Intervention de Jean-Claude Volot

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 27 avril 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Claude Volot médiateur des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance

Jean-Claude Volot :

L'action du médiateur de la sous-traitance, selon un mécanisme similaire à celui de la médiation du crédit, est relayée sur les territoires grâce à des correspondants locaux. Il s'agit des fonctionnaires du pôle économique des DIRRECTE, souvent des ingénieurs des mines, et des présidents honoraires des tribunaux de commerce. A Paris, je dispose, par ailleurs, d'une équipe d'environ dix personnes, parmi lesquels figurent d'anciens chefs d'entreprise ou présidents de tribunaux de commerce bénévoles.

Concernant les pratiques d'achats répréhensibles dont j'ai à connaître en tant que médiateur, je reconnais qu'en ce domaine on observe une créativité et une perversion infinies. Le quick saving en est un exemple. Il s'agit d'un avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné par rapport à la valeur du service rendu, souvent obtenu par le donneur d'ordres préalablement à la passation de toute commande. Juridiquement, il s'agit tout simplement de prise illégale d'intérêt. Personnellement, je parlerais tout simplement de racket. La loi l'interdit bien sûr, en France comme ailleurs, mais en France, il existe une grande permissivité des autorités par rapport à ces pratiques. Qu'on arrête de dire que la France est un pays où les entreprises sont bloquées par les lois et les règlements ! Non seulement je pense qu'il faudrait sanctionner systématiquement le quick saving comme on le fait par exemple aux États-Unis, pays par excellence du libéralisme, mais j'estime même qu'il faudrait le considérer comme une infraction pénale. Quoi qu'il en soit, chaque fois que ce type de pratiques m'est signalé, je saisis les responsables des grands groupes concernés, qui d'ailleurs trois fois sur quatre ignorent que leur entreprise s'y livre, pour demander que cela cesse sans délai.

Une des questions a abordé le thème du global sourcing. Dans ce domaine, j'agis avec la compagnie des dirigeants et acheteurs de France, la CDAF. Il s'agit d'une association qui regroupe environ 2 000 acheteurs que je qualifierais d'éclairés, car ils cherchent à promouvoir des pratiques d'achat éthiques et responsables en rompant avec les pratiques que leur imposent trop souvent leurs directeurs financiers pour satisfaire aux normes de rentabilité exorbitantes nécessaires à la rémunération des actionnaires. Pardonnez-moi si ces propos choquent, mais ils reflètent la réalité du fonctionnement des filières. Le global sourcing n'est en effet rien d'autre qu'un outil permettant à la partie aval, leader de filière, de capter toute la valeur ajoutée de la filière afin de satisfaire les objectifs de rémunération de l'actionnaire. Je souligne au passage que ce problème de captation de la valeur ajoutée devrait empirer à l'avenir, car nous entrons dans une période de rareté et de hausse de prix des matières premières. Dans ce contexte, les intermédiaires de rang 1, 2, 3 ou plus vont être victimes d'un double flux de captation vers l'aval des filières, mais aussi vers l'amont. Cela rend nécessaire une action pour développer des pratiques d'achat responsables. Par exemple, pour apprécier la compétitivité entre des offres de différentes provenances, nous encourageons les grands donneurs d'ordre à prendre en compte le coût total de l'achat et pas seulement le prix.

Un autre phénomène qu'il convient de surveiller en matière de global sourcing est ce qu'on appelle les enchères inversées ou enchères américaines et même, c'est en plein développement, les enchères japonaises. Sur ces questions d'enchères, je voudrais attirer votre attention sur le fait que la suppression de l'interdiction de vente à perte, lors de l'examen de la loi de modernisation de l'économie, a créé des conditions qui favorisent le développement les pratiques d'enchères inversées. Le Parlement n'a peut-être pas fait preuve d'une grande clairvoyance en adoptant cette disposition qui était défendue par la grande distribution comme un moyen de faire baisser les prix au bénéfice des consommateurs, mais qui, en réalité, lui permet d'imposer à ses fournisseurs des baisses de prix déraisonnables. Je crois qu'il est indispensable de rouvrir le débat sur cette question.

En ce qui concerne la thématique des écosystèmes d'entreprises, il s'agit là, bien entendu, d'un sujet majeur. Leur développement bute toutefois sur une mauvaise organisation des filières. Un filière commence au leader de filière, en aval, et remonte en amont, vers la matière première. Or, quand, par exemple, on a créé la filière agro-alimentaire, la grande distribution n'a pas été consultée et encore moins intégrée. Comment une filière où la fonction « vente » n'est pas intégrée peut-elle fonctionner ? Nous avons commencé, avec les ministres de l'industrie et de l'économie, à réfléchir à la réorganisation des filières, mais c'est une tâche difficile. En outre, il faut faire émerger des leaders de filières crédibles. Si l'on place à la tête d'une filière, un équipementier de rang 2 qui n'a aucune reconnaissance, cela ne peut pas fonctionner. Dans le modèle allemand, les écosystèmes d'entreprises sont pilotés par de vrais leaders, reconnus pour leur sens de l'intérêt général de la filière. En France, nous avons des chefs d'entreprises de ce type. Dans l'automobile par exemple, Philippe Varin, le PDG de Peugeot possède cette vision de l'intérêt collectif.

