Faisant valoir que les communications électroniques formaient le socle de l'économie européenne et de sa compétitivité et représentaient un vecteur primordial de la cohésion sociale et de la diffusion de nouveaux services, notamment culturels, M. Pierre Hérisson, rapporteur, a expliqué que la révision du cadre réglementaire qui leur est applicable était porteuse d'enjeux considérables. Il a rappelé que le cadre en vigueur avait été adopté en 2002 au niveau communautaire et transposé en France par la loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, dont son collègue Bruno Sido et lui-même avaient été rapporteurs. D'emblée conçu dans la perspective de sa révision périodique, ce cadre repose sur la régulation des marchés de gros par les autorités de régulation nationales, sous le contrôle de la Commission européenne : le principe est d'imposer des obligations à l'opérateur puissant sur un marché, afin de résorber les « goulets d'étranglement » qui empêchent une concurrence effective.
Sa mise en oeuvre a porté ses fruits et la France figure parmi les huit pays européens qui dépassent les Etats-Unis d'Amérique en termes de pénétration de l'accès internet haut débit. Ce cadre a aussi fait la preuve de sa flexibilité puisque la Commission propose d'ores et déjà de soustraire de la régulation sectorielle 11 des 18 marchés pertinents qu'elle avait identifiés en 2003.
Il n'est donc pas question de rompre avec le modèle actuel de régulation, mais, plus modestement, de l'adapter aux enjeux d'avenir, à savoir : le déploiement des nouveaux réseaux en fibre optique et l'optimisation du spectre pour permettre le développement de services sans fil innovants. C'est dans ce contexte que la Commission européenne a présenté, le 13 novembre 2007, un nouveau « paquet télécom » comprenant trois textes : deux modifient les directives en vigueur, le troisième propose de créer une Autorité européenne de régulation des marchés de communications électroniques, l'EECMA.
a indiqué que la commission des affaires économiques avait créé en son sein un groupe de travail, qui a rencontré Mme Viviane Reding, commissaire européen et auteur du projet de réforme, ainsi que les différents acteurs concernés. Après avoir remercié les membres de ce groupe de travail pour leur participation, il a indiqué qu'il présentait aujourd'hui, en leur nom, une proposition de résolution améliorée par rapport à celle qu'il avait déposée il y a quelques semaines (n° 295).
Il a d'abord exposé les deux grands axes du projet de Mme Viviane Reding :
- premièrement, communautariser la régulation du secteur, afin de remédier au défaut d'harmonisation de la régulation à travers l'Union européenne -le seul lieu actuel de coordination entre les régulateurs nationaux étant le groupe des régulateurs européens (GRE), dont le fonctionnement par consensus ne permet de dégager que le plus petit dénominateur commun-, défaut qu'elle estime porter préjudice au marché intérieur et freiner le développement du secteur : en effet, est-il normal que, pour fournir un accès haut débit, la filiale de France Télécom en Espagne ne trouve pas les mêmes conditions opérationnelles auprès de Telefonica que celles offertes en France par France Télécom aux opérateurs alternatifs ? En réponse, la Commission propose donc de créer une Autorité européenne, l'EECMA. Cette autorité aurait essentiellement un rôle consultatif auprès de la Commission européenne, concernant notamment la réglementation des marchés et la gestion du spectre radioélectrique, mais serait aussi chargée de la gestion des numéros européens et de la sécurité des réseaux (aujourd'hui à la charge d'une autre agence). Elle mobiliserait, à partir de 2012, un personnel permanent de 134 personnes (équivalents temps plein) pour un budget annuel de 28 millions d'euros.
La Commission entend, parallèlement, consolider les autorités de régulation nationales en renforçant leurs pouvoirs et leur indépendance et en mettant à leur disposition un nouvel outil : la séparation fonctionnelle, qui consiste à obliger une entreprise verticalement intégrée à confier ses activités de fourniture en gros de produits d'accès à une entité économique fonctionnellement indépendante. Cette entité économique doit fournir des produits et services d'accès à toutes les entreprises, sans discrimination. La séparation fonctionnelle ne pourra être imposée par un régulateur national sans l'approbation préalable de la Commission, à laquelle le régulateur devra soumettre une demande comportant la preuve que l'imposition d'obligations appropriées pour assurer une concurrence effective a échoué, ainsi qu'une analyse de l'effet escompté.
