Intervention de Philippe Marini

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 septembre 2010 : 1ère réunion
Projet de décret d'avance — Communication

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général :

Le projet de décret d'avance qui nous a été notifié prévoit des ouvertures et annulations de crédits pour un montant total de 729,4 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 701,4 millions d'euros en crédits de paiement (CP) au titre du budget général, ainsi que de 570 millions d'euros en AE et CP au titre des comptes spéciaux.

Ces ouvertures à titre d'avance concernent le financement des opérations extérieures du ministère de la défense pour 218 millions d'euros, plusieurs dépenses d'intervention économique, dont le financement de la prime à la casse pour 127 millions d'euros, du bonus automobile pour 370 millions d'euros et de la compensation de la baisse du prix des carburants outre-mer pour 81 millions d'euros. Certaines ouvertures concernent le soutien à la filière agricole. Il s'agit ici de dépenses liées à un moindre remboursement communautaire au titre de la campagne de vaccination 2008-2009 contre la fièvre catarrhale ovine (FCO) pour 14 millions d'euros, et au financement de la prime herbagère agro-environnementale pour 47 millions d'euros.

Sont également couverts les besoins liés au financement des conséquences de catastrophes naturelles, et plus précisément la prise en charge, pour les exploitants forestiers, des conséquences de la tempête Klaus à hauteur de 20 millions d'euros, ainsi que l'indemnisation des collectivités territoriales varoises touchées par les intempéries, soit 12 millions d'euros.

Le décret d'avance vise ensuite, et comme à l'accoutumée, l'abondement de dispositifs de prise en charge de publics vulnérables, soit 110 millions d'euros en faveur de l'hébergement d'urgence et 60 millions d'euros pour le financement de dépenses en matière d'asile. Sont enfin couvertes diverses dépenses de personnel, de contentieux, de frais de justice et à caractère immobilier.

Au total, neuf missions du budget général, un compte d'affectation spéciale et un compte de concours financiers font l'objet d'ouvertures de crédits. En proportion des crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2010, les missions qui subissent l'impact le plus important en raison des présentes ouvertures sont la mission « Economie », dont la dotation est majorée de 4,1 % en AE et 4,2 % en CP pour compenser la baisse du prix des carburants outre-mer, la mission « Immigration, asile et intégration », dont les crédits augmentent de 10,5 % en AE et 10,7 % en CP afin de financer l'allocation temporaire d'attente des demandeurs d'asile, et le compte de concours financiers « Avances au fonds d'aide à l'acquisition de véhicules propres », dont la dotation en loi de finances initiale fait plus que doubler (+ 109 % en AE et CP) pour le versement du bonus automobile.

Sur le plan qualitatif, certaines dépenses couvertes par ce projet de décret répondent à des situations dont le caractère imprévisible peut être admis. Il en va ainsi des frais de contentieux, par nature dépendants de la survenue des litiges, ou des dépenses d'indemnisation de la FCO, qui semblent résulter d'une divergence d'interprétation de la règlementation communautaire entre le Gouvernement et la Commission européenne. De la même manière, les dépenses de soutien à la filière forêt-bois, faisant suite à la tempête Klaus, ou d'indemnisation des collectivités territoriales frappées par les intempéries dans le Var présentent, en tant qu'elles sont liées à la survenue d'aléas naturels, un caractère d'imprévisibilité incontestable. Enfin, certaines dépenses imprévisibles sont imputables aux effets difficilement quantifiables de réformes en cours ou ont résulté d'arbitrages postérieurs à l'adoption de la loi de finances pour 2010. On mentionnera, à ce titre, l'accompagnement des restructurations du ministère de la défense, dont le coût est fortement dépendant des décisions individuelles des agents, l'augmentation des frais de justice, due, selon le Gouvernement, à l'anticipation de la réforme de la médecine légale, ou les surcoûts liés à la prorogation des contrats de prime herbagère agro-environnementale (PHAE), arbitrée en février 2010.

Je relève, en revanche, que certains besoins de crédits, dont l'urgence est avérée, n'étaient nullement imprévisibles, voire résultent de sous-budgétisations patentes et souvent répétées en loi de finances initiale. Le budget des opérations extérieures (OPEX) du ministère de la défense fait l'objet d'une sous-évaluation persistante et délibérée, et ce malgré sa révision à la hausse dans le cadre de la dernière loi de programmation militaire. Le coût de la compensation de la baisse du prix des carburants outre-mer pouvait être anticipé, sinon dans son montant exact, au moins dans sa survenue, puisque le prix des carburants dans les DOM demeurait subventionné par l'Etat au moment de l'examen du projet de loi de finances pour 2010. Il en va de même des dépenses immobilières liées à la réorganisation de l'administration territoriale de l'Etat, qui n'étaient pas imprévisibles, puisque leur principe était acté au moment de l'examen du projet de loi de finances pour 2010, et ce même si le périmètre exact de certaines opérations restait à définir.

