Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 24 juin 2008 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • expert
  • expertise
  • expertise internationale

La réunion

Source

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Nicolas Tenzer, administrateur civil hors classe, président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique, sur son rapport relatif à l'expertise internationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Accueillant M. Nicolas Tenzer, M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que le rapport, sur l'expertise internationale, remis au Premier ministre et aux autres ministres l'ayant mandaté (Affaires étrangères et européennes, Economie, Industrie et Emploi, Fonction publique), pointait à la fois une absence de stratégie globale et la faiblesse de l'offre, tout en proposant une stratégie de reconquête qui suppose des réorganisations substantielles.

Debut de section - Permalien
Nicolas Tenzer, administrateur civil hors classe, président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique

Pour la préparation de son rapport, réalisé sans l'appui d'un seul assistant, M. Nicolas Tenzer a indiqué qu'il s'était rendu dans vingt-deux pays, avait pris contact avec quarante organisations internationales et rencontré quelque 1 300 personnes.

Il a estimé que le sujet de l'expertise internationale pouvait, certes, paraître technique, mais qu'il était néanmoins au coeur des questions de politique étrangère. Il a rappelé que la notion d'expertise internationale recouvrait trois types d'expert : les experts mobilisés dans le cadre d'appels d'offres lancés par des organisations internationales, des Etats, des grandes collectivités locales ou encore de grandes fondations, notamment américaines, et demain des fonds souverains, les experts participant aux groupes de travail mis en place par les organisations internationales pour l'élaboration de leur stratégie et les experts présents dans les think tanks où contribue à se fabriquer l'opinion mondiale et où se forgent les positions des Etats.

Il a relevé quatre enjeux principaux. Un enjeu économique et d'emploi, tout d'abord, tient au volume des marchés en jeu, 400 milliards d'euros sur les cinq prochaines années. Il s'agit de marchés extrêmement concurrentiels. Un enjeu d'influence ensuite se joue dans l'élaboration des normes techniques, dont les Français sont largement absents, des normes juridiques et des « bonnes pratiques ». Un enjeu de présence sur les questions globales et la politique de développement, par l'élaboration de règles et de recommandations, appelle des actions urgentes. Un enjeu de sécurité, enfin, est mieux pris en compte par l'administration française, qu'il s'agisse de lutte anti-terrorisme, de lutte anti-blanchiment ou de sécurité sanitaire, mais l'effort pourrait être encore accru. M. Nicolas Tenzer a souligné que l'expertise internationale pouvait également être source de renseignement et d'intelligence économique, mais qu'elle était insuffisamment exploitée.

Il a ensuite dressé le constat de la faiblesse de la présence française sur les grands appels d'offres internationaux. Il a ainsi noté que nul n'assurait le suivi des appels d'offres internationaux dans la plupart des ambassades et dans les administrations centrales, si l'on excepte les jumelages européens, et que certaines ambassadeurs n'avaient pas de contact régulier et suivi avec les chefs de délégation de l'Union européenne, du programme des Nations unies pour le développement ou des banques de développement dans leur pays de résidence, alors que les concurrents directs de la France entretenaient des contacts permanents et orientaient leurs projets sur le terrain en conséquence. Il s'est alarmé de la faible capacité de proposition de la France en la matière, ce qui nous distingue de nos concurrents.

Il a souligné l'absence de réactivité globale du système français, la faible mobilisation des experts, l'absence de point de contact en administration centrale, de crédits disponibles pour des actions de prospection, ou encore, parfois, de garantie sur la qualité des personnes envoyées.

Il a rappelé que le vivier français d'experts était surtout constitué de fonctionnaires dont l'expérience n'était pas valorisée dans l'évolution de leur carrière, alors que les autres Etats faisaient appel à une ressource beaucoup plus large composée de grands cabinets de conseil privés et d'un milieu universitaire plus vaste. Il a déploré la faiblesse du cadrage stratégique de la présence et des contributions françaises dans les organisations internationales, auxquelles ne sont guère assignés d'objectifs précis. Il a aussi regretté la place trop réduite de nos experts dans les comités de plusieurs organisations qui en définissent la stratégie à moyen terme et la chaise vide de la France dans plusieurs réunions importantes.

