Intervention de Jacques Legendre

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 9 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission médias livre et industries culturelles - programme livre et industries culturelles - examen du rapport pour avis

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre, rapporteur pour avis :

Notre Bureau a décidé de dédier un rapport spécifique à ces secteurs majeurs que sont le livre, la lecture, la musique enregistrée et le jeu vidéo, visés par le programme 334 dont je rapporte les crédits au nom de notre commission.

Je m'en réjouis à un double titre :

- ces secteurs sont au coeur à la fois des pratiques culturelles des Français et des mutations technologiques ;

- pour ces raisons mêmes, le Parlement, et singulièrement le Sénat, se sont particulièrement mobilisés en leur faveur ces dernières années. J'évoquerai les débats sur le livre numérique et son prix, sur la TVA à taux réduit pour le livre numérique.

Sur le front de l'actualité législative, je vous rappelle en effet que :

- le taux réduit de TVA sur le livre numérique, voté à l'occasion de la précédente loi de finances, devrait s'appliquer - à l'instar du livre papier - au 1er janvier 2012. A cet égard, je tiens à féliciter Jacques Toubon, dont la mission de médiation auprès des institutions européennes et des États membres de l'Union s'est avérée très constructive ;

- s'agissant de la loi du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique, le Sénat a eu raison de se battre pour que les règles de fixation des prix s'appliquent à tous les professionnels, qu'ils soient ou non implantés en France. L'adoption de la Résolution européenne, que j'avais déposée pour appuyer notre combat politique en faveur de la diversité culturelle à l'ère numérique, a aussi permis « d'enfoncer le clou ». En définitive, prenant en compte, d'une part, les réponses de notre Gouvernement aux deux avis circonstanciés que la Commission européenne avait émis au cours de l'examen de notre proposition de loi et, d'autre part, les règles appliquées par l'Allemagne et l'Espagne, la Commission européenne n'a pas exprimé de réserves sur cette loi. Celle-ci va donc pouvoir s'appliquer, le décret devant être publié incessamment.

Nous avons donc quelques motifs d'optimisme : le marché du livre numérique va pouvoir se développer dans le respect de la chaîne de valeur de la filière et avec une offre légale croissante.

Renforcer cette offre au bénéfice de tous, y compris bien sûr du lecteur, suppose aussi de légiférer afin de rendre disponibles les oeuvres du XXe siècle. En effet, la titularité des droits numériques les concernant est aujourd'hui incertaine. Les différents acteurs de la filière ayant trouvé un terrain d'accord sur ce point, j'ai déposé récemment une proposition de loi relative à l'exploitation numérique de ces oeuvres. Ce texte est très attendu par les professionnels, prêts à se lancer dans leur numérisation, et je forme le voeu que le Parlement puisse l'examiner dès que possible.

Dans ce contexte, comment le projet de budget pour 2012 se présente-t-il ?

259,3 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 275 millions en crédits de paiement (CP) seront consacrés au programme 334, en 2012. 95,50 % de ces crédits sont consacrés au livre et à la lecture (Action 1), 4,5 % étant dédiés aux industries culturelles (Action 2).

Globalement, l'évolution de ces crédits par rapport à 2011 recouvre :

- une légère diminution de la subvention attribuée à la Bibliothèque nationale de France (BnF) ;

- le changement de périmètre concernant le soutien dans le domaine du cinéma, en particulier à la Cinémathèque, désormais assumé en totalité par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) ;

- le financement de la « Carte musique » ne nécessite pas d'inscription budgétaire nouvelle en 2012 car il sera assuré par le report des crédits non consommés en 2011 ;

- enfin, on enregistre une hausse des crédits de paiement de 10 millions d'euros au titre de la contribution spécifique de la BnF au financement des travaux de réaménagement du quadrilatère Richelieu.

S'agissant maintenant plus précisément des crédits de l'action 1 de ce programme, consacrée au livre et à la lecture : si les autorisations d'engagement (AE) stagnent (247,7 millions), les crédits de paiement (CP) (263,3 millions) augmentent en revanche de 10,5 millions d'euros, soit + 4,1 %, afin d'assurer le financement de la rénovation du « Quadrilatère Richelieu » évoqué précédemment. Je vous rappelle que ce site de la BnF doit contribuer à renforcer le pôle scientifique et culturel en matière d'histoire de l'art.

La réduction des effectifs de la BnF (-1,6 %) se traduit par une légère diminution (- 0,23 %) de la subvention attribuée à la BnF (hors Quadrilatère Richelieu) : 205,7 millions d'euros en CP=AE.

Les crédits inscrits au titre de l'édition, de la librairie et des professions du livre s'établissent à un montant identique à celui du projet de loi de finances initial pour 2011, soit 22,3 millions d'euros de fonctionnement, dont 2,8 millions pour le Centre national du livre (CNL), lequel est essentiellement financé par le produit de taxes affectées.

L'Assemblée nationale a adopté des amendements du Gouvernement tendant à plafonner le produit des taxes affectées aux opérateurs de l'État à partir de 2012. Cette démarche a pour objectif de les soumettre à l'effort de modération de la dépense publique et de réintégrer dans le champ de l'autorisation parlementaire annuelle le niveau des taxes qui leur sont affectées, ainsi que l'a recommandé le rapport de MM. Dell'Agnola, Perruchot et Rogemont, au nom la de la mission d'évaluation et de contrôle (MEC) de l'Assemblée nationale.

Il ne faudrait pas cependant qu'elle fragilise cet opérateur. Or, il semble que l'impact de cette mesure soit limité pour le CNL, en tout cas en 2012 :

- la taxe sur l'édition serait plafonnée à 5,1 millions d'euros mais cela devrait être neutre, car son rendement tend à diminuer et est évalué à 5,04 millions d'euros en 2010 ;

- la taxe reprographie/impression serait plafonnée à 28,2 millions d'euros. Les recettes attendues pour 2011 se situant entre 30,2 et 30,4 millions, le manque à gagner est évalué entre 2 et 2,2 millions. D'après les informations qui m'ont été transmises, il devrait cependant être compensé par une dotation budgétaire d'un niveau équivalent. Je propose de demander au ministre des garanties sur ce point et, par ailleurs, des précisions sur les intentions du Gouvernement relatives à un éventuel projet de modification de l'assiette de cette taxe, déjà évoqué l'an dernier.

En effet, les ressources du CNL méritent d'être sécurisées, compte tenu du renforcement de ses missions et du caractère prioritaire des actions à engager. Je pense notamment au livre numérique et aux librairies. Mon rapport écrit détaille la bonne application du « plan livre », renforcé par les mesures annoncées en mai 2011. Les critères d'attribution du label « librairie de référence » ont notamment été élargis et 510 librairies en bénéficient désormais.

Enfin, les crédits consacrés au développement de la lecture et des collections s'établissent à 19,6 millions d'euros en CP=AE, dont 7,1 millions destinés à la Bibliothèque publique d'information (BPI), soit une hausse de 1,55 % par rapport au projet de loi de finances initial pour 2011.

Je vous renvoie à mon rapport écrit qui fait le point, d'une part, du plan de numérisation des oeuvres sous l'égide de la BnF et, d'autre part, de la mise en oeuvre des 14 propositions pour le développement de la lecture, que le ministre avait annoncées le 30 mars 2010. Ces deux projets sont ambitieux et progressent de façon satisfaisante.

A cet égard, donner ou redonner le goût de la lecture me semble être un enjeu majeur, compte tenu de l'évolution des pratiques culturelles des Français. Le renouvellement des approches gagne à être multipolaire : via les nouvelles technologies, notamment pour toucher les jeunes, mais aussi à travers des initiatives telles que les « Villages du livre ». On en compte actuellement 8 en France, dont un dans une petite ville des Flandres qui m'est chère : Esquelbecq. Ces villes et villages développent ainsi à la fois une identité culturelle forte et du lien social.