La sous-budgétisation des crédits liés à l'accueil des demandeurs d'asile constitue une pratique répétée, conduisant à faire du décret d'avance une méthode traditionnelle d'abondement des crédits en cours d'exercice. La situation est analogue pour l'hébergement d'urgence, qui a vu son coût sous-estimé en 2008, 2009 et 2010, et l'augmentation constatée des besoins résulte autant d'une tendance pérenne, liée aux politiques mises en oeuvre dans ce domaine, que de facteurs conjoncturels ou climatiques.

Enfin, la sous-estimation du coût des mesures de soutien au renouvellement du parc automobile - prime à la casse et bonus - ne saurait être imputable aux seuls aléas conjoncturels. On observe en particulier que le bonus automobile est chroniquement sous-doté en loi de finances initiale et que la sévérisation du barème prévue en 2010 a, juste avant son entrée en vigueur, suscité un effet d'aubaine et inflationniste sur la demande dont la portée semble avoir été mal appréhendée.

J'en termine par les annulations à due concurrence, qui portent sur vingt-cinq missions du budget général et deux comptes spéciaux. Les annulations, hors réserve de précaution, atteignent plus d'un milliard d'euros, soit près des neuf dixièmes des ouvertures opérées. De fait, la réserve de précaution ne joue qu'un rôle résiduel qui invite à s'interroger sur la pertinence de son dimensionnement.

Cette observation, que j'avais avait déjà été formulée lors de l'examen du projet de décret d'avance notifié à la commission des finances au mois d'octobre 2009, plaide pour que les rapports de motivation explicitent de manière plus circonstanciée la nature et la destination des crédits qui font l'objet d'annulations hors réserve de précaution, ainsi que les raisons qui ont conduit à de tels arbitrages.

Dans ces conditions, je vous soumets le projet d'avis dont la teneur suit :

« La commission des finances,

« Vu les articles 13 et 56 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;

« Vu la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 et les lois n° 2010-463 du 7 mai 2010 et n° 2010-606 du 7 juin 2010 de finances rectificatives pour 2010 ;

« Vu le projet de décret d'avance notifié le 14 septembre 2010, portant ouverture de 1.299.400.000 euros en autorisations d'engagement et de 1.271.400.000 euros en crédits de paiement, et le rapport de motivation qui l'accompagne ;

« 1. Observe que les ouvertures prévues par le présent projet n'excèdent pas le plafond de 1 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année ;

« 2. Constate que l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances n'est pas affecté, et que l'ouverture des crédits prévue, dès lors qu'elle est gagée par des annulations d'un même montant, n'appelle pas le dépôt d'un projet de loi de finances rectificative ;

« 3. Considère que l'urgence à ouvrir les autorisations d'engagement et les crédits de paiement prévus par le présent projet de décret est avérée ;

« 4. Déplore que, si certaines dépenses résultant de contentieux, faisant suite à des catastrophes naturelles ou résultant d'arbitrages postérieurs à l'adoption de la loi de finances pour 2010, peuvent être légitimement regardées comme imprévisibles, il n'en va pas de même :

« a) des dépenses liées à la compensation du coût du carburant outre-mer et aux restructurations immobilières de l'administration déconcentrée de l'Etat, qui résultent de besoins identifiés, sinon dans leur montant exact, à tout le moins dans leur principe, dès l'examen du projet de loi de finances pour 2010 ;

« b) des dépenses liées aux opérations extérieures du ministère de la défense, à la prise en charge des demandeurs d'asile, à l'hébergement d'urgence et aux mesures de soutien au renouvellement du parc automobile, qui font l'objet de sous-estimations importantes et répétées en loi de finances initiale ;

« 5. Invite en conséquence le Gouvernement à améliorer, dans ces domaines, la sincérité de la prévision budgétaire ;

« 6. Observe que près des neuf dixièmes des crédits ouverts sont gagés par des annulations de crédits intervenant hors réserve de précaution et souhaite, dans ces conditions, que les rapports de motivation explicitent désormais de manière plus circonstanciée la nature et la destination des crédits ainsi annulés, ainsi que les raisons qui ont conduit à de tels arbitrages ;

« 7. Emet donc un avis favorable au présent projet de décret d'avance, assorti de vives réserves, en raison de la répétition des dysfonctionnements rappelés ci-avant. »

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion