Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission entend M. Jean-Claude Volot, médiateur des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance.
Nous avons plaisir à accueillir aujourd'hui M. Jean-Claude Volot, médiateur des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance, en poste depuis le 6 avril 2010. L'activité de la médiation, placée auprès du Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, représente un enjeu important pour la Commission de l'économie du Sénat, en raison de son impact sur les différentes filières économiques, notamment la filière automobile. Par ailleurs, l'expression même de sous-traitance est malheureuse à mes yeux : nous devons réfléchir pour trouver un nouveau terme dans une société où la contractualisation occupe une place croissante.
Jean-Claude Volot, médiateur. - La médiation des relations inter-entreprises existe depuis un an. La sous-traitance, d'un point de vue juridique, ne représente que 40 % des relations entre entreprises. Elle ne doit pas être confondue avec l'activité des façonniers, des prestataires de service ou encore des équipementiers. Le champ d'application de la médiation est celui visé par Bruno Retailleau dans son rapport sur les entreprises de taille intermédiaire (ETI), qu'il a remis en février 2010 au Premier ministre. J'ai participé, aux côtés de René Ricol, à la création de la médiation du crédit. Nous avons alors constaté que les entreprises étaient confrontées à un accès difficile au crédit bancaire, mais connaissaient aussi de graves problèmes avec les entreprises donneuses d'ordre. N'oublions pas que les crédits entre entreprises atteignent des niveaux très importants aujourd'hui. Le montant des crédits à court terme des entreprises auprès des banques est quatre fois moins important que celui entre entreprises. Si bien que les vrais banquiers des entreprises aujourd'hui, ce sont les entreprises ! Dans de nombreux cas, les efforts déployés par les services de l'État pour desserrer l'étau des crédits bancaires sont réduits à néant par le comportement des entreprises donneuses d'ordre. Le rapport précité de Bruno Retailleau a montré que les PME françaises ne grandissaient pas assez vite comparé à leurs homologues allemandes. Les États généraux de l'industrie qui ont réunis 5 000 participants en France, ont mis l'accent sur la nécessité d'arrêter les comportements abusifs des grands donneurs d'ordre.
En accord avec le ministre de l'industrie de l'époque, M. Christian Estrosi, la mission s'est fixé 3 objectifs. Tout d'abord, ré-humaniser la relation entre clients et fournisseurs. À une époque où les relations dématérialisées sont prédominantes, il est urgent de renouer avec les contacts humains pour résoudre les différends entre entreprises. Cela paraît trivial, mais faire se rencontrer et discuter les dirigeants d'entreprise permet de trouver une solution aux différends qui les opposent dans plus de 85 % des cas. Deuxièmement, insister sur la nécessité pour les PME d'assurer leur indépendance stratégique. L'intérêt bien compris des sous-traitants est de diversifier leurs donneurs d'ordre pour ne jamais dépendre d'une seule grosse entreprise. Enfin, favoriser la création de filières pour lesquelles les grandes entreprises se sentent responsables.
Concrètement, comment agit la médiation inter-entreprises ?
En premier lieu, les entreprises peuvent nous saisir à titre individuel sur notre site internet. Toutefois, force est de constater que beaucoup de sous-traitants ont peur des réactions de leurs donneurs d'ordre. L'omerta est ici la règle comme je l'ai dit avec force dans un récent article paru dans le journal « Les Echos ». La raison en est simple : les PME sous-traitantes craignent d'être stigmatisées, « blacklistées » et de perdre des contrats si elles dénoncent des comportements illégaux de leurs donneurs d'ordre. Vous avez la responsabilité, en tant que sénateurs, de sensibiliser sur le terrain les chefs d'entreprises pour libérer la parole. Je me tiens d'ailleurs à votre entière disposition pour vous accompagner à la rencontre des entreprises situées sur vos territoires. La médiation doit devenir un réflexe en France, comme elle l'est au Canada.
En deuxième lieu, les entreprises peuvent intervenir de manière collective. Cette action peut se situer dans le cadre des chambres de commerce et d'industrie ou des chambres de métiers, par exemple. Elle permet d'éviter la divulgation de l'identité des sous-traitants concernés auprès du donneur d'ordre. Les saisines collectives du médiateur sont les plus nombreuses, en termes de nombre d'entreprises concernées et d'emplois mais pas en nombre de saisines.
