Je remplace aujourd'hui le président François Autain, retenu par un engagement pris de longue date.
Je vous rappelle que nos échanges sont enregistrés et filmés et qu'ils seront consultables sur Internet et sur Public Sénat.
Dans notre mission commune d'information, Mme Marie-Christine Blandin remplacera désormais M. Jean Desessard, qui en démissionne pour pouvoir participer à la mission commune d'information relative à Pôle emploi, laquelle se réunit aux mêmes horaires.
C'est avec plaisir que nous accueillons M. François Rousselot, président de la commission des relations médecins-industrie du Conseil de l'ordre des médecins.
Le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) se préoccupe depuis longtemps des conflits d'intérêts et lorsqu'est survenue la « loi anti-cadeaux », nous avions depuis deux ans déjà mis en place un service chargé des relations entre médecins et industrie pharmaceutique. Cette loi a formalisé le travail de ce service. Il nous a été demandé de donner un avis sur les conventions liant les médecins à l'industrie du médicament et du matériel médical pris en charge par la sécurité sociale. Les articles L. 4113-6 et L. 4113-9 du code de la santé publique précisent les exceptions autorisées par lesquelles les industriels peuvent financer la recherche et les « hospitalités », fortement encadrées, pour permettre à des médecins de participer à des congrès ou à des journées de formation continue. Ces exceptions, seules, peuvent conduire à des conventions. Notre service, la commission des relations médecins-industrie, chargée d'appliquer la loi et ses règlements comprend douze élus de l'Ordre - six conseillers nationaux et six représentants des conseils départementaux et régionaux - un président élu par ses pairs, un conseiller juridique, M. Francesco Jornet - ici présent -, une directrice de service et cinq secrétaires.
Nous traitons chaque année 38 000 dossiers d'hospitalités et 2 000 dossiers d'études. Ces chiffres évoluent peu depuis ces dernières années. Ces dossiers peuvent concerner un seul médecin ou bien un groupe de médecins, jusqu'à plusieurs centaines de médecins ; ils concernent aussi les hospitaliers. Cela représente un travail important. Un dossier d'hospitalité peut ne concerner qu'un dîner servi à l'occasion d'une formation médicale, ou bien un congrès de spécialistes de cinq jours en Amérique du Nord. Ces dossiers sont donc d'importance inégale mais la grande majorité ne concerne que des hospitalités de moins d'une journée.
Les dossiers d'études sont beaucoup plus compliqués à gérer. Nous devons déterminer s'ils ne sont pas contraires aux dispositions déontologiques - niveau d'honoraires, confidentialité, respect des dispositions règlementaires. Par exemple, pour un médecin hospitalier, cette activité d'étude ne peut être qu'« accessoire », ce qui est aussi imprécis que difficile à gérer. Il y a là matière à simplification...
Comment le Cnom a-t-il été mis au courant des dérives prescriptives du Mediator ? En a-t-il informé l'ensemble des professionnels de santé ? Comment a-t-il été informé du « signalement » des médecins déviants ?
Comment les médecins en général, les médecins condamnés en particulier, connaissaient-ils, officieusement ou officiellement, les effets pervers du Mediator ? Par qui en étaient-ils informés ?
Avez-vous le souvenir de dossiers spécifiques dont a eu à traiter votre commission, concernant le Mediator, notamment d'études post-AMM ?
L'exploration de dix ans d'archives papier portant sur 38 000 dossiers annuels est une tâche telle que je fais des réserves sur la certitude de ce que je vais avancer. Nous avons cependant identifié trois études post-AMM, dont la fameuse étude dite du Professeur Moulin - la seule vraiment importante qui nous a été soumise pour avis puisque le Conseil de l'Ordre ne rend que des avis - en 2006. Il y a eu des prolongations en 2007 et 2009. En dix ans, nous n'avons donc eu que trois études sur le Mediator dont deux études observationnelles, de phase 4 - donc d'intérêt scientifique limité -, qui se contentent d'enregistrer le comportement des médecins - fréquence des prescriptions - et des patients - respect de ces prescriptions. Notre commission a demandé des précisions sur l'organisation de l'étude Moulin à la suite desquelles un avis favorable a été rendu quant à la possibilité dans un cadre déontologique de mettre en route cette étude. La délivrance d'un avis est la seule mission confiée à l'Ordre ; ce n'est pas nous qui autorisons une étude et nous ne prenons pas position sur le plan scientifique, uniquement sur l'aspect déontologique.
Le Conseil de l'Ordre a tout de même prononcé quatre-vingt-quatre interdictions temporaires d'exercer depuis 2001 à l'encontre de praticiens qui prescrivaient du Mediator en dehors de ses indications.
Les plaintes relevaient non pas de la section disciplinaire mais de la section des assurances sociales (SAS). Les caisses d'assurance maladie déposent plainte à l'encontre du comportement d'un médecin devant la section des assurances sociales de la région où ce dernier exerce. La structure d'appel est au niveau national. La SAS a traité des plaintes de l'assurance maladie au sujet de médecins qui prescrivaient ce produit hors AMM et sans mentionner la référence NR (Non Remboursable). C'est le grief. Les caisses se plaignent de devoir prendre en charge des dépenses qu'elles n'avaient pas à assumer. La sanction peut n'être qu'un blâme ou un avertissement. En dix ans, le nom de Mediator apparaît dans moins de cent procédures devant la SAS. C'est pour la prescription hors AMM qu'une sanction a été rendue. Il n'existe pas de dossier où seul le Mediator est en cause. Il s'agit toujours de cas ou plusieurs médicaments ont été prescrits hors AMM et mis à la charge de la sécurité sociale. C'est dans ce cadre que la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam) a établi ses griefs. En tout cas, à ce jour, la commission disciplinaire n'a enregistré aucune plainte pour mésusage du Mediator. Donc, ce n'est pas à partir du SAS ou de la section disciplinaire que les conseillers ordinaux peuvent savoir que le Mediator est un produit dangereux. Heureusement, leur curiosité est plus large. Depuis peu, comme tout médecin, ils savent qu'il est établi que ce produit avait une dangerosité.
Le Cnom n'a pas de pouvoir disciplinaire en matière de prescription hors AMM ?
Chaque médecin est libre de ses prescriptions. L'AMM détermine seulement la prise en charge et le remboursement.
Vous n'intervenez que sur plainte de l'assurance maladie. Quand des médecins prescrivent un mélange toxique de Mediator, d'extraits thyroïdiens et d'antidépresseurs, vous n'avez pas le pouvoir de prononcer une sanction ?
Comment le Cnom aurait-il connaissance de ces prescriptions ? C'est la Cnam qui les connaît et, lorsqu'elle porte plainte, nous instruisons et nous prenons une décision.
Une prescription hors AMM n'est pas, en soi, interdite. Elle est même reconnue par la loi. La section disciplinaire - indépendamment du Mediator - a déjà eu à connaître de médecins qui prescrivaient hors ou sans AMM. Le Conseil d'Etat a annulé les sanctions prononcées du seul fait qu'un médecin prescrivait un médicament sans AMM. Il aurait fallu prouver en outre que ces prescriptions étaient dangereuses pour condamner un médecin.
Vous ne vous prononciez donc que sur plainte de l'assurance maladie pour des remboursements indus, non sur le médicament lui-même ?
En justice, on répond au grief avancé. Nous ne pouvions réagir qu'au grief présenté par la Cnam.
La prescription hors AMM est-elle spécifique au Mediator ou n'est-elle pas exceptionnelle ? Et depuis la publication de la liste des médicaments sous surveillance, avez-vous connaissance d'autres problématiques similaires au Mediator ?
Cette liste, très récente, fait l'objet d'une vigilance mais les autorités sanitaires n'ont pas encore décidé de retirer ces produits de la vente. Dans un délai aussi court, l'assurance maladie n'a pas pu faire d'observations.
L'affaire du Mediator est-elle de nature à faire évoluer les conditions de travail de votre commission ou à réaffirmer certaines règles déontologiques ? Le Conseil de l'Ordre doit-il se doter de moyens d'information et de contrôle sur la réalisation des études faites par les médecins en relation avec les laboratoires ?
Nous souhaitons des évolutions, mais d'ordre règlementaire et législatif. Actuellement, pour une étude ou une hospitalité monodépartementale, la déclaration et l'avis sont requis au niveau du conseil départemental de l'Ordre. Sinon, il est requis au niveau du Conseil national qui informe très régulièrement de ses avis. La mission de l'Ordre s'arrête là. Le médecin qui a signé une convention doit l'envoyer à son conseil départemental, lequel doit vérifier si cette étude a fait l'objet d'un avis favorable ou défavorable. Mais aucune disposition actuelle n'organise la centralisation des informations. C'est une grave lacune. Je l'ai déjà évoqué lors des travaux de la commission d'enquête du Sénat sur la grippe A (H1N1). Le président de l'Ordre s'est entretenu également avec le sénateur Alain Milon, rapporteur de la proposition de loi réformant certaines dispositions de la loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST), de la nécessité d'une réorganisation de la collecte des données. Depuis deux ans, nous mettons sur pied un nouveau programme informatique afin de les centraliser ; il entrera dans sa phase pilote avec les industriels en mars. Désormais, nous pourrons ainsi savoir qui fait quoi et quand il le fait. Car, actuellement, on nous sollicite pour donner un avis mais rien n'oblige une entreprise à nous dire si elle a donné suite à son projet d'étude. Nous sommes seulement avertis de la fin de l'étude. Nous ne recevons pas systématiquement les résultats de ces études. Le système a donc ses limites ; l'efficacité exige de le modifier car, actuellement, les conseils national ou départementaux ne peuvent aller au bout de leur mission.
C'est étrange. En dehors d'une surveillance, très réduite par les dispositions règlementaires, vous ne pouvez pas intervenir sérieusement lorsque se pose un grave problème de santé publique ! Et tous ceux que nous auditionnons nous disent la même chose ! Il y avait pourtant eu un précédent très semblable, avec l'Isoméride. Vous nous dites que l'Ordre des médecins ne peut intervenir qu'en cas de distorsion de prescription ou de remboursement indu, révélés par l'assurance maladie. Si l'Ordre des médecins ne peut intervenir - et même énergiquement -, qui le fera ?
Nous sommes les premiers à regretter que notre mission ait été bornée de cette façon. Mais vous nous prêtez des connaissances et des possibilités d'intervention que nous n'avons pas. Nous ne sommes pas des experts scientifiques du médicament ; contrairement à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) ou la Haute Autorité de santé (HAS) qui, elles, ont de tels experts et des pouvoirs de décision en ce domaine. Et ces organismes, on ne les a pas beaucoup entendus...
L'Ordre ne vivant que de la cotisation de ses membres, il ne peut assumer toutes les responsabilités et notamment pas une responsabilité en pharmacovigilance. Il n'est pas et ne sera jamais compétent en cette matière. Son domaine, c'est la déontologie et les conflits d'intérêts.
Mais il y a eu au moins un praticien en France, cette pneumologue de Brest, qui a eu plus d'acuité de jugement que l'Ordre. Son conseil départemental aurait dû accorder davantage d'attention à ce qu'elle s'est échinée à dire pendant des années.
En matière d'hospitalité, quel rapport la « loi anti-cadeaux » établit-elle entre la partie festive et la partie travail d'une formation ou d'un congrès ? A partir de quand jugez-vous qu'il y a dérive ? Quelles recommandations et quelles sanctions l'Ordre a-t-il prononcées ? Sur 38 000 dossiers annuels, il a eu matière à le faire. Et qu'en est-il des produits de santé ?
J'en viens au problème des rémunérations des médecins, notamment hospitaliers. Pouvez-vous contrôler efficacement ces rémunérations, quelquefois versées à des associations de promotion à l'intérieur des hôpitaux ? A une certaine époque, chaque professeur avait son association de promotion de son activité dans tel ou tel service.
Alors que certains ont demandé la suppression du Conseil de l'Ordre, souhaitez-vous au contraire que la loi élargisse vos responsabilités ? Le problème vient du fait que, actuellement, ni la loi ni le règlement ne vous permettent de remplir assez sévèrement la fonction de gendarme de la profession.
Les comptes rendus de réunion des années antérieures à 1993, avant la mise en place de notre commission, montrent que, depuis, nous avons fait d'énormes progrès. Les « congrès cocotiers » où l'on emmenait papa, maman et les enfants, cela n'existe plus ! La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est chargée de le vérifier. L'Ordre irait bien volontiers à l'étranger, par exemple, vérifier si les congressistes y travaillent réellement. Mais cela ne relève pas de ses missions. C'est la DGCCRF qui en est chargée. Les congrès fantaisistes, cela n'existe plus ! Et s'il arrive qu'on nous soumette le projet d'un congrès où la partie scientifique apparaît marginale, nous demandons que la participation aux frais des médecins soit substantielle, sinon nous donnons un avis défavorable. Les dossiers qui nous sont soumis ne prévoient plus d'accompagnants, plus de cadeaux.... La DGCCRF n'a pas prononcé beaucoup de sanctions. C'est à elle qu'il faut demander pourquoi.
La majorité des associations de promotion ont été créées dans un souci de transparence et ne font l'objet d'aucun grief, leur budget étant très réduit et transparent. Mais il y a d'authentiques scandales, des associations majeures qui brassent énormément d'argent. La bonne solution, c'est d'instituer des contrats tripartites : un établissement hospitalier détache un praticien pour un travail et l'argent arrive dans un centre d'investigation clinique (Cic). Ainsi la transparence serait complètement assurée.
Une autre solution au problème des études et de leurs honoraires, éventuellement très importants, c'est la publication des rémunérations perçues. Si on nous en donne la mission et si on impose aux industriels de nous livrer leurs résultats, nous sommes prêts à remplir cette tâche. Cela ne gênera que ceux qui auraient des honoraires qu'ils ne pourraient justifier.
Certains contrats connaissent une dérive inflationniste telle que les laboratoires eux-mêmes ne parviennent plus à faire face à la demande de certains établissements hospitaliers. On ne sait pas comment sont gérés les honoraires encaissés. On nous objecte qu'en interdisant ces honoraires, on empêcherait la France de participer à la recherche internationale. Ce n'est pas tout à fait vrai : les honoraires ne sont pas les mêmes en France qu'en République tchèque ou en Inde. Dans une étude internationale, les honoraires sont adaptés à chaque pays. Lorsqu'on a connaissance d'honoraires dont on demande la justification en raison de leur caractère excessif, on ne nous apporte pas de réponse convaincante. Il nous arrive régulièrement de donner un avis défavorable. Récemment un laboratoire français est passé outre ; nous n'avons pas de pouvoir de sanction en ce domaine.
J'ai cru comprendre que vous regrettiez que la mission de contrôle du Cnom se limite à la déontologie des études et n'aille pas au-delà, jusqu'à l'utilisation, le contrôle et la diffusion, voire la publication, de leurs résultats. Pourquoi n'avons-nous jamais entendu de sa part aucune revendication en ce sens ?
Je suis en responsabilité depuis deux ans et c'est la troisième fois que je viens le dire au Sénat. Nous faisons plus que vérifier le respect des principes déontologiques puisque nous vérifions la conformité avec la charge de travail qui est avancée. Dans le cadre des études non interventionnelles, nous avons un élu, compétent sur les questions statistiques qui, à diverses reprises, a mis au jour des anomalies d'organisation d'études qui ont ensuite été modifiées. Nous voudrions avoir les moyens de disposer d'un épidémiologiste, d'un informaticien. Pour cela, nous n'avons les moyens ni de l'Etat, ni des industriels, le service relations médecin-industrie ne fonctionne qu'avec les cotisations des médecins.
Je souhaite également préciser que les médecins hospitaliers ne sont pas les seuls concernés. Les médecins libéraux le sont aussi.
Les médecins hospitaliers sont tenus de demander à leur hiérarchie, hospitalière et universitaire, l'autorisation de consacrer « une partie accessoire » de leur activité à des études. En janvier, cette réglementation vient d'être complétée : ces études ne peuvent être menées qu'en dehors du temps de travail - ce qui est curieux lorsqu'il s'agit de s'occuper de malades... Or, lorsqu'un industriel veut justifier des honoraires importants - par exemple 1 000 euros pour une visite d'inclusion dans un protocole - et qu'il en arrive à comptabiliser plusieurs heures pour cette visite, la hiérarchie hospitalière est-elle d'accord pour considérer que cette activité est vraiment accessoire ?
Désormais, grâce à notre système informatique, on déterminera que certains médecins font beaucoup plus d'études que d'autres. Leur hiérarchie serait-elle encore d'accord avec ce projet d'activité ?
Vous avez dit que la liste des médicaments suspects est encore « en vigilance » et qu'on n'a pas encore eu le temps de prendre des décisions. Vous souhaitez que la collecte des informations s'améliore. Que pouvez-vous faire et que pouvons-nous faire pour que cela aille plus vite ?
En matière d'investissements intellectuels et financiers, nous avons été proactifs ; mais il nous a fallu un an et demi pour mettre en oeuvre ce programme informatique.
Ce qui relève du législateur, c'est de nous confier une autre mission : organiser l'autorisation de publication. L'organisation d'une mission plus efficace et plus utile nécessite une modification législative. Mais le système doit être le plus simple possible. Dans un pays voisin, existe un système informatique : les industriels doivent communiquer leur dossier au système, payer 100 euros pour chacun d'eux, et on règle par convention simplifiée toute hospitalité de moins de vingt-quatre heures. Une telle simplification nous permettrait de recentrer nos travaux sur les gros dossiers et sur les études.
Que pense l'Ordre de la création envisagée de sociétés interprofessionnelles de maisons de santé ?
Nous en avons débattu. Face à la dramatique désertification médicale de certaines régions, l'Ordre est conscient qu'il faut imaginer toutes sortes d'innovations. C'est ainsi qu'il a autorisé la formule de l'associé salarié - ce qui aurait été inimaginable il y a quelques années - et les sites multiples.
Avez-vous des propositions concrètes pour que les laboratoires ne financent plus la formation médicale continue ? Comment valoriser, dans leur carrière, l'expertise des praticiens hospitaliers ? Que pensez-vous de la proposition qui figurait dans le rapport sénatorial de 2006 sur le médicament, établi à la suite de l'affaire du Vioxx, de « faire certifier les revues et les journaux pris en compte au titre de la formation médicale continue » ? L'Ordre peut-il s'en charger ? Et que pensez-vous des visiteurs médicaux ?
Nous n'avons pas en France une revue médicale qui ait un impact factor supérieur à un. Toutes celles qui arrivent au chiffre neuf, qui est un bon chiffre, sont en anglais. Le problème n'est pas celui de la langue. Je souhaite donc que toutes revues existant en France aient recours à un comité de lecture, sachant que l'on retrouve la problématique des experts. Ceux-ci, accaparés par l'Etat ou par les laboratoires, ne courent pas les rues.
Les efforts pour promouvoir une littérature médicale très pointue n'auront un impact que sur des spécialistes très pointus. Tous les médecins doivent avoir accès à une culture médicale de qualité.
Il faut aussi s'efforcer de clarifier les conflits d'intérêts et, par exemple, faire figurer en bas de page des revues que telle étude « est prise en charge par tel laboratoire », comme cela se fait déjà. Dans un congrès la personne qui intervient doit indiquer s'il reçoit des honoraires de la part d'industriels. On peut imaginer qu'on passe du déclaratif à l'obligatoire.
La Charte sur les visiteurs médicaux a apporté d'incontestables progrès. Il faut obtenir que la rémunération d'un visiteur ne soit pas liée à la prescription. On peut plus facilement le vérifier pour sa rémunération de base. C'est plus difficile pour les primes. Imaginez qu'on remplace la visite médicale par je ne sais qui. L'Etat ? Prenez l'exemple de la formation médicale continue (FMC). Depuis la loi Kouchner qui l'a rendue obligatoire, on n'a jamais réussi à la mettre en place. Cela fait plus d'une génération qui a trouvé d'autres moyens d'assurer sa formation continue. Dès lors, si les laboratoires n'assurent pas cette FMC, qui le fera ? Pour l'instant, l'Etat n'a pas montré qu'il était bien performant en ce domaine pour organiser la formation des médecins, des enseignants.
Nous avons noté avec intérêt quelques unes de vos propositions. Nous espérons que les missions de l'Ordre des médecins prendront de l'envergure.
L'Ordre prendra l'envergure qu'on lui permettra de prendre...
Bienvenue, madame la présidente. Comme vous le savez, nos échanges sont enregistrés et filmés, et seront diffusés sur Internet et sur Public Sénat.
Outre le contrôle de l'accès à la profession et de son indépendance, notre Ordre est investi d'une mission légale : contribuer à promouvoir la santé publique et la qualité des soins, notamment la sécurité des actes professionnels. C'est une mission de service public. L'Ordre n'est pas un syndicat professionnel et ne défend pas les intérêts économiques des professionnels. Il est organisé par métier, chacun relevant d'une section. Le dénominateur commun est le souci constant de la santé publique.
Les pharmaciens d'officine sont à la fois proches et disponibles. Tous sont informatisés. Quelles informations le pharmacien peut-il recevoir des autorités, quelles informations peut-il faire remonter ? Comment s'appuyer sur l'informatique ? Face à une population suspicieuse et inquiète, le pharmacien joue également un rôle pédagogique. Le caducée pharmaceutique - un serpent enroulé autour d'une coupe - symbolise l'équilibre entre bénéfice et risque, inhérent à tout médicament. C'est pourquoi celui-ci est à la fois désiré et condamné - et pourquoi il n'a pas sa place dans un supermarché ! La question est celle de la juste utilisation du médicament et des progrès souhaitables en termes de pharmacovigilance.
Le Conseil national de l'Ordre était-il au courant de fraudes, d'utilisations nocives du Mediator par certains médecins ? Des pharmaciens ont-ils été sanctionnés dans cette affaire ?
Auditionné par la mission d'information du Sénat en 2006, le président du Conseil national de l'Ordre avait évoqué une « protocolisation » de la procédure de signalement systématique des accidents médicamenteux, avec des logiciels améliorant le suivi et la traçabilité des médicaments. Avez-vous constaté des progrès dans ce domaine ?
Le pharmacien n'a pas à faire une contre-expertise de la décision des agences sanitaires, qui donnent l'autorisation de mise sur le marché, ou de celle du prescripteur, qui a la totale responsabilité du diagnostic et de la mise en oeuvre de la thérapeutique. Le médecin peut choisir de prescrire un médicament hors AMM. Le pharmacien n'a pas accès au dossier médical ; sa responsabilité est d'étudier les contre-indications potentielles. Grâce au dossier pharmaceutique dont 82 % des pharmacies sont désormais équipées, le pharmacien a connaissance de tous les médicaments dispensés au patient. En cas de problème, il appelle le prescripteur.
À ma connaissance, aucun pharmacien n'a été sanctionné pour des délivrances hors AMM. À chacun sa responsabilité. Celle du pharmacien est réelle et reconnue par les tribunaux : il est le dernier rempart avant le patient.
Qu'en est-il de la vente de médicaments sans prescription ? Avez-vous connaissance de déviances qu'il aurait fallu sanctionner ?
Vous me demandez si des pharmaciens auraient dispensé du Mediator hors prescription ? À ma connaissance, il n'y a pas eu de chambre de discipline sur cette question. Plus généralement, les pharmaciens peuvent parfois dispenser un médicament pour « dépanner » un patient, mais sont très vigilants. A fortiori avec un médicament comme le Mediator !
Il y a eu de nombreuses alertes de pharmaciens sur le benfluorex. Comment expliquez-vous qu'elles n'aient pas été prises en compte ? Lors de l'interdiction du benfluorex dans les préparations magistrales en octobre 1995, avez-vous constaté un transfert de prescriptions vers les spécialités pharmaceutiques et, si oui, quelles conséquences en avez-vous tiré ?
En 1980, la « loi Talon » interdit au pharmacien d'inclure certaines substances dans les préparations officinales. Le décret de 1982 lui interdit d'inclure dans une même préparation des molécules de quatre groupes : les diurétiques, les psychotropes, les anorexigènes, dont le benfluorex, et les extraits thyroïdiens. En 1995, un arrêté interdit le groupe 3, composé des anorexigènes. Entre 1982 et 1995, il était donc possible de contourner le décret en préparant plusieurs gélules. Après 1995, si le groupe 3 était interdit, la spécialité Mediator demeurait sur le marché... Situation ubuesque, dénoncée par l'Ordre et les inspecteurs de santé publique, présents dans nos conseils régionaux.
Dans le cas où la personne qui se fait dispenser un anorexigène n'est manifestement pas en surpoids, le pharmacien peut-il refuser le médicament prescrit ? On sait que, pour accélérer le processus anorexigène, certaines personnes faisaient remplir des ordonnances par des prête-noms...
Le Mediator a rarement été utilisé seul. En cas de prescription multiple, n'est-ce pas au pharmacien de signaler d'éventuels doubles emplois ?
Enfin, la presse s'est fait l'écho des pratiques de sociétés qui obtiennent des pharmacies les fichiers de prescriptions par zones géographiques, pour mieux cibler les actions commerciales auprès des médecins...
Un pharmacien d'officine doit faire un certain nombre de contrôles. Le cas d'une personne qui ne paraît pas en surcharge pondérale est difficile. Le médecin, tenu par l'article 39 de son code de déontologie, agit en toute responsabilité ; s'il prescrit un médicament hors AMM, c'est en connaissance de cause, parce qu'il en attend un bénéfice qu'ignore le pharmacien. Ce dernier ne contrôle que les contre-indications entre formules chimiques. Il doit poser des questions au patient, mais, je le répète, il n'a pas à faire de contre-expertise. Il peut refuser de dispenser un médicament, mais doit alors prévenir le prescripteur.
Cela peut arriver en matière de prescription pédiatrique, mais aussi pour des médicaments comme le Mediator ?
Pour tous les médicaments ! Je ne fuis aucune responsabilité, mais celles de chacun doivent être clairement définies.
L'utilité des bases de données ne fait pas de doute. La question est celle de leur utilisation et de la collecte des données. La position constante de l'Ordre est que les bases de données ne doivent jamais servir à exercer la moindre pression sur le prescripteur, le pharmacien dispensateur ou le patient. Toutes sont « anonymisées » et doivent être utilisées dans le respect des règles de l'éthique. Celle qui sert à établir le prix du médicament ne relève pas de l'Ordre.
Il est inadmissible que des visiteurs médicaux se renseignent sur les ventes de tel ou tel médicament pour ensuite faire pression sur les prescripteurs. L'indépendance des professionnels de santé doit être pleine et entière.
Les laboratoires ne font-ils pas pression sur les pharmaciens en proposant des ristournes, notamment pour promouvoir les génériques ? Comment contrôler et assainir ces pratiques ?
Les questions économiques ne relèvent pas de l'Ordre mais des syndicats et de l'Etat. Les pharmaciens, d'officine et hospitaliers, assimilés à des prescripteurs, subissent en effet des pressions. C'est pourquoi il faut les protéger, au même titre que les prescripteurs et les patients.
On compte aujourd'hui douze millions de dossiers pharmaceutiques ; trente mille de plus chaque jour. Il n'est pas question d'utiliser ces données pour des raisons commerciales, mais pourquoi ne pas les utiliser positivement, sur requête de l'autorité de tutelle, sachant qu'elles sont immédiatement disponibles ? J'en ai fait la demande au ministre de la santé, et demandé rendez-vous à l'Igas. Lors d'une pandémie grippale, par exemple, la décision du ministre gagnerait à être prise en fonction de données récentes. En outre, le dossier pharmaceutique du patient comporte tous les médicaments achetés, y compris hors prescription. Le dossier du patient est un « sanctuaire » : tout y est crypté, personne n'y a accès. Un décret pourrait toutefois prévoir son utilisation, sur demande des autorités, par exemple dans les plans de gestion des risques.
Si je comprends, vous souhaitez que l'on renforce le rôle du pharmacien dans la délivrance des médicaments ?
Le pharmacien, spécialiste du médicament, est un acteur incontournable du système de santé. Des pistes d'amélioration existent, pour faire de lui à la fois un diffuseur et un capteur d'informations en matière de santé publique.
Notre système d'alerte « descendante » permet de toucher la totalité des pharmacies en moins d'un quart d'heure. Hier soir, l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps) a demandé le retrait d'un lot ; en appuyant sur un bouton, je bloque tous les postes informatiques de toutes les pharmacies. Pour les débloquer, celles-ci doivent confirmer avoir pris en compte le message. Toutes avaient découvert le message au plus tard à 8 heures ce matin.
Cette audition est riche d'enseignements. Le patient peut demander que certaines informations soient exclues de son dossier médical personnalisé. En est-il de même pour le dossier pharmaceutique ? Le patient est-il informé de son existence ?
S'agissant de traçabilité, avez-vous fait remonter des informations collectées auprès des patients concernant le Mediator ? Si oui, quand et comment ?
Les pharmacies avaient-elles engagé des négociations commerciales avec les laboratoires pour obtenir des marges supérieures sur le Mediator, ce qui aurait incité les médecins à prescrire ce médicament ? Enfin, avez-vous relevé des problèmes d'iatrogénie liés à l'utilisation de ce médicament ?
Les premiers retours sur la mise en place du dossier pharmaceutique indiquent-ils une meilleure prise en compte des effets indésirables des médicaments ? Avez-vous des propositions en la matière ?
La sortie d'AMM se fait sur un modèle-type pasteurien ; n'y a-t-il pas une inadéquation entre ce modèle et les pathologies chroniques pour lesquelles nombre de ces médicaments sont pris ? Le dossier médical ne permettrait-il pas de faire remonter plus facilement d'éventuels effets indésirables ?
Nos marges, nos remises sont fixées : il n'y a pas de négociation possible sur ce qui est remboursé par la sécurité sociale. Le cas des génériques est à part : une remise supplémentaire est consentie aux pharmaciens pour encourager la substitution, qui est à mettre à leur actif.
Ce n'est que depuis le décret de 1995 que les pharmaciens sont soumis à obligation de pharmacovigilance. En 2009, 66 % des déclarations étaient le fait de médecins spécialistes, 9 % de médecins généralistes, 15 % de pharmaciens. Il faut sans doute améliorer encore ce chiffre ; notre presse spécialisée y concourt. Notre ambition est d'être des capteurs d'information, d'où l'importance de l'outil informatique.
La pharmacovigilance porte sur les effets indésirables des médicaments, de la cosmétologie, des tatouages et sur un défaut qualité d'un médicament. Les fiches sont sur papier, la procédure compliquée. Nous allons prochainement ouvrir un portail sanitaire destiné aux pharmaciens, qui pourront télétransmettre les fiches. La carte professionnelle du pharmacien indiquera automatiquement l'adresse du centre régional de pharmacovigilance. L'engagement de l'Ordre est fort.
S'agissant de la traçabilité, le code des médicaments indiquera désormais le numéro de lot. Un médicament retiré du marché pourra l'être jusque de l'armoire à pharmacie de la population ! Récemment, un sirop contre la toux surdosé en pholcodine a ainsi fait l'objet d'un retrait immédiat. Désormais, le patient n'aura qu'à présenter sa carte Vitale dans n'importe quelle pharmacie pour savoir s'il est concerné ou non par un mauvais lot.
Merci au législateur d'avoir institué le dossier pharmaceutique, en même temps que le dossier médical personnalisé. Le patient est libre d'ouvrir ou non un tel dossier, et de le fermer. Il faut son accord exprès. Son coût, de 4 millions d'euros, est payé par la profession.
Chaque année, les médicaments causent 13 000 décès et 140 000 hospitalisations. C'est inacceptable, même si on ne peut éviter certains mésusages, pas plus que l'autolyse. Une nouvelle version du logiciel du dossier pharmaceutique, certifié par l'Ordre, facilitera toutefois la remontée des effets indésirables aux autorités de tutelle.
Les essais cliniques sont réalisés dans des conditions de sécurité draconiennes, presque trop ! Le suivi des cohortes est total, alors que, dans la pratique réelle des patients, il peut y avoir des dérapages... Le dossier pourrait jouer un rôle utile dans les études post-AMM et dans les plans de gestion des risques.
Le réseau de pharmaciens est informé immédiatement d'un problème concernant un médicament, mais quid des prescripteurs ? S'ils ne sont pas informés, ils continueront à prescrire le médicament incriminé ! Le problème se pose notamment dans les hôpitaux, où le praticien a directement accès aux réserves de médicaments.
Enfin, l'automédication est en constante progression, notamment via Internet. Comment, dans ce cadre, informer de la nocivité d'un médicament ?
Le dossier pharmaceutique n'est pas accessible aux médecins, qui n'ont pas développé d'outil semblable. Dès qu'un médicament est retiré du marché, les prescriptions sont arrêtées. Le problème du Mediator est qu'il n'a pas été retiré !
Les médicaments sont partout : dans les officines et les hôpitaux, mais aussi dans les écoles, les centres de soins, les centres mobiles, etc. Une convention prévoit l'information des pharmaciens par fax. Nous en sommes encore au stade expérimental.
L'automédication progresse, mais un médicament reste un médicament et figure dans le dossier pharmaceutique. La France interdit pour l'heure la vente de médication officinale sur Internet, à laquelle l'Ordre est fermement opposé.
Qu'en est-il de la prescription hors AMM et de l'activité des visiteurs médicaux ?
La législation européenne en matière de dosage -la question se pose notamment pour les médicaments pédiatriques - vous paraît-elle suffisante ? Quel contrôle pouvez-vous exercer en ce domaine ?
Enfin, que savez-vous du trafic de médicaments, sujet dont s'est récemment saisi le Sénat ? Ce phénomène, que l'on sait exister dans certains pays d'Afrique, sévit également aux portes de nos grandes villes. Comment entendez-vous lutter contre ?
Je me suis exprimée sur le trafic de médicaments, lorsque j'ai été entendue par la Mecss et je serai certainement amenée à en reparler lorsque je serai auditionnée par la mission commune d'information sur les toxicomanies à l'Assemblée nationale.
La question du dosage se pose dès aujourd'hui en pédiatrie et, demain, en gériatrie. Il faudra impérativement adapter les doses.
Les prescriptions hors AMM seront bientôt comprises dans le champ de la pharmacovigilance. C'est tout le sens de la directive récemment adoptée en codécision par le Conseil et le Parlement européens, et que la France devra transposer en 2012. Pour le contrôle, le pharmacien pourrait cocher une case « hors AMM » lors de la délivrance du médicament ; l'information serait centralisée par les caisses d'assurances maladie. L'informatique, utilisée à bon escient, permettrait de remédier à la situation actuelle où le seul moyen d'accéder à l'information est de relire l'ordonnance...
La Charte de la visite médicale a été signée fin 2004. Si l'Ordre des pharmaciens n'a pas été associé - à son grand regret - à la rédaction de ce texte, il a activement participé aux travaux de la Haute Autorité de santé (HAS) sur sa transposition en un référentiel de certification. Cette certification de qualification technique s'est déroulée en plusieurs étapes : tout d'abord, la certification de la visite médicale en ville ; ensuite, celle des prestataires auxquels recourent les sociétés pharmaceutiques ; enfin, par un avenant à la Charte en juillet 2008, celle concernant la visite médicale à l'hôpital. Deux enquêtes que la HAS a menées en 2009 et publiées sur son site, dont l'une conjointement avec l'Ordre des pharmaciens, concluent à une dynamique d'installation d'un processus de qualité appliqué à la visite médicale. Nous aimerions savoir comment s'est inscrite cette dynamique dans le temps et quels sont les résultats de la certification. S'il y a des certificats arrêtés ou suspendus, notre mission est de rappeler les devoirs du pharmacien responsable sur la qualité de l'information et de la publicité. Le temps est venu de réfléchir à de nouvelles perspectives ; l'Ordre souhaite contribuer à l'amélioration de la visite médicale.
Existe-t-il également des problèmes de dosage pour les médicaments génériques, sujet auquel le ministre souhaite que nous étendions les travaux de cette mission ? En outre, la caisse d'assurance maladie ne pourrait-elle pas envoyer systématiquement une alerte au pharmacien lorsque des médicaments, tel le Subutex, sont prescrits dix fois dans une semaine ?
Les pharmaciens d'officine, acteurs incontournables du médicament, seront toujours à vos côtés pour réfléchir et travailler. Je me tiens à la disposition du président de la mission. Le dosage ne pose pas de problèmes particuliers pour les génériques, puisque ceux-ci sont parfaitement identique au princeps. Concernant le Subutex, il donne normalement lieu à un accord entre le prescripteur, le dispensateur et le patient ; ce dernier doit s'approvisionner dans une seule pharmacie. Malgré cela, on a observé des dérives inadmissibles ; effectivement, seule la caisse d'assurance maladie possède les données.
La mission a le plaisir d'accueillir M. Jean-François Mattei, qui fut ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées de 2002 à 2004, un moment important de l'histoire du Mediator.
Je dois dire d'emblée que, durant mes fonctions au ministère, je n'ai jamais eu à connaître de la dangerosité éventuelle du Mediator, ni de près ni de loin, ni par écrit ni par oral.
Ma politique du médicament se fondait sur la poursuite du travail engagé par mes prédécesseurs en matière de référence au service médical rendu. Après que Mme Martine Aubry, qui avait défini ce concept, eut demandé la réévaluation de 4 490 produits, Mme Elisabeth Guigou et M. Bernard Kouchner tentèrent - l'entreprise fut difficile - de baisser le taux de remboursement de certains médicaments de 65 à 35 %. Une première vague concerna 148 médicaments ; l'arrêté du 1er août 2000, annulé par le Conseil d'Etat pour vice de forme, fut remplacé par l'arrêté du 14 septembre 2000. Celui-ci ne mentionnait pas le Mediator. La deuxième vague, celle de septembre 2001, commença par la publication d'une liste de molécules dont le déremboursement était pressenti. Conformément à la règle, les laboratoires Servier, comme toutes les firmes, eurent le droit de faire valoir leurs observations. Et le Mediator ne figura pas dans l'arrêté du 30 décembre 2001. Enfin, le 24 décembre 2001, la direction de la sécurité sociale sollicita le déremboursement du Mediator ; cette note ne fut pas suivie d'effets.
Ce bref rappel historique montre la complexité et la longueur de toute procédure de déremboursement. Les avis de la commission de la transparence sont souvent contestés. C'est dire la fragilité juridique des avis rendus en 1999 ! De fait, cette commission, qui dispose de moyens et d'une structure administrative faibles pour une charge de travail lourde, s'en tient aux avis éventuellement contestables plutôt que de bloquer l'évaluation de nouveaux produits. En outre, les annulations en Conseil d'Etat ne sont pas rares.
Durant l'été 2002, alors que je venais de prendre la tête du ministère depuis deux ou trois mois, la direction de la sécurité sociale renouvela sa demande de déremboursement du Mediator au motif que le Mediator avait coûté 30 millions d'euros en 2001. Cette demande avait, j'y insiste, un caractère strictement financier alors que la sécurité sociale accusait un déficit important - c'est un euphémisme. Il n'y avait aucune mention de la dangerosité du produit dans cette note non plus que d'avertissement ou de mise en garde à ce sujet par l'Afssaps ou la direction générale de la santé (DGS). Aussi celle-ci ne remonta-t-elle pas jusqu'à moi.
Compte tenu des difficultés rencontrées par mes prédécesseurs, je décidai de dérembourser totalement les médicaments à service médical rendu (SMR) insuffisant avec un triple souci : un souci de progressivité - car étaient en cause les patients et leurs habitudes, les médecins et leurs prescriptions, les industries et l'emploi -, un souci de pédagogie et un souci d'égalité de traitement entre les médicaments de la même classe. La première vague de déremboursement, en 2003, concernait les médicaments à SMR insuffisant qui n'avaient pas leur place dans la stratégie thérapeutique, et ils n'étaient pas considérés dangereux. Leur AMM n'était pas en cause. A ce titre, quatre-vingt-deux médicaments figurèrent dans l'arrêté du 24 septembre 2003. La deuxième vague visait 218 médicaments à SMR insuffisant mais de prescription facultative et, donc, disponibles en automédication. Prévue pour 2004, la liste fut reprise dans l'arrêté du 17 janvier 2006, et effective en janvier 2008. La troisième vague comprenait tous les autres médicaments : une quarantaine de produits dont le Mediator. Elle était la plus difficile en ce que certains d'entre eux n'avaient aucune alternative thérapeutique. Initialement fixée à 2005, elle fut mise en oeuvre en janvier 2008.
Je ferai trois remarques.
La politique de déremboursement suscite toujours une contestation très vive. « La santé malade du déremboursement », « Le déremboursement des médicaments n'est ni le vrai problème ni une solution » pouvait-on lire à la une des journaux. Bref, nous évoluions en milieu hostile.
Ensuite, les trois vagues répondaient à un ordre logique : les produits les plus contestables, puis les produits disponibles en automédication, enfin les produits dépourvus de remplaçants. Ces critères étaient parfaitement objectifs, a reconnu l'Igas dans son rapport. Afin de prévenir une annulation en Conseil d'Etat pour motivation insuffisante de la commission de la transparence - revers qu'avait essuyé mon prédécesseur en décembre 2002, dont j'ai dû assumer les conséquences -, je demandai une nouvelle évaluation approfondie par la commission de la transparence de tous les médicaments. Les firmes pharmaceutiques eurent la possibilité de faire valoir leurs observations. Je tentai de rattraper l'annulation du Conseil d'Etat par une validation législative ; le Conseil constitutionnel censura la disposition, au motif qu'elle constituait un cavalier législatif, en juillet 2003.
De toute façon, envisager la question du Mediator sous l'angle du déremboursement n'est pas la bonne approche. Réduire le taux de remboursement n'a aucune influence sur la consommation, les complémentaires jouant sur le ticket modérateur, a noté l'Igas. Quant au déremboursement total, il ne vient pas à bout des habitudes de consommations, d'autant que le coût du produit n'est pas prohibitif. Or, en 2002, la boîte de trente comprimés de Mediator valait 5,66 euros. La stratégie par l'argent ne donne pas le bon signal. En fait, la seule question qui vaille selon moi est la suivante : pourquoi le Mediator n'a-t-il pas été retiré du marché ?
La loi de 1998 a transféré le pouvoir de police sanitaire à l'Afssaps. L'AMM de même que son retrait sont du ressort exclusif de cette agence indépendante, si ce n'est que les laboratoires peuvent décider eux-mêmes d'ôter un produit du marché par mesure de pharmacovigilance. Quant à l'Agence européenne du médicament, son pouvoir se limite aux autorisations centralisées. Durant les trois années où j'étais au ministère, l'Afssaps a retiré trente-sept produits sans que je n'aie jamais à en connaître ! Tout portait à croire que le mécanisme fonctionnait. Dans son excellent rapport de 2003, M. Adrien Gouteyron détaille le rôle de cette agence.
Deuxième fondement de ma politique du médicament : l'amélioration de la qualité du travail de la commission de transparence. Dans mon discours du 17 juillet 2003, entièrement reproduit sur le site « sante.gouv.fr », j'expliquais vouloir modifier la composition de cette commission - je l'ai fait par décret -, rendre les procédures plus claires - ce but fut atteint - et renforcer l'autonomie financière de l'agence. Par un accord signé en 2003 entre les entreprises du médicament (le Leem) et le comité économique des produits de santé (le CEPS), j'avais projeté la création d'études post-commercialisation. Leur but était d'évaluer les réelles conditions d'utilisation d'un produit. Fort d'une telle étude, nous aurions immédiatement repéré que l'utilisation du Mediator comme coupe-faim dépassait largement ses deux indications thérapeutiques relativement limitées. Pour finir, rappelons la Charte de la visite médicale, dont on connaît le rôle.
Monsieur Mattei, les parlementaires ne sont pas des procureurs. Soit, le déremboursement du Mediator n'aurait rien changé. Pour autant, vous saviez, en tant que médecin, que le Mediator était un amphétaminique.
Dussé-je vous décevoir : généticien, je ne prescris pas. En tant que pédiatre, je n'ai jamais prescrit d'amphétaminiques. Je dois vous confesser avoir entendu parler du Mediator pour la première fois lorsque l'affaire est apparue. Il est plus facile pour un ministre de demander un retrait du marché, qui prend douze heures, plutôt que de batailler de longs mois pour le déremboursement des produits.
Soit, mais vous n'ignoriez pas que le Mediator avait été interdit aux Etats-Unis ! (M. Jean-François Mattei le nie.) Le problème n'a pas pu vous échapper, puisque vous avez cherché à améliorer le travail de la commission de la transparence.
Quand la pharmacopée française compte quelque 40 000 médicaments, le ministre ne peut pas connaître toutes les molécules ! J'endosse ma responsabilité. C'est précisément la raison pour laquelle nous avons créé l'Afssaps, la commission de la transparence, le CEPS et a désigné, au sein de chaque cabinet, un conseiller médicament. Le champ de ce ministère est vaste. Pour prendre une décision, encore faut-il être informé ! En tant que médecin, j'ai connu la suppression du bismuth et de la Cérivastatine. On a retiré du marché le Vioxx, quatre ou cinq mois après mon départ. Je n'aurais sans doute pas été saisi.
