Avant de répondre à vos questions, je souhaiterais faire quelques remarques introductives sur l'action de la France en faveur de l'aide au développement.
Mais, tout d'abord, je voudrais dire un mot du document de politique transversale « politique française en faveur du développement ». Cette année, ce document important n'a été bouclé que très tardivement. Ceci reflète, je ne vous le cache pas, la difficulté et les arbitrages importants qui ont été nécessaires jusqu'à très récemment pour concilier le respect de nos engagements et la contrainte budgétaire. Ce document, qui devrait vous parvenir très prochainement, offre notamment une vision globale des composantes de l'aide publique au développement (APD), nos prévisions sur leur évolution, ainsi que l'expression de notre politique publique.
Ma première remarque sera donc, dans l'esprit de ce document, de souligner que ce budget représente un effort financier très important en faveur du développement. La France était déjà, en 2009, le deuxième bailleur mondial en volume, derrière les Etats-Unis et le deuxième des pays du G7 en part du revenu national brut, après le Royaume-Uni. Notre pays va encore renforcer son effort.
En effet, l'aide publique au développement, qui a atteint 9 milliards d'euros en 2009, devrait continuer à progresser pour passer, pour la première fois, la barre des 10 milliards d'euros en 2012. Cela correspondra, pour la première fois également, à un effort d'un euro par jour pour chaque ménage français. Cette croissance de l'APD portera exclusivement sur l'aide bilatérale, l'aide multilatérale s'inscrivant, en prévision, en baisse après avoir atteint un niveau historique de 4 milliards d'euros en 2009. La part de l'aide multilatérale dans l'APD devrait passer de 44 % en 2009 à 36 % en 2012.
Ces prévisions d'APD sont obtenues, d'abord, en sanctuarisant le socle de cet effort, les crédits budgétaires de la mission APD, qui sont stabilisés à un niveau de 3,34 milliards d'euros par an, soit 10 milliards d'euros sur le triennum 2011-2013.
Ensuite, en optimisant le coût budgétaire de cet effort. Ceci concerne essentiellement les prêts, dont nous veillons à ajuster la concessionnalité au niveau minimal permettant la réalisation des projets sans menacer la soutenabilité de la dette des pays emprunteurs.
Enfin, en mettant des ressources additionnelles au service du développement. C'est ainsi que la France, qui bénéficie d'un surplus de quotas carbone grâce à une politique environnementale ambitieuse et efficace, va financer, grâce à ce surplus, 150 millions d'euros d'actions de lutte contre la déforestation dans les pays en développement. C'est aussi grâce à des cessions d'actifs que nous allons accompagner, à hauteur d'environ 60 millions d'euros par an, les augmentations de capital des banques multilatérales de développement décidées au printemps dernier, en réponse à l'appel du G20 de Londres.
Au sein de l'aide bilatérale, la structure de notre aide évolue, conformément à la demande exprimée par le Parlement. C'est sur l'aide-projet et sur l'aide-programme que porte l'effort, principalement par une croissance des engagements de l'AFD. L'hypothèse d'annulations de dette moyenne est en revanche stable, d'environ 1 milliard d'euros par an, correspondant essentiellement aux allègements de dette en faveur des derniers pays éligibles à l'initiative renforcée en faveur des pays pauvres très endettés.
Ma deuxième remarque portera sur les actions entreprises pour répondre à l'exigence d'une politique française de développement plus lisible et plus stratégique.
Pour que notre effort d'aide ait un impact maximal, il nous faut le cibler.
Héritière d'une longue tradition de coopération, notre aide publique au développement est diversifiée. Elle est principalement mise en oeuvre par l'Agence française de développement (AFD), par l'Union européenne et par des opérateurs multilatéraux, comme la Banque mondiale ou des fonds, comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Mais elle comprend également, par exemple, pour près d'un milliard d'euros par an, des dépenses liées à la formation des étudiants étrangers ou de recherche sur le développement et de coopération scientifique.
Face à cette diversité, le risque existe d'une dispersion, et le Sénat, notamment, avait souhaité que la France clarifie sa politique, par un ciblage clair et transparent.
Le gouvernement a depuis 2009 pris plusieurs mesures pour traiter ce risque.