Enfin, nous avons examiné les pratiques de la sous-traitance pour identifier celles qui portent tort aux PME et proposer les modifications de la législation qui s'avèreraient nécessaires. Nous avons ainsi identifié l'an passé 36 défauts relationnels et nous avons pu vérifier que le droit existant offre un cadre suffisant pour lutter contre eux. Ce dont nous avons besoin, ce n'est donc pas de nouveaux textes, c'est avant tout que les textes existant soient appliqués. Le manque de contrôle et une permissivité qui semble être une spécificité française dans ce domaine permettent en effet à ces pratiques inter-entreprises de se développer dans la plus totale illégalité. Inexorablement, les grands groupes tirent ainsi les marges vers eux au détriment des petites entreprises. L'opinion publique et le Parlement concentrent leur attention sur la grande distribution mais tous les secteurs d'activité sont concernés ! Il n'existe pas de secteur plus vertueux ou vicieux que d'autres. L'abus de position dominante est généralisé. Dans 10 % des cas cependant, ce sont les grandes entreprises qui nous saisissent pour protester contre le comportement des petites entreprises dont l'activité est spécifique et se trouvent donc ainsi en position de force.
Un point maintenant sur la propriété intellectuelle. Elle est aujourd'hui bafouée en France. Le contour de cette notion est mal défini dans notre droit. Il existe désormais un consensus pour créer un brevet allégé dont la validité serait réduite de vingt à six ans. Ce brevet existe déjà en France sous le nom de « certificat d'utilité », mais il demeure largement perfectible si l'on s'inspire de l'expérience australienne ou hollandaise. J'observe que le futur brevet mondial a pris très largement modèle sur notre brevet européen. C'est une bonne chose mais il convient de rappeler que le brevet européen coûte cher et alourdit les procédures. J'attire l'attention des législateurs que vous êtes sur le comportement anormal de certaines collectivités publiques lors des appels d'offres. Certaines n'hésitent pas à divulguer des innovations technologiques des entreprises à leurs concurrentes, alors que le code des marchés publics interdit de tels agissements.
Je vous remercie pour votre exposé et votre proposition d'accompagner nos sénateurs sur le terrain pour sensibiliser nos chefs d'entreprises sur les missions de votre médiation. Je rappelle ainsi que le rapport de la mission commune d'information sur la désindustrialisation des territoires, au-delà de certaines divergences sur les préconisations, a établi un diagnostic commun sur les atouts mais aussi les faiblesses de notre pays dans le domaine industriel.
Je remercie Jean-Claude Volot pour son intervention sur ce sujet aussi fondamental. Dans le rapport que j'ai récemment remis au Premier ministre, j'ai cherché à savoir pourquoi les PME françaises croissent moins vite que leurs homologues allemandes. Notre pays compte deux fois moins d'entreprises de taille intermédiaire par rapport à l'Allemagne ou à la Grande-Bretagne. Lors de mon déplacement dans le Bade-Württemberg, j'ai pu constater que la force des entreprises allemandes vient de l'instauration de relations apaisées entre les donneurs d'ordre et les sous-traitants. En France, aujourd'hui, sous-traitance rime malheureusement trop souvent avec maltraitance. Malgré la loi de 1975 sur la sous-traitance, l'activité de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la signature par un nombre croissant de la charte de bonne pratique de donneurs d'ordre et PME et l'intervention du juge, la situation en France n'est pas satisfaisante. J'ajoute que le juge est rarement saisi par les entreprises et souvent trop tardivement. Je pense pour ma part que la création d'une médiation des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance est une bonne chose. La personnalité de Jean-Claude Volot, sa détermination et son expérience professionnelle sont pour beaucoup dans son succès. Lorsqu'il est venu dans mon département, il a pu s'appuyer sur les services déconcentrés de la Banque de France. D'où ma question : comment peut-on donner un ancrage territorial à la Médiation pour rendre son travail efficace et pérenne ?
Le problème de la sous-traitance et de la mise en concurrence à l'échelle mondiale, ce que l'on appelle le « global sourcing », est fondamental. Les grands groupes industriels ne doivent pas oublier que tous les sous-traitants sont indispensables pour atteindre leurs objectifs. Si les sous-traitants de rang 1 s'en sortent plutôt bien, il n'en va pas de même des sous-traitants de rang 2 et suivants. Ces sous-traitants sont en effet confrontés à une mauvaise application de la loi dite « LME » et à des difficultés d'accès au crédit, malgré l'intervention d'OSEO. Comment peut-on lutter contre l'omerta qui règne dans ce domaine ? Il faut, selon moi, que les PME diversifient leurs donneurs d'ordre pour mutualiser les risques. Par ailleurs, je rejoins mon collègue Bruno Retailleau car je souhaite que l'on encourage les « écosystèmes productifs » suivant l'exemple du Bade-Wurtemberg. Enfin, nous devons mettre en place des contrats de filières pour éviter que ne se répètent les funestes anecdotes du modèle C4 de Citroën ou de la 3008 de Peugeot. Leurs livraisons avaient été retardées du fait de l'indisponibilité de certaines pièces due à la faillite de certains sous-traitants automobiles. Les grandes entreprises doivent comprendre qu'il est de leur intérêt de veiller constamment à la bonne santé de leurs sous-traitants et pas seulement lors des périodes de crise.
