Intervention de Jacqueline Panis

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 27 septembre 2010 : 1ère réunion
Réforme des retraites — Examen du rapport d'information

Photo de Jacqueline PanisJacqueline Panis, rapporteure :

Dans le régime général, on comptait quarante cotisants pour dix retraités en 1960, il n'y en avait plus que quatorze en 2009. Pour l'ensemble des régimes, alors que l'on compte aujourd'hui 1,8 actif pour un retraité, il n'y en aurait plus qu'1,2 en 2050. C'est dans ce lourd contexte démographique et financier que la délégation a souhaité examiner les conséquences des mesures de sauvetage de notre système par répartition sur l'égalité des chances entre femmes et hommes en matière de retraite.

Par souci d'efficacité, j'ai concentré mon programme d'auditions sur cet angle d'approche. Cette démarche tend à ce que notre système de retraites reflète plus fidèlement la participation des femmes et des hommes à la création de richesses de notre pays.

Trois idées fortes ont été exprimées au cours des auditions : jamais la situation des femmes n'a été autant débattue qu'aujourd'hui à l'occasion d'une réforme des retraites ; il faut distinguer la situation actuelle des retraitées et la dynamique future de notre système de retraites ; enfin, une entrepreneure s'est montrée préoccupée, en termes frappants, par les conflits générationnels qui se font jour dans la société française, précisant qu'elle avait choisi de poursuivre son activité le plus longtemps possible, mais qu'elle s'inquiétait de la mise en place de nouvelles formes d'assurances contre le risque de dépendance.

J'en viens aux trois parties du rapport que je soumets à la délégation.

Dans une première partie, j'ai estimé nécessaire de rappeler que, depuis le début des années 2000, deux évolutions, l'une juridique, et l'autre de nature économique et sociale ont affaibli la tendance à la réduction des écarts de retraite entre femmes et hommes.

Juridiquement, de nouvelles contraintes ont déséquilibré le droit des retraites au détriment des femmes. Au cours des dix dernières années, les avantages familiaux de retraite traditionnellement réservés aux femmes ont été remis en question par les politiques d'égalité entre femmes et hommes au niveau européen : ces avantages ont été progressivement étendus aux hommes et réduits.

Il faut cependant reconnaitre que le Parlement et le Gouvernement, éclairés par les travaux des délégations aux droits des femmes sur les inégalités de pension entre les sexes, se sont efforcés, depuis le début des années 2000, de préserver l'essentiel, pour les mères, en introduisant des critères objectifs d'interruption de carrière.

La deuxième évolution défavorable aux retraites des femmes est de nature économique et sociale. Les femmes ne peuvent pas, globalement, constituer des droits à la retraite équivalents à ceux des hommes, du fait de la structure du marché du travail et du développement du temps partiel.

L'écart de pension entre hommes et femmes dépend de trois facteurs principaux : le taux d'activité des femmes, le temps partiel et les écarts salariaux.

Le taux d'activité des femmes s'est aujourd'hui rapproché de celui des hommes, alors qu'en 1970 seulement une femme en âge de travailler sur deux était active. Le modèle de la femme au foyer sans profession n'a pas complètement disparu : il concerne encore 5 % des femmes nées vers 1960. Cependant, seuls 1,5 % des pères ayant un emploi cessent ou réduisent leur activité après une naissance, contre 35 % des mères. Les interruptions des femmes, de moins en moins fréquentes, tendent à se raccourcir et à se concentrer autour des naissances.

La progression du travail à temps partiel est venue annuler les effets de la hausse du taux d'activité féminin. A la fin des années 1990, le taux de temps partiel pour les femmes s'est stabilisé au niveau élevé de 30 % des femmes en emploi contre 5 % des hommes : environ 80 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. Le comité d'orientation des retraites (COR) a démontré que l'on commençait à observer les effets du temps partiel sur la retraite. L'effet bénéfique de la progression de l'activité féminine sur le montant des pensions est ainsi contrarié par le chômage et le temps partiel.

