La commission a d'abord procédé à l'audition de Mme Isabelle Facon, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, sur la politique de défense et de sécurité de la Russie.
a estimé que la politique de défense russe était souvent perçue en Europe occidentale à travers des annonces ou des gestes supposés dictés par une volonté de riposter à la politique américaine ou à l'élargissement de l'OTAN. Il a évoqué le discours prononcé par le président Medvedev le 17 mars dernier, annonçant un « réarmement massif » à compter de 2011, ou encore certaines actions « démonstratives » comme la reprise des patrouilles de bombardiers stratégiques et le retour de bâtiments de la flotte russe en Méditerranée ou au large de l'Amérique latine.
Il a cependant rappelé que la Russie avait accueilli très favorablement la volonté américaine de relancer les discussions stratégiques et que, en dépit d'un budget en forte augmentation ces dernières années, l'armée russe restait dans une situation très difficile, en termes de maintien en condition et de renouvellement des équipements, de niveau d'entraînement et de condition militaire.
Il s'est interrogé sur l'état d'avancement des réformes ou des programmes d'équipement annoncés depuis plusieurs années, sur les objectifs poursuivis par les autorités russes et sur les possibilités de les atteindre dans le contexte de la crise financière, sur la situation de l'industrie de défense et sur la politique militaire de la Russie dans son environnement immédiat, notamment dans le cadre de l'Organisation du traité de sécurité collective.
a rappelé que, sous la présidence de Vladimir Poutine, la Russie s'était attachée à revaloriser le rôle des instruments militaires au service de sa politique de puissance. Le budget de la défense a été multiplié par quatre entre 2000 et 2007. La reprise, en 2007, des patrouilles de bombardiers stratégiques, après plusieurs années d'interruption, symbolise cette volonté de restaurer le statut de puissance militaire, en réaction notamment à la politique de l'administration Bush. L'élection de Barack Obama n'a cependant pas dissipé la méfiance des autorités russes, comme en a témoigné la menace du président Medvedev d'installer des missiles Iskander à Kaliningrad en cas de maintien du projet d'installation d'éléments du système antimissiles américain en Pologne et en République tchèque. Le président Medvedev poursuit donc le mouvement de valorisation du facteur militaire qu'avait engagé son prédécesseur - comme en témoignent les initiatives militaires récentes prises avec Cuba et le Venezuela, ou encore la décision d'assurer une présence militaire russe dans l'Arctique.
a souligné que les orientations de Moscou en matière de défense ne signifiaient nullement que la Russie est en mesure de menacer sérieusement les pays occidentaux sur le plan militaire, du fait de l'état actuel de ses forces conventionnelles. En outre, elle a estimé que les mesures de renforcement de l'outil militaire n'étaient pas nécessairement à interpréter exclusivement comme étant dirigées contre les pays occidentaux.
a évoqué les faiblesses persistantes qui continuent d'affecter le système de défense russe. Le conflit géorgien d'août 2008 a été révélateur de lacunes sérieuses au sein des forces russes, amenant le gouvernement à lancer une nouvelle étape de la réforme du secteur de la défense. Lors de ce conflit, en effet, l'armée russe a souffert de défaillances du soutien aérien, de déficiences de ses armes de précision et quant à la neutralisation des défenses aériennes adverses, d'un manque de synergie interarmées et d'une insuffisante interopérabilité entre les systèmes de communication des différentes forces.
Les forces nucléaires absorbent environ un quart du budget d'équipement et la place centrale qui leur est accordée dans la doctrine de défense révèle en soi les limites des capacités conventionnelles.
Le réarmement et la modernisation des équipements voient leurs échéances régulièrement repoussées. C'est ce qu'a indiqué en creux le président Medvedev, le 17 mars dernier, avec son annonce sur le début du « réarmement massif » des forces à compter de 2011, alors que ce réarmement a déjà été annoncé comme imminent à plusieurs reprises ces dernières années pour être ensuite reporté. De la même façon, en indiquant que le nouveau projet de réforme des armées porte sur la constitution d'une armée plus mobile et plus rapidement déployable, le gouvernement reconnaît de facto qu'il a jusqu'à présent été incapable de mener à bien ce projet, pourtant poursuivi depuis le début des années 1990.
