Intervention de Muguette Dini

Commission des affaires sociales — Réunion du 12 juillet 2011 : 1ère réunion
Santé et logement en martinique et en guyane — Communication

Photo de Muguette DiniMuguette Dini, présidente :

Le bureau de notre commission a décidé, en novembre dernier, de conduire une mission d'études sur la santé et le logement en Martinique et en Guyane. La délégation, que je présidais, était composée de Brigitte Bout, Annie David, André Lardeux, Jacky Le Menn, Raymonde Le Texier et Alain Vasselle ; elle a passé cinq journées très denses dans ces deux départements, du 17 au 23 avril. Notre commission travaille régulièrement sur l'outre-mer, en particulier à l'initiative d'Anne-Marie Payet, notre rapporteur budgétaire depuis 2004. En outre, le Sénat a constitué il y a deux ans une mission commune d'information sur la situation des Dom, dont le rapport a été approuvé à l'unanimité. Notre mission a souhaité se concentrer sur quelques thèmes, et son rapport n'a pas pour ambition de dresser un état des lieux complet des deux départements.

Une remarque liminaire : les normes conçues pour la métropole ou l'Europe sont inadaptées outre-mer, et surtout en Guyane et à Mayotte. En métropole, nous dénonçons souvent l'inflation normative. La délégation du Sénat aux collectivités territoriales parlait récemment de « maladie de la norme » et notre collègue Eric Doligé, qui connaît bien l'outre-mer puisqu'il est rapporteur spécial de la commission des finances, a publié il y a quelques semaines un rapport à ce sujet. Le problème prend en outre-mer des proportions aberrantes. On nous a cité des exemples ubuesques concernant la construction, l'installation électrique et téléphonique ou le traitement des déchets : en Guyane, dans la plus grande zone forestière de France, il n'est pas possible d'utiliser le bois local pour fabriquer des poteaux électriques, parce qu'une norme européenne impose un certain ciment qu'il faut importer ! De l'autre côté de l'Oyapock, au Brésil, les poteaux sont en bois ! Lorsque nous étions en Guyane, des discussions tendues avaient lieu entre la communauté de communes de l'Ouest guyanais et le préfet au sujet du traitement des déchets : une directive européenne impose des règles extravagantes pour ce territoire et son application stricte aurait des conséquences financières désastreuses, pour un gain écologique limité. Nous n'avons pas de solution miracle, mais la France devrait prendre en compte les spécificités ultramarines très en amont, notamment lors des négociations communautaires. Cela vaut surtout pour la Guyane et Mayotte, voisins de pays très pauvres.

On a longtemps considéré que le statut de département, attribué en 1946 dans un contexte mondial de pression sur les pays colonisateurs, entraînait obligatoirement une application stricte, pleine et entière de toute la législation nationale. Or l'article 73 de la Constitution autorise des adaptations, et il est urgent d'en tirer tout le parti : si le principe de l'égalité républicaine est intangible, il doit s'apprécier au vu des différences de situations.

En Martinique, nous nous sommes d'abord intéressés aux hôpitaux. La recomposition de l'offre hospitalière est en cours, puisque les trois établissements publics de médecine, chirurgie et obstétrique - les centres hospitaliers de Trinité et du Lamentin et le CHU de Fort-de-France - fusionneront le 1er janvier 2012. Leur situation financière est catastrophique : leur déficit consolidé s'élève à 55 millions d'euros en 2010, soit 14 % de leurs produits. Le seul CHU affiche un déficit de 28 millions en 2010 ; un plan de redressement a été conclu avec l'agence régionale de santé et nous avons constaté l'engagement du directeur général et des autres responsables pour maîtriser les effectifs par un arrêt des recrutements, augmenter les recettes par un meilleur codage des actes, améliorer les prises en charge par de nouvelles modalités d'hospitalisation et d'utilisation des plateaux techniques, mutualiser les fonctions « support », etc. La maîtrise des effectifs est indispensable : au Lamentin, il y a vingt sages-femmes pour quatre cents accouchements par an ! L'emploi public a longtemps servi d'« amortisseur social » dans les Dom et les hôpitaux en souffrent aujourd'hui ; je comprends que la population et les élus peinent à l'entendre, mais nous devons en être conscients. Il est encourageant de constater que les responsables de l'ARS et du CHU ne manient pas la langue de bois. La période de transition sera difficile car beaucoup de décisions ne peuvent avoir d'effets qu'à moyen terme.

