a souligné que ses observations sur la crise s'articulaient autour de trois axes : son ampleur, les virtualités positives qu'elle pouvait contenir, et son impact sur le secteur de la défense. Puis il a développé chacun de ces éléments :
- cette crise est caractérisée par son exceptionnelle ampleur, et peut être génératrice de crises ultérieures qui pourraient modifier l'équilibre international, avec des impacts sur la Russie, l'Iran et le Moyen-Orient ;
- il s'agit de la première grande crise globale depuis 1945, qui affecte aussi bien les pays développés que les pays émergents, et qui est caractérisée par une rapide expansion. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité n'en fait pas état, mais ces aspects lui confèrent des similarités avec la notion de « surprise stratégique » qui y est évoquée ;
- cette crise ébranle l'équilibre économique global fondé sur les compensations qui s'étaient instaurées entre le surcroît d'épargne qui caractérise la Chine et la Russie et le surcroît de dépenses observé aux Etats-Unis. Cet équilibre pourrait être remis en cause. Le PIB mondial devrait en effet régresser d'environ 0,6 % en 2009 ; l'OMC (Organisation mondiale du commerce) prévoit une contraction des échanges de 9 % ; les pertes boursières les plus importantes depuis 1929 ont été constatées ; les Etats-Unis sont particulièrement affectés, avec la destruction de 5,5 millions d'emplois depuis l'été 2007, la perte par les entreprises américaines de plus de 180 milliards de dollars, et la division par deux des prix immobiliers en moins de deux ans ;
- cette profonde altération de la situation américaine entraîne des effets en cascade sur un certain nombre de pays qui avaient adossé leur croissance sur la consommation intérieure et l'immobilier. Le Royaume-Uni a vu son PIB reculer de 3 % en 2008. Les mêmes effets se constatent dans les pays européens de l'Est, dans les pays baltes, en Espagne, et même dans des pays s'étant efforcés de maîtriser leurs coûts, comme l'Allemagne, le Japon et la Chine ;
- les pays émergents sont également touchés en raison de la contraction des importations des pays développés, de la baisse du cours des hydrocarbures et des matières premières, qui est d'environ 60 % par rapport au pic enregistré mi 2008, de la dévaluation des monnaies, de la réduction du soutien financier (APD, aide militaire...) et de la diminution des transferts financiers des migrants vers leurs pays d'origine ;
- même les pays restés à l'écart de la mondialisation des échanges, comme ceux d'Afrique subsaharienne, sont affectés par cette crise ;
- l'ampleur de ces effets économiques laisse entrevoir le surgissement de nouvelles instabilités notamment sociales : en Chine, 20 millions d'ouvriers ont été licenciés, et 50 millions de paysans venus travailler dans les zones urbaines ont regagné les campagnes. De même, en Russie, les ouvriers caucasiens ont été renvoyés dans leurs pays d'origine, ce qui y alimente l'islamisme extrémiste. L'immigration illégale s'est considérablement accrue en 2008 et affecte tout particulièrement le sud de l'Europe, notamment l'Espagne et l'Italie. Ainsi, la crise amplifie les menaces identifiées par le Livre blanc : terrorisme, drogue, réseaux illégaux, prolifération, immigration, santé...
- cette crise a renforcé le besoin de cohésion régionale, comme en témoigne la demande exprimée par plusieurs pays européens d'intégrer la zone euro, la transformation envisagée de l'ASEAN (Association des nations du sud-est asiatique) en zone économique intégrée, comparable à l'Union européenne, ou encore le souhait exprimé par plusieurs pays du continent africain de voir émerger un « G-Afrique » ;
- cette exacerbation des tensions peut conduire à une dégradation des relations entre blocs (par exemple, entre l'Occident et la Russie), ainsi qu'à la montée des pressions protectionnistes, en dépit des résolutions contraires récemment adoptées par le G20 et de la perspective d'une reprise du cycle de Doha au sein de l'OMC. Cette crise fait évidemment peser des menaces sur les financements qu'il était prévu d'allouer à l'aide publique au développement ;
- la crise est un « accélérateur de tendance ». Ainsi, les pays émergents sortent renforcés au sein des instances internationales, comme le FMI ou la Banque mondiale, ce qui conduit à une évolution des équilibres internationaux vers une multipolarité croissante.
Après avoir rappelé que cette crise s'ajoute aux crises ouvertes existantes (Afghanistan, Irak, Proche-Orient, Géorgie...), M. Michel Miraillet a évoqué en second lieu ses éventuelles conséquences salutaires :
- la crise peut limiter les ambitions politiques et militaires de certains Etats comme l'Iran, le Venezuela ou la Russie ;
- elle induit une crise générale de confiance dans l'économie qui remet le FMI et la Banque mondiale au centre des équilibres internationaux et crée une prise de conscience économique, laissant espérer une meilleure régulation et un fonctionnement des marchés plus sain à l'avenir.
Les décisions récemment prises par le G20 et l'assainissement des marchés financiers antérieurement non régulés montrent que la crise peut également être porteuse d'opportunités non seulement économiques mais aussi politiques et stratégiques.
Dans le domaine militaire, la nécessité d'une mutualisation des équipements de défense au sein de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) comme au sein de l'OTAN se fait jour. Cette mutualisation porte, à l'heure actuelle, sur la mise en place de moyens de transports aériens militaires, dans l'attente de l'arrivée de l'A400M. Dans ce contexte, la France, membre permanent du Conseil de sécurité, a le devoir de participer à la stabilité internationale. Elle doit maintenir sa présence sur un certain nombre de théâtres prioritaires mais en rationalisant les moyens utilisés et en évitant une trop grande dispersion qui pourrait conduire à une « surchauffe » qui menacerait notre capacité opérationnelle. La montée des risques dans certaines zones et la probabilité élevée de nouveaux conflits doivent conduire à préserver des capacités d'intervention européenne en dépit des contraintes budgétaires générées par la crise.
Les crédits affectés à la défense devraient profiter de la baisse de l'inflation constatée dans la zone euro, qui est passée de 4 % en juillet 2008 à 1,6 % en décembre. La dépréciation du dollar par rapport à l'euro, comme la baisse du coût du pétrole, sont de nature à dégager des marges financières au profit de ce secteur.
En conclusion, M. Michel Miraillet a souligné que l'ensemble de ces éléments conduit à la nécessité de renforcer la fonction « connaissance et anticipation », comme le lien entre sécurité et défense. Le besoin de sécurité devra se traduire par un renforcement du politique à un moment où l'ensemble des nouvelles instabilités se conjugue avec une perte de la capacité des Etats occidentaux, et notamment des Etats-Unis, à influer sur le cours des événements.