Intervention de Philippe Marini

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 6 juillet 2010 : 2ème réunion
Débat d'orientation des finances publiques pour 2011 — Examen du rapport d'information

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général :

procédant par vidéo-projection). - Notre rapport est très substantiel cette année. Il faut dire que le débat d'orientation des finances publiques prend un tour nouveau : pour la première fois il se conclura par un vote - qui portera cependant sur une déclaration du Gouvernement, non sur un texte discuté et amendé. Nous aurons à nous prononcer sur la trajectoire du programme de stabilité et de croissance. Je vous présenterai donc notre propre chiffrage de convergence, qui va au-delà de celui du Gouvernement. Nous méritons votre indulgence car nous avons dû reconstituer des données que le Gouvernement ne nous a pas transmises en temps utile.

La programmation 2010-2013 présentée par le Gouvernement est quasiment inchangée par rapport au programme de stabilité 2010-2013 transmis à Bruxelles en février dernier. Celui-ci comprend des objectifs et des prévisions de soldes pour l'Etat, la Sécurité sociale et les administrations locales. La base dont nous partons aujourd'hui est légèrement meilleure qu'en février. Le déficit 2009 était alors estimé à 7,9 %, il s'établit finalement à 7,5 %. Pour 2008, la prévision est de 8 % et non plus de 8,2 %. Le programme demeure d'actualité, les hypothèses n'ont pas été modifiées. L'Etat dit vouloir s'appliquer une nouvelle norme de dépense, le zéro pour cent en valeur hors pensions et charge de la dette remplaçant le zéro pour cent en volume élargi. Les résultats de cette nouvelle norme sont toutefois voisins de ceux de l'ancienne. L'ONDAM table toujours sur une croissance annuelle de l'ordre de 1,25 % en volume et de 3 % en valeur. Les dotations de l'Etat aux collectivités locales sont gelées en euros courants. Le Gouvernement entend ainsi faire porter l'effort sur les dépenses et, pour une faible part, sur les niches fiscales et sociales.

Il se fixe un objectif d'amélioration du solde, en fin de période, d'une centaine de milliards d'euros. Il y a, d'une part, la simple prise en compte des effets de la croissance sur les recettes publiques, 2,5 % par an ; le coefficient d'élasticité reste inchangé par rapport à février, l'amélioration automatique du solde est de 40 milliards d'euros, en prenant en compte la part conjoncturelle de la diminution du ratio dépenses/PIB. Le plan de relance et l'effet de trésorerie de la réforme de la taxe professionnelle arrivent à leur fin, ce qui économisera encore 15 milliards d'euros, soit un total de 55 milliards. Il y a, d'autre part, l'action volontariste du Gouvernement, pour 60 milliards d'euros : réduction de niches fiscales pour 8,5 milliards et plus de 50 milliards d'économies de dépenses - plus exactement, d'inflexion du taux de croissance des dépenses par rapport à la tendance observée les années passées, et non de diminution arithmétique. Il faut faire cette distinction, qui n'est pas sans analogie avec celle que l'on faisait entre les « services votés » et les « mesures nouvelles » sous l'empire de l'ordonnance de 1959.

Lors de la deuxième conférence sur les finances publiques, il a été annoncé que les concours de l'Etat aux collectivités locales, hors fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), seraient gelés en valeur dans le budget triennal 2011-2013. Faut-il comprendre qu'il y aura stabilisation en valeur de toutes les dotations sous enveloppe, hormis le FCTVA ? Ou stabilisation en valeur de l'enveloppe et de ses composantes, les évolutions du FCTVA étant compensées par les variables d'ajustement ? Malgré la réponse que nous a faite François Baroin la semaine dernière, l'ambiguïté demeure.

L'enjeu essentiel concerne les dotations résultant de la réforme de la taxe professionnelle. Nous avons tous entendu Christine Lagarde dire que la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) comme les attributions au titre du Fonds national de la garantie individuelle de ressources (FNGIR) ne serviraient pas de variables d'ajustement à l'enveloppe des concours aux collectivités. C'est une déclaration de bon sens, mais il faudra être vigilant.