En dépit de la forte progression du budget de la défense russe au cours de la décennie en cours, les équipements nouveaux n'arrivent qu'à un rythme très lent au sein des forces. L'outil industriel est vieillissant et se trouve à la limite de ses capacités. Il peine à satisfaire aussi bien le ministère russe de la défense que les clients à l'exportation, les incidents étant de plus en plus fréquents dans les programmes d'équipement conduits en coopération avec des partenaires étrangers.
a estimé que les objectifs de modernisation et de renforcement des capacités énoncés par le président Medvedev dans son discours du 17 mars s'adressaient en priorité à l'opinion et aux acteurs internes, beaucoup plus qu'aux pays occidentaux et à l'OTAN. La relance de la politique d'équipement constitue un soutien majeur à l'emploi dans une industrie perçue en outre comme essentielle à la diversification économique du pays et à son redressement technologique. L'industrie d'armement est d'autant plus dépendante de l'Etat qu'elle trouve peu de financements auprès du secteur bancaire, surtout dans l'actuelle période de crise.
a ensuite évoqué l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) à laquelle appartiennent la Russie et six pays de l'espace post-soviétique. Elle a considéré qu'il serait erroné de ne voir dans la promotion par la Russie de cette organisation qu'une volonté de Moscou de créer un bloc militaire « anti-OTAN ». L'OTSC a récemment décidé de se doter d'une force de réaction rapide, mais cette force -elle aussi annoncée de longue date- vise surtout à parer les menaces qui fragilisent le flanc sud de la Russie en Asie centrale, principalement en lien avec la situation en Afghanistan.
Dans le même temps, Mme Isabelle Facon a indiqué que la Russie usait volontiers de manifestations démontrant la reconstitution d'une puissance militaire, ce qu'elle considère comme un levier politique comme un autre dans ses relations avec les pays occidentaux. Elle a toutefois souligné que l'abandon progressif de la conscription montre bien que la Russie écarte l'hypothèse d'un conflit majeur et estimé que le redressement de l'outil militaire constituait un chantier extrêmement lourd, compte tenu du sous-investissement dont cet outil a pâti dans les années 1990.
a considéré qu'en dépit de ces faiblesses, les intentions militaires de la Russie sont à prendre au sérieux sur certains volets.
D'une part, l'outil militaire sert la forte volonté de Moscou d'asseoir son contrôle sur l'espace post-soviétique, que la Russie considère comme une zone d'influence naturelle mais aussi comme une zone de risques (conflits locaux, menaces transnationales). La démonstration d'une capacité de réaction militaire rapide doit permettre à la Russie d'apparaître auprès de ses partenaires régionaux comme un garant crédible de leur stabilité et sécurité. Elle joue également un rôle dissuasif à l'égard des pays qui seraient tentés d'entrer dans l'orbite de l'OTAN. C'est tout le sens du choix russe en faveur d'une réaction militaire musclée en Géorgie, de la constitution de la Force de réaction rapide (FRR) de l'OTSC ou encore de la décision de développer ou d'implanter des bases dans différents pays de la Communauté des Etats indépendants (CEI), ainsi qu'en Abkhazie et en Ossétie du Sud.
La Russie conçoit également le renforcement de son potentiel militaire comme un élément important de la défense de ses intérêts économiques, notamment dans la perspective d'une concurrence mondiale accrue pour les ressources naturelles, d'où, par exemple, ses annonces sur son potentiel militaire dans ses territoires du Grand Nord.
Enfin, Mme Isabelle Facon a évoqué les conséquences possibles de la crise financière sur la politique de défense de la Russie. Elle a souligné l'ampleur des besoins dans d'autres secteurs tels que la santé, l'éducation, la démographie et les infrastructures, et la conscience qu'en a le gouvernement russe. Elle a également indiqué que le rôle joué, dans la dislocation de l'URSS, par le surinvestissement dans la défense restait présent à l'esprit des dirigeants russes, aujourd'hui préoccupés par le risque de troubles sociaux engendrés par la dégradation de la situation économique. Elle a signalé qu'il était désormais envisagé de réduire le budget de la défense initialement prévu pour 2009 (même s'il devrait rester supérieur à celui de 2008) et a estimé que les arbitrages à venir ne seraient pas nécessairement aussi favorables à la défense qu'on pouvait le penser il y a encore quelques mois.
Puis un débat s'est ouvert au sein de la commission.
a souhaité savoir si la perspective d'une accentuation de l'émigration chinoise dans l'extrême Est du pays suscitait des préoccupations particulières de la part des dirigeants russes en termes de sécurité. Il s'est également enquis de l'avenir de la discussion récemment proposée par le président Obama au président Medvedev sur la réduction des armements nucléaires.
a constaté que les exportations d'armement russes étaient à la pointe de la technologie et a souhaité avoir des éléments d'appréciation sur l'état de la recherche militaire dans ce pays.
a souligné la forte percée des armements russes à l'exportation, notamment en Inde et en Libye, au détriment des offres françaises.
s'est interrogé sur la situation de la flotte sous-marine nucléaire russe, tant en ce qui concerne les SNLE (sous-marins nucléaires lanceurs d'engins), qui seraient au nombre d'une dizaine, que les SNA (sous-marins nucléaires d'attaque). Il a évoqué les projets de restructuration des forces armées, qui impliquent le départ de 150 000 officiers en trois ans, et s'est demandé dans quelles conditions pouvait s'effectuer ce dégagement des cadres.
En réponse, Mme Isabelle Facon a apporté les précisions suivantes :
- la Chine constitue, en effet, une préoccupation pour l'état-major russe, mais elle est passée sous silence afin de maintenir de bons rapports avec Pékin et de renforcer les craintes que le partenariat stratégique sino-russe suscite en Occident. Il est cependant indéniable qu'un fort déséquilibre démographique caractérise la frontière russo-chinoise, au détriment de la Russie, et que la politique des autorités chinoises dans les territoires frontaliers est plus dynamique que celle de Moscou. Des mesures ponctuelles ont été prises par les autorités russes pour développer l'Extrême-Orient, mais elles ne sont probablement pas à la hauteur des enjeux. En revanche, la Chine fonde sa stratégie de développement économique de ses régions frontalières sur l'exploitation des ressources naturelles, comme le bois, et sur celle des ressources énergétiques de l'Extrême-Orient russe. Moscou se préoccupe aussi de la situation intérieure chinoise, redoutant particulièrement d'importants mouvements sociaux susceptibles de se répercuter en Russie sous la forme de mouvements massifs de populations. La Chine figure dans les scénarios d'emploi russes des armes nucléaires tactiques ; la Russie développe sa présence aérienne militaire dans cette partie de son territoire ;
- le président Poutine avait, dès 2000, proposé une réduction des têtes nucléaires jusqu'au seuil de 1 500, mais cette offre avait été négligée par l'administration Bush. Cela montrait déjà la conscience de Moscou que son arsenal stratégique était voué à une attrition « naturelle » progressive et que conserver une parité approximative avec les Etats-Unis était difficile. Les Russes sont attachés à la relation stratégique avec les Etats-Unis articulée autour de l'« arms control », l'arme nucléaire étant considérée comme un facteur égalisateur de puissance et de prestige. A cet égard les initiatives du président Obama ne peuvent qu'être bien perçues à Moscou. Cependant, les Russes sont probablement circonspects quant aux implications de la perspective d'un désarmement nucléaire total, suggérée par le président Obama et officiellement approuvée par son homologue russe, le rapport de force dans le domaine conventionnel leur étant très défavorable ;
- la recherche militaire russe a bénéficié théoriquement d'investissements de 1990 à 2002, la Russie misant sur une « politique des prototypes » qui devait déboucher sur le lancement de productions en série des nouveaux matériels ainsi conçus dès lors que les finances le permettraient ; mais les fonds de recherche et développement ont souvent été détournés à d'autres fins, empêchant cette politique d'avoir l'effet escompté. Les succès à l'exportation concernent le plus souvent des plateformes développées dans les années 1970 ou 1980 et modernisées ; elles sont désormais parfois vendues équipées d'équipements électroniques et de communication occidentaux, notamment français ou israéliens. La Russie essaie aussi d'opérer des rattrapages technologiques via des investissements (comme sa participation au capital d'EADS) ou des coopérations industrielles. Une coopération active est en cours avec l'Inde, avec la mise au point d'un chasseur de cinquième génération et d'un avion de transport militaire. La relation avec l'Inde est cependant altérée par les retards récurrents et les coûts croissants