M. Jacques de Tournemire, conseiller technique au sein de votre cabinet, a récemment déclaré dans un entretien : « Je ne m'explique pas pourquoi on n'a rien fait. C'est indéniable : il y a bien eu une note (...) S'il y a une responsabilité, c'est la mienne puisque j'étais chargé de la politique du médicament. » Lui devait savoir !
M. Jacques de Tournemire est un homme scrupuleux. Au téléphone, lorsque nous avons fait le point, il m'a répété qu'il aurait dû me transmettre cette note. C'est prendre une responsabilité qu'il ne doit pas porter : il ne m'a pas fait remonter cette note parce qu'elle était strictement financière.
Il est difficilement compréhensible que le benfluorex ait été supprimé des préparations magistrales, et non des préparations pharmaceutiques, à la suite de la note de 1995 des unités de pharmacovigilance de l'Agence.
Sans expliquer ce phénomène, je dois rappeler que l'Afssaps compte des dizaines d'experts, le champ de connaissances étant très vaste. Dès qu'un sujet est porté à la connaissance du ministre, il y va de sa responsabilité de trancher. Mais encore faut-il qu'il soit informé. La loi de 1998 accorde à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (l'Afssa) comme à l'Afssaps un pouvoir d'instruction des dossiers mais aussi de décision. Je veux bien endosser ma responsabilité puisque c'est le rôle du ministre. Pour autant, je n'ai jamais entendu parler d'une dangerosité quelconque de cette molécule. J'ajoute que j'avais pour directeur général de la santé jusqu'en 2003 un spécialiste de ces sujets ; il avait attiré l'attention sur l'Isoméride durant les années 1996-1997. La loi de 1998 l'ayant exonéré de cette responsabilité, nous n'avons jamais abordé ce dossier ensemble.
Vous avez nommé M. Jean Marimbert à la tête de l'Afssaps. Pour mieux prendre en compte la pharmacovigilance, certains considèrent indispensable une réforme de la gouvernance de cette agence avec l'installation d'une direction bicéphale. Qu'en pensez-vous ?
Lorsque j'ai pris mes fonctions, le docteur Philippe Duneton dirigeait l'Afssaps. En 2002, l'inspection conjointe de l'Igas et de l'inspection générale des finances (IGF), observant qu'il existait des problèmes préoccupants au sein de l'Agence, a suggéré de confier sa gestion à un fonctionnaire. D'où le choix de M. Jean Marimbert, qui fut notamment directeur général de l'ANPE et président de l'Agence française du sang. Aujourd'hui, c'est le retour du pendule : le gestionnaire n'aurait pas été suffisamment sensible aux aspects médicaux ! Oui, je crois qu'il faut un binôme avec un partage clair des tâches...
Les laboratoires Servier ont-ils trompé l'Agence ? L'architecture du système - une commission d'AMM, une commission de la transparence et un CEPS - n'entraîne-t-elle pas une déresponsabilisation, sans compter que les études sont fournies par les firmes ? La question du Mediator est réglée, mais quid de l'avenir ? Que faire lorsque les données sont manipulées ?
L'AMM est délivrée après les essais de rigueur. Ceux-ci sont réalisés sur quelque milliers de personnes, une échelle réduite par rapport aux futurs consommateurs du produit. Le Mediator a été autorisé en 1976 ; il a fallu attendre 1998 pour qu'apparaissent les premiers signalements, et encore dans une seule spécialité : la cardiologie. Même si notre système de pharmacovigilance est de qualité, il faut donc développer les études postcommercialisation pour voir les effets des médicaments dans la durée.
Je n'ai jamais eu aucun conflit d'intérêts avec quelque laboratoire que ce soit. Jamais. Mon directeur de cabinet qui avait travaillé pour le groupe Lilly, m'a prié de ne lui donner aucune délégation dans le domaine du médicament. Quant à M. de Tournemine, mon conseiller technique, il n'avait jamais, de près ou de loin, eu affaire aux laboratoires avant d'entrer à mon cabinet : il a travaillé dans le conseil aux banques, à EDF et à l'industrie automobile. Toutefois, il est vrai que des pressions s'exercent sans arrêt. M. Servier et M. Fabre m'ont rendu visite, respectivement pour le Vastarel 500 mg et l'Omacor ; je n'ai jamais montré la moindre complaisance à leur égard. Cela est impensable lorsque l'on s'engage dans une politique de déremboursement qui est, par définition, impopulaire. J'ai plutôt mené une politique d'affrontement avec les laboratoires - c'est également moi qui ai lancé le tarif forfaitaire de responsabilité (le TFR) pour les génériques.
Monsieur Barbier, je vous en supplie, le financement des études postcommercialisation doit être entièrement public ; il faut également prévoir un statut pour les experts et poser tous les conflits d'intérêts sur la table. La question ne manquera pas de se poser car tous les pharmacologues et les spécialistes de thérapeutique ont des liens avec les laboratoires. J'ignore comment cela s'est passé pour le Mediator, mais je trouve curieux qu'aucun signal fort n'ait été porté à ma connaissance lorsque j'étais ministre.
Je concède qu'un ministre ne saurait connaître les spécifications de 40 000 médicaments... Pour autant, n'est-ce pas sa tâche que d'être un peu plus regardant sur les protocoles, les déclarations d'intérêts et les méthodes d'évaluation au sein des agences ? Les travaux de notre commission d'enquête sur la grippe ont montré l'état de friche des fichiers de déclaration d'intérêts, dont certains avaient huit ans de retard. M. Marimbert affirmait alors se débrouiller très bien seul sans contrôle extérieur...
Vous avez parfaitement raison. Toutefois, si je m'étais méfié d'un médicament, j'aurais eu tendance à être plus attentif à des médicaments mis sur le marché dix ans plus tôt plutôt qu'à des produits commercialisés depuis 1976. Ensuite, la commission de la transparence a réexaminé, à ma demande, 4 500 médicaments pour déterminer lesquels étaient à service médical rendu insuffisant. Cela leur a pris huit mois ; ils ont dû retarder l'évaluation de produits nouveaux. Nous n'avons pas les moyens ! Si nous voulons éviter de nouvelles difficultés, il faudra doter cette Agence de moyens humains et financiers suffisants.
Monsieur Cazeau, l'Espagne a effectivement retiré du marché le Mediator en 2003. Cela a-t-il été signalé par l'Agence européenne du médicament à l'Afssaps ?
L'Agence européenne du médicament a voté, lors de son conseil d'administration de décembre dernier, ses orientations stratégiques pour 2015. La moindre des choses serait de se rapprocher d'elle. Il est invraisemblable que des produits aient été retirés dans certains pays européens sans que j'en aie été averti !
Je suis surpris qu'une proposition de déremboursement s'appuie seulement sur des raisons comptables lorsque le service médical rendu devrait primer sur toutes les autres considérations. Le Mediator, si j'ai bien compris, a fait l'objet d'une évaluation, lors du réexamen des 4 500 produits que vous avez demandé. Je ne m'explique pas que la commission de la transparence n'ait pas procédé à une expertise scientifique complémentaire, sauf à considérer que le seul but poursuivi était de réaliser des économies. D'après vous, quel rôle doit jouer la récente HAS au côté de l'Afssaps dans la politique du médicament ? Enfin, concernant l'articulation entre les nivaux national et européen, M. Noël Renaudin, directeur du CEPS, m'a indiqué à plusieurs reprises s'être rapproché de l'Agence européenne du médicament lorsqu'il peinait à fixer un prix. Pourquoi l'Afssaps n'en a-t-elle pas fait de même dans son domaine de compétence ?
Le président de notre mission, M. Autain, qui a été retenu, voulait également vous interroger sur les critères de fixation du prix des médicaments et de modulation du taux de remboursement. En outre, qui arrête la décision ? L'industriel est-il consulté ?
La direction générale de la sécurité sociale est animée par un souci d'équilibre financier. Naturellement, elle ne m'aurait pas demandé de dérembourser un médicament à service médical rendu important. En l'occurrence, le Mediator avait un SMR insuffisant. Il fallait donc dérembourser tout de suite ce produit. Dans toute cette affaire, il n'a jamais été question de retrait de l'AMM : on s'acharne sur le déremboursement, mais ce n'est pas le sujet ! La commission de la transparence a réexaminé le Mediator et elle a confirmé l'insuffisance de son SMR.
J'en viens à la HAS : elle compte désormais en son sein la commission de la transparence. Si je n'ai pas porté cette agence sur les fonts baptismaux en 2004, j'en suis le concepteur. L'idée était, dans la lignée de la loi de 1998, de laisser à la HAS et à l'Afssaps le soin de donner un avis scientifique et, éventuellement, de trancher.
Enfin, il existe un clivage entre le niveau européen, celui de l'économie, et le niveau national, celui des politiques de santé. Je me suis battu, à la tête de mon ministère, pour harmoniser les normes sanitaires. Il existe une coordination pour les prix des médicaments mais pas, hélas, pour la sécurité sanitaire.