Les efforts annoncés par le Gouvernement en matière de réduction de la dépense fiscale et sociale sont en progrès : 6 milliards d'euros en février dernier, 8,5 milliards le 25 juin, à la conférence de presse du Premier Ministre, puis « au moins 8,5 milliards » dans le rapport transmis par le Gouvernement. Sur les 3 milliards d'euros de mesures dans le cadre de la réforme des retraites, l'annualisation du calcul de l'allègement de charges sur bas salaires en représente 2. A quoi s'ajoute un cocktail de mesures non détaillées, à hauteur de 3,2 milliards, pour stabiliser la situation de la Cades. Il restera 2,3 milliards de mesures d'économies sur la dépense fiscale à définir : le « rabot », réduction proportionnelle, en ferait partie, mais sur quelle assiette jouera-t-il ?

Le Gouvernement prévoit de ramener la croissance annuelle en volume de la dépense publique de 2,4 % depuis le début des années 2000 à 0,6 % en moyenne par an, de 2011 à 2013. Nous retrouvons les 55 milliards d'euros d'économies. Mais certaines indications nous inquiètent car elles sont liées à des conditions improbables. Le ralentissement de la croissance des dépenses des « autres administrations de sécurité sociale », en particulier l'assurance-chômage, doit dégager 7,5 milliards d'euros. Mais ce calcul repose sur l'hypothèse d'une forte diminution du chômage et sur celle d'une croissance de 2,5 % par an... Je suis sceptique. Je le suis encore plus concernant le ralentissement des dépenses des collectivités locales, avec 12,5 milliards d'euros d'économies attendues, ce qui supposerait que l'évolution des dépenses en volume chute de 3 % à 0,9 % par an. Cela semble improbable et le Gouvernement, n'a du reste, aucun moyen de l'imposer.

La France, parmi les Etats de la zone euro, se situe en place honorable quant aux prévisions d'ajustements structurels : dans le plan allemand, l'ajustement est de 0,7 point de PIB par an, mais notre voisin prévoit un déficit 2010 de seulement 5,5 % du PIB. Le plan du Royaume-Uni est de loin le plus important : près de 2 points de PIB par an, soit deux fois notre effort affiché.

J'en viens à la nouvelle norme de dépense de l'Etat : est-ce une avancée ou un simple changement de vocabulaire ? De la courbe en volume ou de la courbe en valeur, laquelle est la plus favorable ? Tout dépend des hypothèses. Aucune ne semble avoir un avantage décisif sur l'autre. Par conséquent, je m'étonne du changement de terminologie, sans contester cependant la nouvelle règle.

Le plan du Gouvernement comporte une diminution de 10 % des dépenses de fonctionnement. L'annonce en a été faite après les conférences sur les déficits des finances publiques et le ministre du budget, le 30 juin dernier, a indiqué une réduction de 10 % au total sur la période 2011-2013 des crédits d'intervention et de fonctionnement. Autrement dit, les dépenses d'intervention en 2013 devraient passer de 66 à 59,4 milliards d'euros et les dépenses de fonctionnement de 43 à 38,7 milliards. En réalité, le discours du Gouvernement ne correspond pas à ses intentions : il entend là encore réduire la progression des dépenses de fonctionnement et d'intervention par rapport à l'évolution spontanée. Si l'on prend comme référence une indexation sur l'inflation, une réduction de 10 % correspond d'ici 2013 à une diminution par rapport à 2010 de 2,8 milliards pour les dépenses de fonctionnement et de 4,3 milliards pour celles d'intervention.

Les dépenses de fonctionnement représentent 43 milliards d'euros. Mais n'oublions pas que l'Etat s'est « agencisé » au fil du temps et qu'il verse aux opérateurs 24,2 milliards d'euros - contre 18,4 milliards de dépenses de fonctionnement directes. Certaines enveloppes sont plus aisément ajustables, par une mutualisation et une rationalisation des structures. Il apparaît que 94 % des transferts sont concentrés sur sept missions et 70 % sur la seule mission « recherche et enseignement supérieur ». Citons également, au titre de l'écologie et du développement durable, l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, Voies navigables de France, Météo France, les Parcs nationaux, l'IGN, l'Ademe, etc.