La persistance des inégalités salariales constitue le troisième facteur des écarts de pensions. En France, l'écart entre les salaires moyens des femmes et des hommes est passé de 50 % dans les années 1960, à 26 % en 1990, puis il a cessé de se réduire puisqu'il était de 25,3 % en 2002

Les écarts de retraite amplifient plus qu'ils ne reflètent les inégalités professionnelles, puisque les différences de pensions sont deux fois plus fortes que les différences de salaires.

La mesure la plus synthétique des inégalités de retraite entre femmes et hommes date de 2004 : le montant de la retraite totale, tous régimes confondus, s'établissait pour l'ensemble des retraités à 1 617 euros mensuels pour les hommes et 1 011 euros pour les femmes, en incluant les pensions de réversion. Lors de son audition par la commission des affaires sociales du Sénat, le 28 janvier 2010, M. Raphaël Hadas-Lebel, président du conseil d'orientation des retraites, a estimé que « l'écart important de montant de retraite subsistant entre hommes et femmes justifie le maintien de mesures en faveur des femmes au titre des droits familiaux ». C'est un témoignage précieux au regard de la jurisprudence constitutionnelle.

Les droits familiaux ne corrigent que partiellement la faiblesse des pensions féminines : l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), la majoration de durée d'assurance (MDA) et les majorations de pension pour trois enfants représentent, en moyenne, 16 % des pensions pour les générations actuellement à la retraite. Or les droits familiaux, qui permettent d'accorder des trimestres supplémentaires, appréhendent mal les conséquences du temps partiel : les femmes travaillant à temps partiel ne sont pas pénalisées en termes de durée d'assurance mais la faiblesse de leur salaire de référence n'est pas compensée. L'une des pistes d'évolution, évoquée par le COR, serait, à long terme, de passer d'un système de majoration de durée à un système de majoration du montant.

Les bénéficiaires du minimum contributif sont à 63 % des femmes. Quant au minimum vieillesse, qui a pris, depuis le 1er janvier 2007, la forme d'une allocation unique appelée allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), il garantit un revenu mensuel minimum de 709 euros en 2010 pour une personne seule et 1 157 euros pour un couple. Fin 2006, il était versé à 599 000 personnes, dont 62 % des femmes. Le ministre, lors de l'entretien que nous avons eu avec lui, a souligné que le projet de loi retardait à 67 ans l'âge de la liquidation à taux plein mais qu'il maintenait à 65 ans l'âge d'obtention du minimum vieillesse.

La persistance de ces inégalités de pensions justifie les mesures correctrices et transitoires prévues par le projet de loi.

L'article 1er prévoit le suivi et la correction des écarts de pension entre hommes et femmes par le comité de pilotage des organismes de retraite. Le comité de pilotage va compléter l'action du COR, en élaborant des propositions, sur la base des analyses réalisées par le COR.

Le projet de loi initial indique que le comité suit notamment les conditions dans lesquelles s'effectue « la réduction des écarts de pensions entre hommes et femmes ». L'Assemblée nationale a remplacé le terme de « réduction » par celui « d'annulation des écarts de pensions entre les hommes et les femmes à l'horizon 2018 ». Elle a également introduit un nouveau paragraphe III qui prévoit qu'avant le 1er octobre 2011, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport faisant le point sur la situation des assurés ayant relevé de plusieurs régimes d'assurance vieillesse, en indiquant les différences éventuelles de situation entre les femmes et les hommes.

Je vous propose d'approuver que le principe de l'annulation des écarts de retraite entre femmes et hommes soit inscrit, pour la première fois, dans notre droit et de souligner que la délégation s'attachera avec vigilance à suivre son application effective.

L'article 23 assouplit le régime transitoire avant l'extinction du départ anticipé pour les fonctionnaires parents de trois enfants ayant 15 ans de service. Le texte initial mettait fin à ce dispositif à compter du 1er janvier 2012. Selon l'étude d'impact, il concerne chaque année plus de 15 000 fonctionnaires, dont 95 % de femmes. Le Conseil d'orientation des retraites a relevé les imperfections de ce dispositif, sans équivalent dans le secteur privé, et la Commission européenne a ouvert une procédure à son encontre.