D'une façon plus générale, il a considéré que l'absence de vision stratégique en matière d'expertise internationale s'expliquait par le fait que la politique n'avait pas de définition stratégique à moyen terme des grandes priorités, région par région, secteur par secteur et pays par pays. L'expertise ne figure que de manière exceptionnelle dans les plans d'action des ambassadeurs.

Il a regretté l'absence de pensée stratégique, de plan de développement de l'expertise internationale et de coordination d'opérateurs extrêmement dispersés, tout en soulignant qu'il convenait de ne pas les rassembler tous en un seul organisme centralisé sous peine de perdre des compétences, essentiellement liées aux différentes filières de métier. Il a souligné qu'aucun opérateur n'avait aujourd'hui les compétences et la légitimité pour devenir « l'opérateur des opérateurs » et qu'un opérateur n'avait pas vocation à définir une stratégie. Il a souligné les difficultés de mobilisation des experts et l'absence de fonds d'amorçage qui permettraient de se positionner sur les programmes internationaux et de répondre aux demandes des Etats et des collectivités, voire de les solliciter.

Abordant ensuite les mesures correctives à mettre en oeuvre, M. Nicolas Tenzer a rappelé les atouts de l'expertise française, sa position politique et stratégique dans un certain nombre de régions, la qualité de nombreux experts, sa présence sur le terrain grâce à son réseau et enfin certains vrais succès.

Il a souligné la nécessité au sommet de l'Etat d'un plan d'action prioritaire sur l'expertise internationale, d'un conseil interministériel chargé de la définition d'une stratégie, insistant sur la nécessité de mobiliser les experts par grandes filières et de développer une expertise internationale française qui n'a pas la taille critique requise.

Il a ainsi noté qu'il existait de très bons opérateurs sachant mobiliser les ressources du secteur privé, du secteur public ou encore du milieu universitaire, mais que leur capacité d'action était aujourd'hui trop limitée. Il a insisté sur la nécessité de nommer un haut responsable interministériel pour l'expertise internationale, chargé d'organiser, de développer et d'assurer le suivi permanent des actions d'expertise internationale, et de créer une direction des affaires globales et du développement, comme l'amiral Jacques Lanxade et lui-même l'avaient déjà proposé dans leur rapport de 2002 Organiser la politique européenne et internationale de la France. Il se félicite d'ailleurs de ce que cette orientation ait été retenue. Il convient également d'intégrer l'expertise dans les plans nationaux de collecte du renseignement, d'organiser une présence active dans les think tanks et les comités d'experts des organisations internationales et de valoriser l'expérience dans ce domaine dans les carrières des fonctionnaires.

En conclusion, il a souligné l'urgence du développement de l'expertise internationale pour laquelle la France a une responsabilité historique, mais dont les ambitions ne semblent pas portées assez haut. Ayant pu apprécier l'avance de nos concurrents, il considère que notre fenêtre de tir n'excède pas deux ou trois ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

s'est interrogé sur la prise en compte de cette dimension de l'expertise internationale par les travaux du Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France.

Debut de section - Permalien
Nicolas Tenzer, administrateur civil hors classe, président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique

a précisé que cette mission sur l'expertise internationale lui avait été confiée, en février 2007, avant le début des travaux de la commission du Livre blanc et même avant ceux de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Il a rappelé qu'il avait remis, le 17 août 2007, un rapport d'étape, dont certaines propositions n'allaient peut-être pas dans le sens de ce qu'attendait le ministère des Affaires étrangères et européennes et que pour cette raison, sans doute, elles n'avaient rencontré que peu d'écho dans les travaux du Livre blanc si l'on en juge par le rapport intermédiaire. Tout en soulignant que les deux président de la Commission du Livre blanc, M. Alain Juppé et M. Louis Schweitzer lui avaient écrit séparément pour lui exprimer leur plein accord avec son analyse, il s'est étonné de n'avoir pas été auditionné par elle, alors que l'expertise internationale constitue l'instrument essentiel de l'action extérieure de la France dans tous les domaines, à l'exception des affaires strictement politiques, et que l'organisation tant de l'administration centrale que des postes diplomatiques doit être revue en conséquence. Il a estimé que le ministère des affaires étrangères n'avait pas les moyens, en l'état actuel des choses, de coordonner l'ensemble des acteurs de l'action extérieure. Prenant l'exemple du développement, il a souligné les compétences remarquables de l'Agence française de développement (AFD), dont les autorités sont présentes et comptent dans les organismes internationaux, alors que la direction générale du ministère, quant à elle, ne pèse pas.