Quelle réforme institutionnelle préconisez-vous pour améliorer le circuit du médicament ainsi que la procédure d'AMM ? Après les défaillances du système de pharmacovigilance, faut-il modifier le fonctionnement interne des agences sanitaires ? Enfin, comment améliorer la réactivité des autorités publiques qui ont interdit l'Isoméride, et non le Mediator, alors que les deux médicaments partageaient la même molécule ?
La loi sur la sécurité sanitaire date de 1998, sa mise en place de 2000. M. Kouchner signe les contrats d'objectifs et de moyens avec les agences en 2001. Lorsque je prends la tête du ministère en 2002, mon premier souci n'est pas de remettre en cause ce qui vient d'être construit après les épisodes du sang contaminé et de la vache folle. En outre, il ne faut pas céder à la tentation de tout changer au prétexte d'une défaillance. On nous envie notre architecture. La création d'une commission du SMR ? Elle ferait doublon avec la commission de la transparence. Mieux vaut revoir le fonctionnement interne de ces agences, leurs procédures, leur financement, leur gestion, l'articulation avec le niveau européen ; renforcer la pharmacovigilance et prêter plus d'attention à la postcommercialisation. Dans le Vidal, il est indiqué que le Mediator est un adjuvant du régime adapté dans les hypertriglycéridémies et un adjuvant -encore ! - du régime adapté chez les diabétiques avec surcharge pondérale. De là à en faire un coupe-faim pour tous... Le problème est donc plus complexe : le médicament a certes des effets nocifs, mais il a surtout été mal utilisé. Notre architecture n'est pas mauvaise ; évitons de la modifier en permanence.
Vous dites que des pressions s'exercent constamment sur l'Afssaps, cela inquiète d'autant plus nos concitoyens que, les experts y étant déjà nombreux à entretenir des liens avec les laboratoires pharmaceutiques, l'Agence constitue une sorte de milieu propice aux conflits d'intérêts.
Votre cabinet aurait donc été court-circuité par une Agence dont on pouvait craindre l'action limitée par des conflits d'intérêts. Les médicaments sont certes nombreux - 48 000 sur le marché -, des milliers s'y présentent chaque année, mais compte tenu de l'enjeu pour la santé publique, on comprend mal pourquoi le seul indicateur d'alerte ait été le remboursement devenu trop lourd du Mediator par la sécurité sociale ! Votre cabinet ou, à tout le moins, les experts qui le conseillaient, n'étaient-ils pas informés de ce que la molécule de l'Isoméride avait été retirée de certains pays européens ? C'est difficile à admettre... Le ministre est responsable, même s'il n'est pas coupable, mais vous nous dites, vous, que vous ne saviez rien !
L'Isoméride a été retiré de la vente en France en septembre 1997 ; s'il y avait une étude à faire sur la dangerosité des molécules voisines, il aurait fallu la faire immédiatement après, soit bien avant que je ne prenne mes fonctions, en 2002. Mon cabinet, ensuite, n'a pas été court-circuité par l'Agence du médicament, puisque le ministre n'est nullement dans le circuit : c'est l'Afssaps qui établit la dangerosité d'un médicament et qui en demande le retrait du marché, ce dont elle informe le ministre ; elle est indépendante.
J'ai toujours pensé que le ministre de la santé devrait avoir l'oeil sur tout ce qui touche à la santé, y compris l'environnement et l'alimentation, mais je sais que ce n'est matériellement pas possible. J'ai aimé ce que j'ai fait et j'ai fait ce que j'ai pu - et je sais qu'on ne peut pas tout voir. L'Afssaps existait depuis deux ans à peine, je n'allais pas la suspecter d'emblée. Et je ne m'en suis pas désintéressé, puisque j'en ai renouvelé le directeur, comme on me le conseillait, et l'Agence a fait l'objet d'une mission commune de l'Igas et de l'IGF dès 2002.
Vous reconnaissez que plus de vingt-deux ans pour commencer à découvrir la dangerosité du Mediator, c'est long : c'est effectivement très long ! Un premier problème ne concerne-t-il pas le mode de désignation des membres de l'Afssaps, sachant que 71 % d'entre eux ont fait une déclaration d'intérêts ? Ne faut-il pas d'abord régler la question des conflits d'intérêts qui appellent un meilleur contrôle de cette agence et un autre mode de désignation de ses membres ?
On sait aussi que le Mediator n'a été prescrit pour le diabète que dans 22 % des cas, alors que c'était sa première indication : n'est-ce pas une dérive ? Comment la pharmacovigilance aurait-elle pu l'éviter ?
Je n'ai pas de certitude. Bien des membres de l'Afssaps font face à des conflits d'intérêts, je crois qu'ils les tranchent dans le sens de l'intérêt général, qu'ils sont honnêtes. J'ai eu moi-même à recevoir des dirigeants des laboratoires Servier qui, sans me parler d'argent, étaient venus me dire que deux nouveaux médicaments devaient être introduits sur le marché, que c'était l'intérêt général... Je n'ai pas accédé à leur demande.
Je crois que les expérimentateurs pharmacologiques ont besoin des industriels pharmaceutiques, et que nous perdrions beaucoup à instaurer un climat de suspicion général, qui conduirait les laboratoires à préférer travailler dans d'autres pays que le nôtre. En revanche, nous progresserons avec un réseau efficace de pharmacovigilance, avec un mécanisme de déclaration obligatoire. L'affaire du Mediator montre que les effets néfastes étaient repérables en cardiologie beaucoup plus que dans la population générale, où ils étaient statistiquement trop faibles pour être repérés par l'Afssaps.
Je crois donc qu'il ne faut pas changer l'architecture de notre système, mais l'assainir et lui donner plus de moyens. Cela passe par un véritable statut de l'expert, avec une rémunération suffisante : j'ai initié le mouvement, en obtenant de Bercy que les chefs de cliniques libéraux qui viennent donner leur avis sur des médicaments, puissent être rémunérés. Il faut aller plus loin, parce que, s'il est toujours plus facile de se reposer sur le privé pour financer l'expertise, je ne crois pas que ce soit la solution la plus saine pour la santé publique.
Monsieur Babusiaux, l'Institut des données de santé (IDS), que vous présidez, a pour mission - nous apprend son site Internet - de « favoriser les échanges d'informations entre les acteurs du système de santé et de contribuer à une meilleure gouvernance, dans le respect des règles éthiques ». Merci de nous en dire davantage sur cet Institut et sur votre analyse de l'affaire du Mediator.
Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer sur ce drame. Je le ferai en tant que président de l'Institut des données de santé (IDS), sans que mon propos engage la Cour des comptes, dont je préside la première chambre. Antérieurement, j'ai, par ailleurs, eu à connaître de questions concernant le médicament.
L'affaire du Mediator a mis en évidence des problèmes qui appelaient des solutions depuis longtemps. C'est à l'aune de ce drame qu'il faut regarder des sujets qui peuvent paraître techniques. La santé publique exige, en effet, des données sur les médicaments, pour en connaître les prescriptions, la consommation et les risques.
Ces données sont de deux types bien distincts. Il y a les données qui résultent de la pharmacovigilance : elles sont occasionnelles et si elles peuvent déclencher l'alerte, elles ne sont pas de nature à constituer des bases de données. Il y a ensuite les données méthodiquement enregistrées et que l'on peut ranger en bases de données, par exemple sur les médicaments prescrits à l'hôpital, ou encore sur le remboursement des médicaments. Ces bases de données sont au coeur du domaine de l'IDS. Dans l'affaire du Mediator, les données pharmacologiques ont permis de déclencher l'alerte, et c'est ensuite par l'exploitation de bases de données plus larges qu'on pourra mesurer le risque à une échelle plus générale.
Ces données, d'abord, doivent couvrir une durée suffisamment longue, pour identifier des maladies qui se déclenchent progressivement, ou pour les données épidémiologiques sur les risques. L'un des paradoxes de notre système de santé est que, si nous disposons de bases de données cohérentes, en particulier le Sniram (système national d'informations inter-régions d'assurance maladie, où sont enregistrés les remboursements de médicaments), ces données ne sont pas conservées suffisamment longtemps : deux ans plus l'année en cours pour les remboursements de médicaments, par exemple. Ainsi, j'ai écrit en juillet dernier au président de la Commission nationale de l'information et des libertés (Cnil) pour étendre la durée de la conservation de ces données. Il m'a répondu immédiatement, dans un sens plutôt favorable, en reconnaissant qu'un intérêt de santé publique était d'étendre la conservation de ces données.
Ces données, ensuite, doivent être articulées entre elles, il faut ce qu'on appelle un « chaînage ». Cela s'est fait pour le Mediator, puisqu'on a rapproché les informations recueillies auprès des médecins de ville et celles collectées à l'hôpital issues du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), mais ces rapprochements ne sont pas systématiques, ce qui est très regrettable.
Ces données, enfin, doivent être accessibles : l'évaluation est nécessairement pluraliste. Or, pour des motifs juridiques, les données dont nous disposons sont d'un accès très restreint. Dans l'affaire du Mediator, il a fallu que ce soit des chercheurs extérieurs et une revue indépendante comme Prescrire qui alerte sur les problèmes qui étaient susceptibles de se poser. L'évaluation doit être nécessairement pluraliste. De nombreux acteurs, y compris les entreprises du médicament, se voient refuser l'accès à ces données, ce qui empêche de conduire des études préalables. On peut reprocher aux laboratoires pharmaceutiques, non sans raison, de ne pas procéder à suffisamment d'études préalables, mais on leur refuse une partie de l'information, poussant chacun à jouer une sorte de « poker menteur » - au détriment de la santé publique.