Mes questions portent sur l'efficacité de la médiation. Si celle-ci paraît être une procédure efficace pour faire face à des pratiques abusives telles que le non respect des clauses d'un contrat, je suis moins convaincu en revanche de son utilité pour un problème comme le non respect du droit de la propriété intellectuelle. Quel est votre sentiment sur ce point ? Je souhaiterais également en savoir plus sur la mesure de l'efficacité de la médiation inter entreprises : nombre de PME ayant recours à elle, proportion des procédures des médiations permettant de régler les problèmes rencontrés sans avoir à passer par un litige devant les tribunaux ?
La démarche de la médiation inter entreprises a son utilité, mais elle s'inscrit dans une logique de thérapie plutôt que de prévention. Il faudrait attaquer le problème des déséquilibres économiques à sa racine et, là-dessus, je ferai deux constats. Le premier concerne la taille insuffisante des PME française. Pour réduire leur dépendance vis-à-vis des grands donneurs d'ordre, il faut favoriser leur croissance. On retrouve ici la question de l'insuffisance des fonds propres des PME et celle de l'insuffisance des mécanises de coopération et de regroupement entre PME. Mon second constat concerne le bilan de la LME. Cette loi a apporté du mieux sur les délais de paiement. Dont acte. Pour le reste, les relations économiques au sein des filières demeurent marquées par des rapports de forces extrêmement brutaux.
Concernant la nécessité de faire émerger des leaders ayant la capacité et la responsabilité de promouvoir le développement équilibré des filières, je me demande comment cela est possible si, à la base, ces filières ne sont pas définies et structurées correctement. Le cas de la filière photovoltaïque l'illustre : la politique du gouvernement dans ce domaine a alimenté une bulle spéculative et entraîné des importations massives alors qu'il y avait la possibilité de faire émerger une filière nationale innovante.
Mon dernier point concernera le pillage intellectuel des PME par les grands groupes. Ces derniers « rapatrient » au niveau de la maison mère la valeur et l'innovation générées par leurs sous-traitants afin d'optimiser le crédit d'impôt recherche, ce qui constitue un effet pervers du dispositif.
L'action du médiateur de la sous-traitance, selon un mécanisme similaire à celui de la médiation du crédit, est relayée sur les territoires grâce à des correspondants locaux. Il s'agit des fonctionnaires du pôle économique des DIRRECTE, souvent des ingénieurs des mines, et des présidents honoraires des tribunaux de commerce. A Paris, je dispose, par ailleurs, d'une équipe d'environ dix personnes, parmi lesquels figurent d'anciens chefs d'entreprise ou présidents de tribunaux de commerce bénévoles.
Concernant les pratiques d'achats répréhensibles dont j'ai à connaître en tant que médiateur, je reconnais qu'en ce domaine on observe une créativité et une perversion infinies. Le quick saving en est un exemple. Il s'agit d'un avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné par rapport à la valeur du service rendu, souvent obtenu par le donneur d'ordres préalablement à la passation de toute commande. Juridiquement, il s'agit tout simplement de prise illégale d'intérêt. Personnellement, je parlerais tout simplement de racket. La loi l'interdit bien sûr, en France comme ailleurs, mais en France, il existe une grande permissivité des autorités par rapport à ces pratiques. Qu'on arrête de dire que la France est un pays où les entreprises sont bloquées par les lois et les règlements ! Non seulement je pense qu'il faudrait sanctionner systématiquement le quick saving comme on le fait par exemple aux États-Unis, pays par excellence du libéralisme, mais j'estime même qu'il faudrait le considérer comme une infraction pénale. Quoi qu'il en soit, chaque fois que ce type de pratiques m'est signalé, je saisis les responsables des grands groupes concernés, qui d'ailleurs trois fois sur quatre ignorent que leur entreprise s'y livre, pour demander que cela cesse sans délai.
