Intervention de Jean-François Mayet

Mission commune d'information sur le Mediator — Réunion du 8 février 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-François Mattei président de la croix rouge ancien ministre de la santé

Photo de Jean-François MayetJean-François Mayet :

Je dois dire d'emblée que, durant mes fonctions au ministère, je n'ai jamais eu à connaître de la dangerosité éventuelle du Mediator, ni de près ni de loin, ni par écrit ni par oral.

Ma politique du médicament se fondait sur la poursuite du travail engagé par mes prédécesseurs en matière de référence au service médical rendu. Après que Mme Martine Aubry, qui avait défini ce concept, eut demandé la réévaluation de 4 490 produits, Mme Elisabeth Guigou et M. Bernard Kouchner tentèrent - l'entreprise fut difficile - de baisser le taux de remboursement de certains médicaments de 65 à 35 %. Une première vague concerna 148 médicaments ; l'arrêté du 1er août 2000, annulé par le Conseil d'Etat pour vice de forme, fut remplacé par l'arrêté du 14 septembre 2000. Celui-ci ne mentionnait pas le Mediator. La deuxième vague, celle de septembre 2001, commença par la publication d'une liste de molécules dont le déremboursement était pressenti. Conformément à la règle, les laboratoires Servier, comme toutes les firmes, eurent le droit de faire valoir leurs observations. Et le Mediator ne figura pas dans l'arrêté du 30 décembre 2001. Enfin, le 24 décembre 2001, la direction de la sécurité sociale sollicita le déremboursement du Mediator ; cette note ne fut pas suivie d'effets.

Ce bref rappel historique montre la complexité et la longueur de toute procédure de déremboursement. Les avis de la commission de la transparence sont souvent contestés. C'est dire la fragilité juridique des avis rendus en 1999 ! De fait, cette commission, qui dispose de moyens et d'une structure administrative faibles pour une charge de travail lourde, s'en tient aux avis éventuellement contestables plutôt que de bloquer l'évaluation de nouveaux produits. En outre, les annulations en Conseil d'Etat ne sont pas rares.

Durant l'été 2002, alors que je venais de prendre la tête du ministère depuis deux ou trois mois, la direction de la sécurité sociale renouvela sa demande de déremboursement du Mediator au motif que le Mediator avait coûté 30 millions d'euros en 2001. Cette demande avait, j'y insiste, un caractère strictement financier alors que la sécurité sociale accusait un déficit important - c'est un euphémisme. Il n'y avait aucune mention de la dangerosité du produit dans cette note non plus que d'avertissement ou de mise en garde à ce sujet par l'Afssaps ou la direction générale de la santé (DGS). Aussi celle-ci ne remonta-t-elle pas jusqu'à moi.

Compte tenu des difficultés rencontrées par mes prédécesseurs, je décidai de dérembourser totalement les médicaments à service médical rendu (SMR) insuffisant avec un triple souci : un souci de progressivité - car étaient en cause les patients et leurs habitudes, les médecins et leurs prescriptions, les industries et l'emploi -, un souci de pédagogie et un souci d'égalité de traitement entre les médicaments de la même classe. La première vague de déremboursement, en 2003, concernait les médicaments à SMR insuffisant qui n'avaient pas leur place dans la stratégie thérapeutique, et ils n'étaient pas considérés dangereux. Leur AMM n'était pas en cause. A ce titre, quatre-vingt-deux médicaments figurèrent dans l'arrêté du 24 septembre 2003. La deuxième vague visait 218 médicaments à SMR insuffisant mais de prescription facultative et, donc, disponibles en automédication. Prévue pour 2004, la liste fut reprise dans l'arrêté du 17 janvier 2006, et effective en janvier 2008. La troisième vague comprenait tous les autres médicaments : une quarantaine de produits dont le Mediator. Elle était la plus difficile en ce que certains d'entre eux n'avaient aucune alternative thérapeutique. Initialement fixée à 2005, elle fut mise en oeuvre en janvier 2008.

Je ferai trois remarques.

La politique de déremboursement suscite toujours une contestation très vive. « La santé malade du déremboursement », « Le déremboursement des médicaments n'est ni le vrai problème ni une solution » pouvait-on lire à la une des journaux. Bref, nous évoluions en milieu hostile.

Ensuite, les trois vagues répondaient à un ordre logique : les produits les plus contestables, puis les produits disponibles en automédication, enfin les produits dépourvus de remplaçants. Ces critères étaient parfaitement objectifs, a reconnu l'Igas dans son rapport. Afin de prévenir une annulation en Conseil d'Etat pour motivation insuffisante de la commission de la transparence - revers qu'avait essuyé mon prédécesseur en décembre 2002, dont j'ai dû assumer les conséquences -, je demandai une nouvelle évaluation approfondie par la commission de la transparence de tous les médicaments. Les firmes pharmaceutiques eurent la possibilité de faire valoir leurs observations. Je tentai de rattraper l'annulation du Conseil d'Etat par une validation législative ; le Conseil constitutionnel censura la disposition, au motif qu'elle constituait un cavalier législatif, en juillet 2003.

De toute façon, envisager la question du Mediator sous l'angle du déremboursement n'est pas la bonne approche. Réduire le taux de remboursement n'a aucune influence sur la consommation, les complémentaires jouant sur le ticket modérateur, a noté l'Igas. Quant au déremboursement total, il ne vient pas à bout des habitudes de consommations, d'autant que le coût du produit n'est pas prohibitif. Or, en 2002, la boîte de trente comprimés de Mediator valait 5,66 euros. La stratégie par l'argent ne donne pas le bon signal. En fait, la seule question qui vaille selon moi est la suivante : pourquoi le Mediator n'a-t-il pas été retiré du marché ?

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