Enfin, la Commission propose diverses mesures en faveur d'une meilleure protection des consommateurs et des données personnelles : accès facilité aux utilisateurs handicapés, transparence tarifaire, portabilité des numéros en un jour, information des consommateurs sur les failles de sécurité des réseaux ;
- deuxièmement, rompre avec le modèle actuel de gestion des fréquences : le spectre radioélectrique étant une ressource limitée donc rare, son affectation devrait permettre son optimisation, ce que, selon la Commission, ne permet pas le modèle actuel qu'elle qualifie d'« administratif », en ce qu'il limite le nombre d'autorisations d'utilisation des fréquences et ralentit l'introduction de nouvelles technologies. Les fréquences radioélectriques, appartenant au domaine public national, relèvent de la compétence de chaque Etat membre de l'Union européenne, mais la Commission souhaite harmoniser la gestion du spectre en Europe autour de deux principes : la neutralité technologique -tout opérateur détenant un droit d'usage d'une bande de fréquence doit pouvoir y déployer n'importe quel réseau de radiocommunications et n'importe quelle technologie sans fil, sauf si cela contrarie l'objectif d'harmonisation communautaire de l'utilisation des fréquences dans la Communauté- ; la neutralité à l'égard des services tendant à la fourniture de tout type de service de communications électroniques sur toute fréquence, certaines restrictions restant autorisées pour un motif d'intérêt général (sécurité de la vie humaine, promotion de la cohésion sociale, régionale ou territoriale, efficacité spectrale ou promotion de la diversité culturelle et linguistique et pluralisme des médias). La Commission prévoit aussi un marché secondaire des fréquences et l'octroi d'autorisations générales, les licences individuelles devenant une exception à justifier. Enfin, les services d'envergure européenne verraient les conditions de leur autorisation harmonisées par la Commission, s'appuyant sur l'avis de l'Autorité.
a ensuite présenté sa proposition de résolution, en réaction aux projets de la Commission européenne. Le texte commence par rappeler les deux grandes tendances de l'ère numérique (mobilité et convergence), et confirme la nécessité de dynamiser la gestion du spectre pour optimiser son utilisation et éviter sa « sédimentation » au bénéfice exclusif des opérateurs en place. Evitant tout dogmatisme, cette dynamisation s'inscrit dans un cadre international -les bandes de fréquences étant réparties entre grands types d'usages par l'Union internationale des télécommunications (UIT) et sa déclinaison européenne, la Conférence européenne des postes et télécommunications (CEPT)-, et il convient de poursuivre l'harmonisation communautaire en ce domaine, fondée sur la décision de la Commission européenne « spectre radioélectrique» de 2002, afin de tirer profit des économies d'échelle au niveau européen. Il s'agit aussi d'éviter de fragiliser la sécurité juridique des investissements, ce qui conduit à écarter l'abaissement de 10 à 5 ans de la durée des autorisations d'usage du spectre et à être prudent à l'égard des droits d'usage du spectre déjà attribués. Il faut tenir compte enfin des objectifs d'intérêt général, que sont l'efficacité dans l'usage du spectre -qui serait gâchée par les brouillages provoqués par la coexistence, sur des bandes de fréquences proches, de services très différents en termes de puissance de rayonnement- et les objectifs de pluralisme, de diversité culturelle et de création que le régulateur de l'audiovisuel s'attache à poursuivre, la neutralité de services risquant en effet de déstabiliser le modèle français de régulation de l'audiovisuel fondé sur l'attribution de fréquences en échange d'obligations qui participent de la réalisation d'objectifs d'intérêt général.
a ensuite abordé le deuxième grand thème de sa proposition de résolution : l'organisation de la régulation économique du secteur.
