La commission a procédé à l'audition de M. Daniel Renoult, doyen de l'inspection générale des bibliothèques.
a rappelé le contexte dans lequel la commission avait souhaité engager une réflexion sur le secteur du livre et de l'édition, qui est essentiel pour la diffusion de la pensée.
a rappelé que l'inspection générale des bibliothèques est une institution ancienne puisqu'elle a été créée en 1922 et qu'elle a conservé son caractère interministériel, même si elle est aujourd'hui appelée à superviser les bibliothèques universitaires ainsi que les autres bibliothèques publiques relevant de tutelles différentes : ministère chargé de l'enseignement supérieur pour les unes, ministère chargé de la culture pour la plupart des autres et, dans certains cas, autres ministères, comme celui de la défense.
Il a rappelé que son expérience personnelle l'avait conduit à exercer des responsabilités en province, puis pendant 7 années à la Bibliothèque nationale de France.
Il a distingué les deux principales catégories d'enjeux des bibliothèques : d'une part, des enjeux permanents qui tiennent à la place que les sociétés entendent donner à ces institutions de mémoire que sont les bibliothèques ; d'autre part, des enjeux d'actualité, qui tiennent aux conditions de production et de diffusion de l'information et qui sont, à ce titre, le témoin des changements d'attitude qui affectent le public dans sa relation avec la culture et qui reflètent l'influence des nouvelles pratiques sociales.
A titre liminaire, il a estimé que toute démarche prospective supposait, au préalable, de préciser l'échelle de temps qu'embrassait la réflexion et nécessitait également un regard rétrospectif permettant de mesurer le chemin parcouru. Il a insisté, à cet égard, sur les progrès très significatifs enregistrés depuis la seconde guerre mondiale. Il a rappelé qu'au lendemain de celle-ci, il n'existait pas de réseau de bibliothèques et que ces dernières n'employaient au total qu'un peu moins de 200 personnes, contre 5.000 aujourd'hui. Il a indiqué que ces progrès importants résultent de l'effort substantiel consenti tant par l'Etat que par les collectivités territoriales.
Il a précisé, en particulier, qu'entre 1949 et 1975, l'Etat était à l'origine de la construction de 500.000 mètres carrés de bibliothèques et que, depuis la publication du rapport Micquel en 1989, la durée d'ouverture hebdomadaire moyenne est passée de 40 à 57 heures. Il a souligné que ces considérations très optimistes sont fortifiées par les résultats d'une étude réalisée par le centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC), qui montre qu'en 2005, au moins 30 % de la population âgée de plus de 15 ans a fréquenté ou fréquente des bibliothèques publiques et qu'il s'agit avec le cinéma, de l'une des pratiques culturelles les plus répandues en France.
Il a ajouté que d'autres enquêtes révèlent que les usagers ne perçoivent pas l'internet comme un rival des bibliothèques, mais que ces deux pratiques ont plus tendance à se cumuler qu'à se concurrencer. Il a cependant estimé que ces constats positifs ne devaient pas encourager l'autosatisfaction. Il a insisté, tout d'abord, sur le fait que ces statistiques nationales ne constituent que des indicateurs globaux et ne témoignent pas de réalités locales beaucoup plus disparates. Il a déploré que subsistent en France de fortes inégalités territoriales dans l'offre de bibliothèques et s'est inscrit en faux contre les jugements qui prétendent que l'aménagement du territoire en matière de bibliothèque est parvenu à son terme.
A titre d'illustration, il a indiqué que la moitié des universités françaises ne met à la disposition de ses étudiants qu'un peu moins de 200.000 ouvrages, alors que des historiens réputés, comme M. Emmanuel Leroy Ladurie, considèrent qu'une bibliothèque universitaire digne de ce nom ne doit pas offrir moins d'un million de références. Il en a conclu qu'il fallait analyser plus finement la répartition de l'offre culturelle sur le territoire.
Il a redouté que ces inégalités ne s'accusent dans les années à venir, provoquant une différenciation nette entre les bibliothèques qui auront su moderniser leur offre, et celles qui, faute d'avoir atteint la taille critique, seront condamnées au déclin et au dépérissement.
A cet égard, il a insisté sur deux paramètres. Il a tout d'abord relevé que, même si les collectivités territoriales avaient consenti à un effort très significatif en matière d'investissement et d'emploi en faveur des bibliothèques, cette politique avait été très largement impulsée par l'Etat, et que celui-ci s'apprêtait aujourd'hui à transmettre le relais, ouvrant ainsi une période de transition délicate, à laquelle il convenait de réfléchir.
Il a insisté, en second lieu, sur le fait que les prix des publications tendaient à croître en moyenne de 4,5 % par an et que ce phénomène, doublé par l'augmentation de la masse salariale liée à l'élévation du niveau des qualifications requises, soulevait un véritable problème économique : les bibliothèques tendent en effet à coûter de plus en plus cher.
a ensuite décrit les contraintes inhérentes à l'action publique. Il s'est demandé dans quelle mesure un investissement lourd, comme la construction d'une bibliothèque, pourrait, par dérogation au principe de spécialité de l'action publique, bénéficier à la fois aux étudiants et au grand public. Il a également souligné les difficultés que l'on rencontre en pratique pour coordonner les diverses actions publiques, par exemple l'action respective de l'éducation nationale et des bibliothèques municipales pour parvenir à ce que les bibliothèques prennent en compte les horaires des écoles.
Il a également pointé certains blocages réglementaires, comme ceux qui gênent le recrutement de moniteurs étudiants par les bibliothèques, du fait des contraintes réglementaires qui leur sont imposées et qui suscitent, par contrecoup, un taux de rotation très élevé de ces emplois.
Enfin, il a estimé que le problème général de la conservation n'est pas résolu, car cette mission ne peut reposer sur la seule Bibliothèque nationale, mais doit être en partie partagée avec d'autres établissements. Il a ajouté qu'au sein de ce problème global, la conservation des données numériques soulève une difficulté particulière, dans la mesure où, contrairement à l'opinion reçue, ces données sont beaucoup plus fragiles que celles qui sont stockées sur le support papier.
Evoquant pour finir l'action commune que doivent mener les bibliothèques avec les acteurs de l'édition, il a rappelé que ceux-ci ont participé à l'opération « Livre 2010 » et qu'ils ont insisté sur l'interface existant entre les bibliothèques et les éditeurs.
Il a souligné que ce problème déborde des frontières nationales, dans la mesure où, aujourd'hui, 90 % des périodiques électroniques sont produits par des éditeurs internationaux non français : l'édition universitaire française ne représente que 1.100 titres sur un total de 13.000 et ses tirages sont par nature faibles. Il a souligné également que l'édition universitaire numérique française fait preuve aujourd'hui d'un foisonnement d'initiatives peut-être excessif, et qui, en tout cas, mérite réflexion.
Un débat a suivi l'exposé de M. Daniel Renoult.
a jugé que le livre est véritablement au centre des politiques culturelles. Il a souhaité savoir s'il existe une carte dressant le tableau des inégalités géographiques en matière de bibliothèque. Il a ensuite demandé quelle était la taille critique minimum pour une bibliothèque. Il a interrogé M. Daniel Renoult sur la problématique qui oppose, d'après certains, le livre prêté au livre vendu. Il lui a demandé si l'essaimage des universités ne risque pas de constituer un frein à la cohérence des bibliothèques universitaires. Prenant le cas de l'agglomération lilloise, qui comporte trois universités et trois bibliothèques universitaires, il a indiqué que, même si un regroupement lui parait souhaitable, celui-ci n'est cependant pas facile à réaliser. Enfin, il a évoqué le délicat problème des horaires d'ouverture, regrettant que beaucoup de bibliothèques soient précisément fermées à l'heure où les jeunes sortent de l'école et où le public en général dispose de temps libre.
a rappelé qu'une mission d'information de la commission avait, en 2000, étudié le fonctionnement de la Bibliothèque nationale de France, qui soulevait alors de nombreux problèmes. Il a souhaité savoir quels avaient été, depuis, les progrès accomplis pour améliorer le fonctionnement de l'institution et l'accessibilité des collections. Il a demandé ensuite s'il est envisagé d'élargir les horaires d'ouverture des bibliothèques universitaires, jugeant que les horaires actuels, trop contraints, incitent les étudiants à se reporter sur les autres bibliothèques publiques, au risque de les saturer.
a souhaité savoir si le développement du numérique et la numérisation des oeuvres ne risquent pas de se faire au détriment de la politique d'acquisition du livre papier. Evoquant les bibliothèques françaises à l'étranger, il a estimé que celles des centres culturels et des instituts français ne sont souvent pas à la hauteur de l'appétit de lecture que l'on rencontre dans de nombreux pays, et notamment dans les pays francophones. Il a demandé à M. Daniel Renoult si celui-ci dispose de données générales sur ce sujet.
a déploré que le recrutement d'étudiants stagiaires dans les bibliothèques se heurte en pratique à de grosses difficultés et a souhaité connaître les solutions qui pourraient être envisagées pour y remédier.
