Pour la préparation de son rapport, réalisé sans l'appui d'un seul assistant, M. Nicolas Tenzer a indiqué qu'il s'était rendu dans vingt-deux pays, avait pris contact avec quarante organisations internationales et rencontré quelque 1 300 personnes.
Il a estimé que le sujet de l'expertise internationale pouvait, certes, paraître technique, mais qu'il était néanmoins au coeur des questions de politique étrangère. Il a rappelé que la notion d'expertise internationale recouvrait trois types d'expert : les experts mobilisés dans le cadre d'appels d'offres lancés par des organisations internationales, des Etats, des grandes collectivités locales ou encore de grandes fondations, notamment américaines, et demain des fonds souverains, les experts participant aux groupes de travail mis en place par les organisations internationales pour l'élaboration de leur stratégie et les experts présents dans les think tanks où contribue à se fabriquer l'opinion mondiale et où se forgent les positions des Etats.
Il a relevé quatre enjeux principaux. Un enjeu économique et d'emploi, tout d'abord, tient au volume des marchés en jeu, 400 milliards d'euros sur les cinq prochaines années. Il s'agit de marchés extrêmement concurrentiels. Un enjeu d'influence ensuite se joue dans l'élaboration des normes techniques, dont les Français sont largement absents, des normes juridiques et des « bonnes pratiques ». Un enjeu de présence sur les questions globales et la politique de développement, par l'élaboration de règles et de recommandations, appelle des actions urgentes. Un enjeu de sécurité, enfin, est mieux pris en compte par l'administration française, qu'il s'agisse de lutte anti-terrorisme, de lutte anti-blanchiment ou de sécurité sanitaire, mais l'effort pourrait être encore accru. M. Nicolas Tenzer a souligné que l'expertise internationale pouvait également être source de renseignement et d'intelligence économique, mais qu'elle était insuffisamment exploitée.
Il a ensuite dressé le constat de la faiblesse de la présence française sur les grands appels d'offres internationaux. Il a ainsi noté que nul n'assurait le suivi des appels d'offres internationaux dans la plupart des ambassades et dans les administrations centrales, si l'on excepte les jumelages européens, et que certaines ambassadeurs n'avaient pas de contact régulier et suivi avec les chefs de délégation de l'Union européenne, du programme des Nations unies pour le développement ou des banques de développement dans leur pays de résidence, alors que les concurrents directs de la France entretenaient des contacts permanents et orientaient leurs projets sur le terrain en conséquence. Il s'est alarmé de la faible capacité de proposition de la France en la matière, ce qui nous distingue de nos concurrents.
Il a souligné l'absence de réactivité globale du système français, la faible mobilisation des experts, l'absence de point de contact en administration centrale, de crédits disponibles pour des actions de prospection, ou encore, parfois, de garantie sur la qualité des personnes envoyées.
Il a rappelé que le vivier français d'experts était surtout constitué de fonctionnaires dont l'expérience n'était pas valorisée dans l'évolution de leur carrière, alors que les autres Etats faisaient appel à une ressource beaucoup plus large composée de grands cabinets de conseil privés et d'un milieu universitaire plus vaste. Il a déploré la faiblesse du cadrage stratégique de la présence et des contributions françaises dans les organisations internationales, auxquelles ne sont guère assignés d'objectifs précis. Il a aussi regretté la place trop réduite de nos experts dans les comités de plusieurs organisations qui en définissent la stratégie à moyen terme et la chaise vide de la France dans plusieurs réunions importantes.
D'une façon plus générale, il a considéré que l'absence de vision stratégique en matière d'expertise internationale s'expliquait par le fait que la politique n'avait pas de définition stratégique à moyen terme des grandes priorités, région par région, secteur par secteur et pays par pays. L'expertise ne figure que de manière exceptionnelle dans les plans d'action des ambassadeurs.
Il a regretté l'absence de pensée stratégique, de plan de développement de l'expertise internationale et de coordination d'opérateurs extrêmement dispersés, tout en soulignant qu'il convenait de ne pas les rassembler tous en un seul organisme centralisé sous peine de perdre des compétences, essentiellement liées aux différentes filières de métier. Il a souligné qu'aucun opérateur n'avait aujourd'hui les compétences et la légitimité pour devenir « l'opérateur des opérateurs » et qu'un opérateur n'avait pas vocation à définir une stratégie. Il a souligné les difficultés de mobilisation des experts et l'absence de fonds d'amorçage qui permettraient de se positionner sur les programmes internationaux et de répondre aux demandes des Etats et des collectivités, voire de les solliciter.
Abordant ensuite les mesures correctives à mettre en oeuvre, M. Nicolas Tenzer a rappelé les atouts de l'expertise française, sa position politique et stratégique dans un certain nombre de régions, la qualité de nombreux experts, sa présence sur le terrain grâce à son réseau et enfin certains vrais succès.
Il a souligné la nécessité au sommet de l'Etat d'un plan d'action prioritaire sur l'expertise internationale, d'un conseil interministériel chargé de la définition d'une stratégie, insistant sur la nécessité de mobiliser les experts par grandes filières et de développer une expertise internationale française qui n'a pas la taille critique requise.
Il a ainsi noté qu'il existait de très bons opérateurs sachant mobiliser les ressources du secteur privé, du secteur public ou encore du milieu universitaire, mais que leur capacité d'action était aujourd'hui trop limitée. Il a insisté sur la nécessité de nommer un haut responsable interministériel pour l'expertise internationale, chargé d'organiser, de développer et d'assurer le suivi permanent des actions d'expertise internationale, et de créer une direction des affaires globales et du développement, comme l'amiral Jacques Lanxade et lui-même l'avaient déjà proposé dans leur rapport de 2002 Organiser la politique européenne et internationale de la France. Il se félicite d'ailleurs de ce que cette orientation ait été retenue. Il convient également d'intégrer l'expertise dans les plans nationaux de collecte du renseignement, d'organiser une présence active dans les think tanks et les comités d'experts des organisations internationales et de valoriser l'expérience dans ce domaine dans les carrières des fonctionnaires.
En conclusion, il a souligné l'urgence du développement de l'expertise internationale pour laquelle la France a une responsabilité historique, mais dont les ambitions ne semblent pas portées assez haut. Ayant pu apprécier l'avance de nos concurrents, il considère que notre fenêtre de tir n'excède pas deux ou trois ans.