L'Etat ne tient pas assez compte de ces efforts et applique aux hôpitaux de Martinique les mêmes gels de crédits qu'aux autres : ce printemps, le CHU de Fort-de-France s'est vu notifier une baisse de ses dotations liées aux missions d'intérêt général (Migac) de près de 13 millions d'euros pour l'exercice en cours. Cette décision aveugle risque d'être contre-productive. Comment motiver le personnel si l'on change les règles en cours de route ? Il faut laisser aux établissements qui ont conclu un plan de redressement pluriannuel avec leur ARS le temps de se remettre à flot, en déclarant un moratoire des gels et baisses de dotations.

On nous a signalé que l'Etat, qui avait demandé aux établissements et aux professionnels de santé des départements français d'Amérique de se mobiliser pour aider la population haïtienne après le tremblement de terre de janvier 2010, n'avait toujours pas remboursé leurs frais. La Martinique seule a déboursé 1,3 million d'euros ! L'Etat doit les prendre en charge. J'ai cosigné une lettre en ce sens au ministre de la santé ; il m'a répondu qu'il suivait ce dossier de près. Il doit d'ailleurs partir le 20 juillet pour la Martinique.

Depuis la mise en place de la tarification à l'activité, l'Ile-de-France, la Corse et les Dom bénéficient de coefficients géographiques tenant compte des facteurs spécifiques qui modifient le prix de revient de certaines prestations. Pour les Antilles et la Guyane, ce coefficient est de 25 %. Les ARS de Martinique et de Guyane estiment qu'il devrait être relevé ; la première a avancé le chiffre de 29 %. Il n'est évidemment pas possible pour notre commission de procéder aux calculs nécessaires, mais il est urgent que le ministère actualise le coefficient.

Nous avons visité la nouvelle cité hospitalière Mangot-Vulcin, qui remplace l'ancien hôpital du Lamentin. Ce magnifique bâtiment - qui devrait être inauguré par Xavier Bertrand avant la fin de l'été - n'est pas encore complètement financé en raison de surcoûts importants. Des services pourront y être regroupés, pour le plus grand bénéfice de la population ; je rappelle que les communes du Lamentin et de Fort-de-France sont limitrophes.

Enfin, nous avons évoqué des questions spécifiques de santé publique comme la périnatalité ou la drépanocytose : nous y reviendrons plus longuement dans notre rapport écrit.

J'en viens au thème du logement. Peu de temps après notre retour, le Sénat devait examiner la proposition de loi portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer et notre collègue Serge Larcher nous a présenté son rapport pour avis. Il ne faut pas voir la situation locale avec nos yeux de métropolitains. A Fort-de-France, il existe de grands quartiers où l'habitat, dit-on, est « informel » : dans les années 1950 et 1960, beaucoup de paysans ruinés par le déclin de la canne à sucre se sont installés sans droit sur des terrains et y ont construit des logements, devenus au fil des années de véritables maisons. Ces logements sont mal accessibles, en raison du terrain - le quartier Trénelle est construit à flanc de colline - ou d'une voirie inadaptée - comme à Volga-Place - et les conditions de vie y sont difficiles. Mais ils ne sont pas tous insalubres : il y a parfois l'eau courante et l'électricité. En nous promenant à Trénelle, nous avons pu apprécier la vie de quartier et le fort sentiment d'appartenance et de solidarité au sein de la population. La proposition de loi, dont l'initiative revenait à Serge Letchimy, ancien maire de Fort-de-France et actuel président du conseil régional, tentait de résoudre les problèmes concrets que cette situation pose à des milliers de gens et aux collectivités locales : c'est un exemple de la nécessaire adaptation de notre législation au contexte particulier de l'outre-mer. Elle a été adoptée à l'unanimité dans les deux assemblées et promulguée le 23 juin dernier. Cet exemple révèle aussi que, dans ces territoires, l'Etat est resté longtemps inerte, de peur de créer des troubles. La population en a pâti.

