J'aborderai la question de la présence de l'industrie en France à partir d'un exemple vécu, celui du groupe PSA Peugeot Citroën. PSA est le deuxième constructeur automobile d'Europe, le premier pour les véhicules utilitaires légers. Le coeur de notre dispositif industriel reste en France : sur 3,2 millions de véhicules vendus en 2009, 1,452 million avaient été construits dans notre pays, où sont implantés 18 de nos 31 usines et employés près de 100 000 de nos 200 000 salariés, et même 66 % de ceux de la « division automobile ». C'est en France, en Lorraine et dans le Nord surtout, que sont produits 85 % de nos moteurs et boîtes de vitesse. Nos capacités d'innovation y sont concentrées, avec 14 700 salariés sur 17 350. En revanche, un quart de nos véhicules seulement sont vendus en France : c'est dire que le groupe PSA est exportateur net.
Quelles sont aujourd'hui nos ambitions ? Le secteur de l'automobile est marqué par une forte concurrence mondiale, comme l'a illustré le salon du mondial de l'automobile du mois d'octobre. Tandis que les marchés d'Europe de l'Ouest sont des marchés de renouvellement, ceux des pays émergents sont en forte croissance. La population mondiale vit de plus en plus dans les villes, ce qui change l'approche de l'automobile. La maîtrise des émissions de gaz à effet de serre est désormais une stratégie dominante de la filière et la réglementation dans ce domaine s'est durcie. Il faut également tenir compte de l'instabilité de l'approvisionnement en matières premières et des exigences de responsabilité sociétale qui s'imposent à nous.
Nos clients veulent aujourd'hui des voitures qui soient belles, sobres au plan énergétique, dotées de « services intelligents » et produits de manière responsable. Notre ambition, selon les termes de Philippe Varin, président du directoire, est d'avoir toujours un coup d'avance sur la compétition mondiale, que ce soit au plan du design ou des performances énergétiques : notre objectif est de vendre en 2012 un million de véhicules émettant moins de 120 g/km de CO2, nous lancerons cette année deux voitures entièrement électriques et nous serons les premiers à mettre sur le marché un véhicule hybride au diésel, en attenant les hybrides rechargeables de deuxième génération.
Philippe Varin veut aussi que PSA soit un « groupe global ». En Europe de l'Ouest, la demande progresse lentement et il nous faut donc aller chercher la croissance là où elle est, en Asie, en Amérique latine et en Europe de l'Est. Nous réalisons déjà 36 % de notre chiffre d'affaires hors d'Europe, mais nous voulons porter cette proportion à 50 % en 2020. L'Asie concentrera 80 % de la croissance du marché dans les dix prochaines années. En Chine, nous coopérons depuis longtemps avec le groupe Dongfeng et nous avons conclu un nouveau partenariat avec Changan. Le meilleur symbole de cette nouvelle orientation est l'installation à Shanghai de Grégoire Olivier, membre du directoire. Nous réfléchissons aussi au développement de nos activités en Inde. Le marché latino-américain, malgré quelques péripéties, reste porteur d'avenir, car les consommateurs du sous-continent aiment les voitures françaises pour leur style et leur motorisation ; nous avons investi au Brésil et en Argentine. Enfin, nous sommes convaincus que le marché russe, après un repli brutal en 2008 et 2009, va rebondir ; nous avons ouvert avec Mitsubishi une usine à Kaluga. Afin de cibler la classe moyenne des pays émergents, nous élargissons nos gammes : la Peugeot 408 est destinée à la Chine et à l'Amérique latine, la 508 sera produite en Chine, et un véhicule sera conçu pour l'arc méditerranéen.
Notre croissance doit être rentable, si nous voulons avoir les moyens de nos ambitions. Toute l'entreprise est mobilisée pour diffuser le lean management et une politique modulaire, qui consiste à concentrer sur quelques plateformes des types de véhicules apparentés, afin d'élargir les process, d'allonger les séries et de réaliser des économies d'échelle. Tous les salariés y sont associés, grâce à un intense dialogue social : les partenaires sociaux ont conclu en septembre un accord visant à réorganiser le travail sur les sites français en créant des équipes variables et en facilitant le travail temporaire, afin de donner plus de souplesse et de réactivité à notre appareil productif face aux fluctuations du marché ; cela nous a permis de recruter 900 salariés supplémentaires, dont 500 à Sochaux.