Plus de 28 milliards d'euros, soit plus de 40 % des dépenses d'intervention, correspondent à des dépenses de guichet - aide au logement, anciens combattants, bourses...- dont le paiement intervient automatiquement lorsque les bénéficiaires potentiels remplissent les critères inscrits dans les lois ou règlements. A quoi s'ajoutent 10 milliards de dotations, telles que les subventions d'équilibre aux régimes de retraite par exemple, ou les transferts aux collectivités locales. Restent 42 % de dépenses d'intervention à caractère plus discrétionnaire et c'est sur cette masse que les vraies économies peuvent porter. Certaines dépenses sont très concentrées, d'autres relèvent du saupoudrage, avec 1 milliard d'euros versés en 2008 à diverses associations, par exemple.

Pour le fonctionnement, il suffit d'appliquer une « toise » comme le Budget a l'habitude de le faire, et d'adapter les dépenses en conséquence. Mais pourquoi ne pas moduler l'effort en fonction des performances de gestion ? La LOLF a introduit des indicateurs de performance mais ils semblent oubliés ! Il a fallu beaucoup de réflexion pour les définir, mais qui s'en sert ? Les économies futures doivent tenir compte des résultats. Et tous les opérateurs doivent y contribuer, car leur part relative s'accroît continûment.

Tous les dispositifs d'intervention doivent être réexaminés ; il faut concentrer les aides publiques sur les plus vulnérables, responsabiliser les bénéficiaires par le recours à des mécanismes de ticket modérateur, lutter contre la fraude aux prestations. Il faut également éviter les phénomènes d'« abonnement » c'est-à-dire la dépendance à l'égard des aides et conditionner ces dernières à des contreparties. C'est un art d'exécution difficile...

Une évolution est aisément mesurable : celle des effectifs, dont la diminution se poursuit. Il en résulte une économie sensible, 800 millions d'euros en 2009, hélas compensée par 550 millions d'euros de mesures catégorielles, 630 millions d'augmentation des rémunérations, 120 millions de glissement vieillesse-technicité et 370 millions d'euros de mesures d'ajustement. La masse salariale progresse de 1 %, à effectifs décroissants. Faire des économies par le seul jeu des effectifs est donc illusoire, il faut agir sur le point d'indice. Par rapport à une augmentation de 0,5 %, un gel pendant trois ans représenterait 2,25 milliards d'euros d'économies. Et sur les pensions de retraite, l'économie potentielle par rapport à l'indexation actuelle sur l'inflation est de 700 millions d'euros. Soit au total environ 3 milliards d'euros sur trois ans.

Comment ramener le déficit à 3 % en 2013 ? La programmation présentée par le Gouvernement m'inspire des doutes. Jamais dans le passé un processus de stabilisation des dépenses n'a été respecté. Toujours on a entendu un double langage. Les prévisions de croissance des dépenses publiques n'ont jamais été tenues. Or le présent programme est l'un des plus ambitieux jamais présentés. Il repose sur une hypothèse de croissance des dépenses, en volume, de 0,6 % par an : voilà qui est très optimiste ! Quant aux dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM progressera vraisemblablement non pas selon le taux prévu mais jusqu'au seuil de déclenchement de la procédure d'alerte, ce qui ramènera l'impact annuel sur le taux de croissance des dépenses publiques à 0,2 point au lieu de 0,3 point. La progression des dépenses des administrations de sécurité sociale hors assurance maladie et retraite ralentirait : cela repose sur une hypothèse de forte baisse du taux de chômage, résultant d'une hypothèse de 2,5 % de croissance annuelle. La croissance des dépenses des collectivités territoriales passerait de 3 % à moins de 0,9 % en volume. Cela n'est pas crédible. Nul ne connaît la croissance du PIB des années à venir. Une bonne surprise n'est pas à exclure, par exemple si la dépréciation de l'euro se concrétise, mais la croissance potentielle française a été estimée à 2 % - et la France est le pays de la zone euro qui retient l'hypothèse la plus au-dessus de sa croissance potentielle. J'ai des doutes... Je préfèrerais une hypothèse neutre, de 2 % par an. Or, en retenant ce taux de croissance, toutes les hypothèses d'ajustement du Gouvernement deviennent caduques. Et il est difficile de penser que le déficit en 2013 pourra dans ce cadre être inférieur à 5 points de PIB.

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