J'ai un peu de peine à m'habituer à l'expression de « véhicule législatif ». Mais l'intervention en séance publique, jeudi dernier, de notre collègue députée Catherine Lemorton a donné pour moi un certain sens à ce néologisme, lorsqu'elle a comparé la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui aux voitures surchargées qui prennent la route des vacances.
Ces surcharges sont aujourd'hui moins apparentes puisqu'il ne reste en discussion que vingt-sept articles, mais c'est encore beaucoup par rapport aux trente articles du texte de première lecture du Sénat.
Il n'y a pas eu, depuis le début de nos travaux, de divergences de fond sur les principales dispositions qui avaient motivé le dépôt de la proposition de loi : la création de la Sisa, les mesures destinées à favoriser l'exercice médical libéral, la clarification de certaines règles applicables au secteur médico-social. Nous devrions donc pouvoir, sans trop de peine, trouver un accord complet sur un certain nombre d'articles.
Nous n'aurons pas non plus, je pense, de différend sur les dispositions introduites dans le texte à l'initiative de Valérie Boyer, pour régler enfin le problème lancinant et récurrent de la responsabilité civile professionnelle des médecins. C'est un acquis très positif. Certes, nous aurions pu traiter cette question en loi de financement de la sécurité sociale, mais personne ne regrettera que nous n'ayons pas attendu davantage pour prévoir la création d'un dispositif de mutualisation professionnelle, sous la forme d'un fonds de garantie couvrant les sinistres au-delà d'un certain seuil. Le schéma retenu préserve, le Sénat y a tenu, le recours à la solidarité nationale pour les médecins retraités qui ne seraient plus couverts par une assurance : c'est un cas qu'il convenait de prévoir même s'il a fort peu de chances de se produire.
Avant de commencer l'examen des articles, je voudrais cependant évoquer trois sujets sur lesquels nous avons, semble-t-il, quelques désaccords.
Premier sujet : le secret médical et le consentement des patients au partage des informations ou à l'hébergement des données. Cela concerne deux articles, l'article 2 sur les maisons de santé et l'article 12, qui a pour objet de permettre aux hôpitaux de se débarrasser de leurs archives papier, en recourant à des moyens qui nous paraissent un peu expéditifs.
Pour les maisons de santé, je reviendrai tout à l'heure sur les raisons de l'opposition du Sénat à un régime spécifique de partage de l'information dans les centres et maisons de santé. Je rappellerai pour l'instant deux remarques faites au Sénat en deuxième lecture : celle de Jean-Pierre Fourcade, lequel a ainsi observé que ce régime spécifique pourrait nuire à l'essor des maisons de santé et je pense qu'il a raison car on sous-estime parfois le prix que les patients attachent au colloque singulier avec leur médecin ; celle de Jacky Le Menn, qui a noté que dans toute structure médicale existe le risque, quelle que soit la conscience professionnelle des personnels médicaux, que le secret médical ne soit pas respecté comme il le devrait. Ce sont deux points à considérer. J'ajoute que je suis sensible aux souhaits des jeunes professionnels médicaux de s'installer et de travailler ensemble. Cependant, quand j'entends parler de prise en charge de la santé des populations sur les territoires ou de production de données épidémiologiques sur un territoire, cela me paraît un peu éloigné des besoins auxquels doivent d'abord répondre les maisons de santé. Celles-ci doivent avant tout faciliter l'installation, empêcher que ne s'étendent les déserts médicaux, affirmer la présence de la médecine de premier recours.
Deuxième point : les dispositions relatives à la biologie médicale. Nous avons essayé, au Sénat, de préserver certains des acquis de l'ordonnance de 2010. Nous avons été sensibles à l'attachement de la profession à la médicalisation renforcée de la biologie comme aux interrogations des jeunes biologistes. Nous sommes aussi un peu inquiets, je dois le dire, des dispositions introduites à l'article 18. Elles ne nous paraissent apporter aucune réponse aux préoccupations soulevées, à tort sans doute, par la récente loi sur les professions juridiques et judiciaires, mais qui se sont ajoutées à d'autres inquiétudes plus anciennes. En revanche, elles pourraient créer certains problèmes. Il aurait fallu régler cette question en séance publique, nous y étions tout disposés au Sénat mais cela n'a pas eu lieu et encore moins, hélas, à l'Assemblée nationale. Je ne crois pas qu'une commission mixte paritaire soit le meilleur endroit pour résoudre une question devenue aussi passionnelle. Il faudra donc y revenir.
J'aborderai enfin le sujet épineux de l'article 22 et de la demande de la Mutualité française de pouvoir, comme ses concurrents, différencier ses prestations selon que ses adhérents s'adressent ou non à un réseau ou un professionnel agréé.
Cette modulation des prestations ne paraît pas plus légale dans les autres organismes complémentaires que dans les mutuelles.
Elle porte atteinte au libre choix du médecin, qui est un principe fondamental de notre droit sanitaire. En outre, comme l'a relevé l'avis de l'Autorité de la concurrence de 2009, dont on nous parle beaucoup sans détailler son contenu, elle comporte des risques de fermeture du marché. Et surtout, comme cela a été dit la semaine dernière à l'Assemblée nationale, au détriment des services de santé de proximité, que les organismes complémentaires se soucient généralement peu d'intégrer à leur réseau.
Enfin, elle peut aussi fausser la concurrence en favorisant la fréquentation de certaines catégories d'établissements ou de services de soins.
Je tenterai donc de vous proposer une solution assurant à la fois le respect de l'égalité de concurrence et celui du libre choix du médecin.
Quant aux réseaux et au conventionnement avec les professionnels de santé, on peut très bien y être favorable, dans leur principe, s'ils permettent d'assurer un bon rapport qualité-prix des prestations. Mais nous savons aussi que, dans la pratique, il faut introduire un peu de transparence dans tout cela.
Comme la rapporteure de l'Assemblée nationale et comme le Gouvernement, je pense que c'est à l'État de prendre dans ce domaine ses responsabilités pour veiller aux conditions de négociation de ces conventionnements, pour définir les principes qui doivent les régir et pour en assurer la transparence.
Je voudrais aussi dire que nous ne voyons pas pourquoi les règles qui seront ainsi définies ne pourraient pas s'appliquer aux accords existants, quitte à donner aux réseaux déjà constitués un délai pour s'y conformer. Serait-il en effet concevable de laisser se perpétuer des pratiques comme les réseaux fermés, la confidentialité des listes de professionnels partenaires, l'absence de transparence des critères de choix des professionnels conventionnés ? Ce n'est pas de la rétroactivité et d'ailleurs, rappelons-le, la rétroactivité de la loi n'est pas inconstitutionnelle, sauf s'il s'agit d'une loi pénale.
Voilà ce que je souhaitais dire en introduction à notre débat, dont j'espère comme nous tous qu'il sera fructueux et nous permettra de parvenir à un accord.