Intervention de Josselin de Rohan

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 25 juin 2008 : 1ère réunion
Industries de défense — Audition de M. Philippe Esper président du conseil économique de défense pour la présentation du mémorandum sur le projet « eurodéfense »

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, président :

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord entendu le compte rendu, par M. Josselin de Rohan, président, d'une mission effectuée en Russie, du 21 au 25 avril 2008, qu'il conduisait et qui était composée de Mme Josette Durrieu et de MM. Jean-Pierre Fourcade, Robert Hue, Yves Pozzo di Borgo et Roger Romani.

a indiqué qu'au cours de ce déplacement, la délégation avait rencontré de nombreuses personnalités, notamment les présidents et des membres des commissions des affaires étrangères et de la défense de la Douma et du Conseil de la Fédération, le conseiller spécial de Vladimir Poutine pour les relations avec l'Union européenne, le vice-ministre des affaires étrangères, des responsables du Conseil de sécurité et du ministère de la défense, de l'opposition, de la société civile et les représentants des principales organisations de défense des Droits de l'Homme. Il a rendu hommage à l'action de notre ambassadeur en Russie, Son Exc. M. Stanislas de Laboulaye, et de ses collaborateurs, qui ont apporté une aide et un éclairage très précieux tout au long du séjour de la délégation.

Abordant d'abord la situation intérieure de la Russie, M. Josselin de Rohan, président, a rappelé qu'après la victoire du parti Russie unie aux élections législatives de décembre 2007, puis celle de Dmitri Medvedev aux élections présidentielles de mars dernier, la Russie avait connu une transition inédite, puisqu'après avoir exercé la fonction de Président de la Russie pendant plus de huit années, Vladimir Poutine avait laissé la place, le 7 mai 2008, à Dmitri Medvedev, son ancien vice-premier ministre et l'un de ses proches les plus fidèles, qui l'avait aussitôt désigné comme chef de son gouvernement.

Depuis la fin de l'Union soviétique, jamais un exécutif n'a disposé d'une assise aussi solide et jamais les contre-pouvoirs n'ont paru aussi faibles, a indiqué M. Josselin de Rohan, président.

Le Parlement est largement dominé par le parti Russie unie, qui détient la majorité des deux tiers, le parti communiste étant le seul parti d'opposition à être représenté à la Douma. Les conditions dans lesquelles se sont déroulées les deux dernières élections, qui ont été entachées d'irrégularités manifestes, l'emprise du pouvoir sur la télévision d'Etat, la tonalité de moins en moins critique de la presse, le renforcement du pouvoir central sur les 89 sujets de la Fédération ou encore le rôle de premier plan occupé par les hommes provenant des « structures de force », les « siloviki », dont Vladimir Poutine est lui-même issu, dénotent, sur nombre de points, des écarts sensibles avec les standards de la démocratie pluraliste, tels qu'ils sont conçus dans les pays occidentaux, lesquels, il est vrai, n'ont guère eu l'occasion d'être pleinement mis en oeuvre en Russie. A l'inverse, il est difficile de contester la réalité du soutien populaire à Vladimir Poutine, qui semble incarner aujourd'hui, aux yeux des Russes, la figure d'un « leader national », ayant permis à la Russie de redresser son économie et de retrouver son rang sur la scène internationale.

Dans ce contexte, on peut s'interroger sur le fonctionnement du tandem entre Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine, a fait valoir M. Josselin de Rohan, président, d'autant plus que la Constitution russe reconnaît un rôle prépondérant au Président de la Fédération, qui s'est d'ailleurs renforcé dans la pratique sous les deux mandats successifs de Vladimir Poutine.

Il a estimé que des tensions seront sans doute inévitables entre les deux hommes et que la manière dont ils parviendront à les gérer aura certainement une grande influence sur l'avenir de la Russie et de son régime.

Sur le plan économique, les deux mandats de Vladimir Poutine se sont achevés sur des résultats très positifs, illustrés notamment par une forte croissance économique, avec un rythme annuel supérieur à 6 % depuis 1999, un budget et des comptes extérieurs excédentaires, une dette publique résorbée et une situation du marché du travail proche du plein emploi.

