Intervention de Philippe Marini

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 14 septembre 2010 : 1ère réunion
Régulation bancaire et financière — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur :

Depuis la faillite, il y a deux ans seulement, de Lehman Brothers, bien des mesures d'urgence et d'accompagnement de la sortie de crise ont été prises. Le Parlement français y a pris sa part, au travers du groupe de travail conjoint Assemblée nationale - Sénat, mais aussi des groupes de travail de notre commission des finances, l'un sur la crise financière, qui a donné lieu, l'an dernier, à 57 propositions, l'autre plus récent, sur le financement des entreprises, dont les conclusions sont intégrées au rapport sur ce projet de loi.

Réformer la régulation est une oeuvre complexe, qui requiert le temps de la concertation internationale et avec les acteurs professionnels, sachant que l'autonomie nationale, en cette matière, est contrainte par les normes mondiales, les pratiques professionnelles et le droit communautaire. Nous conservons cependant toujours la capacité d'exprimer notre volonté, voire d'orienter les évolutions du droit communautaire, ainsi que nous allons nous efforcer ici de le faire sur plusieurs points.

Au-delà, ce projet de loi comporte beaucoup de dispositions diverses qui l'apparentent à un DDOEF, un projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier - ce n'est pas dans ma bouche une critique, tant je crois à la nécessité de tels rendez-vous devant le Parlement.

En matière de régulation, nous avons des failles à combler et une cohérence à retrouver. Le monde financier de l'après-crise n'est plus celui que nous avons connu : il a remis en cause ses certitudes, parmi lesquelles le postulat de l'efficience du marché ainsi que la confiance dans les capacités d'autorégulation des acteurs et de mutualisation des risques. Nous assistons à un retour de la norme - et pas seulement de droit public. Les évolutions répondent à trois principes : la transversalité et l'exhaustivité, pour joindre à des dispositions juridiques parfois un peu factices des mesures propres à prévenir et corriger les risques ; la transparence, qui a connu, depuis la crise, une puissante accélération ; la responsabilisation des acteurs, avec ses conséquences pour les banques et les établissements de crédit. Les modèles nationaux de régulation sont soumis à de fortes critiques. On reproche aux États-Unis une approche trop sectorielle, trop segmentée ; au Royaume Uni une structure trop unifiée, dont l'efficacité n'est pas toujours avérée.

La France, sans autosatisfaction, ne s'en est pas si mal sortie. Nos banques universelles ont bien résisté ; nous n'avons pas connu, à la différence de ce qui s'est passé dans les années 1990, de véritable crise immobilière et nous sommes loin de l'insécurité que recèlent les produits américains en ce domaine, du fait que l'endettement des ménages est chez nous globalement plus faible qu'aux États-Unis tandis que la titrisation n'a pas pris la même ampleur que dans d'autres pays.

Reste que notre modèle ne saurait rester immobile, d'où la mise en place d'une nouvelle Autorité de contrôle prudentiel et les mesures destinées à protéger les clients des investisseurs - je pense, ici, aux dispositions relatives aux métiers d'intermédiation financière. Ce texte veille aussi à assurer une bonne coordination entre l'Autorité des marchés financiers et l'Autorité de contrôle prudentiel.

Une nouvelle dynamique internationale est née de la crise : il importe qu'elle ne s'essouffle pas. La relative déception du G20 de Toronto montre qu'il n'est pas simple d'aborder, au-delà des mesures d'urgence, les questions structurelles, tant sont multiples les intérêts en jeu. La crise a conduit à modifier profondément les bilans des banques centrales, ce qui emporte d'importantes conséquences. Reste que l'écueil à éviter, en ces temps de retour à la normale, est la tentation du « business as usual ».

De nouvelles problématiques sont apparues dans la zone euro, notamment celle du risque souverain. Si la probabilité d'un scénario en W, dit « double dip », semble cependant écartée, les mesures d'accompagnement exigent un pilotage complexe, un « fine tuning ».