Le gouvernement a apporté une première réponse lors du Conseil interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 5 juin 2009 en définissant les cinq secteurs prioritaires de notre coopération : santé, éducation et formation professionnelle, agriculture et sécurité alimentaire, développement durable et soutien à la croissance.
Le gouvernement a prolongé cet exercice en rédigeant un document-cadre de coopération au développement, qui devrait être rendu public prochainement. Une large consultation a été conduite par le ministère des affaires étrangères, au niveau interministériel et en direction de la société civile. Je voudrais saluer le rôle moteur joué par votre commission dans cet exercice, avec les auditions, en mai 2010, de MM. Bourguignon, Michaïlof, Severino et Vielajus, et du ministre des affaires étrangères et européennes, M. Bernard Kouchner, la publication, au nom de votre commission, du rapport d'information des sénateurs Christian Cambon et André Vantomme « Pour une mondialisation maîtrisée - contribution au projet de document-cadre de coopération au développement », et la représentation du Sénat lors des réunions du groupe de travail.
Nous avons désormais une véritable stratégie pour notre coopération, avec quatre enjeux et quatre partenariats différenciés. Les quatre enjeux sont :
- contribuer à une croissance durable et partagée ;
- lutter contre la pauvreté et réduire les inégalités ;
- préserver les biens publics mondiaux ;
- promouvoir la stabilité et l'Etat de droit comme facteurs de développement.
Quatre partenariats sont définis :
- le plus important, celui avec l'Afrique subsaharienne pour soutenir sa croissance et la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ;
- celui avec la Méditerranée pour le développement durable, dans une perspective de convergence ;
- celui avec les pays émergents, pour gérer les équilibres mondiaux ;
- enfin, celui avec les pays en crise, pour en renforcer la stabilité.
Ces partenariats différenciés ne sont pas incantatoires : ils se traduisent aussi par des choix financiers explicites. Ainsi, au moins 60 % de l'effort financier bilatéral de l'Etat devra être affecté à l'Afrique subsaharienne, et pas plus de 10 % aux pays émergents. Par ailleurs, environ 20 % seront affectés aux pays de la Méditerranée et environ 10 % aux pays en crise, comme Haïti ou l'Afghanistan.
Ces partenariats encadreront notamment l'intervention de l'AFD, avec des conséquences, par exemple sur l'intervention de l'AFD en Chine.
Le document insiste aussi sur l'importance de préserver les moyens de l'action bilatérale et je sais que vous y êtes particulièrement attachés. Je vais vous en donner une illustration concrète sur le programme 110 « aide économique et financière au développement » : les crédits de paiement d'aide budgétaire bilatérale y augmentent de 30 %, pour atteindre 86 millions d'euros. Ceci nous permet de concrétiser la relation privilégiée entre la France et les communautés économiques régionales de la zone franc, mais aussi de répondre aux engagements pris envers Haïti. A contrario, le montant consacré aux reconstitutions de l'AID et du FAD s'inscrit en recul par rapport à ce qu'il était en 2007. En conséquence, la France est passée du 2è au 4è rang parmi les bailleurs du Fonds africain de développement, et est celui des bailleurs dont la baisse (10 % en unités de compte) est la plus importante. Afin que ces choix budgétaires ne se traduisent pas par une baisse significative de l'influence française sur ces institutions multilatérales, nous développons parallèlement le partenariat entre celles-ci et l'AFD.
Un effort important et ciblé donc, qui devrait se situer autour de 0,5 % du RNB en 2010 puis décroître légèrement, mais qui ne peut à lui seul suffire pour faire face aux défis mondiaux de moyen terme, et ce sera ma troisième remarque : la mobilisation de ressources nouvelles, via des financements innovants, sera indispensable pour être au rendez-vous de l'objectif d'une APD de 0,7 % du RNB en 2015 comme de l'objectif financier de 100 milliards d'euros par an en 2020 inscrit dans l'Accord de Copenhague.
Vous le savez, la France joue un rôle leader au niveau mondial en matière de financements innovants, et le défi est de convaincre un nombre croissant de pays de mettre en place les mécanismes qui -préfiguration d'une possible fiscalité internationale- devront en particulier permettre de financer les biens publics mondiaux dans les pays en développement.
