Intervention de Jean-Paul Emorine

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 27 avril 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Claude Volot médiateur des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance

Photo de Jean-Paul EmorineJean-Paul Emorine, président :

Nous avons plaisir à accueillir aujourd'hui M. Jean-Claude Volot, médiateur des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance, en poste depuis le 6 avril 2010. L'activité de la médiation, placée auprès du Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, représente un enjeu important pour la Commission de l'économie du Sénat, en raison de son impact sur les différentes filières économiques, notamment la filière automobile. Par ailleurs, l'expression même de sous-traitance est malheureuse à mes yeux : nous devons réfléchir pour trouver un nouveau terme dans une société où la contractualisation occupe une place croissante.

Jean-Claude Volot, médiateur. - La médiation des relations inter-entreprises existe depuis un an. La sous-traitance, d'un point de vue juridique, ne représente que 40 % des relations entre entreprises. Elle ne doit pas être confondue avec l'activité des façonniers, des prestataires de service ou encore des équipementiers. Le champ d'application de la médiation est celui visé par Bruno Retailleau dans son rapport sur les entreprises de taille intermédiaire (ETI), qu'il a remis en février 2010 au Premier ministre. J'ai participé, aux côtés de René Ricol, à la création de la médiation du crédit. Nous avons alors constaté que les entreprises étaient confrontées à un accès difficile au crédit bancaire, mais connaissaient aussi de graves problèmes avec les entreprises donneuses d'ordre. N'oublions pas que les crédits entre entreprises atteignent des niveaux très importants aujourd'hui. Le montant des crédits à court terme des entreprises auprès des banques est quatre fois moins important que celui entre entreprises. Si bien que les vrais banquiers des entreprises aujourd'hui, ce sont les entreprises ! Dans de nombreux cas, les efforts déployés par les services de l'État pour desserrer l'étau des crédits bancaires sont réduits à néant par le comportement des entreprises donneuses d'ordre. Le rapport précité de Bruno Retailleau a montré que les PME françaises ne grandissaient pas assez vite comparé à leurs homologues allemandes. Les États généraux de l'industrie qui ont réunis 5 000 participants en France, ont mis l'accent sur la nécessité d'arrêter les comportements abusifs des grands donneurs d'ordre.

En accord avec le ministre de l'industrie de l'époque, M. Christian Estrosi, la mission s'est fixé 3 objectifs. Tout d'abord, ré-humaniser la relation entre clients et fournisseurs. À une époque où les relations dématérialisées sont prédominantes, il est urgent de renouer avec les contacts humains pour résoudre les différends entre entreprises. Cela paraît trivial, mais faire se rencontrer et discuter les dirigeants d'entreprise permet de trouver une solution aux différends qui les opposent dans plus de 85 % des cas. Deuxièmement, insister sur la nécessité pour les PME d'assurer leur indépendance stratégique. L'intérêt bien compris des sous-traitants est de diversifier leurs donneurs d'ordre pour ne jamais dépendre d'une seule grosse entreprise. Enfin, favoriser la création de filières pour lesquelles les grandes entreprises se sentent responsables.

Concrètement, comment agit la médiation inter-entreprises ?

En premier lieu, les entreprises peuvent nous saisir à titre individuel sur notre site internet. Toutefois, force est de constater que beaucoup de sous-traitants ont peur des réactions de leurs donneurs d'ordre. L'omerta est ici la règle comme je l'ai dit avec force dans un récent article paru dans le journal « Les Echos ». La raison en est simple : les PME sous-traitantes craignent d'être stigmatisées, « blacklistées » et de perdre des contrats si elles dénoncent des comportements illégaux de leurs donneurs d'ordre. Vous avez la responsabilité, en tant que sénateurs, de sensibiliser sur le terrain les chefs d'entreprises pour libérer la parole. Je me tiens d'ailleurs à votre entière disposition pour vous accompagner à la rencontre des entreprises situées sur vos territoires. La médiation doit devenir un réflexe en France, comme elle l'est au Canada.

En deuxième lieu, les entreprises peuvent intervenir de manière collective. Cette action peut se situer dans le cadre des chambres de commerce et d'industrie ou des chambres de métiers, par exemple. Elle permet d'éviter la divulgation de l'identité des sous-traitants concernés auprès du donneur d'ordre. Les saisines collectives du médiateur sont les plus nombreuses, en termes de nombre d'entreprises concernées et d'emplois mais pas en nombre de saisines.

Enfin, nous avons examiné les pratiques de la sous-traitance pour identifier celles qui portent tort aux PME et proposer les modifications de la législation qui s'avèreraient nécessaires. Nous avons ainsi identifié l'an passé 36 défauts relationnels et nous avons pu vérifier que le droit existant offre un cadre suffisant pour lutter contre eux. Ce dont nous avons besoin, ce n'est donc pas de nouveaux textes, c'est avant tout que les textes existant soient appliqués. Le manque de contrôle et une permissivité qui semble être une spécificité française dans ce domaine permettent en effet à ces pratiques inter-entreprises de se développer dans la plus totale illégalité. Inexorablement, les grands groupes tirent ainsi les marges vers eux au détriment des petites entreprises. L'opinion publique et le Parlement concentrent leur attention sur la grande distribution mais tous les secteurs d'activité sont concernés ! Il n'existe pas de secteur plus vertueux ou vicieux que d'autres. L'abus de position dominante est généralisé. Dans 10 % des cas cependant, ce sont les grandes entreprises qui nous saisissent pour protester contre le comportement des petites entreprises dont l'activité est spécifique et se trouvent donc ainsi en position de force.

Un point maintenant sur la propriété intellectuelle. Elle est aujourd'hui bafouée en France. Le contour de cette notion est mal défini dans notre droit. Il existe désormais un consensus pour créer un brevet allégé dont la validité serait réduite de vingt à six ans. Ce brevet existe déjà en France sous le nom de « certificat d'utilité », mais il demeure largement perfectible si l'on s'inspire de l'expérience australienne ou hollandaise. J'observe que le futur brevet mondial a pris très largement modèle sur notre brevet européen. C'est une bonne chose mais il convient de rappeler que le brevet européen coûte cher et alourdit les procédures. J'attire l'attention des législateurs que vous êtes sur le comportement anormal de certaines collectivités publiques lors des appels d'offres. Certaines n'hésitent pas à divulguer des innovations technologiques des entreprises à leurs concurrentes, alors que le code des marchés publics interdit de tels agissements.

Je vous remercie pour votre exposé et votre proposition d'accompagner nos sénateurs sur le terrain pour sensibiliser nos chefs d'entreprises sur les missions de votre médiation. Je rappelle ainsi que le rapport de la mission commune d'information sur la désindustrialisation des territoires, au-delà de certaines divergences sur les préconisations, a établi un diagnostic commun sur les atouts mais aussi les faiblesses de notre pays dans le domaine industriel.

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