Intervention de Daniel Renoult

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales — Réunion du 20 juin 2007 : 1ère réunion
Edition — Audition de M. Daniel Renoult doyen de l'inspection générale des bibliothèques

Daniel Renoult :

a rappelé que l'inspection générale des bibliothèques est une institution ancienne puisqu'elle a été créée en 1922 et qu'elle a conservé son caractère interministériel, même si elle est aujourd'hui appelée à superviser les bibliothèques universitaires ainsi que les autres bibliothèques publiques relevant de tutelles différentes : ministère chargé de l'enseignement supérieur pour les unes, ministère chargé de la culture pour la plupart des autres et, dans certains cas, autres ministères, comme celui de la défense.

Il a rappelé que son expérience personnelle l'avait conduit à exercer des responsabilités en province, puis pendant 7 années à la Bibliothèque nationale de France.

Il a distingué les deux principales catégories d'enjeux des bibliothèques : d'une part, des enjeux permanents qui tiennent à la place que les sociétés entendent donner à ces institutions de mémoire que sont les bibliothèques ; d'autre part, des enjeux d'actualité, qui tiennent aux conditions de production et de diffusion de l'information et qui sont, à ce titre, le témoin des changements d'attitude qui affectent le public dans sa relation avec la culture et qui reflètent l'influence des nouvelles pratiques sociales.

A titre liminaire, il a estimé que toute démarche prospective supposait, au préalable, de préciser l'échelle de temps qu'embrassait la réflexion et nécessitait également un regard rétrospectif permettant de mesurer le chemin parcouru. Il a insisté, à cet égard, sur les progrès très significatifs enregistrés depuis la seconde guerre mondiale. Il a rappelé qu'au lendemain de celle-ci, il n'existait pas de réseau de bibliothèques et que ces dernières n'employaient au total qu'un peu moins de 200 personnes, contre 5.000 aujourd'hui. Il a indiqué que ces progrès importants résultent de l'effort substantiel consenti tant par l'Etat que par les collectivités territoriales.

Il a précisé, en particulier, qu'entre 1949 et 1975, l'Etat était à l'origine de la construction de 500.000 mètres carrés de bibliothèques et que, depuis la publication du rapport Micquel en 1989, la durée d'ouverture hebdomadaire moyenne est passée de 40 à 57 heures. Il a souligné que ces considérations très optimistes sont fortifiées par les résultats d'une étude réalisée par le centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC), qui montre qu'en 2005, au moins 30 % de la population âgée de plus de 15 ans a fréquenté ou fréquente des bibliothèques publiques et qu'il s'agit avec le cinéma, de l'une des pratiques culturelles les plus répandues en France.

Il a ajouté que d'autres enquêtes révèlent que les usagers ne perçoivent pas l'internet comme un rival des bibliothèques, mais que ces deux pratiques ont plus tendance à se cumuler qu'à se concurrencer. Il a cependant estimé que ces constats positifs ne devaient pas encourager l'autosatisfaction. Il a insisté, tout d'abord, sur le fait que ces statistiques nationales ne constituent que des indicateurs globaux et ne témoignent pas de réalités locales beaucoup plus disparates. Il a déploré que subsistent en France de fortes inégalités territoriales dans l'offre de bibliothèques et s'est inscrit en faux contre les jugements qui prétendent que l'aménagement du territoire en matière de bibliothèque est parvenu à son terme.

A titre d'illustration, il a indiqué que la moitié des universités françaises ne met à la disposition de ses étudiants qu'un peu moins de 200.000 ouvrages, alors que des historiens réputés, comme M. Emmanuel Leroy Ladurie, considèrent qu'une bibliothèque universitaire digne de ce nom ne doit pas offrir moins d'un million de références. Il en a conclu qu'il fallait analyser plus finement la répartition de l'offre culturelle sur le territoire.

Il a redouté que ces inégalités ne s'accusent dans les années à venir, provoquant une différenciation nette entre les bibliothèques qui auront su moderniser leur offre, et celles qui, faute d'avoir atteint la taille critique, seront condamnées au déclin et au dépérissement.

A cet égard, il a insisté sur deux paramètres. Il a tout d'abord relevé que, même si les collectivités territoriales avaient consenti à un effort très significatif en matière d'investissement et d'emploi en faveur des bibliothèques, cette politique avait été très largement impulsée par l'Etat, et que celui-ci s'apprêtait aujourd'hui à transmettre le relais, ouvrant ainsi une période de transition délicate, à laquelle il convenait de réfléchir.

Il a insisté, en second lieu, sur le fait que les prix des publications tendaient à croître en moyenne de 4,5 % par an et que ce phénomène, doublé par l'augmentation de la masse salariale liée à l'élévation du niveau des qualifications requises, soulevait un véritable problème économique : les bibliothèques tendent en effet à coûter de plus en plus cher.

a ensuite décrit les contraintes inhérentes à l'action publique. Il s'est demandé dans quelle mesure un investissement lourd, comme la construction d'une bibliothèque, pourrait, par dérogation au principe de spécialité de l'action publique, bénéficier à la fois aux étudiants et au grand public. Il a également souligné les difficultés que l'on rencontre en pratique pour coordonner les diverses actions publiques, par exemple l'action respective de l'éducation nationale et des bibliothèques municipales pour parvenir à ce que les bibliothèques prennent en compte les horaires des écoles.

Il a également pointé certains blocages réglementaires, comme ceux qui gênent le recrutement de moniteurs étudiants par les bibliothèques, du fait des contraintes réglementaires qui leur sont imposées et qui suscitent, par contrecoup, un taux de rotation très élevé de ces emplois.

Enfin, il a estimé que le problème général de la conservation n'est pas résolu, car cette mission ne peut reposer sur la seule Bibliothèque nationale, mais doit être en partie partagée avec d'autres établissements. Il a ajouté qu'au sein de ce problème global, la conservation des données numériques soulève une difficulté particulière, dans la mesure où, contrairement à l'opinion reçue, ces données sont beaucoup plus fragiles que celles qui sont stockées sur le support papier.

Evoquant pour finir l'action commune que doivent mener les bibliothèques avec les acteurs de l'édition, il a rappelé que ceux-ci ont participé à l'opération « Livre 2010 » et qu'ils ont insisté sur l'interface existant entre les bibliothèques et les éditeurs.

Il a souligné que ce problème déborde des frontières nationales, dans la mesure où, aujourd'hui, 90 % des périodiques électroniques sont produits par des éditeurs internationaux non français : l'édition universitaire française ne représente que 1.100 titres sur un total de 13.000 et ses tirages sont par nature faibles. Il a souligné également que l'édition universitaire numérique française fait preuve aujourd'hui d'un foisonnement d'initiatives peut-être excessif, et qui, en tout cas, mérite réflexion.

Un débat a suivi l'exposé de M. Daniel Renoult.

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