Il a noté que le ministère de l'Agriculture et de la Pêche allait se doter d'un plan d'actions et a insisté sur la nécessité de préserver les compétences, là où elles existent. Il a rappelé qu'il avait déjà suggéré en 2002 que le ministère des Affaires étrangères se dotât d'une direction de la stratégie qui serait fusionnée avec le centre d'analyse et de prévision, dont les moyens ne sont pas comparables à la plupart de ses équivalents étrangers. Il a par ailleurs souligné que le ministère des affaires étrangères devait, compte tenu de l'évolution de ses tâches, devenir plus interministériel en accueillant, par exemple, un tiers de ses cadres dirigeants en provenance d'autres ministères. Une réciprocité devrait naturellement être organisée. La future direction générale des affaires globales et du développement devrait ainsi être interministérielle dans sa composition.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

a déclaré partager les principales conclusions de l'analyse de M. Tenzer, dont elle a salué la lucidité. Elle a souligné la disponibilité d'intelligences et de talents français dans le monde entier et a insisté sur la nécessité de travailler sur la longue durée dans ce domaine de l'expertise internationale.

Debut de section - Permalien
Nicolas Tenzer, administrateur civil hors classe, président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique

a souligné que la notion de durée était effectivement très importante et que la coopération multilatérale devait être préparée par des actions bilatérales.

C'est ainsi que nos partenaires ont développé une capacité à faire financer par d'autres les actions qu'ils souhaitent promouvoir, mais la France n'a pas de politique clairement orientée en ce sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

a considéré que les propos de M. Tenzer étaient marqués par un pessimisme excessif. Il a appelé à la prudence sur le qualificatif d'expert, soulignant que les fonctionnaires du ministère des affaires étrangères disposaient d'une véritable capacité d'analyse, mais qu'ils manquent de moyens et que les grandes sociétés présentes dans les pays émergents n'en avaient, au demeurant, pas besoin. Il a considéré que l'intelligence économique devait, en revanche, être développée et qu'au sein des organisations internationales, la France devait cesser de ne viser que les postes de direction et se concentrer sur les postes d'influence. Il a cependant rappelé que les fonctionnaires internationaux s'engageaient dans leur contrat à ne pas travailler pour le compte de leur propre pays.

Debut de section - Permalien
Nicolas Tenzer, administrateur civil hors classe, président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique

a rappelé qu'il proposait dans son rapport une certification des experts par domaine et par compétence et qu'il avait effectué des remarques analogues sur le placement des Français dans les organisations internationales. Il a reconnu que l'on trouvait au ministère des affaires étrangères des personnes d'une qualité exceptionnelle, mais que cette administration devait mieux valoriser ses capacités par une meilleure organisation et une gestion plus rigoureuse de ses compétences. Les critiques portées dans son rapport, a-t-il précisé, visent les moyens et la stratégie d'ensemble du ministère, non les personnes. Il a souligné que si les grandes entreprises disposaient de leur propre réseau, le soutien de l'Etat était, en revanche, indispensable pour les cabinets de conseil de petite taille. Il a rappelé que l'intelligence économique comportait, au-delà des contre-feux à apporter aux actions intrusives, deux aspects, la connaissance des marchés et la surveillance de la concurrence. Il avait d'ailleurs mentionné cette dimension dans son rapport.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

s'est interrogé sur le profil des experts, sur l'ampleur de la barrière linguistique et sur l'évolution des rémunérations.