dans les programmes d'armement, par exemple dans le cas du porte-avions Amiral Gorchkov. L'Inde a formulé un appel d'offres pour l'achat de 126 chasseurs, que la Russie ne semble pas en mesure d'emporter. De manière générale, l'industrie d'armement russe peine à concilier l'exportation et la satisfaction des commandes nationales. Les succès russes à l'exportation sont indéniables, mais ont été réalisés pour l'essentiel sur les marchés chinois et indien, qui se présentent aujourd'hui sous un jour moins favorable - d'autant que les deux Etats veulent développer des capacités industrielles nationales, dont la Russie pense qu'elles pourraient concurrencer son industrie sur « ses » marchés, à savoir des marchés où les exigences technologiques sont relativement faibles. L'industrie d'armement russe est à la limite de sa capacité ; elle a vécu sur l'écoulement progressif de stocks qui sont aujourd'hui en passe d'être épuisés ;
- la composante navale des forces stratégiques est dans une situation difficile, comme l'illustrent, entre autres, les aléas du développement du missile stratégique Boulava destiné à équiper la nouvelle génération de SNLE, elle aussi en retard - ce qui est illustré par les écueils de la construction du Yuri Dolgoruky (classe Borey), finalement lancé en 2008 ; la priorité est allée, ces dernières années, aux missiles intercontinentaux sol/sol (notamment mirvés), et à la composante aérienne, qui joue un rôle central dans la projection de force ; quant aux SNA, il est difficile de connaître le nombre de bâtiments en état de prendre la mer ; là aussi, la période récente est émaillée d'histoires de sous-marins qui rouillent dans les ports et d'accidents lors d'essais ;
- l'armée russe a connu une forte déflation de ses effectifs, passés de 2,7 millions d'hommes en 1990 à environ 1 million en 2009. La crise économique et financière actuelle a conduit les autorités à ne pas mettre en oeuvre des programmes de dégagement de cadres, très impopulaires, avant 2012.
a souhaité obtenir des précisions sur le montant du budget de la défense russe. Puis, prenant l'exemple de la crise géorgienne, il a souligné la nécessité de définir une vraie relation stratégique entre l'Union européenne et la Russie, qui avait alors fait manifestement défaut.
s'est interrogée sur l'état actuel de la recherche russe, estimant qu'une génération de chercheurs avait été sacrifiée depuis 1989. Elle a estimé que l'actuelle stratégie du pouvoir russe était de préserver son influence sur l'espace postsoviétique, comme en témoigne l'exemple de la Transnistrie. Elle a constaté que la « guerre de l'énergie » procure à la Russie le potentiel financier nécessaire à son réarmement.
a évoqué le sort des bases navales russes en Crimée et la situation en Transnistrie. Il s'est interrogé sur la politique russe concernant le programme nucléaire iranien.
a rappelé que l'URSS avait noué des liens privilégiés avec certains pays d'Asie du sud-est et d'Afrique et a souhaité savoir si la Russie les avait maintenus.
s'est également interrogé sur la nature des relations russo-iraniennes.
s'est inquiété des modalités de destruction des importants stocks d'armes chimiques et biologiques.
En réponse Mme Isabelle Facon a apporté les précisions suivantes :
- il est très difficile d'évaluer avec précision la part du budget russe consacrée à la défense ; on estime souvent que ce budget est globalement équivalent au budget français - mais les effectifs et les arsenaux des deux pays sont très différents. Le gouvernement s'efforce d'accroître la part du budget de défense consacrée à l'équipement - de l'ordre de 25 à 30 % dans les années 1990, elle atteint environ 45 % aujourd'hui et devrait être portée à 50 % pour 2011. L'équivalent de 185 milliards de dollars devait être consacré aux dépenses d'équipement sur la période 2007-2015, mais ce programme d'armement a été remis en cause du fait du retard pris dans sa mise en oeuvre ;
- il était important que la réponse de l'Union européenne lors de la crise géorgienne soit rapide et ferme comme elle l'a été, mais la Russie n'a laissé qu'une faible marge de manoeuvre à l'Europe, comme en témoignent notamment la teneur du plan Medvedev-Sarkozy, marqué par les « préférences » russes, ou encore la lenteur des retraits russes et, finalement, le choix de Moscou de reconnaître l'indépendance de l'Ossétie et de l'Abkhazie. Cela montre, concernant la possibilité d'une coopération stratégique UE-Russie, qu'il y a lieu de s'interroger : si la Russie est prête à une coopération avec l'Europe en Afghanistan ou au Tchad, elle ne l'est pas pour le continent partagé (Balkans, voisinage commun...). En Transnistrie, l'Union européenne ne devrait pas hésiter à opter pour une attitude plus ferme, car il s'agit du « conflit gelé » sans doute le plus ouvert à la négociation avec la Russie ;
