Intervention de Évelyne Didier

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 15 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission economie - examen du rapport pour avis

Photo de Évelyne DidierÉvelyne Didier :

J'ai souhaité porter mon attention, dans le cadre de ce rapport pour avis, sur les missions et les moyens de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), en abordant le sujet sous l'angle particulier de la protection des consommateurs. En effet, la relation de confiance entre les consommateurs et les professionnels traverse aujourd'hui une crise grave, qui se manifeste par un sentiment de vulnérabilité chez les consommateurs. Cela alimente une demande forte d'intervention des pouvoirs publics pour garantir leurs intérêts économiques et leur sécurité. Le Sénat va d'ailleurs examiner prochainement un projet de loi sur la protection du consommateur, qui prétend renforcer la DGCCRF, tant au niveau de ses champs d'intervention que de ses pouvoirs.

Ma question est donc simple : la DGCCRF, après cinq ans de RGPP, est-elle en état de remplir effectivement le rôle renforcé que la loi veut lui donner pour répondre à la demande de sécurité économique qu'expriment nos concitoyens ?

J'aurais aimé répondre « oui ». Malheureusement, mon sentiment est que la DGCCRF est aujourd'hui une administration sinistrée.

Tout d'abord, elle est face à ce qu'on pourrait appeler un « effet de ciseaux » entre ses missions et ses moyens.

D'un côté, loi après loi, directive européenne après directive, on charge un peu plus sa barque en lui confiant de nouvelles missions. Prenons l'exemple du projet de loi sur la protection des consommateurs dont je viens de parler. Ce texte crée de nouvelles règles pour encadrer les relations d'affiliation dans le domaine de la grande distribution entre les commerçants indépendants et la tête de réseau dont ils font partie. L'idée en soi est intéressante et ces règles, j'espère bien que le Sénat les durcira pour enfin s'attaquer aux monopoles locaux. C'est bien entendu la DGCCRF qui en contrôlera le respect. Le texte prévoit aussi d'étendre les indications géographiques protégées aux produits artisanaux et industriels. Pourquoi pas. Mais qui vérifiera que ces nouvelles indications d'origine sont bien respectées ? La DGCCRF encore une fois. Le texte propose également d'étendre les missions de contrôle aux activités de syndic de copropriété et à l'exercice de la profession de diagnostiqueur. Très bien. On sait qu'il s'agit de secteurs où les abus sont nombreux. Et c'est donc une nouvelle mission très lourde qui est ainsi donnée à la DGCCRF.

En résumé, si l'on met bout à bout toutes ces missions nouvelles, et qu'on se souvient qu'elles s'ajoutent à celles créées par la loi de modernisation de l'économie, puis par la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, puis par la loi sur le crédit ; si l'on tient compte en outre que la législation européenne impose chaque année à la DGCCRF des contrôles sur un nombre croissant de produits alimentaires et non alimentaires, alors le tableau qu'on obtient est celui d'une DGCCRF qui croule littéralement sous les missions nouvelles.

Dans le même temps, et c'est la deuxième lame de l'effet de ciseaux, la DGCCRF voit, année après année, ses crédits et ses effectifs baisser. En 2012, elle perdra une centaine d'agents. Entre 2008 et 2012, ses effectifs seront passés de 3562 à 3053 agents, soit une baisse de 15 %.

Comment la DGCCRF fait-elle face à cet écart croissant entre le champ des contrôles qu'elle doit effectuer et les moyens dont elle dispose pour les mener à bien ?

Le discours officiel est que tout va bien, la réorganisation des services permettant de dégager des gains de productivité et d'adapter les moyens aux missions grâce à une efficacité accrue.

Je ne partage pas cet optimisme.

J'ai en effet pu constater, en premier lieu, que la DGCCRF a organisé son programme de contrôle des produits et des acteurs de marché de telle sorte que, par définition, les moyens soient toujours en quantité suffisante. Concrètement en effet, le programme de contrôle de la DGCCRF est défini chaque année sur la base d'une directive nationale d'orientation qui fixe les champs de contrôle prioritaires. Par exemple, en 2011, la DGCCRF a fait porter son effort de contrôle sur quelques thèmes comme la mise en oeuvre de la loi sur le crédit à la consommation, les services personnalisés, les nouvelles formes de marketing et de consommation numérique avec notamment la question de l'indépendance commerciale des comparateurs de prix ou encore la mise aux normes des ascenseurs. Avoir des priorités, c'est très bien, mais dans les faits des pans entiers des échanges échappent chaque année aux contrôles parce qu'ils ne sont pas prioritaires. Les moyens ne manquent donc jamais, puisque ce sont les missions qui s'adaptent aux moyens et non l'inverse.

De plus, il y a lieu de penser que la qualité des contrôles effectués a tendance à se dégrader et que cette baisse de qualité est masquée par des indicateurs de performances purement quantitatifs. Il est d'ailleurs intéressant de constater que l'économie de marché dérégulée développe un fétichisme de la performance chiffrée qui n'a d'équivalent que dans les régimes de planification économique les plus administrés ! La DGCCRF partage ce culte du chiffre et affiche ainsi des indicateurs de performance éblouissants, dont le ministre se félicite. En 2009, par exemple, 900 000 contrôles ont été effectués. Près de 150 000 anomalies ont été constatées.

Mais à quoi correspondent réellement ces contrôles ? Autrefois, les contrôles menés par la DGCCRF étaient de vraies enquêtes. Une enquête, c'est un contrôle approfondi, qui se donne les moyens de vérifier le respect des règles au-delà des simples apparences. Par exemple, un enquêteur de la DGCCRF va vérifier que les marchandises stockées par un restaurateur correspondent bien aux factures d'approvisionnement présentes dans la compatibilité et aux plats figurant sur la carte. De telles enquêtes ont aujourd'hui disparu car elles prennent du temps. Aujourd'hui, on demande de plus en plus aux agents de faire de simples inspections, c'est-à-dire de vérifier un certain nombre de points prédéfinis à partir d'une grille d'évaluation standardisée. On va leur demander, par exemple, de faire le tour des restaurants du secteur pour vérifier si les restaurateurs apposent bien sur leur vitrine la vitrophanie suivante : « la TVA baisse, les prix aussi ». En une heure, un agent peut ainsi contrôler quelques dizaines de restaurants, avec un effet marginal sur le bien-être des consommateurs, mais un impact très positif sur les statistiques de performances du ministère.

Mon sentiment est donc que la DGCCRF est en train de passer d'une activité de police économique dans le domaine de la concurrence et de la consommation à un simple travail d'audit et d'accompagnement des entreprises. Je ne suis pas certaine que cela constitue la réponse appropriée au sentiment de vulnérabilité des consommateurs et à la demande forte de protection que j'évoquais au début de mon intervention.

En conclusion, je vous propose d'émettre un avis défavorable aux crédits de la mission « Économie ».

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