Intervention de Isabelle Facon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 8 avril 2009 : 1ère réunion
Politique de défense et de sécurité de la russie — Audition de Mme Isabelle Facon maître de recherche à la fondation pour la recherche stratégique

Isabelle Facon, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique :

En réponse Mme Isabelle Facon a apporté les précisions suivantes :

- il est très difficile d'évaluer avec précision la part du budget russe consacrée à la défense ; on estime souvent que ce budget est globalement équivalent au budget français - mais les effectifs et les arsenaux des deux pays sont très différents. Le gouvernement s'efforce d'accroître la part du budget de défense consacrée à l'équipement - de l'ordre de 25 à 30 % dans les années 1990, elle atteint environ 45 % aujourd'hui et devrait être portée à 50 % pour 2011. L'équivalent de 185 milliards de dollars devait être consacré aux dépenses d'équipement sur la période 2007-2015, mais ce programme d'armement a été remis en cause du fait du retard pris dans sa mise en oeuvre ;

- il était important que la réponse de l'Union européenne lors de la crise géorgienne soit rapide et ferme comme elle l'a été, mais la Russie n'a laissé qu'une faible marge de manoeuvre à l'Europe, comme en témoignent notamment la teneur du plan Medvedev-Sarkozy, marqué par les « préférences » russes, ou encore la lenteur des retraits russes et, finalement, le choix de Moscou de reconnaître l'indépendance de l'Ossétie et de l'Abkhazie. Cela montre, concernant la possibilité d'une coopération stratégique UE-Russie, qu'il y a lieu de s'interroger : si la Russie est prête à une coopération avec l'Europe en Afghanistan ou au Tchad, elle ne l'est pas pour le continent partagé (Balkans, voisinage commun...). En Transnistrie, l'Union européenne ne devrait pas hésiter à opter pour une attitude plus ferme, car il s'agit du « conflit gelé » sans doute le plus ouvert à la négociation avec la Russie ;

- il y a eu, effectivement, perte d'une génération en matière de recherche militaire, ce qui complète l'analyse du problème de l'échec à soutenir le système de R&D et d'innovation militaires. La fuite des cerveaux observée au début des années 1990 a probablement contribué à la prolifération iranienne. Mais ce risque a été assez rapidement pris en charge par divers mécanismes internationaux. La Russie s'efforce aujourd'hui de refonder le secteur de la science militaire, mais rencontre beaucoup de difficultés du fait de la modicité des salaires offerts et du peu de prestige dont jouit aujourd'hui ce secteur ;

- la Russie possède encore une indéniable capacité d'influence dans les pays baltes, à travers les communautés russes et russophones, et de sa présence importante au sein de leur économie. Si la Russie dispose d'une capacité de nuisance, l'appartenance de ces pays aux structures euro-atlantiques préserve sans doute leur sécurité en les prémunissant contre un éventuel scénario « à la géorgienne » (l'intervention russe ayant été menée au nom de la protection des « casques bleus » russes et des compatriotes) ;

- la Russie a indéniablement la volonté de garder sa flotte à Sébastopol, en Crimée, au-delà de 2017, date de la fin du bail en cours. A cet égard, elle peut s'appuyer sur les populations locales ; l'attitude russe dans le conflit en Géorgie comportait un message explicite à l'Ukraine. Les dirigeants russes espèrent cependant ne pas avoir à aller aussi loin, et que Kiev sera amenée à modérer sa volonté d'intégrer l'OTAN, qui n'est soutenue que par une minorité de la population ukrainienne, et alors que l'Ukraine traverse une crise politique et économique, le tout devant renforcer « naturellement », selon le scénario idéal envisagé à Moscou, son intérêt à coopérer avec la Russie ;

- la diplomatie russe s'est redéployée, depuis les années 1990, vers l'Amérique latine et le Moyen-Orient, mais semble moins active sur le continent africain. Quand elle y est présente, les intérêts économiques prévalent (armement, énergie, nucléaire...), il n'y a pas de dimension politique forte comme dans les deux autres régions citées. Les ventes d'armes à l'Algérie ont été facilitées par l'effacement des dettes de ce pays au profit d'acquisitions d'armes russes. La Russie place ses espoirs dans la réalisation d'un schéma similaire avec la Libye, avec laquelle des contrats relativement importants sont attendus ;

- envers l'Iran, la position russe est évolutive : Moscou n'a aucun intérêt à un Iran nucléarisé, mais évalue avec moins de pessimisme que l'Occident le degré d'avancement des capacités nucléaires et balistiques iraniennes. Le récent contexte de confrontation avec les Etats-Unis a conduit Moscou à soutenir activement l'Iran ; l'autre cause de ce soutien étant la volonté d'y enraciner ses intérêts économiques. La nécessité de maintenir l'image d'un fournisseur fiable envers d'éventuels autres clients a aussi conduit la Russie à ne pas reculer face aux pressions américaines touchant à la réalisation de la centrale nucléaire de Bushehr. Cependant, la Russie s'est ouvertement inquiétée face aux différents tirs de missiles iraniens, estimant que Téhéran met ainsi à mal son effort de médiation. La Russie craint aussi un risque de prolifération en chaîne à l'échelle régionale. La souplesse de l'administration à l'égard de Moscou sur certaines questions clefs (antimissiles et élargissement de l'OTAN) pourrait donc amener la Russie à prendre assez rapidement des distances avec Téhéran ;

- la destruction des armes chimiques se fait par à-coups, mais dans la transparence, et est programmée pour s'achever en 2012, avec une forte aide internationale ; le dispositif russe en matière d'armes biologiques est entouré de la plus grande opacité.

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