi serait contrôlée de manière objective, M. Bertrand Mathieu s'est interrogé sur l'invocabilité des objectifs à valeur constitutionnelle (OVC). Dans ce cadre, il a jugé que les OVC seraient invocables dès lors qu'ils pourraient être rattachés à des droits ou libertés fondamentaux ; il a précisé que ce choix était conforme à la volonté du constituant d'intégrer les droits sociaux dans la procédure de l'article 61-1, dans la mesure où ceux-ci découlent pour la plupart, non pas du texte constitutionnel lui-même, mais de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il a toutefois indiqué que, selon lui, les OVC, par opposition à ceux qui se rattachent aux droits et libertés fondamentaux, n'étaient pas susceptibles de faire l'objet d'une question de constitutionnalité.
a ensuite affirmé la nécessité d'interdire au juge de revenir sur les déclarations antérieures de constitutionnalité en raison de changements des circonstances de fait, cette dérogation étant porteuse de réels dangers pour la sécurité juridique. Ainsi, il a considéré qu'une telle disposition présentait de nombreux risques :
- d'une part, le changement des circonstances de fait est, par nature, facilement invocable et peut donc avoir de graves effets perturbateurs ;
- d'autre part, il incite à remettre en cause l'autorité de la chose interprétée par le Conseil constitutionnel, qu'il fait dépendre de données contextuelles et relatives.
Dès lors, M. Bertrand Mathieu a considéré que la reconnaissance d'un tel pouvoir équivalait à donner aux juges un rôle similaire à celui du Parlement en les habilitant à faire évoluer le droit hors de toute intervention du législateur et, surtout, à évaluer l'adaptation du droit à la réalité, c'est-à-dire à déterminer l'intérêt général. Il s'est donc rallié à l'opinion de M. Guillaume Drago sur ce point et a plaidé pour que le projet de loi organique indique explicitement que les déclarations antérieures de conformité à la Constitution ne peuvent être remises en cause qu'en cas de changement des circonstances de droit.
Concernant la possibilité de déclarer recevable une question de constitutionnalité fondée sur un moyen nouveau opposé à une disposition déjà déclarée conforme, M. Bertrand Mathieu a indiqué que le projet de loi organique prévoyait que la disposition ne devait pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution. En conséquence, il a précisé que cette disposition ne pouvait plus être contestée quels que soient les moyens invoqués.
Il a fait observer que plus la capacité de filtrage offerte aux juridictions administratives et judiciaires serait importante, plus le risque de divergence entre ces deux ordres juridictionnels serait accru, ce risque étant en particulier accentué par la prise en compte des changements de circonstances de fait.
a estimé que, dans les hypothèses où le juge est amené à trancher une question au fond, il pourra, sans surseoir dans l'attente de la réponse donnée à la question de constitutionnalité, être conduit à examiner la question de la conventionnalité. Il a néanmoins souligné que, quelle que soit la réponse à la question de conventionnalité, la question de constitutionnalité garderait sa pertinence.
Il a précisé que, si le juge écartait l'application de la loi comme contraire à une disposition conventionnelle, la déclaration d'inconstitutionnalité de cette même loi entrainerait son abrogation, alors que la déclaration de conformité à la Constitution ne remettrait pas en cause les conséquences tirées par le juge du prononcé de l'inconventionnalité. A l'inverse, si le juge appliquait la loi -la considérant comme conforme au droit conventionnel-, le juge constitutionnel pourrait néanmoins prononcer son inconstitutionnalité, les conséquences de cette déclaration devant être tirées dans les conditions du droit commun. Il lui a semblé, en tout état de cause, qu'il n'était pas nécessaire que cette question soit abordée dans la loi organique.
Il a estimé souhaitable que les décisions des juridictions transmettant à la cour suprême de l'ordre dont elles relèvent une demande de renvoi au Conseil constitutionnel soient motivées.
Il a précisé qu'il appartenait au Conseil constitutionnel de régler la question des effets de sa décision sur les décisions de justice devenues définitives.
Concernant le régime des incompatibilités applicables aux membres du Conseil constitutionnel, il a posé la question de l'inclusion au sein de ce régime de l'exercice de la profession d'avocat au regard du renforcement du caractère juridictionnel du Conseil constitutionnel.
Abordant la question des perspectives de développement de ce nouveau contentieux, M. Bertrand Mathieu a souligné que les juridictions administratives et judiciaires devraient apprendre à se servir d'un nouvel outil et d'une nouvelle procédure. S'agissant des effets de cette réforme sur le Conseil constitutionnel lui-même, il a estimé que, dans un premier temps, le nombre de questions de constitutionnalité posées serait important, en raison notamment de la nouveauté même de cette procédure. Il a néanmoins fait observer qu'une régulation progressive serait mise en place, notamment dans les domaines du droit fiscal, du droit du travail et du droit de l'environnement, dans lesquels les questions seraient vraisemblablement les plus nombreuses.
Il lui a semblé que, à terme, cette nouvelle procédure de contrôle de constitutionnalité serait utilisée en particulier par des requérants collectifs ou institutionnels aux fins d'obtenir l'abrogation de la loi.
Il a dit ne pas avoir d'inquiétudes sur les incidences matérielles de cette réforme pour le Conseil constitutionnel.