Intervention de Christian Noyer

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 12 octobre 2011 : 2ème réunion
Situation des banques françaises et financement de l'économie — Audition de M. Christian Noyer gouverneur de la banque de france

Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France :

J'estime qu'il n'est pas besoin, fondamentalement, de recapitalisation. Mais si l'on veut accélérer le renforcement des fonds propres, si les gouvernements veulent que les banques augmentent leur capital, pourquoi pas ? Il s'agit de renforcer le coussin de sécurité, la capacité à réagir aux évènements. Il faut privilégier le recours à la mise en réserve des bénéfices et au marché si les conditions le permettent. Il est aussi utile qu'en cas de besoin, à titre temporaire, l'Etat dispose d'une capacité d'intervention, d'un back-up. En France, le dispositif de 2008 peut toujours être utilisé. L'orientation sera décidée au niveau européen, il faudra bien la suivre.

Sur quel montant faut-il raisonner ? Si la décision se fixe autour d'un taux de 9 %, dans le cadre du système actuel, avec un coussin additionnel pour tenir compte des valeurs de marché des titres souverains, l'ordre de grandeur serait gérable pour les banques. Si l'exigence est posée à un horizon de six à neuf mois, les établissements peuvent y arriver par le recours au marché, même si la politique de mise en réserve des bénéfices peut entraîner des restrictions sur la distribution de dividendes. Mais s'il faut le faire du jour au lendemain, les établissements ne trouveront pas les fonds seuls. Cependant, je rappelle qu'après 2008, les banques ont remboursé l'Etat et que l'opération a pour lui été confortable. Le AAA français n'a pas été affecté, il vient d'être confirmé par trois agences de notation, avec une perspective stable. Je n'ai donc pas d'inquiétude quel que soit le scénario. J'ai voulu donner du temps aux banques pour atteindre l'objectif sans avoir à recourir à des opérations coup de poing.

L'accélération du processus comporte-t-elle un risque pour l'économie réelle ? C'est un souci. Le comité de Bâle a procédé à un arbitrage, les demandes sont assez exigeantes. Mais elles devraient être remplies sur une période suffisamment longue pour ne pas « emboliser » l'activité économique. La Banque des règlements internationaux a calculé l'effet restrictif, qui apparaît faible. Si le fonctionnement des marchés se grippe, pour assurer la croissance il faut réagir vite, au risque d'un léger effet négatif dans l'immédiat.

Au coeur de tout, il y a la confiance dans l'Etat, les finances publiques, le système bancaire. Le vrai risque pour la croissance serait un ralentissement et un report des investissements des entreprises, un tassement des exportations. La croissance a été faible au troisième trimestre, les Etats-Unis connaissent un fort ralentissement et ne parviennent pas à sortir de la crise de l'immobilier, la consommation est inégale, parce que le moral des ménages n'est pas bon : d'où, en France, notre taux considérable d'épargne, qui atteint 17 %. Mais sachez que tout ce qui se dit sur la crise a un impact sur le moral des ménages.

Les dépôts auprès de l'Eurosystème ont augmenté considérablement. Ils émanent des filiales de banques étrangères, hors zone euro, des banques anglo-saxonnes par exemple, plus réticentes que les établissements de la zone euro, mais aussi des banques de groupes industriels, ou des compensateurs, Clearstream ou Clearnet. Cela ne signifie donc pas que les banques françaises ne se prêtent pas entre elles. Le fonctionnement actuel est anormal mais sans conséquence sur le refinancement bancaire : la BCE a ouvert des opérations à taux fixe sans limitation, donc l'argent qui nous est apporté est prêté à nouveau instantanément, chaque banque peut emprunter si elle fournit les garanties nécessaires.

Le taux de distribution de crédit aux entreprises a progressé en un an de 4,5 % - de 4,8 % s'agissant des PME et TPE. Le crédit au logement a crû de 8,4 %, le crédit à la consommation a augmenté moins rapidement. Ces trois derniers mois, nous avons connu un rythme de progression supérieur à celui des autres pays européens. Le fléchissement du crédit à la consommation est à surveiller. Le refinancement en dollar est plus délicat : les fonds américains équivalents de nos SICAV sont depuis longtemps friands de signatures européennes, françaises en particulier, car ils manquaient d'objets d'investissement aux Etats-Unis. Mais les montants à placer ont fondu et les fonds ont commencé à réduire leurs placements sur les titres européens. L'impact n'est pas essentiel pour notre économie, il joue surtout sur la rentabilité des banques. Afin d'éviter un coup d'arrêt brutal, la BCE a étendu ses opérations de swap avec la Fed, ce qui nous permet de prêter en dollars aux banques européennes.

Le financement des collectivités locales est un problème plus délicat, difficile, car les banques mettent en avant les exigences de liquidité de Bâle III. Les banques européennes, françaises en particulier, faisaient trop de transformation, accordant des crédits à très long terme sur des ressources courtes. Aujourd'hui, elles ne savent pas ce qu'elles pourront lever comme ressources longues. Le marché des obligations sécurisées, le marché des foncières, s'est très bien comporté au premier semestre ; après une panne cet été, il semble reprendre doucement.

Parmi les mesures annoncées le 6 octobre par la BCE, nous avons prévu de réintervenir sur ce marché afin que les banques puissent émettre plus largement.

C'est pourquoi un traitement rapide de la situation de Dexia était indispensable. Nous avons besoin de la présence de cet acteur spécialisé, que les autres acteurs ne relaieront pas : les collectivités locales ne déposent pas leurs fonds dans les banques, mais au Trésor. Elles sont donc, en raison de ce système très français, moins attirantes pour le secteur bancaire. Reste que fondamentalement, leurs crédits sont sûrs et peuvent être portés dans des conditions classiques, indexées sur des taux longs : les banques pourraient donc être réintéressées.

Sur la BCE et le Fonds européen de stabilité financière (FESF), notre sentiment est que l'eurosystème n'est fondé à intervenir sur titres publics que s'il considère que les tensions de marché sur ces titres sont un obstacle à sa politique monétaire. Or, les tensions sur les pays périphériques ont eu cette conséquence que les conditions de refinancement ont suivi les taux publics : décider que le taux adéquat était de 1 % n'empêchait pas le taux des crédits d'être totalement déconnecté, jusqu'à 10 %, D'où notre intervention. Pour autant, ce n'est pas notre rôle que de refinancer systématiquement le FESF. S'engager dans cette voie serait extrêmement risqué, car un jour, nous reviendrons à une politique de refinancement normal, correspondant au strict besoin de liquidités du système. Le FESF n'aurait alors droit qu'à une fraction de ce dont il bénéficie aujourd'hui : ce serait une dangereuse épée de Damoclès. Il faut donc compter surtout sur l'effet de levier. On peut, par exemple, imaginer une deuxième tranche de refinancement sans garantie des Etats. Reste que la vraie solution, qui est à l'oeuvre, passe par la recrédibilisation des Etats, pour tranquilliser les marchés et décourager la spéculation.

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