Debut de section - Permalien
Nicolas Tenzer, administrateur civil hors classe, président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique

a précisé que cette barrière linguistique existait surtout encore au sein de la fonction publique, mais qu'elle était moindre qu'il y a vingt ans. Une formation de mise à niveau en anglais comme d'autres formations pourraient être dispensées à des experts préalablement identifiés, appelés à accomplir de manière régulière des missions à l'étranger, et les capacités linguistiques devraient entrer dans le processus de certification. Il a indiqué que les rémunérations proposées par les organisations internationales pouvaient être très confortables, mais que dans le cadre des appels d'offres lancés par des Etats, les experts souffraient d'une concurrence accrue de pays émergents, dont les standards de rémunération étaient inférieurs à ceux des pays occidentaux. Il a par ailleurs insisté sur la nécessité d'inclure des experts d'autres pays dans nos viviers d'experts. En revanche, les rémunérations allouées dans le cadre de jumelage sont peu attractives pour le secteur privé. Le système des Nations unies lui-même, sous l'effet notamment de la baisse du dollar, présente également une attractivité moindre.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Guerry

a souligné l'importance pour les entreprises de l'implication de l'ambassadeur dans les processus de marché qui dépendent d'une décision politique. Il a insisté sur la capacité de mobilisation des chambres de commerce allemandes à apporter une réponse aux besoins des PME et PMI.

Debut de section - Permalien
Nicolas Tenzer, administrateur civil hors classe, président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique

a souligné que la capacité de réponse des missions économiques s'était améliorée au cours des dix dernières années. S'interrogeant sur leur avenir, dans la mesure où le secteur marchand est transféré à UBIFRANCE, il a souhaité que la dimension régalienne, qui demeure, comporte un rôle de surveillance des appels d'offres.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

En réponse à M. Josselin de Rohan, président, qui s'interrogeait sur les suites à donner au rapport, M. Nicolas Tenzer a appelé le Parlement à contrôler et à suivre la façon dont pourraient être mises en oeuvre les propositions du rapport et la façon dont elles seront prises en compte dans le Livre blanc sur la politique étrangère et dans la mise en oeuvre des décisions prises par les deux derniers Conseils de modernisation des politiques publiques. Il a souhaité que la dimension de l'expertise soit prise en considération par la loi organique sur les lois de finances. Il a indiqué que le rapport n'avait pas à ce jour entraîné de prise de position officielle du ministère des affaires étrangères et européennes et regretté que celui-ci n'ait pas été encore mis en ligne sur son site Internet et publié. Il a considéré aussi que le fait de confier à un opérateur d'un ministère quelconque le soin de coordonner les autres opérateurs était une erreur. En revanche, ce ministère gagnerait à se doter d'un opérateur spécifique en matière de gestion des sorties de crise et d'action humanitaire, sans doute en liaison avec le ministère de la défense. Il est par ailleurs conforme aux bonnes pratiques de distinguer les fonctions d'opérateur, celles de définition d'une stratégie et celles d'évaluation. Il a exprimé la crainte que l'expertise internationale ne soit considérée comme un sujet technique et qu'on n'en mesure pas les implications politiques en termes d'intérêt national.

a souhaité que le Sénat s'implique dans le suivi de l'application des propositions du rapport.

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Philippe Esper, président du Conseil économique de défense pour la présentation du mémorandum sur le projet « Eurodéfense ».

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

a tout d'abord précisé que le memorandum « Eurodéfense », adopté par le Conseil économique de défense, proposait aux autorités françaises de prendre une initiative forte et structurante en matière de défense européenne, lors de la présidence française de l'Union européenne. Il s'agirait, en l'occurrence, de proposer à tout pays de l'Union européenne qui le veut et qui le peut de promouvoir une « Eurodéfense », dans le cadre juridique d'une « coopération permanente structurée », tel que proposé par le traité de Lisbonne et sur le modèle de ce qui a été fait pour l'euro en matière monétaire. Le président a ensuite posé la question de savoir si, après le référendum irlandais sur le traité de Lisbonne, une telle initiative était encore possible ou bien si la voie d'une simple déclaration des chefs d'Etat et de gouvernement sur les capacités de défense ne pouvait constituer une alternative possible.