a relevé que la tendance actuelle encourage la constitution d'ensembles multiformes alliant l'écrit traditionnel à d'autres vecteurs culturels. Il s'est demandé jusqu'à quel point il convenait d'encourager cette tendance, tout en reconnaissant que la création de médiathèques répond à de nouveaux besoins et rencontre un réel succès. Evoquant ensuite une récente visite de la commission sur le site Richelieu de la Bibliothèque nationale, il a rappelé que celle-ci lui a permis de constater les faiblesses préoccupantes de l'installation électrique au regard des exigences de sécurité. Faisant état de la diversité des collections entreposées sur le site et qui relèvent d'une approche muséologique, il s'est demandé si celles-ci n'auraient pas plutôt leur place dans un véritable musée et comment la bibliothèque arrivait à gérer ces actions transversales.
a apporté les précisions suivantes aux différents intervenants :
- il n'existe aucune norme internationale permettant de déterminer la taille critique que doit atteindre une bibliothèque universitaire pour être pertinente ; mais, à titre indicatif, on estime, en Allemagne, qu'une bibliothèque universitaire ne doit pas descendre au dessous de 200.000 volumes ; bien entendu, ce paramètre varie en fonction du nombre de disciplines enseignées et de la documentation numérique qui est, par ailleurs, disponible en ligne ; il est toutefois préoccupant qu'une vingtaine d'universités françaises disposent de fonds inférieurs à 100.000 titres ;
- la géographie de l'inégalité d'accès aux bibliothèques recoupe généralement celle de l'inégalité d'accès à l'enseignement supérieur et, d'une façon générale, de l'inégalité économique ; c'est généralement dans les zones périurbaines et dans les zones rurales que l'offre culturelle est la plus insuffisante ; toutefois, dans les zones rurales, les bibliothèques départementales de prêt jouent un rôle essentiel et certaines d'entre elles, notamment dans le Cantal et en Dordogne, commencent à utiliser efficacement l'internet ; dans le Nord, l'université du littoral a permis de remédier en partie au sous-équipement chronique dont souffrait la région en matière universitaire ;
- la problématique « livre prêté ou livre vendu » a alimenté, ces dernières années, une polémique entre les bibliothèques et les éditeurs qui est largement infondée, comme le montrent des études sociologiques qui soulignent que les forts emprunteurs sont également d'importants acheteurs ; cette problématique a été utilisée, en pratique, pour justifier la création d'un droit de prêt en bibliothèque ; il ne faut pas oublier, en outre, un troisième terme, que ne prennent pas en compte les éditeurs et qui est celui de l'existence d'un marché significatif du livre d'occasion particulièrement utilisé par les jeunes lecteurs ;
- plusieurs projets de fusion, comme par exemple à Strasbourg, ont permis de remédier à la dispersion des universités, mais il faut souligner que celle-ci ne se traduit pas nécessairement par une perte de cohérence si l'on s'attache à la compenser par une mise en commun des ressources ; cet essaimage présente également des avantages en matière d'aménagement du territoire et il faut souligner que ce sont souvent les formations professionnalisantes qui se développent en dehors des métropoles régionales ;
- le problème des horaires d'ouverture des bibliothèques ne doit pas être abordé uniquement au travers d'un prisme quantitatif : il convient également de prendre en compte la dimension qualitative des horaires d'ouverture, autrement dit l'aptitude d'un établissement à être accessible aux moments où le public a envie de s'y rendre : heures extrêmes de la journée ainsi que le samedi et le dimanche ;
- le fonctionnement de la Bibliothèque nationale de France s'est fortement amélioré depuis la période critique évoquée par M. Philippe Nachbar ; l'établissement accueille aujourd'hui un public nombreux et ses collections sont accessibles, même si leur caractère de collections patrimoniales impose d'en restreindre l'accès pour des raisons évidentes de conservation ; en revanche, une partie des collections est accessible au grand public ;
- il existe un véritable problème de capacité d'accueil pour les bibliothèques universitaires d'Ile-de-France, qui se traduit par des délais d'attente excessifs pour les étudiants ;
- il n'existe pas d'opposition pour les bibliothèques entre l'ouverture aux documents numériques et l'acquisition de livres papier, même si en matière de périodiques scientifiques, les supports numériques tendent à se développer ; dans le modèle économique actuel, les éditeurs internationaux ont tendance de plus en plus à proposer un bouquet constitué à la fois de l'édition papier et de la banque de données électronique ; certaines universités sont cependant tentées de s'orienter vers le tout-électronique pour réduire le volume des stockages physiques ; à noter une disparité fiscale : le support papier est assujetti au taux réduit de TVA à 5,5 %, alors que le support électronique est assujetti au taux normal ;