Quelques éléments sur l'Institut des données de santé. Prévu par la loi de 2004, il n'a été installé qu'en 2007. Il n'a fonctionné réellement qu'à partir de la fin de l'année 2007 et le début de l'année 2008. C'est une petite structure ayant la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP), avec cinq salariés à temps plein, mais c'est une première en France que d'essayer de regrouper et de mettre à disposition les données de santé. Nous rédigeons un rapport annuel, dont les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat reçoivent communication. Le dernier en date a été publié en janvier 2011. Nous progressons donc sur cette question très difficile, mais il faudrait avoir les moyens d'aller plus vite.
Les questions de données ne doivent pas masquer les questions de fond posées par l'affaire du Mediator, comme la surconsommation de médicaments qui est chronique en France ou la nécessité de développer les études post-AMM, que soulignait déjà la Cour des comptes en 1998 dans son rapport sur la sécurité sociale. La Cour y déplorait déjà que la Sécurité sociale rembourse des médicaments sans réel service médical rendu (SMR) ; comme l'apport d'un médicament résulte de la balance entre les bénéfices et les risques, il est évident que, sans bénéfice, le risque l'emporte. L'affaire du Mediator a encore posé la question du contrôle du médicament par l'assurance maladie, puisqu'il y a des prescriptions hors AMM. Un autre sujet est l'utilité d'une alerte à l'échelle européenne : lorsque j'étais directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, nous avions bâti un système d'alerte, mais pour d'autres produits que le médicament.
Je me réjouis d'autant plus de vous recevoir, monsieur le président, que nous avions souligné, dans notre rapport de 2006, la nécessité de mettre en place un Institut des données de santé. Au moins une des propositions de notre rapport a été suivie d'effets.
Vous avez évoqué deux types de données, révélées par la pharmacovigilance et le remboursement. Nous recherchons aujourd'hui un système d'alerte capable de prévenir les crises sanitaires comme celle du Mediator : pensez-vous qu'en croisant les deux types d'informations que vous nous avez présentées, nous y parviendrions ?
Avez-vous eu connaissance, depuis 2007, d'effets indésirables liés au Mediator ? Il était connu, par exemple, que le benfluorex n'était pas utilisé dans les préparations magistrales, mais qu'il continuait de l'être dans les préparations pharmaceutiques. Cette donnée ne vous a-t-elle pas alerté ?
Enfin, envisagez-vous des évolutions de l'Institut des données de santé pour mieux évaluer et contrôler le médicament ?
A l'heure actuelle, l'Institut ne traite pas les données, pas plus qu'il ne les centralise : il n'en a pas les moyens avec cinq salariés à temps plein et il n'a pas vocation à faire des études. Mais nous cherchons à développer les bases de données, nécessaires aux épidémiologistes. Je crois que leur accès doit être ouvert, aux assurances complémentaires comme à des organismes tels que la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Sans aller jusqu'à un accès généralisé aux fichiers, des progrès ont d'ores et déjà été accomplis, alors que nous étions auparavant, en France, à la préhistoire des données.
Par ailleurs, aujourd'hui les données ne sont pas articulées, ou alors seulement de manière artisanale, au cas par cas. Par exemple, dans le fichier des données de remboursement qu'est le SNIRAM, vous pouvez lire des informations sur les prescriptions et les remboursements en ville, mais sans pouvoir établir de lien avec les données d'hospitalisation. Améliorer ce dispositif est aujourd'hui est un de nos grands combats, afin de lever une limite essentielle à la connaissance du système de santé par les épidémiologistes et les chercheurs. Il faut connecter les fichiers de la médecine de ville et de l'hôpital, c'est dans l'intérêt de la santé publique. Elles doivent être accessibles aux chercheurs et, je crois, aux laboratoires, dans des conditions strictes d'utilisation, pour mener des études post-AMM.
Nos compatriotes constatent que tout un système d'agences, de comités et d'instituts a été mis en place pour surveiller les médicaments, mais que le Mediator est passé à travers les mailles : comment éviter les crises sanitaires et assurer une meilleure réactivité des autorités publiques ?
Les risques du Mediator ont été identifiés par la pharmacovigilance, sans qu'il ait été besoin de mobiliser des bases de données plus larges, indépendamment des mesures statistiques qui ont ensuite été conduites. Le risque était détecté dans d'autres pays européens, mais nous ne disposons pas d'un réseau d'alerte européen.
La pharmacovigilance a donc fonctionné et je crois que le bât a blessé plutôt par le réseau d'alerte, par les lacunes liées au défaut d'obligation de déclaration, et par des conflits d'intérêts au sein des trois commissions - de la pharmacovigilance, de l'AMM et de la transparence. Ces sujets fondamentaux se situent en amont de l'alerte, indépendamment des bases de données utilisées en aval pour quantifier le risque.
Si l'IDS avait été installé plus tôt, aurait-il pu alerter davantage sur le Mediator ?
Grâce au législateur, par le vote de la loi de 2004 puis le rapport sénatorial de 2006, l'IDS a pu être mis en place, même s'il a fallu attendre un délai de trois ans. Concernant la possible détection des effets du Mediator, je ne crois pas que l'IDS aurait pu jouer un rôle, car le problème était déjà détecté par la pharmacovigilance. Sur le marché du médicament, on trouve une majorité de médicaments anciens, qui n'ont donc jamais fait l'objet d'études post-AMM. Le système se braque sur les médicaments nouveaux, qui donnent lieu à des études post-AMM et à des plans de gestion des risques au niveau européen. Par ailleurs, le renouvellement d'une AMM ne déclenche pas d'étude. Il faut, d'une part, garantir l'indépendance des sonneurs d'alerte et, d'autre part, mieux suivre les médicaments dans le temps. Quoi qu'il en soit, jamais une base de données ne donnera seule l'alerte.
Vous dites que le chaînage des données n'est pas possible, mais le professeur Hubert Allemand, médecin conseil de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), nous a dit que la CNAM disposait des données de la médecine de ville depuis 2005 et qu'elle les avait croisées depuis 2009 avec celles de l'hôpital pour éclaircir l'affaire du Mediator. Qu'en est-il ?
Oui, ces données ont été croisées manuellement, à une échelle parfaitement artisanale, alors qu'il faudrait conduire plusieurs études d'épidémiologie d'envergure chaque année. Au sein de l'IDS, nous avons confié à un comité d'experts, avec à sa tête le professeur Didier Sicard, qui a présidé le Comité consultatif national d'éthique, et d'autres personnalités éminentes parmi lesquelles Annick Alpérovitch et Brigitte Dormont, le soin de rédiger un Livre blanc sur les données dont les chercheurs ont besoin. Il n'y a donc pas de contradiction : apparemment, les chercheurs de la CNAM ont pu faire le chaînage, mais ils n'ont pas pu le réaliser par un travail de routine.
Avec ces données, avez-vous connaissance du nombre de personnes souffrant d'hypertensions artérielles pulmonaires et ayant pris du Mediator à un moment ou à un autre de leur vie ? On peut lire des estimations de 500 à 2 000 morts, mais le risque est très flou sur le nombre de personnes exposées et d'opérations : comment peut-on être plus précis sur la morbidité et le risque ? Et comment d'éviter à l'avenir d'autres affaires telles que le Mediator ?
Avez-vous, ensuite, des correspondants européens, avec lesquels échanger vos données, pour disposer de cohortes plus importantes et mener des études plus larges ?
L'Institut des données de santé n'a pas vocation à réaliser des études. Mais j'insisterai sur l'échelle temporelle des séries conservées. Actuellement, la CNAM est autorisée à conserver les données de la médecine de ville pendant deux ans, en plus de l'année en cours ; il semble qu'elle les conserve un peu plus longtemps, ce qui explique que l'étude à laquelle il est fait référence porte sur une durée de trois années, à laquelle s'ajoute l'année en cours. Sinon, la CNAM doit archiver ces données pendant dix ans : cela même ne me paraît pas suffisant et, surtout, l'archivage papier ne permet pas aux chercheurs de travailler en ligne. Pour déterminer les risques liés au cancer, par exemple, il est essentiel de pouvoir étudier les parcours sur plusieurs décennies. En fait, notre système est adapté à des études économiques de court terme, beaucoup plus qu'à des études épidémiologiques et sur les risques.
A l'étranger, une expérience se distingue : le General Practice Research Database (GPRD) britannique, qui reçoit les données directement des professionnels de santé depuis leurs postes, et qui alimente les études post-AMM. Le GPRD dispose de dix fois plus de moyens en personnes que notre Institut.
Si nous ne sommes pas allé à Londres, nous avons, pour notre part, reçu le directeur du GPRD. Le Livre blanc que je vous ai cité décrit sommairement cette expérience, elle mérite d'être regardée de près. Le système britannique est très ouvert, ce qui me semble un avantage. Car la crise se produit là où on ne l'attend pas : l'évaluation doit être pluraliste, car aucun organisme ne saurait être omniscient.