Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer sur ce drame. Je le ferai en tant que président de l'Institut des données de santé (IDS), sans que mon propos engage la Cour des comptes, dont je préside la première chambre. Antérieurement, j'ai, par ailleurs, eu à connaître de questions concernant le médicament.
L'affaire du Mediator a mis en évidence des problèmes qui appelaient des solutions depuis longtemps. C'est à l'aune de ce drame qu'il faut regarder des sujets qui peuvent paraître techniques. La santé publique exige, en effet, des données sur les médicaments, pour en connaître les prescriptions, la consommation et les risques.
Ces données sont de deux types bien distincts. Il y a les données qui résultent de la pharmacovigilance : elles sont occasionnelles et si elles peuvent déclencher l'alerte, elles ne sont pas de nature à constituer des bases de données. Il y a ensuite les données méthodiquement enregistrées et que l'on peut ranger en bases de données, par exemple sur les médicaments prescrits à l'hôpital, ou encore sur le remboursement des médicaments. Ces bases de données sont au coeur du domaine de l'IDS. Dans l'affaire du Mediator, les données pharmacologiques ont permis de déclencher l'alerte, et c'est ensuite par l'exploitation de bases de données plus larges qu'on pourra mesurer le risque à une échelle plus générale.
Ces données, d'abord, doivent couvrir une durée suffisamment longue, pour identifier des maladies qui se déclenchent progressivement, ou pour les données épidémiologiques sur les risques. L'un des paradoxes de notre système de santé est que, si nous disposons de bases de données cohérentes, en particulier le Sniram (système national d'informations inter-régions d'assurance maladie, où sont enregistrés les remboursements de médicaments), ces données ne sont pas conservées suffisamment longtemps : deux ans plus l'année en cours pour les remboursements de médicaments, par exemple. Ainsi, j'ai écrit en juillet dernier au président de la Commission nationale de l'information et des libertés (Cnil) pour étendre la durée de la conservation de ces données. Il m'a répondu immédiatement, dans un sens plutôt favorable, en reconnaissant qu'un intérêt de santé publique était d'étendre la conservation de ces données.
Ces données, ensuite, doivent être articulées entre elles, il faut ce qu'on appelle un « chaînage ». Cela s'est fait pour le Mediator, puisqu'on a rapproché les informations recueillies auprès des médecins de ville et celles collectées à l'hôpital issues du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), mais ces rapprochements ne sont pas systématiques, ce qui est très regrettable.
Ces données, enfin, doivent être accessibles : l'évaluation est nécessairement pluraliste. Or, pour des motifs juridiques, les données dont nous disposons sont d'un accès très restreint. Dans l'affaire du Mediator, il a fallu que ce soit des chercheurs extérieurs et une revue indépendante comme Prescrire qui alerte sur les problèmes qui étaient susceptibles de se poser. L'évaluation doit être nécessairement pluraliste. De nombreux acteurs, y compris les entreprises du médicament, se voient refuser l'accès à ces données, ce qui empêche de conduire des études préalables. On peut reprocher aux laboratoires pharmaceutiques, non sans raison, de ne pas procéder à suffisamment d'études préalables, mais on leur refuse une partie de l'information, poussant chacun à jouer une sorte de « poker menteur » - au détriment de la santé publique.
Quelques éléments sur l'Institut des données de santé. Prévu par la loi de 2004, il n'a été installé qu'en 2007. Il n'a fonctionné réellement qu'à partir de la fin de l'année 2007 et le début de l'année 2008. C'est une petite structure ayant la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP), avec cinq salariés à temps plein, mais c'est une première en France que d'essayer de regrouper et de mettre à disposition les données de santé. Nous rédigeons un rapport annuel, dont les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat reçoivent communication. Le dernier en date a été publié en janvier 2011. Nous progressons donc sur cette question très difficile, mais il faudrait avoir les moyens d'aller plus vite.
Les questions de données ne doivent pas masquer les questions de fond posées par l'affaire du Mediator, comme la surconsommation de médicaments qui est chronique en France ou la nécessité de développer les études post-AMM, que soulignait déjà la Cour des comptes en 1998 dans son rapport sur la sécurité sociale. La Cour y déplorait déjà que la Sécurité sociale rembourse des médicaments sans réel service médical rendu (SMR) ; comme l'apport d'un médicament résulte de la balance entre les bénéfices et les risques, il est évident que, sans bénéfice, le risque l'emporte. L'affaire du Mediator a encore posé la question du contrôle du médicament par l'assurance maladie, puisqu'il y a des prescriptions hors AMM. Un autre sujet est l'utilité d'une alerte à l'échelle européenne : lorsque j'étais directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, nous avions bâti un système d'alerte, mais pour d'autres produits que le médicament.