L'Europe est ambitieuse. Nous avons devant nous toute une série de textes communautaires. Certaines mesures sont déjà prises, d'autres en négociation, d'autres enfin en cours de mise en oeuvre. L'agenda législatif communautaire est au moins aussi chargé que le nôtre : nous sommes loin de l'époque où le commissaire McCreevy réclamait une pause législative...

En matière de droit de la concurrence, la Commission européenne, entre octobre 2008 et mars 2010, a approuvé des régimes d'aide au secteur financier et des mesures ponctuelles à hauteur de 4 131 milliards d'euros, preuve que le droit de la concurrence a été interprété différemment à la lumière de la crise...

Il existe toujours une compétition, en Europe, entre places financières : à nous d'utiliser au mieux les opportunités qui s'offrent à nous. Nous nous situons aujourd'hui quelque part entre transposition et recherche de solutions nouvelles. Les États-Unis, avec la loi Dodd-Frank, ont repris la main, ce qui renforce la nécessité d'y voir clair dans notre cadre européen. La place de Paris conserve des atouts, elle peut développer un nouvel écosystème compétitif. Il s'agit de trouver la bonne articulation entre attractivité et sécurité. L'attractivité ne réside pas dans le laisser-faire : la sécurité peut être un facteur d'attractivité. Parmi nos atouts, je compte la gestion collective, où il ne faudrait pas perdre l'initiative ; les infrastructures « post-marché » ; la localisation, à Paris, de l'une des trois futures autorités de régulation européennes, l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) ; le développement de comportements nouveaux - rachat d'obligations, mise en place de nouveaux titres sécurisés, ici pour le financement de l'habitat.

Au plan international, de nouvelles thématiques apparaissent : réforme du système monétaire international et, leçon de la crise, encadrement des dérivés sur les produits de base. Pour la zone euro, des dispositions sont en préparation destinés à raffermir la confiance dans les instruments de dette publique.

Dans l'accompagnement de la reprise, la question du financement des entreprises est cruciale. L'État a été actif pendant et après la crise. Le groupe Oséo s'est imposé comme acteur essentiel. Ce texte doit accroître ses capacités et simplifier son organisation. Le Médiateur du crédit a montré son utilité : organisation « commando » qui a fait beaucoup en marge des instruments juridiques, grâce au dynamisme du premier titulaire du poste et à la souplesse des mécanismes mis à sa disposition.

Il est essentiel, aujourd'hui, de faire le point sur l'efficacité de l'existant. C'est ce que nous avons tenté de faire dans le cadre de notre groupe de travail interne à la commission, sur le financement des entreprises. Il en ressort, sur l'action des banques, un constat nuancé. Les encours des établissements de crédit aux entreprises ont reculé de 0,9 % en 2009, alors que l'objectif, pour les banques conventionnées, était une croissance de 3,5 %. La moyenne de la zone euro fait cependant apparaître une contraction de 2,3 %. Il faut rendre justice à l'État : la progression des encours pour les banques signataires d'une convention avec l'État a été de 2,7 %.

L'utilisation des fonds du livret A non centralisés à la Caisse des dépôts et consignations reste un sujet préoccupant. Nous en avions traité à l'article 145 de la loi de modernisation de l'économie d'août 2008, qui prévoyait l'affectation aux prêts aux PME ou pour des travaux d'économie d'énergie d'un quota de ces fonds. Selon l'Observatoire de l'épargne réglementée, les fonds restant au bilan des établissements de crédit ont augmenté de 12,5 milliards d'euros entre 2008 et 2009, pour s'établir, au 31 décembre 2009, à 85,6 milliards d'euros. Corrélativement, les encours de prêts aux PME ont progressé de 6,4 milliards d'euros, tandis que ceux pour travaux d'économies d'énergie augmentaient de 1,8 milliard d'euros, si bien que l'écart resté dans les bilans des banques, sans contrepartie, est de 4,2 milliards d'euros. Ceci appellera de notre part, madame la ministre, des interrogations, voire des initiatives...