Une des questions a abordé le thème du global sourcing. Dans ce domaine, j'agis avec la compagnie des dirigeants et acheteurs de France, la CDAF. Il s'agit d'une association qui regroupe environ 2 000 acheteurs que je qualifierais d'éclairés, car ils cherchent à promouvoir des pratiques d'achat éthiques et responsables en rompant avec les pratiques que leur imposent trop souvent leurs directeurs financiers pour satisfaire aux normes de rentabilité exorbitantes nécessaires à la rémunération des actionnaires. Pardonnez-moi si ces propos choquent, mais ils reflètent la réalité du fonctionnement des filières. Le global sourcing n'est en effet rien d'autre qu'un outil permettant à la partie aval, leader de filière, de capter toute la valeur ajoutée de la filière afin de satisfaire les objectifs de rémunération de l'actionnaire. Je souligne au passage que ce problème de captation de la valeur ajoutée devrait empirer à l'avenir, car nous entrons dans une période de rareté et de hausse de prix des matières premières. Dans ce contexte, les intermédiaires de rang 1, 2, 3 ou plus vont être victimes d'un double flux de captation vers l'aval des filières, mais aussi vers l'amont. Cela rend nécessaire une action pour développer des pratiques d'achat responsables. Par exemple, pour apprécier la compétitivité entre des offres de différentes provenances, nous encourageons les grands donneurs d'ordre à prendre en compte le coût total de l'achat et pas seulement le prix.
Un autre phénomène qu'il convient de surveiller en matière de global sourcing est ce qu'on appelle les enchères inversées ou enchères américaines et même, c'est en plein développement, les enchères japonaises. Sur ces questions d'enchères, je voudrais attirer votre attention sur le fait que la suppression de l'interdiction de vente à perte, lors de l'examen de la loi de modernisation de l'économie, a créé des conditions qui favorisent le développement les pratiques d'enchères inversées. Le Parlement n'a peut-être pas fait preuve d'une grande clairvoyance en adoptant cette disposition qui était défendue par la grande distribution comme un moyen de faire baisser les prix au bénéfice des consommateurs, mais qui, en réalité, lui permet d'imposer à ses fournisseurs des baisses de prix déraisonnables. Je crois qu'il est indispensable de rouvrir le débat sur cette question.
En ce qui concerne la thématique des écosystèmes d'entreprises, il s'agit là, bien entendu, d'un sujet majeur. Leur développement bute toutefois sur une mauvaise organisation des filières. Un filière commence au leader de filière, en aval, et remonte en amont, vers la matière première. Or, quand, par exemple, on a créé la filière agro-alimentaire, la grande distribution n'a pas été consultée et encore moins intégrée. Comment une filière où la fonction « vente » n'est pas intégrée peut-elle fonctionner ? Nous avons commencé, avec les ministres de l'industrie et de l'économie, à réfléchir à la réorganisation des filières, mais c'est une tâche difficile. En outre, il faut faire émerger des leaders de filières crédibles. Si l'on place à la tête d'une filière, un équipementier de rang 2 qui n'a aucune reconnaissance, cela ne peut pas fonctionner. Dans le modèle allemand, les écosystèmes d'entreprises sont pilotés par de vrais leaders, reconnus pour leur sens de l'intérêt général de la filière. En France, nous avons des chefs d'entreprises de ce type. Dans l'automobile par exemple, Philippe Varin, le PDG de Peugeot possède cette vision de l'intérêt collectif.
Pour favoriser la structuration des filières, le grand emprunt apporte 69 millions d'euros à ce qu'on appelle des plateformes collaboratives. Malheureusement, je constate qu'il y a un nombre de projets collaboratifs trop faible qui nous remonte du terrain. Je vous incite donc à faire la promotion de ce dispositif auprès des entreprises de vos territoires, car cela fonctionne ! L'exemple de la plateforme collaborative mise en place dans le Tarn, avec l'aide de Jean-Marc Pastor, entre des sous-traitants d'Airbus, l'illustre : la plateforme, qui comptait au départ 20 entreprises, en compte aujourd'hui 13, car elle a favorisé leur rapprochement et leur fusion, à l'occasion de successions, avec des effectifs globaux qui ont augmenté de 50%. Quand des chefs d'entreprise sont habitués à travailler ensemble, lors d'une succession, le plus jeune sera naturellement tenté de reprendre l'entreprise du patron qui part à la retraite.