Debut de section - Permalien
Philippe Esper, président du Conseil économique de défense

Après avoir rapidement présenté le Conseil économique de défense, M. Philippe Esper a répondu que les auteurs du rapport ne s'étaient pas spécialement penchés sur la forme institutionnelle de l'initiative, mais avaient privilégié son contenu et son objectif : N'est-il pas temps, cinquante quatre ans après l'échec de la Communauté européenne de défense, de construire l'Europe de la défense ? N'est-il pas temps, cinquante ans après la réponse négative au memorandum du Général de Gaulle pour un directoire à trois de l'Alliance atlantique, de proposer un directoire à deux entre Etats-Unis et « Eurodéfense » ? Force est de constater que l'évolution spontanée des choses, « au fil de l'eau », n'aboutit pas à des progrès et des résultats suffisants, pouvant être qualifiés d'Europe de la défense. Aujourd'hui, deux pays seulement, le Royaume-Uni et la France, ont encore des industries de défense capables de couvrir l'ensemble des besoins des armées et des forces militaires capables de remplir (pour combien de temps ?) l'essentiel des missions de défense. Certains pays ont, certes, des entreprises performantes, mais, mises ensemble, leurs capacités de recherche, de conception et de production ne couvrent pas le spectre des besoins. Ayant analysé cette situation depuis cinq ans, le Conseil économique de défense a souhaité proposer aux autorités françaises de s'engager sur une initiative consistant, notamment, à regrouper les Etats prédisposés à consentir progressivement à un effort de défense raisonnable, à mettre en place un état-major européen, à partager leurs capacités opérationnelles et industrielles (programmes et recherche) et à organiser, de façon cohérente leur tissu industriel (y compris la sauvegarde de centres de gravité européens des entreprises d'aéronautique et d'armement, sans lesquelles le concept de défense est vide de sens).

S'agissant de l'effort de défense, M. Philippe Esper a proposé de réfléchir à l'hypothèse d'école suivante. Si l'ensemble des pays européens effectuait le même effort de défense, en pourcentage, que la Grande-Bretagne ou la France, le budget d'équipement des forces européennes, actuellement d'un peu plus de cinquante milliards d'euros, contre cent cinquante aux Etats-Unis, passerait à quatre-vingt milliards d'euros. Si, en outre, le volume des effectifs militaires européens était aligné sur celui des Etats-Unis, ce budget passerait à cent dix milliards, ce qui ne serait pas excessif pour un ensemble démographique une fois et demi supérieur à celui des Etats-Unis, ayant un revenu global supérieur au revenu américain et une vocation mondiale à faire entendre un message de soft power aussi intéressant et crédible que les messages américain, chinois, russe ou indien. A l'occasion du dernier Conseil européen de l'année, une déclaration politique se limitant à lancer les principales têtes de chapitre d'une « Eurodéfense » et à proposer la rédaction en 2009 d'un cahier des charges pourrait inviter les pays qui le souhaitent à rejoindre ce projet.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

a indiqué que ce rapport intervenait à un bon moment. Toutefois, les questions qu'il soulève sont indissociables du problème de l'Otan. Beaucoup de pays européens ne voient pas pour quelles raisons ils accroîtraient leurs dépenses de défense, compte tenu du rôle joué par l'Otan. Par ailleurs, il s'est interrogé sur le fait de savoir quels pays européens seraient vraiment prêts à s'engager et à partager avec la France le fardeau financier de cette initiative. Il a souligné le caractère incontournable du Royaume-Uni et s'est interrogé sur sa volonté d'aller dans cette direction. Enfin, il s'est déclaré sceptique quant au pouvoir mobilisateur d'un objectif centré sur la construction d'une industrie européenne de la défense.

