Au cours d'une seconde réunion tenue l'après-midi, la commission procède à des auditions sur la situation des banques françaises et le financement de l'économie. Elle entend tout d'abord MM. Michel Bouvard, président de la Commission de surveillance, et Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
Vous avez souhaité nous entendre sur la situation présente du groupe Dexia, sur l'implication de la Caisse des dépôts et consignations dans la gestion du groupe, comme actionnaire, dans les conditions de mise en oeuvre du démantèlement du groupe et sur les sollicitations qui sont faites à la Caisse pour apporter des solutions de long terme au financement des collectivités territoriales dans notre pays.
Sans refaire l'historique, depuis la création de la Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales (CAECL), en passant par la mise en place du Crédit local de France, jusqu'à l'avènement de Dexia, nous observons que c'est en 2008, lorsque se déclenche la crise financière, que le groupe est touché par cette crise. La Caisse des dépôts et consignations a toujours été un actionnaire historique du groupe Dexia en raison des titres qu'elle détenait initialement. En 2008, la Caisse, qui détenait déjà 13 % à 14 % du capital, était donc concernée par l'opération de recapitalisation. Ses parts auraient pu être un peu moindres si, en septembre 1999, lors de la fusion des entités belge et française de Dexia, les pouvoirs publics eux-mêmes n'avaient pas souhaité que la Caisse remonte au capital, plutôt que de se laisser diluer, avec un investissement de 2,5 milliards de francs. La recapitalisation de septembre 2008 intervient dans le contexte de la réforme de la gouvernance de la Caisse des dépôts, après le vote de la loi de modernisation de l'économie. Le comité d'investissement, chargé d'émettre un avis, au sein de la commission de surveillance, sur les décisions du directeur général, n'avait pas encore été mis en place à l'époque, la loi n'ayant été publiée que quelques semaines auparavant. Néanmoins, nous avions évoqué, avec Augustin de Romanet, la position qu'il convenait de tenir. J'ai un souvenir précis du départ du directeur général pour la négociation à Bruxelles. Nous étions convenus ensemble que la Caisse ne pouvait pas courir un risque sur Dexia supérieur à 10 % de ses engagements. C'est ainsi qu'avait été retenu un plafond pour l'augmentation de capital qui ne pouvait excéder 2 milliards d'euros pour la Caisse des Dépôts. L'Etat lui-même ayant participé à l'augmentation de capital, la partie française, avec une augmentation de 3 milliards d'euros, a pu détenir la minorité de blocage, de 25 % en droit belge des sociétés, et faire évoluer la gouvernance de l'entreprise.
A partir de 2008, la commission de surveillance a effectué un suivi très régulier de l'évolution du groupe Dexia. Nous avons procédé, avec l'instance de contrôle de la Caisse placée auprès du directeur général, à plusieurs auditions de l'administrateur délégué du groupe, Pierre Mariani. Malheureusement, il a fallu prendre des décisions de dépréciations, en fonction de l'évolution de la situation.
Les décisions consécutives à la recapitalisation, avec la cession de la filiale américaine, la réduction progressive du bilan, la restructuration des ressources pour les adapter aux prêts de longue durée consentis par Dexia, se sont déroulées conformément au plan arrêté en 2008 et ont été présentées à la commission de surveillance comme prévu.
La mutation de la crise a rattrapé Dexia, mais il n'y a pas eu, à mon sens, de carence de gestion de la part de la nouvelle équipe dirigeante installée en 2008.
Dexia est aujourd'hui victime de deux chocs : celui de la dette souveraine, compte tenu de l'importance des papiers qu'elle détient ; celui de la liquidité interbancaire, qui ne lui permet plus de se refinancer dans des conditions satisfaisantes.
Le désir de l'Etat est que la Caisse des Dépôts puisse, conformément à sa mission historique, contribuer à remettre en place un véhicule de financement de long terme des collectivités territoriales. Au sein de la commission de surveillance, où vous êtes représentés par Jean Arthuis et Nicole Bricq, il n'y a pas d'interrogation sur cet objectif. L'interrogation porte sur les conditions dans lesquelles nous sommes appelés à contribuer à la mise en place de cette solution, qui s'appuie, d'une part, sur la création d'un véhicule nouveau avec la Banque postale et, d'autre part, sur la reprise du véhicule de refinancement des prêts, DexMA (Dexia Municipal Agency), qui pose certains problèmes.
Nous avons échangé là-dessus avec Augustin de Romanet dès que l'aggravation de la situation a été connue, le 1er septembre 2011. Dès le 9 septembre, la présidence de la commission de surveillance disposait de documents, qui ont été enrichis le 19 septembre. Dès le 26 septembre, nous avons tenu une réunion du comité d'investissement, suivie de deux autres, pour l'informer des sollicitations dont nous faisions l'objet. Le troisième comité d'investissement, qui s'est tenu samedi 8 octobre en fin de journée, a donné un avis défavorable sur les conditions dans lesquelles nous était proposée la création d'une co-entreprise pour la création d'un nouveau véhicule de prêt et surtout la reprise de DexMA.