En Guyane, la situation est tout autre. C'est un territoire immense, grand comme trois fois la Belgique, presque entièrement couvert de forêts tropicales, frontalier du Brésil et du Surinam. Sa population est jeune et augmente d'environ 4 % par an : cette croissance est due pour les trois quarts au solde naturel et pour un quart au solde migratoire. Elle a presque doublé en vingt ans et devrait tripler d'ici 2040. La Guyane a des atouts formidables, naturels en particulier - forêts, minerais... - mais ils sont mal mis en valeur ; or, elle ne subit ni cyclones, ni tremblements de terre.

Tous, nous avons été frappés par l'écart entre la Guyane et la métropole, mais aussi la Martinique, pour ce qui est du développement et des services publics. Une autre différence avec la Martinique est moins apparente mais symptomatique : nous n'avons guère vu de Guyanais à des postes de responsabilité. Nous avons rencontré de nombreux élus : la maire de Cayenne, le président du conseil général, le maire de Saint-Laurent-du-Maroni, notre collègue Georges Patient... Quel dynamisme ! En Guyane, adversité ne rime pas avec morosité. Pourtant, il y a parfois de quoi être désespéré. Je pense à la pression migratoire : le préfet nous disait que c'est un peu comme écoper, c'est nécessaire pour ne pas couler mais la barque se remplit toujours.

Les professionnels de santé font preuve d'un dynamisme remarquable. Malgré des conditions de travail épouvantables, ils sont passionnés par leur métier et ont développé des solutions innovantes comme la télémédecine. Le centre hospitalier de Cayenne gère ainsi plusieurs centres délocalisés de prévention et de soins dans des villages isolés, accessibles uniquement par bateau ou avion ; ils représentent presque 10 % de son budget. Le professionnel, qui y réside ou y passe quelques jours, emporte une « valise » avec un ordinateur, un appareil photo, un électrocardiogramme numérique, un microscope et une webcam. Grâce à ce matériel, il peut communiquer des informations essentielles au diagnostic ou à la définition d'un traitement à des spécialistes établis à Cayenne ou ailleurs : dermatologues, cardiologues, ophtalmologues, gynéco-obstétriciens ou pédiatres. Cette technique est un magnifique succès, obtenu avec le soutien financier du centre spatial et exportable dans l'hexagone ; elle permet d'apporter toute l'offre de soins aux patients qui ne peuvent se déplacer et évite certaines évacuations sanitaires.

Dans la partie du rapport consacrée au logement, nous devrons parler de véritables bidonvilles : des quartiers entiers, assez peuplés, où les habitations sont composées de tôles, ne sont pas raccordées au réseau d'eau potable ou d'assainissement et où les habitants opèrent des connexions sauvages, très dangereuses, au réseau électrique. Un gendarme a utilisé le mot de « favelas ». Les collectivités construisent des logements sociaux, réhabilitent ou étendent les réseaux dans la mesure de leurs faibles moyens. Mais la pression démographique, notamment migratoire, est telle que certains parlent d'un tonneau des Danaïdes.