- le ministère des affaires étrangères vient de publier un répertoire des bibliothèques françaises à l'étranger qui reflète une diminution des moyens qui leur sont consacrés, notamment dans des pays de tradition francophone ;
- l'inspection générale des bibliothèques a récemment étudié les difficultés soulevées par le recrutement de moniteurs étudiants dans les bibliothèques ; actuellement, ce sont environ 3.500 étudiants qui travaillent dans des établissements documentaires, le coût de ces recrutements est excessivement élevé pour les universités, car ces emplois sont considérés sur le plan juridique comme des emplois permanents, avec toutes les contraintes qui y sont liées ; pour contourner cette difficulté, les universités procèdent à des licenciements avant que ces salariés très particuliers n'aient atteint le nombre d'heures qui permettrait de les considérer comme des salariés permanents ; cette solution n'est pas satisfaisante : il serait préférable, soit que les universités cotisent aux associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (ASSEDIC), ou encore que soit élaboré un statut particulier pour les moniteurs étudiants qui permettrait de définir à l'échelle nationale un cadre unique pour leur rémunération et leurs horaires de travail compatible avec la poursuite de leurs études, tout en précisant que leur emploi n'a pas à devenir permanent ; le recrutement d'étudiants dans les bibliothèques est largement pratiqué à l'étranger et permet d'élargir de façon très positive les horaires d'ouverture des bibliothèques publiques, et pas seulement des bibliothèques universitaires ; le Gouvernement, qui envisage de défiscaliser les revenus étudiants, devrait aussi prendre en compte le point de vue de leurs employeurs et alléger les charges qui pèsent sur ce type d'emploi ;
- la pratique montre que le fait, pour une médiathèque, de proposer une offre pluriculturelle (livres, DC, DVD) a un impact positif sur sa fréquentation ; il convient cependant de ne pas pousser trop loin l'extension des missions confiées à ces établissements, car la mise en place de services à la personne, envisagée par certains établissements, semble en effet excéder leur vocation naturelle ;
- la Bibliothèque nationale de France exerce aussi, par certains côtés, le rôle d'un musée : le département des monnaies et médailles de la Bibliothèque nationale de France serait effectivement digne de figurer dans un grand musée, mais il faut rappeler que cette collection appartient depuis toujours à la Bibliothèque nationale de France et qu'elle n'occupe pas, au demeurant, une superficie très importante ; quant au département des estampes japonaises, il constitue, lui aussi, une des grandes références mondiales et ce type d'oeuvres est également souvent conservé à l'étranger, et notamment au Japon, au sein des bibliothèques nationales.
Au cours de la même réunion, la commission a procédé à la désignation de rapporteurs sur les textes suivants :
- sur la proposition de loi n° 54 (2006-2007) de M. Bernard Murat, tendant à prendre en compte l'engagement associatif, elle a désigné M. Bernard Murat ;
- sur le projet de loi n° 292 (2006-2007) relatif à la retraite des sportifs de haut niveau, elle a désigné M. Pierre Martin ;
- sur la proposition de loi n° 295 (2006-2007) de M. Jean-François Le Grand, relative à l'instruction des dossiers d'inscription d'immeubles à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, elle a désigné M. Philippe Nachbar ;
- sur le projet de loi n° 309 (2006-2007) ratifiant l'ordonnance n° 2005-1128 du 8 septembre 2005 relative aux monuments historiques et aux espaces protégés, elle a désigné M. Philippe Richert ;
Enfin, sous réserve de son adoption en Conseil des ministres et de son dépôt sur le Bureau du Sénat, la commission a désigné M. Jean-Léonce Dupont rapporteur du projet de loi sur la réforme de l'université.
a souhaité attirer l'attention de la commission sur le fait que la vie associative n'est, dans l'organisation gouvernementale actuelle, rattachée aux compétences d'aucun ministre ou secrétaire d'Etat. Il a estimé que cette lacune suscite un étonnement légitime dans le monde associatif, dont la problématique mérite cependant d'être prise en compte au plan politique. Il a demandé au président que la commission se fasse l'interprète de cette doléance auprès du Premier ministre.
a relevé qu'en effet la vie associative ne figure pas dans les attributions de la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, telles qu'elles avaient été définies par les décrets d'attribution du premier gouvernement de M. François Fillon. Il a indiqué qu'il se ferait volontiers l'interprète de cette demande auprès de ce dernier pour que cette lacune soit comblée dans les décrets d'attribution du nouveau gouvernement.
a indiqué que le monde associatif ne manquait pas de personnalités susceptibles de contribuer à la réflexion de la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.