Ces bonnes performances économiques ont été largement favorisées par la hausse des cours du pétrole, a indiqué M. Josselin de Rohan, président, rappelant que la Russie est le premier producteur et exportateur mondial de gaz naturel et le deuxième producteur et exportateur mondial de pétrole, derrière l'Arabie saoudite. Il a également estimé que ce bilan méritait d'être nuancé au vu de la persistance des infrastructures délabrées, des besoins collectifs considérables, dans le secteur de la santé, du logement, des transports ou de l'environnement, des conditions de vie précaires d'une partie de la population, des fortes disparités de revenus et surtout du déclin démographique russe. Il a souligné que la population de la Russie était, aujourd'hui, de 142 millions d'habitants, contre 147 en 1999, et que les projections démographiques établies par les Nations unies prévoyaient, à l'horizon 2050, une population ramenée à 100 millions d'habitants, soit pratiquement une diminution d'un million d'habitants chaque année.

En outre, l'effet de ce déclin démographique est accentué par la très inégale distribution de la population sur le territoire et le sous-peuplement de très vastes régions, en particulier dans la partie orientale du pays, soumise à une forte pression démographique chinoise.

Enfin, si la situation en Tchétchénie tend à se stabiliser, la situation reste tendue dans les républiques voisines du Caucase du Nord, où l'islamisme radical progresse.

Evoquant ensuite la politique étrangère russe, M. Josselin de Rohan, président, a indiqué qu'après avoir été marginalisée dans les années 1990, la Russie avait effectué, avec Vladimir Poutine, son retour sur la scène internationale. Le discours de Vladimir Poutine, prononcé à la conférence de Munich, le 10 février 2007, avait constitué le point d'orgue d'une Russie sûre d'elle-même, qui renoue avec un sentiment de puissance.

Il a résumé l'impression dominante recueillie par la délégation, en estimant que la Russie cherche, en utilisant notamment l'arme énergétique, à préserver son statut de puissance mondiale, mais qu'en pratique, sa conduite était prioritairement dictée par deux préoccupations : ses intérêts économiques et le maintien dans son orbite des Etats issus de l'Union soviétique.

a constaté qu'en dépit de son implication dans les grands dossiers internationaux, la capacité d'action de Moscou était réduite, notamment vis-à-vis des initiatives américaines, comme en témoigne l'exemple de l'indépendance du Kosovo.

De même, sur le dossier nucléaire iranien, la Russie joue un rôle ambigu, faisant preuve à la fois de ses responsabilités internationales, en votant les différentes résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, mais aussi en défendant ses intérêts politiques et économiques traditionnels dans cette zone depuis le XIXe siècle.

a noté que si les dépenses militaires avaient fortement augmenté ces dernières années, l'outil militaire russe demeurait fortement dégradé.

Alors que la Russie avait amorcé un rapprochement avec les Etats-Unis après les attentats du 11 septembre 2001, la multiplication des différends avait incité Vladimir Poutine à réorienter sa politique étrangère vers l'Asie, en particulier en direction de la Chine, avec qui la Russie entretient, aujourd'hui, une coopération étroite, notamment en matière énergétique et militaire dans le cadre de l'Organisation de coopération de Shanghai.

Pour autant, si les différends frontaliers avec la Chine semblent avoir trouvé une solution satisfaisante, l'émergence de la puissance chinoise, le renforcement de son influence, notamment en Asie centrale, et surtout la pression démographique chinoise exercée sur les régions sous-peuplées de Sibérie suscitent une grande méfiance de la part de la Russie.

Evoquant enfin les relations de la Russie avec l'OTAN, l'Union européenne et la France, M. Josselin de Rohan, président, a souligné la tonalité systématiquement négative, à l'égard de l'OTAN, des interlocuteurs russes et l'extrême sensibilité de la question de l'élargissement de l'OTAN. Si, depuis la fin de la guerre froide, l'OTAN et la Russie ont noué une coopération, l'OTAN reste perçue comme une organisation militaire associée à la guerre froide.

Un premier sujet de tension porte sur le projet d'implantation d'un radar en République tchèque et d'intercepteurs en Pologne dans le cadre du système de défense anti-missile américain. Des progrès ont toutefois été réalisés récemment sur ce dossier. Les présidents américain et russe ont en effet exprimé, lors de leur rencontre à Sotchi, en avril 2008, leur intérêt pour la création d'un système de défense anti-missile commun dans lequel la Russie, les Etats-Unis et l'Europe participeraient à parts égales.

En revanche, l'adhésion éventuelle à l'OTAN de l'Ukraine et de la Géorgie cristallise toutes les oppositions russes, puisque ces pays étaient incorporés à l'URSS, il y a quinze ans encore, et que la Russie a toujours entretenu des liens étroits avec eux, notamment avec l'Ukraine, a indiqué M. Josselin de Rohan, président. L'Ukraine est, en effet, le berceau de la Russie, avec la principauté de Kiev et l'orthodoxie russe. Elle compte, sur son territoire, plus de 8 millions de Russes sur 48 millions d'habitants, principalement dans la partie orientale et en Crimée. Elle est le principal pays de transit des gazoducs et des oléoducs en provenance de Russie vers l'Union européenne et, enfin, la base de la flotte russe de Sébastopol, louée jusqu'en 2017 à l'Ukraine, présente une importance stratégique pour le Russie.

La question de l'adhésion éventuelle de l'Ukraine et de la Géorgie a été au centre du sommet de l'OTAN, qui s'est tenu à Bucarest du 2 au 4 avril 2008, au cours duquel les chefs d'Etat et de gouvernement des pays membres de l'OTAN ont décidé que l'Ukraine et la Géorgie deviendraient membres de l'OTAN, sans toutefois fixer de date pour l'adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie au plan d'action pour l'adhésion (MAP). M. Josselin de Rohan, président, a souligné que la France et l'Allemagne, soutenues par les quatre autres « pays fondateurs » (la Belgique, l'Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas), s'étaient opposées à l'accès au MAP de l'Ukraine et de la Géorgie, malgré le soutien des Etats-Unis et de plusieurs pays, comme la Pologne ou les pays baltes. La question devrait néanmoins resurgir en décembre 2008, avec la réunion des ministres des affaires étrangères, et lors du prochain sommet de l'OTAN, en 2009. La Russie peut toutefois faire pression sur ces deux pays. A l'égard de l'Ukraine, la Russie dispose de l'arme énergétique, ce pays étant entièrement dépendant du gaz russe, alors que, vis-à-vis de la Géorgie, elle peut jouer de son influence sur les régions séparatistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud.

A l'inverse de l'OTAN, l'Union européenne ne suscite pas la même appréhension de la part de la Russie, a relevé M. Josselin de Rohan, président, en soulignant qu'il existait, entre l'Union européenne et la Russie, une réelle interdépendance. La Russie représente, en effet, pour l'Union européenne son plus grand voisin, son troisième partenaire commercial et son premier fournisseur d'hydrocarbures, alors que, de son côté, l'Union européenne est le premier partenaire commercial de la Russie et son principal débouché. Toutefois, si la Russie a fait récemment un geste à son égard en mettant à sa disposition quatre de ses hélicoptères pour l'opération EUFOR, au Tchad et en République centrafricaine, les responsables russes demeurent sceptiques sur l'influence de l'Union européenne sur la scène internationale. Il est vrai que les divisions entre les Etats membres, notamment en matière énergétique, peuvent rendre compte de ce sentiment.

Les négociations sur un nouvel accord, visant à remplacer l'actuel accord de partenariat et de coopération, qui devraient être lancées lors du sommet Union européenne-Russie des 26 et 27 juin 2008 en Sibérie, pourraient donner un nouvel élan à ces relations. Si l'influence de la France ne doit pas être surestimée, compte tenu de l'importance de la présence économique de l'Allemagne et de l'Italie, M. Josselin de Rohan, président, a jugé qu'elle avait un rôle crucial à jouer pour renforcer la prise de conscience de l'importance et de l'intérêt, pour la stabilité et la prospérité du continent, d'un partenariat stratégique avec la Russie.

A cet égard, la présidence française de l'Union européenne représente une réelle opportunité, puisque c'est sur sa responsabilité que devraient se dérouler les négociations sur le nouvel accord de partenariat entre l'Union européenne et la Russie. Le renforcement des relations avec la Russie devrait donc constituer une priorité de la présidence française de l'Union européenne, et, au-delà, de la politique étrangère de la France, a estimé M. Josselin de Rohan, président.

A la suite de cet exposé, un débat s'est engagé au sein de la commission.

Revenant sur la situation politique de la Russie, M. Robert Hue a indiqué que cette visite était intervenue à un moment particulièrement opportun, caractérisé par la mise en place des nouvelles équipes présidentielles et gouvernementales. Il a rappelé le véritable traumatisme vécu par la Russie au moment de l'effondrement de l'Union soviétique et l'humiliation ressentie par la population au cours de la période Eltsine, qui expliquaient largement le sentiment actuel de revanche et l'attitude parfois arrogante de la Russie face à l'Occident qui accompagne le retour de ce pays sur la scène internationale, grâce notamment à la manne énergétique.

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