Le rôle de l'Etat est primordial : il est propriétaire de 90 % du foncier du département. Pendant longtemps, sa politique n'a pas été très active. Des équipes spéciales de gendarmerie ont été mises en place, mais la très mauvaise application des décisions de justice empêche de lutter efficacement contre les marchands de sommeil et l'insalubrité. Ces graves défaillances ont été dénoncées par nos collègues Christian Cointat et Bernard Frimat lors d'une mission pour la commission des lois en février : l'engorgement et l'insuffisance des moyens humains du greffe du tribunal de grande instance de Cayenne les conduisent à parler de « justice virtuelle ». Les responsables de la gendarmerie nous ont confirmé qu'aucun jugement ordonnant la destruction d'une construction illégale n'a été exécuté depuis cinq ans en Guyane. Le conseil des prud'hommes ne rendrait plus de jugement depuis trois ans faute de personnel ! On dit que certaines personnes ont intérêt à organiser ce désordre ; des procédures seraient bloquées par des collusions. Il est vrai que des gens s'enrichissent en revendant des parcelles sur lesquelles ils n'ont pourtant aucun droit. Il faut restaurer au plus vite ce chaînon manquant de l'action de l'Etat en Guyane : la justice.

Nous sous sommes également rendus à Saint-Laurent-du-Maroni, dans l'ouest du département. La frontière y est une illusion, car la facilité de navigation empêche de maîtriser complètement les flux migratoires : en déjeunant chez le sous-préfet, nous apercevions la rive opposée du fleuve, c'est-à-dire le Surinam, l'un des pays les plus pauvres du monde. Les mêmes populations amérindiennes ou bushinenges vivent sur les deux rives, et l'on peut parler d'une « culture du fleuve ».

La région de Saint-Laurent-du-Maroni connaît une expansion démographique incroyable ; la ville sera la première du département dans quelques années. La pression migratoire y est particulièrement forte, comme à la frontière brésilienne. Les défis sont immenses en termes de logement, d'éducation, de santé, de services publics... Saint-Laurent, dont la population officielle dépasse légèrement 35 000 habitants selon l'Insee, compte vingt-six écoles maternelles et primaires et cinq collèges, on y construit chaque année plusieurs centaines de logements et une école primaire.

Lors de notre entretien, la directrice adjointe de l'hôpital a d'abord dénoncé la violence urbaine : son appartement a été cambriolé plusieurs fois et les infractions violentes sont trois fois plus fréquentes en Guyane qu'en métropole.

Au centre hospitalier, nous avons rencontré des professionnels là aussi passionnés mais on peut vraiment s'étonner qu'ils ne soient pas plus découragés ! Les responsables sont confrontés à un problème de recrutement : faire venir quelqu'un à Saint-Laurent est déjà difficile, mais avec la violence et la faiblesse des moyens, c'est presque mission impossible ! Depuis le début de l'année, six accouchements en moyenne ont lieu chaque jour dans cet hôpital, qui ne dispose que de deux salles. Il y a six berceaux de néonatologie et dix lits en pédiatrie, occupés en grande partie et pour longtemps par des enfants handicapés qui ne peuvent être accueillis ailleurs, faute de centre spécialisé... Beaucoup de consultations ou d'arrivées en maternité sont tardives, si bien que les cas sont souvent complexes et graves ; un médecin nous a dit : « Ici, des enfants meurent encore du fait de diarrhées. »

Or la structure actuelle de l'établissement ne permet plus de répondre à la demande croissante : il est impossible d'hospitaliser certains patients faute de places, les conditions de travail sont accablantes et la sécurité des malades est compromise. A notre retour, nous avons écrit à Xavier Bertrand pour soutenir la construction d'un nouvel établissement. Les travaux n'ayant pas encore commencé, les responsables réclament à juste titre des locaux provisoires pour faire face à la saturation du bâtiment actuel. En Guyane, l'Etat doit donner un véritable « coup de collier ». Je n'ose parler de « plan Marshall », tant l'expression est galvaudée, mais c'est précisément ce qu'il faudrait à ce territoire.

Cette mission a été passionnante et parfois déroutante. Nous espérons que notre rapport fera obtenir quelques avancées au bénéfice de la population.

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