Se pose la question de la compétitivité de l'industrie automobile française. PSA a consenti des efforts importants pour la compétitivité de ses sites, mais celle-ci dépend d'un environnement global auquel participent les décisions des pouvoirs publics. L'État s'est tenu à nos côtés au plus fort de la crise, à la fin de 2008 et au début de 2009, alors que le collapsus bancaire avait provoqué de graves problèmes de liquidités : 3 milliards d'euros ont été prêtés à chacun des deux grands groupes français, et la prime à la casse, assortie du bonus-malus, a eu pour double effet d'amortir la crise et d'assainir le parc, avec des effets très positifs sur l'environnement et la sécurité. Le crédit d'impôt recherche (CIR) est un dispositif intelligent, qui nous a permis de continuer à investir pendant la crise : nous avons dépensé 2,1 milliards d'euros pour la recherche en 2009, et PSA est le premier déposeur de brevets de France. Nous souhaitons instamment que le législateur ne touche pas au CIR à l'occasion de la prochaine discussion budgétaire. Je n'oublie pas la suppression de la taxe professionnelle, qui pesait sur la production et l'investissement.
La question du coût du travail doit être au coeur de vos travaux, car c'est par là que notre pays perd en compétitivité : de 2000 à 2008, le coût horaire du travail a augmenté de 19 % en Allemagne et de 31 % en France. Le financement de la protection sociale pèse lourdement sur le travail : en Allemagne, la part des prélèvements sociaux représentait 47 % du salaire net en 2008 contre 49 % en 2000, alors qu'elle était en France de 83,2 % en 2008 au lieu de 80,9 % en 2000 ! PSA estime que cet écart équivaut à un surcoût de fabrication de l'ordre de 400 euros par véhicule.
La filière automobile a su faire preuve de solidarité en temps de crise. PSA veut entretenir des relations de confiance avec ses fournisseurs, afin de sécuriser ses approvisionnements, et parce qu'un grand groupe doit avoir une vision de « l'entreprise étendue ». En 2009, nous avons versé près de 2 milliards d'euros pour soutenir la filière : 1,3 milliard de transferts de liquidités suite à la réduction des délais de paiement votée dans le cadre de la loi de modernisation de l'économie (LME), 240 millions d'aides directes, 200 millions de dotation au fonds de modernisation des équipementiers automobiles, et 323 millions au titre de la recapitalisation de Faurecia. Nous avons même créé une cellule d'une quarantaine de personnes dédiée au traitement des problèmes des entreprises de la filière, auxquelles nous apportons soit une aide financière, soit une expertise financière et sociale, soit un appui pour trouver des repreneurs ou imaginer des solutions industrielles pérennes. Nous avons participé aux travaux de la Plateforme de la filière automobile, qui a remis au mois de novembre un rapport identifiant un certain nombre de problèmes structurels.
Le temps de l'action est venu. Nous avons demandé aux pouvoirs publics de nommer dans les grandes régions concernées un référent pour l'automobile, sous l'autorité du préfet, apte à faire coopérer tous les acteurs de la filière et à faciliter les mutations. Il faut diffuser les nouvelles technologies et favoriser de nouvelles configurations industrielles plus rentables, mieux dotées en fonds propres ou en quasi fonds propres. Je signale que la France ne produira plus que 2,1 ou 2,2 millions d'automobiles en 2013, contre 3,4 millions en 2003 ! Dans chaque grande région, PSA a désigné un délégué régional aux mutations du « tissu fournisseurs », qui collabore étroitement avec les pouvoirs publics, les banques, le Fonds stratégique d'investissement et Oséo.
Le groupe PSA a les moyens de relever les défis de demain. Il n'abandonne pas le territoire français où sont ses racines, même s'il va chercher la croissance là où elle est, pour financer des dépenses de recherche indispensables dans un contexte concurrentiel. Le problème principal que vous devez affronter est celui de la compétitivité de l'industrie française : il faut donc s'interroger sur le mode de financement de la protection sociale, sur les capacités d'innovation des entreprises françaises, sur les moyens de créer un environnement favorable à l'industrie, et pourquoi pas sur une politique industrielle européenne qui reste à construire.