Sur ce point, il a reconnu avoir évolué au cours des auditions, le texte proposé n'opposant plus un refus catégorique à la séparation fonctionnelle mais consentant à en faire un instrument exceptionnel, de dernier ressort. De nombreux arguments devraient conduire à écarter la séparation fonctionnelle, qui n'est mise en oeuvre qu'au Royaume-Uni : son coût, puisqu'elle mettrait un terme aux fortes synergies entre réseau et services dans le secteur des télécoms ; sa régulation, qui serait délicate, d'autant que le « cantonnement » du réseau d'accès diminue naturellement l'incitation de l'opérateur à investir dans ce réseau, ce qui risque de conduire à long terme à une perte de qualité et une moindre innovation ; son caractère irréversible, qui contredit la neutralité technologique et la perspective d'un effacement de la régulation sectorielle. Or, cette « arme atomique », pour reprendre les mots du président de l'ARCEP, pourrait servir d'instrument de dissuasion. A l'heure du déploiement de nouveaux réseaux en fibre optique, sans doute ne faut-il pas décourager l'investissement en brandissant la séparation fonctionnelle d'un réseau qui n'existe pas encore ; mais on ne peut ignorer le risque d'une résurgence du monopole de l'opérateur historique, France Télécom détenant, en effet, un quasi-monopole sur les fourreaux dans lesquels devra passer la fibre et la menace de séparation fonctionnelle pouvant l'inciter à être plus accommodant.
En tout état de cause, M. Pierre Hérisson, rapporteur, a fait valoir que le texte proposait un double verrou pour éviter un recours abusif à la séparation fonctionnelle : l'exigence d'un débat préalable au Parlement et l'avis conforme de la majorité des régulateurs nationaux, et qu'il souhaitait interdire à la Commission d'imposer une telle mesure à un régulateur national.
Concernant la création de l'Autorité européenne, la proposition de résolution s'y oppose fermement, cette création modifiant sensiblement l'équilibre des pouvoirs dans la mesure où, par l'intermédiaire de l'Autorité, la Commission se trouve dotée de pouvoirs largement renforcés, notamment celui d'opposer son veto à un remède et de le modifier. Au plan juridique, les principes de subsidiarité et de proportionnalité justifient également qu'on s'oppose à la création de l'Autorité.
La proposition de résolution refuse donc de doter la Commission du droit de veto qu'elle voudrait obtenir sur les remèdes pour harmoniser elle-même la régulation en Europe. Mais, comme il reste nécessaire de progresser dans l'unité du marché européen des communications électroniques, elle suggère, en guise d'alternative, de construire un système de régulation conjointe entre la Commission et les régulateurs nationaux : le GRE actuel serait renforcé et transformé en comité consultatif. La Commission devrait obtenir l'avis conforme de ce GRE amélioré avant toute intervention auprès d'un régulateur national et la publication de cet avis permettrait d'en augmenter la puissance. M. Pierre Hérisson, rapporteur, a fait observer que le Parlement européen pourrait soutenir un projet analogue, défendu par Mme Pilar del Castillo et baptisé BERT (Body of European Regulators in Telecommunications).
Enfin, il a souligné que le groupe de travail estimait nécessaire de renforcer la protection des consommateurs, sans toutefois créer d'obligations excessives et inappropriées sur les opérateurs ou les autorités publiques. Ainsi, la proposition de la Commission d'obliger tout opérateur à notifier aux abonnés toute atteinte à leurs données personnelles, si elle peut contribuer à une meilleure transparence, peut se révéler contre-productive en nourrissant l'inquiétude des consommateurs. De même, la portabilité des numéros en 24 heures peut mettre à mal la sécurité de la procédure. Le texte de la proposition de résolution rappelle aussi qu'un objectif majeur est d'accroître la transparence et la lisibilité tarifaire : sur ce point, on peut s'inquiéter des conséquences de certaines mesures, comme la perspective de créer une portabilité des numéros entre fixe et mobile, qui ferait perdre aux consommateurs l'information tarifaire précieuse, apportée aujourd'hui par la forme distincte que prennent ces numéros.
a conclu en insistant sur l'importance, pour l'Europe, d'un fonctionnement optimal des réseaux et services de communications électroniques, avant de proposer aux commissaires d'adopter la proposition de résolution, qui doit y contribuer.