Debut de section - Permalien
Philippe Esper, président du Conseil économique de défense

En réponse, M. Philippe Esper a déclaré qu'il ne portait pas de jugement réservé sur le rapprochement de la France avec l'Otan. Selon lui, une augmentation de l'effort de défense des pays européens serait peut-être de nature à encourager les Américains, qui, après tout, portent seuls l'essentiel du fardeau financier, et à favoriser l'émergence d'un pilier européen. Il convient, en tout état de cause, d'attendre la nouvelle administration américaine qui aurait à confirmer ou à infirmer cette orientation. Le partager peut aussi présenter des avantages. Il estime, avec le Conseil économique de la défense, utile et possible de parler avec la nouvelle administration américaine en ce sens. Il a en outre indiqué que les enquêtes d'opinion (depuis 7 ans dans 5 pays européens : Allemagne, Espagne, France, Italie, et le Royaume-Uni) semblaient montrer que, s'agissant de la défense, les peuples européens étaient « en avance » sur les gouvernements (y compris au Royaume-Uni) et qu'ils aspiraient à une telle construction. S'agissant de la position des autorités britanniques, M. Philippe Esper a indiqué que, selon ses informations, celles-ci n'étaient pas prêtes à lever leur veto à la constitution d'un état-major européen opérationnel. Néanmoins, la Grande-Bretagne se rend compte que les dividendes de ses investissements, en tant qu'allié spécial et indéfectible des Etats-Unis d'Amérique, ne sont pas à la hauteur de ses espérances. La participation anglaise au Joint Strike Fighter, en particulier, ne s'est pas située en tant que partenaire mais en tant que sous-traitant. M. Philippe Esper a ajouté que, même si les Anglais n'étaient pas prêts à nous suivre à court terme et sans une invite (putative) américaine, cela ne devait pas nous empêcher de prendre des initiatives. Concernant les industries de la défense autres que française et anglaise, il a indiqué qu'il fallait bien envisager un réfléchi et réel aménagement du territoire au niveau européen et distribuer les capacités européennes de production équitablement entre les pays de la communauté (avec les mêmes contraintes de bonne gestion et d'équilibre géographique qu'à l'intérieur de chaque pays européen).

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

a qualifié la réflexion du président Philippe Esper de rafraîchissante et d'intéressante. Elle a indiqué qu'il n'était pas souhaitable d'attendre encore cinquante ans avant de construire l'Europe de la défense et qu'il fallait réfléchir en dehors du présupposé arrimage à l'Otan.

Debut de section - Permalien
Philippe Esper, président du Conseil économique de défense

En réponse, M. Philippe Esper a indiqué que, comparées aux grandes vagues de coopération des années 60 à 90 (avions, hélicoptères, missiles), ces dernières années, les programmes d'équipement de matériel de défense menés au niveau européen n'avaient jamais été aussi faibles, à l'exception du transport militaire et des frégates. Dans ces conditions, il n'était pas invraisemblable de penser que, si rien n'était fait, l'Europe ne garderait pas de capacité autonome de défense à long terme, l'avenir étant compromis dans certains domaines importants (avions de combat, drones, missiles).

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Bergé-Lavigne

a considéré qu'il ne pourrait y avoir de défense forte sans une aéronautique forte. Or l'expérience d'EADS-Airbus était très décevante du point de vue de la gouvernance et elle avait le sentiment que les Allemands étaient en train d'essayer de retirer le plus d'avantages possibles de cette industrie. Elle s'est donc déclarée très pessimiste quant à la possibilité de constituer de grandes entreprises européennes d'industrie de défense.