Notre groupe de travail préconise de ne pas manquer le rendez-vous de la reprise. Chacun doit certes rester dans ses responsabilités, mais nous insistons sur le fait que les dispositions de la loi de modernisation de l'économie quant à la centralisation d'office de ces fonds et relatives à la rémunération de l'épargne réglementée doivent être clairement respectées. Nous appelons de nos voeux une augmentation du capital propre d'Oséo, afin que le groupe respecte les ratios prudentiels, et saluons la simplification des structures entreprise.

Je ne m'étendrai pas sur les apports de ce texte, qui vise à renforcer la supervision des acteurs et des marchés, puisque Mme Lagarde nous en a fait, la semaine dernière, une présentation exhaustive. L'Assemblée nationale a bien travaillé. Elle a étendu le champ de la régulation, en donnant compétence à l'AMF sur les produits dérivés et les contrats sur échange de défaut (CDS - credit default swap) ; fait prévaloir le principe de transparence sur les prêts de titres avant une assemblée générale ; amélioré certaines procédures de droit boursier ; sur les prêts à découvert et le délai de règlement-livraison, elle s'est montrée très volontariste... Pour assurer l'efficacité de la régulation, elle a ratifié l'ordonnance créant l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP), veillé au contrôle du Parlement, relevé certains plafonds de sanctions, fait prévaloir la publicité des décisions de sanction de l'AMF et de l'ACP. Elle a souhaité, pour responsabiliser les acteurs, la création d'un comité des risques dans les établissements financiers et d'un comité des rémunérations dans les établissements de crédit et les entreprises d'investissement. Elle s'est montrée très offensive sur les agences de notation, en adoptant des dispositions destinées à rendre nulles de droit toutes clauses exonératoires et limitatives de responsabilité dans les contrats de notation. Elle a, enfin, adopté des mesures intéressant Alternext, la finance solidaire ainsi que l'outre-mer.

Le Sénat peut travailler à perfectionner encore ce texte. Pour améliorer la régulation, nous pourrons engager un débat utile sur la mise en oeuvre d'une procédure de transaction devant l'AMF ; aller plus loin sur la publicité des séances de la commission des sanctions de l'AMF ; instituer plus de symétrie dans les procédures respectives de l'AMF et de l'ACP ; travailler aux modalités du contrôle de l'AMF sur les conseils en investissement financier ; préciser le régime juridique des centralisateurs d'ordres sur OPCVM ; donner suite enfin, et cela réjouira Mme Keller, à nos positions récurrentes, confirmées par notre groupe de travail, sur la question environnementale, en instituant de vraies mesures de surveillance des marchés de quotas de carbone.

Afin de renforcer la transparence, la responsabilité des acteurs et la lutte contre les abus, nous proposerons un aménagement des clauses des contrats de notation. Je vous proposerai également des dispositions destinées à éviter les effets pervers des prêts de titres ; l'extension du champ de compétence des comités des rémunérations ; un dispositif réaliste sur le délai de règlement-livraison... autant de mesures destinées à lutter contre les trous noirs de la régulation.

Afin de rationaliser certaines procédures du droit boursier, nous vous proposerons des dispositions sur le retrait obligatoire, l'action de concert, le périmètre des titres à prendre en compte pour apprécier le seuil d'offre publique obligatoire, le régime de rachats d'action sur Alternext. Pour sécuriser le financement des entreprises, nous vous proposerons de préciser le régime des nouvelles obligations de financement de l'habitat. Afin de promouvoir la place de Paris, nous prévoyons un régime encadré de rachat d'obligations par les émetteurs en vue d'animer le marché secondaire. Nous aurons également à débattre du refinancement d'Oséo via des outils particuliers.

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