Sur la question de l'efficacité de la médiation, nous avons traité à ce jour des demandes impliquant 12 951 entreprises. Notre but premier est de résoudre les différends en faisant l'économie d'une procédure judiciaire, même si je ne suis pas en mesure de chiffrer le nombre de procès évités. Au-delà de la solution des conflits particuliers, la médiation constitue par ailleurs pour les pouvoirs publics un formidable outil d'alerte et de feed-back. Elle permet en effet, par l'analyse des problèmes concrets rencontrés sur le terrain, d'identifier les failles de la réglementation et d'alerter les autorités au plus haut niveau sur la nécessité de la faire évoluer. À travers l'approche « micro », on obtient donc un effet « macro ».
En ce qui concerne la désindustrialisation, pour plusieurs raisons, je préfère parler plutôt de mutation industrielle. D'une part en effet, le volume de la production industrielle, en France, n'a jamais baissé : il a simplement augmenté moins vite que la production mondiale, ce qui a entraîné une baisse de la part relative de la production nationale. D'autre part, quand j'observe les projets industriels qui nous ont été soumis dans le cadre du grand emprunt, je constate une incroyable richesse en termes de créativité et d'innovation industrielle, qui dément l'idée de déclin industriel français.
Pour ce qui est de la sous-capitalisation des PME, jusqu'à une date récente, j'étais convaincu moi-aussi qu'il s'agissait d'un problème majeur. Mais mon opinion a changé. Les statistiques récentes de la banque de France montrent en effet que la part des fonds propres des PME dans leur total de bilan est passée de 30 à 40 % depuis 2 000. Leur capitalisation est donc dans la norme des pays européens. En réalité, le problème ne se situe pas dans l'insuffisance des fonds propres mais dans la faiblesse de l'investissement : les entreprises ont des capitaux qu'elles épargnent au lieu de les investir à moyen et long terme. C'est d'autant plus inquiétant qu'en ce domaine, l'écart s'est fortement creusé avec les allemands depuis dix ans.
Les raisons de cette panne de l'investissement des PME sont nombreuses et complexes, mais ne sont pas sans lien avec la structuration de nos filières. D'une part, le mauvais traitement des sous-traitants par les grands donneurs d'ordre sape la confiance et crée une incertitude qui favorise l'épargne de précaution plutôt que la prise de risque à travers l'investissement. D'autre part, structurellement, le tissu productif français se caractérise par un nombre important de sous-traitants et, corollairement, par un manque de producteurs de produits finis et de produits « catalogue ». Cela s'explique par le poids historique des très grandes entreprises en France. Sur les 100 plus grosses entreprises européennes, 34 sont françaises - ce qui est considérable. Naturellement, ces grands groupes ont structuré le tissu productif en sous-traitance pour satisfaire leurs besoins d'approvisionnement. Cependant, désormais, ces groupes se mondialisent à grande vitesse et développent un réseau de fournisseurs mondial, ce qui distend le lien avec les réseaux nationaux de sous-traitants. Il faut donc encourager les PME sous-traitantes à devenir des entreprises offrant un catalogue de produits finis exportables comme le font les PME allemandes.
Attention toutefois, je voudrais le souligner, à ne pas tomber dans une vision simpliste qui présente l'Allemagne comme un modèle idéal et qui dénigre la situation française, comme on a trop tendance à le faire dans notre pays. Les performances économiques françaises ne sont pas si mauvaises que nous nous complaisons trop souvent à le dire. Depuis un an - qui le sait ?- le PIB par habitant français dépasse celui de l'Allemagne. C'est un événement historique, qui devrait faire la une de tous les journaux.
Pouvez-vous rappeler la définition des certificats d'utilité ? Auraient-ils pu renforcer l'indépendance des sous-traitants ? Par ailleurs, ayant réfléchi sur le mode de fonctionnement des pôles de compétitivité au nom de la commission de l'économie, j'ai le sentiment que les relations inter entreprises y sont meilleures que dans d'autres secteurs. Pouvez-vous conforter ou au contraire invalider cette impression ?
Je voudrais revenir sur les défauts de la loi de modernisation de l'économie (LME) ? Je constate que les grandes enseignes de distribution font pression sur les producteurs pour qu'elles privilégient leurs marques distributeurs au détriment de leurs marques originelles, ce qui réduit comme une peau de chagrin leur marge. Je rappelle également que de nombreuses PME paient en temps utile leurs factures mais qu'elles sont souvent payées avec un retard de deux, trois, voire quatre mois par les entreprises donneurs d'ordre, ce qui est inadmissible. Il ne s'agit pas d'un cas d'école car nous avons récemment sauvé, en partenariat avec OSEO, une entreprise de ma région, qui était sur le point de procéder à des licenciements à cause d'un retard de paiement de facture de 600 000 euros dans son fonds de roulement. En outre, de nombreuses entreprises sont aujourd'hui martyrisées par Valeo. C'est pourquoi je plaide pour l'instauration de médiateurs décentralisés et une meilleure information des chefs d'entreprises.