Debut de section - Permalien
Philippe Esper, président du Conseil économique de défense

En réponse, M. Philippe Esper a indiqué que tout n'allait pas si mal chez EADS-Airbus et qu'il ne fallait pas tirer prétexte de sérieux accidents de parcours, auxquels n'échappe aucun grand groupe industriel (y compris américain) pour en donner une image négative. Par exemple, le carnet de commandes d'Airbus est rempli jusqu'à 2013. En revanche, M. Philippe Esper a reconnu que des erreurs de gestion importantes avaient été faites sur la rigueur du contrôle qualité, entraînant des hésitations en matière de produit. Il a par ailleurs déclaré qu'il n'était pas souhaitable de constituer des alliances régionales (idée d'une alliance nordique), lesquelles étaient en contradiction avec la démarche d'un projet fédérateur tel qu' « Eurodéfense », ouvert à tous les pays qui le veulent et qui le peuvent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean François-Poncet

a interrogé le président du Conseil économique de défense sur le fait de savoir ce que devait être une politique européenne de défense autonome et si ce concept recouvrait autre chose que la constitution d'un état-major européen. Pouvait-on envisager d'étoffer cet état-major sans restreindre celui de l'Otan ? S'agissant de l'effort de défense des Etats-Unis d'Amérique, M. Jean François-Poncet s'est inquiété de savoir s'il ne convenait pas de déflater les chiffres habituellement indiqués du pourcentage correspondant à l'effort de guerre en Irak et en Afghanistan. Enfin, il s'est demandé s'il était raisonnable de monter une initiative, en matière d'Europe de la défense, avec des pays qui ne fournissaient qu'un faible effort dans ce domaine, et s'il ne convenait pas de fixer des critères d'admission, ce que prévoyait, du reste, le traité de Lisbonne.

Debut de section - Permalien
Philippe Esper, président du Conseil économique de défense

En réponse, M. Philippe Esper a indiqué que l'initiative « Eurodéfense » devait évidemment recouvrir d'autres éléments que l'aspect essentiel et incontournable de l'état-major européen, à commencer par l'industrie de défense européenne (sa pérennité, sa recherche, son centre de gravité européen), la mise en place de normes communes et les systèmes d'information et de communication ou organismes info-centrés. Il s'est déclaré en particulier fort attaché aux propositions, contenues dans le memorandum « Eurodéfense », de partage de capacités (industrie, maintenance, mise en oeuvre opérationnelle) et même de partages ambitieux de la technologie dans les domaines sensibles de la défense anti-missile et de la propulsion nucléaire des sous-marins d'attaque, secteur dans lequel la France dispose d'un savoir-faire inégalé en Europe. S'agissant de la mesure de l'effort de défense américain, il a indiqué qu'il était à ce stade prévu que celui-ci devait augmenter, même si étaient neutralisées les dépenses imputables aux conflits en cours. Enfin, s'agissant de savoir qui était susceptible de rejoindre l'initiative, il a reconnu que la participation de petits pays faisant un effort de défense symbolique n'avait pas de sens, à ce stade, mais que certains grands pays comme l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, n'accomplissaient pas d'effort suffisant, alors que certains pays moyens comme la Grèce fournissaient des contributions importantes. Il a indiqué qu'à l'instar de l'euro, une « Eurodéfense » serait susceptible d'intéresser, dans un premier temps, une douzaine de pays européens, mais devrait être ouverte à toute candidature sincère et sérieuse.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

a déclaré qu'il serait difficile de prendre une telle initiative avant la mise en place d'une nouvelle administration américaine. Par ailleurs, il a indiqué que la construction européenne, en matière de défense, était conditionnée par un accord du Royaume-Uni, lequel n'était pas prêt à accepter une Europe de la défense détachée de l'Otan. Aussi bien, faudra-t-il sans doute, selon lui, se contenter de petits pas et ne pas présenter de grandes fresques susceptibles de bloquer les autres Européens. Les Anglais, de même que les Néerlandais, ne veulent pas d'état-major européen. Le principal engagement consiste à démontrer que la préparation de la gestion des opérations extérieures de l'Union serait beaucoup plus efficiente avec un état-major européen que dans la situation actuelle.

Debut de section - Permalien
Philippe Esper, président du Conseil économique de défense

Revenant, en conclusion, sur son propos introductif, M. Philippe Esper, a indiqué que cela valait quand même la peine d'essayer, car la France et l'Europe ne devaient pas prendre trop longtemps le risque d'être demain marginalisées des débats de défense et de sécurité entre Etats-Unis, Chine, Russie, Inde et autres puissances montantes.