L'Assemblée nationale s'est attachée à assouplir le régime transitoire, pour mieux respecter les projets de vie des femmes fonctionnaires mères de trois enfants. Le nouveau régime transitoire devrait exonérer des règles nouvelles tous les agents qui seront à cinq ans de l'âge d'ouverture des droits.

L'Assemblée nationale a également adopté à cet article un amendement qui renforce l'information des fonctionnaires concernés par ce changement des règles.

L'article 29 bis nouveau rétablit l'assurance veuvage. La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites avait prévu la suppression progressive de la condition d'âge, fixée auparavant à 55 ans, pour bénéficier d'une pension de réversion et l'extinction de l'allocation veuvage qui bénéficiait aux veufs et aux veuves de moins de 55 ans. L'article 74 de la loi de financement pour 2009 a rétabli un âge minimum de 55 ans pour les pensions de réversion ainsi que l'assurance veuvage, mais seulement à titre provisoire, jusqu'au 31 décembre 2010. Ce retour au droit antérieur s'est fondé notamment sur les conclusions du rapport de 2007 rédigé par MM. Leclerc et Domeizel : la réversion ne constitue pas la solution la plus protectrice du veuvage précoce ; elle pénalise les veuves dont le conjoint est décédé jeune et n'a pu acquérir que des droits très réduits à la retraite.

L'Assemblée nationale a décidé de pérenniser le dispositif de l'allocation veuvage. On recensait en 2003 environ 60 000 veufs et 240 000 veuves de moins de 55 ans, qui représentent moins du dixième des 3,2 millions de veuves et des 620 000 veufs de notre pays.

Au cours de leur audition par votre rapporteure, les représentants de la FAVEC ont confirmé que l'assurance veuvage comportait une garantie de ressources mieux adaptée à la situation des jeunes veuves ou veufs que la réversion : ils ont cependant exhorté les pouvoirs publics à modifier son montant, qui se limite aujourd'hui à 570 euros, pour le hisser à un « niveau de survie », qui permettrait de lutter contre la paupérisation de nombreuses veuves. Ils ont également plaidé, comme beaucoup d'intervenants auditionnés sur la présente réforme, pour la suppression ou le rehaussement du plafond de ressources qui empêche le cumul d'une réversion du régime général de base avec un revenu d'activité, ce qui peut dissuader le retour à l'emploi. L'ensemble de ces préoccupations est largement pris en compte dans les recommandations que je soumets à la délégation pour soutenir la démarche de la FAVEC.

L'article 30 améliore la prise en compte du congé de maternité pour les droits à la retraite. Le droit en vigueur considère le congé maternité comme une période d'assurance. Cependant, les indemnités journalières (77,24 euros au maximum) versées pendant ce congé ne sont pas intégrées à la rémunération prise en compte pour le calcul de la retraite. Cette absence de report au compte réduit donc le salaire perçu par les femmes au cours de l'année de l'accouchement et minore le montant de leur pension.

Pour mettre fin à ce désavantage, l'article 30 prévoit que les indemnités journalières versées à compter du 1er janvier 2012 seront assimilées à des salaires pour la constitution des droits à retraite. Je vous propose d'approuver cette mesure équitable.

L'article 31 sanctionne financièrement les entreprises qui ne respectent pas leurs obligations en matière d'égalité professionnelle. L'obligation légale d'élaborer un rapport de situation comparée, qui est le préalable indispensable à toute réduction des écarts, n'est respectée que dans la moitié des entreprises de plus de 300 salariés. L'article 31 institue une pénalité de 1 % de la masse salariale pour les entreprises qui manqueraient à leur obligation d'information, et contraint celles de plus de trois cents salariés à publier leurs données sur l'égalité professionnelle.

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