Je constate qu'en Haute-Savoie comme ailleurs en France, les entreprises accordent un intérêt croissant aux investissements locaux. Concernant le champ d'application de votre médiation, je pense qu'il devrait être étendu à la sphère des services. La plupart des entreprises de dépannage ou de rapatriement des véhicules sont des très petites entreprises, soumises à des cadences infernales et ployant sous le joug des experts des compagnies d'assurance. Nous ne devons pas perdre de vue que la France est de plus en plus un pays de services.
Je constate que la charte de bonne pratique entre donneurs d'ordre et PME a fait l'objet de trois vagues successives de signatures. Si bien qu'aujourd'hui, cette charte a vocation à s'appliquer à un volume de plus de 400 milliards d'euros d'achats. Je ne doute pas un instant que de nombreuses autres entreprises signeront ce document. La vraie question sera d'en contrôler l'application et d'en dresser un bilan objectif. Quant au droit de la propriété intellectuelle, j'ai bien pris note des effets délétères provoqués par la diffusion de certains appels d'offres. Je pense effectivement que les candidats doivent pouvoir déposer leurs brevets de façon allégée auprès de l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI). Une loi sera nécessaire pour assouplir le régime des brevets. Pouvez-vous préciser vos attentes car il reviendra in fine au Parlement de la mettre en terme juridique.
Comme le disait Winston Churchill : « En Angleterre, tout est permis, sauf ce qui est interdit. En Allemagne, tout est interdit, sauf ce qui est permis. En France, tout est permis, même ce qui est interdit. » Je crois malheureusement que cette boutade reste d'actualité dans notre pays. Je suis également favorable comme vous à une pénalisation de certains comportements des entreprises donneurs d'ordre.
Les certificats d'utilité existent mais ils demeurent peu utilisés. Les juges y accordent moins d'importance aujourd'hui que dans les années 70. L'INPI fait un travail de qualité puisqu'il est capable de détecter l'antériorité de l'idée proposée dans un brevet avec une certitude proche de 85 %. La difficulté vient du fait que seulement 230 € sont prévus pour rémunérer l'avocat en charge de la rédaction du certificat d'utilité. Cette somme est trop modeste compte tenu de la technicité de ce travail. C'est pourquoi nous plaidons pour la création d'un brevet allégé pour que les PME puissent revendiquer leur propriété intellectuelle. N'oublions pas que le brevet européen coûtera sept fois plus cher que le brevet français !
S'agissant des pôles de compétitivité et des plates-formes de recherche, il est essentiel que les grandes entreprises n'oublient pas les petites entreprises lors du partage de propriété pour les nouveaux brevets.
Je voudrais préciser également que la médiation du crédit a essentiellement pour but d'aider les petites entreprises qui sont largement majoritaires en France : seulement 1 % des entreprises en France compte plus de 100 salariés. Je constate d'ailleurs avec regret que les demandes d'aide auprès du médiateur du crédit sont en baisse sur le terrain alors que de nombreux chefs d'entreprises s'estiment délaissés, pensant qu'elle n'avait été instaurée que pendant la période de crise économique. Je compte sur vous pour rétablir la vérité auprès des chefs d'entreprises que vous rencontrez et indiquer que la médiation du crédit a été reconduite pour les deux prochaines années.
Je voudrais également indiquer que je suis de fait médiateur des services, l'industrie ne représentant que 40 % des médiations.
La charte sur les bonnes pratiques inter-entreprises a été signée par 135 grandes entreprises en trois vagues successives. L'industrie de la défense devrait bientôt nous rejoindre. L'effet de levier de cette charte est considérable. Il faut évidemment la faire vivre. Je note toutefois avec satisfaction qu'elle structure désormais les cours dispensés dans les écoles d'achat.
En conclusion, je regrette profondément le décalage entre le droit en vigueur et son application défaillante dans les relations entre entreprises.
Je vous remercie pour votre pragmatisme et vos propositions et je souhaite que les préfets informent par voie de presse les chefs d'entreprise de la poursuite de l'activité de la Médiation du crédit.
- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président, et de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -