L'ampleur du soutien public dévolu aux services à la personne et les espoirs que leur développement suscite appelaient en effet une analyse économique et prospective. J'ai tâché de dresser un bilan de la politique de soutien au secteur, puis d'en évaluer le potentiel et la soutenabilité - sachant que nombre de mes observations se fondent sur un outil statistique encore incomplet.
De 0,7 % de la valeur ajoutée de l'économie en 2005, les services à la personne approcheraient 1 % en 2010, soit 16 milliards d'euros : ce n'est pas le Big bang annoncé par le « Plan Borloo » de développement des services à la personne de 2005, qui agrège un ensemble de métiers dont l'utilité sociale est contrastée, tels que les services de confort et les services rendus à des publics fragiles.
Premier objectif du soutien à ce secteur : le travail dissimulé a bien connu une réduction, qui reste cependant difficilement mesurable. Deuxième objectif : la création d'emplois. La part des services à la personne dans l'emploi total est passée de 3,4 % en 2005 à 3,7 % en 2008, mais avec moins de 100 000 équivalents temps plein créés, on est loin de l'objectif de 500 000 emplois. Cette politique vise encore à accompagner l'augmentation de la dépendance, libérer la participation au marché du travail -notamment celle des femmes-, accompagner des évolutions sociétales comme la « care revolution » ou « l'économie quaternaire ».
Le plan Borloo misait sur la professionnalisation et la structuration de ces activités, et sur leur industrialisation : aides et exonérations devaient soutenir la demande de services inédits, satisfaits par des entreprises innovantes, réduisant ainsi les effets d'aubaine.
Ce faisant, la demande est largement financée : la charge publique totale passerait de 10 milliards d'euros en 2005 à 16 milliards en 2010. Outre les subventionnements directs, du type de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), on dénombre dix-huit niches fiscales et sociales, dont le crédit d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile qui représente, à lui seul, près de 3 milliards d'euros.
Le coût du soutien au secteur croît plus vite que son activité, limitant les effets de levier : en 2008, la valeur ajoutée du secteur atteint 15 milliards d'euros pour 14 milliards de soutien public. Sur la période 2005-2008, j'évalue le coût brut par emploi créé à 50 000 euros annuels, ce qui implique de puissants effets d'aubaine. Une analyse segmentée se heurte à des difficultés méthodologiques, les résultats publiés oscillant entre 7 000 et 120 000 euros.
Le bilan social paraît en revanche plus favorable : les aides départementales corrigent certaines inégalités ; la qualité des emplois créés serait moins mauvaise qu'on ne le dit, et les salariés eux-mêmes auraient une bonne image de leur emploi et de leur rémunération ; de très nombreux travailleurs ont, enfin, été déclarés et ont quitté le travail dissimulé.
Cette politique est-elle soutenable, sur le plan budgétaire et économique ? Dès les années 2020, avec le retour au plein emploi, ces services pourraient phagocyter des salariés qui, adéquatement formés, seraient plus productifs dans d'autres secteurs de l'économie.
Notre scénarisation a nécessité une exploration démographique. Le cycle de vie des individus a été découpé en six phases, dont chacune se caractérise par une certaine propension à recourir aux différents types de services aux ménages. Les résultats changent lorsque les bornes des phases du cycle de vie sont reculées : ainsi, l'allongement de la phase de « retraite active » étend d'autant la période durant laquelle une personne peut apporter soins et services à son entourage, et repousse la demande d'autres services. Conséquence de l'allongement de la vie, les besoins liés à la dépendance devraient refluer ces dix prochaines années, et ne croîtront qu'au cours des années 2020.
Les dépenses consolidées prennent en compte certains services collectifs -les crèches et les maisons médicalisées- qui sont substituables aux services à la personne. Ce champ élargi représente un soutien public de 40 milliards d'euros, soit 1 % du PIB. Les services à la personne sont ainsi moins coûteux que la prise en charge collective. Dans notre scénario tendanciel, la reconduction des mesures de soutien actuelles, au taux de recours observé, ferait passer le poids du soutien aux services de 2,1 % à 1,7 % du PIB. Un désengagement des aides publiques ne ferait gagner que 0,2 point de PIB. Enfin, dans le scénario d'un recours accru aux services aux ménages, le poids du soutien public dans le PIB resterait stable, mais cette part pourrait augmenter si la rigueur budgétaire se prolonge et rendre cette trajectoire insoutenable sur le plan budgétaire.
À court terme, la dépense publique dédiée aux services à la personne, même de confort, ne resterait soutenable que si la demande n'est pas trop dynamique. En cas de « rabotage » des aides, des gains de productivité pourraient cependant assurer la pérennisation de ces services.
Mais il est urgent d'optimiser la fiscalité, et donc de recalibrer certaines dépenses. Un élargissement du crédit d'impôt pour l'emploi à domicile, par exemple aux retraités, pourrait entraîner des créations d'emploi, alors qu'une baisse du plafond de réduction -actuellement de 15 000 euros avec deux enfants- n'emporterait qu'une perte marginale. Ce plafond pourrait être diminué progressivement, de sorte à tendre vers une certaine neutralité budgétaire, voire vers une diminution de la dépense fiscale pour un bilan neutre en termes d'emploi. Toute réforme nécessitera cependant une exploration fiscale préalable confirmant l'impact du crédit d'impôt sur l'emploi. En outre, les exonérations ou réductions de TVA dans le secteur coûtent près de 800 millions d'euros, pour une efficacité discutée, sachant que les répercussions sur les prix sont souvent incomplètes.
À plus long terme, dans un contexte de plein emploi, il faut anticiper une réduction des aides aux services de confort, car il conviendra de recentrer les moyens sur l'éducation et la recherche pour rester compétitifs et financer ultérieurement les besoins liés au vieillissement. À cet horizon, des innovations technologiques, notamment dans le domaine de l'information et de la communication, permettront sans doute une prise en charge de la dépendance au domicile à moindre coût.
Affecter indéfiniment une main d'oeuvre peu qualifiée dans des secteurs certes non délocalisables mais peu productifs serait la marque d'une société frileuse et inégalitaire, où ceux qui gagnent plus payent moins à d'autres pour assumer des tâches domestiques mal réparties dans le couple, le tout au prix d'une croissance sous-optimale dans une économie ouverte. Étudions plutôt l'exemple suédois où le recours aux emplois à domicile est peu développé.
Quoi qu'il advienne, il conviendra d'isoler la politique de soutien des services de confort de celle concernant les personnes fragiles, pour laquelle les dispositifs existants d'action sociale peuvent se substituer aux aides apportées à des services collectifs. Une mesure consolidée de la performance s'impose, non pas en termes de créations d'emploi mais d'accès au meilleur service pour un coût public et privé maîtrisé.