L'année écoulée a vu des progrès significatifs dans cette direction.
D'abord la reconnaissance, dans l'accord de Copenhague, en décembre 2009, sous l'impulsion du Président de la République, que les financements innovants joueront un rôle dans le financement de la lutte contre le changement climatique.
Ensuite la reconnaissance, par le groupe d'experts mandaté par le groupe pilote sur les financements innovants, mais aussi par le Fonds monétaire international, de la faisabilité d'une taxation internationale des transactions financières ; ces travaux ont débouché sur une déclaration, en marge du sommet des OMD, où Japon, Brésil, Espagne, Norvège et Belgique nous ont rejoints en faveur d'une contribution sur les transactions financières.
Enfin, les travaux du groupe consultatif de haut niveau sur le financement de la lutte contre le changement climatique, dont Mme Christine Lagarde était membre aux côtés, notamment, de Nicholas Stern, Georges Soros et Larry Summers, ont, eux aussi, reconnu le potentiel de financements innovants comme la taxation des émissions de carbone des secteurs aériens ou maritimes, ou la contribution du secteur financier, estimés pouvoir contribuer à cette lutte à hauteur chacun de 10 milliards d'euros par an. Une mise en oeuvre mondiale d'une taxe sur les transactions financières se heurte cependant toujours à la réticence des Etats-Unis et de plusieurs grands pays émergents.
Ce travail de conviction doit être poursuivi, et le calendrier nous en donne l'occasion : ce sera ma quatrième et dernière remarque. Nous mettrons à profit la double présidence française du G8 et du G20 pour progresser sur plusieurs chantiers décisifs en faveur du développement.
Traditionnellement, le développement est plutôt traité dans le cadre du G8 sous l'angle des pays donateurs, alors que le G 20 s'est surtout préoccupé de la stabilité financière, mais le G 20, qui présente l'avantage de réunir également les grands pays émergents, peut constituer un cadre intéressant.
Initialement forum économique et financier, le G20 a été étendu aux questions de développement par la présidence coréenne, qui va proposer à Séoul, dans quelques jours, d'acter un ambitieux plan d'action pluriannuel en faveur du développement. La France a soutenu sans réserve cette initiative, qui va dans le sens d'une plus grande association des pays émergents à l'effort de la communauté internationale vis-à-vis des plus pauvres. La France prendra d'ailleurs, aux côtés de la Corée et de l'Afrique du Sud, la présidence du groupe G20 nouvellement créé et consacré au développement. Au sein de cet agenda, la France mettra plus particulièrement l'accent sur :
- la volatilité des prix des matières premières, notamment agricoles, comment la gérer et comment, en particulier, limiter ses effets néfastes sur la sécurité alimentaire ;
- le développement des infrastructures, avec un accent sur celles qui favorisent l'intégration régionale, élément-clef notamment pour le développement de l'Afrique ;
- et comme je l'ai déjà évoqué et comme l'a souligné le Président de la République lors du sommet de la francophonie à Montreux, la promotion des financements innovants.
Nous considérerons aussi le rôle que pourra jouer le G20 en appui aux négociations sur la lutte contre le changement climatique, en lien avec nos partenaires sud-africains qui hébergeront fin 2011 la conférence des parties de la convention climat.
Le G8 demeurera par ailleurs un forum privilégié de partenariat avec l'Afrique subsaharienne.
Pour conclure, je tiens à souligner l'engagement sans faille du gouvernement, et en particulier du ministère de l'économie et des finances en faveur du développement, qui se traduit par ce budget ambitieux et des objectifs qui ne le sont pas moins pour les échéances internationales à venir.
Certes, ce budget ne permet pas encore d'atteindre les objectifs fixés pour 2015 et il sera nécessaire de faire preuve d'imagination pour trouver d'autres sources de financements innovants. Par ailleurs, il sera nécessaire à l'avenir de mieux associer les grands pays émergents, comme la Chine, l'Inde ou le Brésil, qui revendiquent une meilleure place au sein des organisations multilatérales, comme le FMI ou la Banque mondiale, ce qui est légitime mais appelle également de leur part une responsabilité accrue en matière d'aide au développement.