Pour favoriser la structuration des filières, le grand emprunt apporte 69 millions d'euros à ce qu'on appelle des plateformes collaboratives. Malheureusement, je constate qu'il y a un nombre de projets collaboratifs trop faible qui nous remonte du terrain. Je vous incite donc à faire la promotion de ce dispositif auprès des entreprises de vos territoires, car cela fonctionne ! L'exemple de la plateforme collaborative mise en place dans le Tarn, avec l'aide de Jean-Marc Pastor, entre des sous-traitants d'Airbus, l'illustre : la plateforme, qui comptait au départ 20 entreprises, en compte aujourd'hui 13, car elle a favorisé leur rapprochement et leur fusion, à l'occasion de successions, avec des effectifs globaux qui ont augmenté de 50%. Quand des chefs d'entreprise sont habitués à travailler ensemble, lors d'une succession, le plus jeune sera naturellement tenté de reprendre l'entreprise du patron qui part à la retraite.

Sur la question de l'efficacité de la médiation, nous avons traité à ce jour des demandes impliquant 12 951 entreprises. Notre but premier est de résoudre les différends en faisant l'économie d'une procédure judiciaire, même si je ne suis pas en mesure de chiffrer le nombre de procès évités. Au-delà de la solution des conflits particuliers, la médiation constitue par ailleurs pour les pouvoirs publics un formidable outil d'alerte et de feed-back. Elle permet en effet, par l'analyse des problèmes concrets rencontrés sur le terrain, d'identifier les failles de la réglementation et d'alerter les autorités au plus haut niveau sur la nécessité de la faire évoluer. À travers l'approche « micro », on obtient donc un effet « macro ».

En ce qui concerne la désindustrialisation, pour plusieurs raisons, je préfère parler plutôt de mutation industrielle. D'une part en effet, le volume de la production industrielle, en France, n'a jamais baissé : il a simplement augmenté moins vite que la production mondiale, ce qui a entraîné une baisse de la part relative de la production nationale. D'autre part, quand j'observe les projets industriels qui nous ont été soumis dans le cadre du grand emprunt, je constate une incroyable richesse en termes de créativité et d'innovation industrielle, qui dément l'idée de déclin industriel français.

Pour ce qui est de la sous-capitalisation des PME, jusqu'à une date récente, j'étais convaincu moi-aussi qu'il s'agissait d'un problème majeur. Mais mon opinion a changé. Les statistiques récentes de la banque de France montrent en effet que la part des fonds propres des PME dans leur total de bilan est passée de 30 à 40 % depuis 2 000. Leur capitalisation est donc dans la norme des pays européens. En réalité, le problème ne se situe pas dans l'insuffisance des fonds propres mais dans la faiblesse de l'investissement : les entreprises ont des capitaux qu'elles épargnent au lieu de les investir à moyen et long terme. C'est d'autant plus inquiétant qu'en ce domaine, l'écart s'est fortement creusé avec les allemands depuis dix ans.

Les raisons de cette panne de l'investissement des PME sont nombreuses et complexes, mais ne sont pas sans lien avec la structuration de nos filières. D'une part, le mauvais traitement des sous-traitants par les grands donneurs d'ordre sape la confiance et crée une incertitude qui favorise l'épargne de précaution plutôt que la prise de risque à travers l'investissement. D'autre part, structurellement, le tissu productif français se caractérise par un nombre important de sous-traitants et, corollairement, par un manque de producteurs de produits finis et de produits « catalogue ». Cela s'explique par le poids historique des très grandes entreprises en France. Sur les 100 plus grosses entreprises européennes, 34 sont françaises - ce qui est considérable. Naturellement, ces grands groupes ont structuré le tissu productif en sous-traitance pour satisfaire leurs besoins d'approvisionnement. Cependant, désormais, ces groupes se mondialisent à grande vitesse et développent un réseau de fournisseurs mondial, ce qui distend le lien avec les réseaux nationaux de sous-traitants. Il faut donc encourager les PME sous-traitantes à devenir des entreprises offrant un catalogue de produits finis exportables comme le font les PME allemandes.

Attention toutefois, je voudrais le souligner, à ne pas tomber dans une vision simpliste qui présente l'Allemagne comme un modèle idéal et qui dénigre la situation française, comme on a trop tendance à le faire dans notre pays. Les performances économiques françaises ne sont pas si mauvaises que nous nous complaisons trop souvent à le dire. Depuis un an - qui le sait ?- le PIB par habitant français dépasse celui de l'Allemagne. C'est un événement historique, qui devrait faire la une de tous les journaux.

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