- il y a eu, effectivement, perte d'une génération en matière de recherche militaire, ce qui complète l'analyse du problème de l'échec à soutenir le système de R&D et d'innovation militaires. La fuite des cerveaux observée au début des années 1990 a probablement contribué à la prolifération iranienne. Mais ce risque a été assez rapidement pris en charge par divers mécanismes internationaux. La Russie s'efforce aujourd'hui de refonder le secteur de la science militaire, mais rencontre beaucoup de difficultés du fait de la modicité des salaires offerts et du peu de prestige dont jouit aujourd'hui ce secteur ;
- la Russie possède encore une indéniable capacité d'influence dans les pays baltes, à travers les communautés russes et russophones, et de sa présence importante au sein de leur économie. Si la Russie dispose d'une capacité de nuisance, l'appartenance de ces pays aux structures euro-atlantiques préserve sans doute leur sécurité en les prémunissant contre un éventuel scénario « à la géorgienne » (l'intervention russe ayant été menée au nom de la protection des « casques bleus » russes et des compatriotes) ;
- la Russie a indéniablement la volonté de garder sa flotte à Sébastopol, en Crimée, au-delà de 2017, date de la fin du bail en cours. A cet égard, elle peut s'appuyer sur les populations locales ; l'attitude russe dans le conflit en Géorgie comportait un message explicite à l'Ukraine. Les dirigeants russes espèrent cependant ne pas avoir à aller aussi loin, et que Kiev sera amenée à modérer sa volonté d'intégrer l'OTAN, qui n'est soutenue que par une minorité de la population ukrainienne, et alors que l'Ukraine traverse une crise politique et économique, le tout devant renforcer « naturellement », selon le scénario idéal envisagé à Moscou, son intérêt à coopérer avec la Russie ;
- la diplomatie russe s'est redéployée, depuis les années 1990, vers l'Amérique latine et le Moyen-Orient, mais semble moins active sur le continent africain. Quand elle y est présente, les intérêts économiques prévalent (armement, énergie, nucléaire...), il n'y a pas de dimension politique forte comme dans les deux autres régions citées. Les ventes d'armes à l'Algérie ont été facilitées par l'effacement des dettes de ce pays au profit d'acquisitions d'armes russes. La Russie place ses espoirs dans la réalisation d'un schéma similaire avec la Libye, avec laquelle des contrats relativement importants sont attendus ;
- envers l'Iran, la position russe est évolutive : Moscou n'a aucun intérêt à un Iran nucléarisé, mais évalue avec moins de pessimisme que l'Occident le degré d'avancement des capacités nucléaires et balistiques iraniennes. Le récent contexte de confrontation avec les Etats-Unis a conduit Moscou à soutenir activement l'Iran ; l'autre cause de ce soutien étant la volonté d'y enraciner ses intérêts économiques. La nécessité de maintenir l'image d'un fournisseur fiable envers d'éventuels autres clients a aussi conduit la Russie à ne pas reculer face aux pressions américaines touchant à la réalisation de la centrale nucléaire de Bushehr. Cependant, la Russie s'est ouvertement inquiétée face aux différents tirs de missiles iraniens, estimant que Téhéran met ainsi à mal son effort de médiation. La Russie craint aussi un risque de prolifération en chaîne à l'échelle régionale. La souplesse de l'administration à l'égard de Moscou sur certaines questions clefs (antimissiles et élargissement de l'OTAN) pourrait donc amener la Russie à prendre assez rapidement des distances avec Téhéran ;
- la destruction des armes chimiques se fait par à-coups, mais dans la transparence, et est programmée pour s'achever en 2012, avec une forte aide internationale ; le dispositif russe en matière d'armes biologiques est entouré de la plus grande opacité.
Puis la commission a entendu M. Alexis Bautzmann, directeur du centre d'analyse et de prévision des risques, sur la crise russo-géorgienne de l'été 2008.
accueillant M. Bautzmann, a indiqué qu'il se trouvait à Tbilissi lors du déclenchement de la crise et que son témoignage intéressait à ce titre la commission.
a tout d'abord rappelé que pour les différents protagonistes rencontrés quelques jours avant le déclenchement de la crise, l'Ossétie du Sud ne semblait pas présenter, à la différence de l'Abkhazie, un risque de conflit imminent.
Le fait que, quelques heures avant le début des hostilités, le président Saakachvili s'apprêtait à partir pour les jeux olympiques de Pékin, semble démentir la thèse d'une préparation de la crise par l'armée géorgienne.
Symboles du renouvellement de la classe politique après l'indépendance, l'extrême jeunesse et la totale inexpérience des membres du cabinet du président Saakachvili expliquent la gestion chaotique de la crise, sous l'angle de la communication comme pour les aspects opérationnels.
a observé que contrairement à leurs affirmations, les Russes avaient conservé le monopole de l'information, l'interruption des liaisons aériennes via la Russie ayant différé de 48 heures l'arrivée des premiers journalistes occidentaux. La perspective russe, notamment les allégations de nettoyage ethnique, a longtemps prédominé, les occidentaux ne disposant pas d'une analyse fiable de la situation.
Les Russes ont ainsi réussi à faire croire qu'ils allaient envahir Tbilissi alors qu'ils en étaient incapables. Les forces russes ne l'ont emporté qu'avec difficulté dans les combats. Pourtant, l'aide américaine à la Géorgie est restée très limitée, de l'ordre de 60 millions de dollars. Les troupes géorgiennes entrainées se trouvaient en Irak et, à leur retour, elles ont été déployées autour de Tbilissi.
Tbilissi constitue le foyer patriotique de la Géorgie ; la ville a fourni l'essentiel des recrues dans les combats des années 1990. Les Russes auraient certainement rencontré une résistance acharnée et n'auraient pas pu tenir la ville, pour des raisons diplomatiques.
Faute d'une expertise suffisante en France sur les forces militaires russes, la diplomatie française n'a pas correctement évalué les moyens militaires de la Russie, en décalage complet avec la rhétorique de puissance de ce pays. Un accord de cessez-le-feu très contestable a donc été conclu qui, à la grande satisfaction de la diplomatie russe, reconnaît à la Russie le droit de défendre les intérêts des populations russophones hors de ses frontières.
Pourtant, les Russes eux-mêmes ont constaté les mêmes défaillances opérationnelles que dans la guerre de Tchétchénie : une mauvaise organisation de la chaîne de commandement qui fait peser une charge excessive sur des officiers subalternes insuffisamment formés, peu d'évolution réelle malgré une volonté politique de modernisation de l'armée, une moindre capacité opérationnelle en zone urbaine, une protection insuffisante de l'aviation, un déficit en moyens de communication.
De leur côté, les Géorgiens ont fait preuve d'une grande difficulté à gérer les conscrits et d'une certaine désorganisation de la chaine de commandement.
Ces différents éléments expliquent que le conflit n'ait duré que cinq jours, mais la victoire russe est une victoire par défaut qui a par ailleurs clairement montré les insuffisances et les faiblesses de l'armée russe.
s'est interrogé sur l'évaluation des risques par le président géorgien. Qu'il ait été inconscient ou dissimulateur, le résultat de son action est une installation durable des Russes en Ossétie du Sud.
a souligné la difficulté de déterminer l'origine du conflit. La situation semblait plutôt s'améliorer en Ossétie du Sud où les Russes n'ont pas de réel intérêt stratégique à l'exception du tunnel de Roki. Globalement, tous les acteurs ont été pris au piège d'une escalade progressive des tensions dues aux milices ossètes et à la stratégie des responsables abkhazes et ossètes consistant à engager la Russie dans un conflit qui leur garantissait soutien et protection. En effet, le 4 août 2008, elles ont refusé une médiation alors que la Russie semblait adresser le signal d'une certaine lassitude à leur endroit. Ce signal a induit les Géorgiens en erreur qui n'ont pas anticipé correctement ni la rapidité de la réaction russe, ni l'absence de réaction américaine. Les Géorgiens, persuadés d'être des occidentaux, se sont sentis trahis.
a considéré que ce sentiment rappelait le précédent historique de Munich.
s'est étonné de ce que les différents services présents sur place n'aient pas été en mesure de fournir une analyse correcte de la situation.
a considéré que la France, à la différence de l'Allemagne, manquait d'expertise sur le Caucase.