a rappelé que la table ronde du 3 juin dernier avait montré que la proposition de loi suscite des débats vifs, en partie dus à la confusion qui entoure l'objet de son dispositif : en effet, il n'est pas question de pénaliser l'anorexie mais bien les agissements répréhensibles de tiers qui pourraient la causer ; de même, la brièveté des délais imposés à l'Assemblée nationale pour examiner ce texte fait qu'il présente une incohérence entre son intitulé, qui mentionne la répression de l'incitation à la « maigreur extrême et à l'anorexie », alors que le dispositif voté vise la « maigreur excessive ».
De plus, les spécialistes s'accordent pour considérer qu'il est impossible d'inciter une personne « saine » à l'anorexie. Devenir anorexique suppose une prédisposition personnelle dont la science ne sait toujours pas dans quelle mesure elle relève de la génétique et/ou du psychologique : on ne devient pas anorexique sous la pression de la société ou par imitation. Prévoir la répression de la provocation à l'anorexie n'a donc pas grand sens. Concrètement, il serait impossible au juge, même avec l'aide d'une expertise médicale, de prouver qu'une provocation a été cause d'une anorexie.
Ceci étant, la proposition de loi comporte un second volet qui réprime la propagande et la publicité, ce qui aura potentiellement beaucoup plus d'effet. Il vise clairement les sites Internet qui se proclament « pro-anorexie » ou « pro-ana ».
Il s'agit là d'une mode venue des Etats-Unis, où elle est née à la fin des années quatre-vingt-dix. Les sites pro-ana affirment que l'anorexie n'est pas une maladie mais un mode de vie. Ils ont une architecture relativement stéréotypée qui a pu faire penser qu'il s'agissait d'un mouvement sectaire, ce qui ne semble pas être le cas. Ce sont des anorexiques, ou des personnes à la limite de l'anorexie, qui tiennent ces sites ; le fait même qu'elles puissent considérer que l'anorexie n'est pas une maladie est d'ailleurs caractéristique de leur trouble.
Or, l'application du dispositif de la proposition de loi, en l'état, aurait pour conséquence de traduire en justice un ou une adolescente et de lui infliger une amende ou une peine pouvant aller jusqu'à deux ans de prison, pour un effet dissuasif nul et le risque d'aggraver l'état des malades.
Ceci étant, le texte transmis ne se limite plus à l'anorexie puisqu'il mentionne désormais l'incitation à la « maigreur excessive ». Cette formule vise non seulement les sites Internet mais aussi les employeurs, les professeurs, les entraîneurs ou les parents, toute personne dont l'attitude est susceptible, en encourageant le jeûne prolongé, de porter atteinte à la santé ou à la vie de ceux qu'ils ont sous leur autorité. Il faut savoir que ces comportements anormaux sont déjà réprimés par le droit : la Cour de cassation a confirmé l'obligation de résultat qui incombe à l'employeur en matière de garantie de la santé de ses employés ; le code pénal réprime tant l'abus de faiblesse que le refus d'aliment à enfant. On pourrait légitimement en conclure que de nouvelles dispositions ne sont pas utiles.
Toutefois, Mme Patricia Schillinger, rapporteur, a fait valoir que l'inaction n'apporterait pas aux parents et aux soignants l'aide dont ils ont besoin pour lutter contre l'anorexie. Celle-ci passe d'abord par la prévention et le rapport esquisse des pistes en ce sens. Au-delà, il est légitime d'interdire les sites pro-anorexie, tout autant, d'ailleurs que ceux faisant l'apologie d'autres troubles du comportement alimentaire, par exemple le mouvement « pro-mia » en faveur de la boulimie ou les « feeders » qui tirent un plaisir pathologique de la prise de poids, et ceux qui prônent l'atteinte à soi-même, par la scarification par exemple. Ne pas traiter ici ces phénomènes inquiétants reviendrait à devoir les traiter plus tard, dans d'autres propositions de loi qui ne manqueront pas d'être déposées.
Pour répondre au problème complexe de l'interdiction des sites, trois dispositifs sont envisageables pour remplacer celui proposé par l'Assemblée nationale :
- le premier est le plus contraignant. Il consisterait à introduire dans le code de la santé publique, et non dans le code pénal, un nouveau titre consacré à la lutte contre les troubles du comportement alimentaire et composé d'un article unique élargissant le dispositif prévu par l'Assemblée nationale à l'ensemble des troubles du comportement, mais sans l'assortir de sanctions pénales. Les hébergeurs seront donc obligés de fermer les sites Internet qui rendent publiques les méthodes pour entretenir un trouble du comportement alimentaire. L'inconvénient de ce dispositif serait qu'en créant un nouveau titre dans le code de la santé publique, il encouragerait à l'étoffer et contribuerait à l'inflation législative dans un domaine qui demande surtout une meilleure organisation des soins ;
- la deuxième option serait de régler la seule question des sites pro-anorexie en introduisant, dans la loi de 1986 relative à la liberté de communication, un nouvel alinéa les interdisant. Ce dispositif peut toutefois paraître trop restreint et laisserait exister, sans justification, les sites de même nature mais non dédiés à l'anorexie, les pro-boulimie par exemple ;
- une troisième possibilité, la plus efficace semble-t-il, consisterait à élargir l'interdiction des sites à tous ceux faisant l'apologie des troubles du comportement alimentaire et des comportements mettant gravement et directement en danger la santé des personnes, comme la scarification.
Enfin, Mme Patricia Schillinger, rapporteur, a indiqué que deux autres amendements pourraient être retenus : le premier, pour prévoir l'application du dispositif outre-mer, le second, pour modifier le titre de la proposition de loi afin qu'il ne porte plus à confusion.