Par ailleurs, 11,7 millions d'euros seront consacrés à l'action 2 du programme, qui a vocation à soutenir les industries culturelles, notamment le livre et la musique enregistrée.

Pour la musique enregistrée, les crédits sont maintenus en euros courants à 681 000 euros de dépenses de fonctionnement en AE et CP. Comme je l'ai déjà indiqué, le financement de la Carte musique n'appelle pas d'inscription budgétaire nouvelle en 2012 car il sera assuré par le report des crédits non consommés en 2011, compte tenu du peu de succès rencontré jusqu'ici par la carte. Je vous rappelle que l'objectif est de favoriser l'accès des jeunes de moins de 25 ans à l'offre en ligne légale et payante de musique. Ce dispositif a été créé pour deux ans et il a été décidé de lui donner une seconde chance pour 2012, avec le développement d'une version physique de la carte et une campagne de communication, qui avait fait défaut cette année. Nous pourrons donc en établir un bilan fin 2012 afin d'évaluer si ces mesures permettront ou non d'en renforcer l'efficience.

Par ailleurs, les difficultés du secteur persistent compte tenu de la nouvelle baisse du marché, même si pour la première fois en 2010, on a compté autant d'achats physiques que numériques. En valeur cependant, la progression des ventes numériques ne compense que 42 % de la perte du marché physique. Un renforcement du soutien au secteur s'avère donc nécessaire. Ceci pourrait passer par :

- une amélioration du crédit d'impôt phonographique, comme suggéré par le rapport Zelnik, Toubon et Cerutti de janvier 2010. Des améliorations du dispositif sont à l'étude et je vous propose d'interroger le ministre sur les intentions du Gouvernement à ce sujet ;

- le vote du projet de loi relatif à la rémunération pour copie privée adopté par le Conseil des ministres du 26 octobre dernier ;

- par ailleurs, la mission sur le financement de la diversité musicale à l'ère numérique, confiée en avril 2011, à MM. Riester, Colling, Chamfort, Thonon et Selles, a remis son rapport en septembre 2011. Elle propose de rassembler le soutien à la musique enregistrée et au spectacle vivant dans un établissement public couvrant l'ensemble de la filière : le Centre national de la musique (CNM). Je vous renvoie à mon rapport écrit s'agissant du volet production de musique enregistrée, pour lequel les besoins de ressources supplémentaires sont évalués à 40 millions d'euros. Le rapport juge que les opérateurs de télécommunications devraient contribuer au financement de la création et de la diversité musicale. Je souhaite interroger le ministre sur les modalités et le calendrier de mise en oeuvre de ces recommandations.

Autre sujet, qui n'est pas sans lien cependant : le budget de fonctionnement de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) est fixé à 11 millions pour 2012, soit une baisse de 3,6 % ; ses besoins étant évalués à 13,5 millions, elle devra donc opérer un prélèvement sur son fonds de roulement.

Enfin, la Cinémathèque française étant désormais soutenue en totalité par le CNC, contre 50 % l'an dernier, cette débudgétisation explique la disparition des crédits afférents dans le présent programme.

Je me suis aussi penché sur le secteur du jeu vidéo, soutenu non par le biais de crédits d'impôt et du CNC. Cette industrie créative en forte croissance crée de nombreux emplois qualifiés et exporte largement sa production. Elle mérite toute notre attention.

Enfin, dans mon rapport écrit, je fais le point sur l'actualité européenne. Outre la stratégie de la Commission européenne en matière de propriété intellectuelle, j'y évoque la révision très positive des programmes européens « Média » et « Culture ». Un nouveau fonds de garantie aux industries culturelles et créatives non audiovisuelles est créé et il pourra être ouvert aux secteurs de la musique et du livre à compter de 2014. Je précise que notre pays a plaidé en ce sens avec succès.

En conclusion, si l'ensemble de ces secteurs sont moins aidés budgétairement que d'autres, les difficultés et mutations auxquels ils sont confrontés justifient pleinement le soutien croissant que leurs consacrent le Gouvernement et l'attention que leurs accordent le Parlement.

C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits alloués au programme 334.

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