Aujourd'hui, la Caisse des dépôts a quatre préoccupations : la valeur d'achat de DexMA ; la consommation de fonds propres qui en découle ; la garantie qui doit nous être accordée sur le portefeuille que nous reprenons et qui doit être discutée dans le cadre du collectif budgétaire qui sera présenté ce lundi 17 octobre à l'Assemblée nationale et mercredi 19 octobre au Sénat ; et enfin le niveau des liquidités qu'il nous faudra mobiliser pour nous substituer aux financements de Dexia. Sur ce dernier point, qui n'est pas le moindre, les liquidités de la Caisse, qui peuvent paraître abondantes, ont été mobilisées pour acheter des émissions et soutenir la liquidité des banques françaises, dans la période de tension actuelle. Ce point devra faire l'objet d'un vote formel de la commission de surveillance, qui autorise le niveau d'endettement de la Caisse.
Quant à la gouvernance, la commission de surveillance, au travers de son comité d'investissement, émet des avis sur les projets d'investissement de la Caisse des Dépôts d'un montant supérieur à 150 millions d'euros ou à vocation stratégique, comme il a été décidé par la loi de modernisation de l'économie, après l'affaire EADS. Cela suppose que nous disposions d'un dossier du directeur général. Celui-ci a souhaité nous informer en amont. Une première proposition a été formulée dans le cadre d'une lettre de cadrage, avant le conseil d'administration de Dexia du 9 octobre et la réunion des premiers ministres belge et français. Notre position a vocation à évoluer, en fonction du vote qui doit intervenir la semaine prochaine à l'Assemblée et des réponses aux questions que je viens d'évoquer.
DexMA est une centrale de refinancement, qui émet des dettes à long terme pour l'adossement de prêts à long terme. Lorsque, tout début septembre, la banque Dexia a vu sa situation de liquidité se tendre, elle a pensé qu'une solution à ce problème, qui lui permettrait de persévérer dans l'être, serait de vendre cette société de refinancement. En effet, celle-ci consomme beaucoup de liquidités. Afin de pouvoir émettre avec un bon niveau de taux, il faut qu'elle ait dans son bilan des titres de créances correspondant aux financements qu'elle accorde aux collectivités locales mais aussi du collatéral, c'est-à-dire un matelas de liquidités.
La société Dexia, de concert avec les pouvoirs publics, a estimé qu'il fallait que la Caisse des Dépôts envisage la possibilité de racheter DexMA, ce qui permettrait d'accroître les liquidités de Dexia d'un montant de l'ordre de 15 milliards d'euros, mais pèserait sur la liquidité du groupe Caisse des Dépôts. Or, lorsque nous avons examiné les comptes de DexMA, nous avons observé que la valeur « marquée au marché » de ses actifs était négative de plusieurs milliards d'euros. L'acquisition de cette société se solderait donc par le constat dans nos comptes d'une perte à due concurrence. Nous avons également constaté qu'une partie des prêts consentis par Dexia et incorporée au portefeuille de DexMA était susceptible de contentieux et que la certitude qu'ils soient remboursés n'était pas acquise.
Aussi avons-nous indiqué à l'Etat que nous souhaitions obtenir une garantie de sa part, afin d'être conformes au mandat de respect du patrimoine de la Caisse des Dépôts fixé par la loi. Ces discussions ont mis un peu de temps à se dénouer, mais finalement il a été acquis que l'Etat donnerait sa garantie par le biais d'une loi de finances et que la Caisse des Dépôts serait couverte par cette garantie.
Le projet est double : d'une part, nous nous efforçons de racheter la société DexMA à un prix raisonnable ; d'autre part, nous relevons le défi de garder cette société vivante, éventuellement en changeant son nom, pour en faire le nouveau véhicule de refinancement de la nouvelle société d'origination que nous allons créer avec la Banque postale. Notre dispositif comporte deux volets : le front office commercial, assurant le contact avec les élus, qui sera une co-entreprise qui reprendra une partie des collaborateurs de Dexia Crédit local (DCL) et qui sera possédée à 65 % par la Banque postale et à 35 % par la Caisse des Dépôts ; une autre société, avec un nouveau nom, héritière de DexMA, qui sera détenue à 65 % par la Caisse des Dépôts, à 5 % par le groupe la Poste et à 30 % par Dexia. Notre défi sera de trouver de bons dirigeants et d'inspirer confiance aux marchés, afin que cette nouvelle société puisse émettre des titres avec un spread réduit.
Quel est le coût pour la Caisse des Dépôts de la reprise de DexMA ? Il résultera du prix d'achat - quelques centaines de millions d'euros - et de la consommation de fonds propres, de l'ordre d'un milliard d'euros, sur les 20 milliards d'euros dont dispose la section générale de la Caisse des dépôts.
Si la garantie de l'Etat est correctement écrite - nous y veillerons - cela ne devrait rien nous coûter d'autre qu'une charge annuelle de 70 millions d'euros pendant une dizaine d'années, compensée par le fait que nous achetons cette société en-dessous de ses fonds propres - qui s'élèvent à un milliard d'euros. Si nous l'achetons 250 millions d'euros, nous aurions un coussin de 750 millions d'euros, soit 70 millions sur dix ans.
S'agit-il pour la Caisse des Dépôts d'une participation à long terme ? Oui, d'autant plus que nous avons l'espoir que DexMA redevienne une centrale de refinancement pour l'avenir. Si cela n'était pas le cas, ce serait une société de défaisance, mais nous ne souhaitons pas que survienne un tel contexte.
DexMA gère-t-elle uniquement des prêts aux collectivités locales françaises ? Non. Le bilan comporte des titres belges, pour 9,5 %, italiens, pour 10 %, et suisses, pour 5,4 %. Les 75 % restants sont français. Les conséquences pour les collectivités locales emprunteuses seront nulles.
Le coût pour la Caisse des Dépôts de la co-entreprise avec la Banque postale sera très faible. Ce sera une société de moyens dont nous espérons que les frais de fonctionnement seront modestes. Les principaux frais seront constitués du versement à DexMA de la rémunération due à ses prêts, puisque la Banque postale ne souhaite pas utiliser les dépôts des particuliers pour consentir des prêts aux collectivités locales.
Quels risques emporte cette participation sur le financement et le modèle économique de la Caisse des dépôts ? Tout le travail des équipes de la Caisse, qui se sont dévouées depuis un mois nuit et jour, vise à ce qu'ils soient réduits au strict minimum. Nous signerons l'achat de DexMA le jour où nous aurons la conviction que ces risques sont maîtrisables.
Allons-nous financer des collectivités étrangères ? Non.
Comment cette nouvelle activité s'articulera-t-elle avec la future agence de financement des collectivités territoriales ? Spontanément, nous serions tentés de penser que nous allons offrir les meilleurs produits avec les prêts les plus simples. Mais si de grandes collectivités, comme la région Ile-de-France, estiment pouvoir trouver moins cher avec une agence, comme il en existe aux Pays-Bas ou dans les pays scandinaves, nous n'avons aucune raison d'avoir une crise d'ego ou de ne pas laisser des concurrents naître. S'ils arrivent à lever des fonds sur leur nom à l'étranger, ils seront très utiles à l'économie française. Nous ne serons pas trop de deux pour convaincre les épargnants du monde entier que le risque des collectivités locales françaises est bon.
Comment dégager 3 milliards d'euros pour financer les collectivités locales françaises, comme l'a annoncé le Premier ministre la semaine dernière ? Nous les prélèverons sur la section du Fonds d'épargne, dont le bilan s'élève à 230 milliards d'euros, dont 115 milliards pour le logement social, et une dizaine de milliards pour les infrastructures, le plan hôpital 2012, les universités et le plan collectivités locales de 2008. Le reste est constitué, à hauteur de 10 milliards, d'actions, et de 95 milliards environ de titres de taux, notamment d'obligations d'Etat, principalement françaises. Le Fonds d'épargne n'a aucun problème de liquidité, puisque la collecte du Livret A et du LDD a augmenté cette année (à fin août) de 16 milliards d'euros, dont 65 %, soit environ 10 milliards, revenant à la Caisse, sur lesquels il ne sera pas difficile de prélever 3 milliards d'euros pendant les deux derniers mois de cette année.
L'achat de DexMA ne devra pas se traduire par la moindre incidence sur nos comptes en 2011. Je m'y emploie en demandant les garanties ad hoc. En revanche, la vente par Dexia de ses actifs entraînera des moins-values, qui auront un impact sur les comptes de la Caisse des Dépôts. Il y a un mois et demi, j'avais le sentiment que nos comptes seraient très positifs. Il se peut, en raison du cas extrême auquel nous sommes confrontés, qu'ils ne le soient qu'à peine.
Merci pour l'historique, qui complète l'audition que nous avons faite hier des responsables de l'Agence des participations de l'Etat, qui nous ont donné moult détails, précis et clairs.
Je m'interroge effectivement sur l'impact sur les comptes de la CDC de sa participation dans Dexia.
Sur le sauvetage de DexMA, depuis hier, j'ai reçu le projet de loi de finances que nous examinerons en commission le mardi 18 octobre et en séance publique le mercredi 19 octobre.
Je tiens à interroger le président de la commission de surveillance sur les risques qui pèsent, bien évidemment, sur le modèle économique de la Caisse - qui a forcément évolué depuis la crise de 2008 - mais aussi sur son modèle prudentiel, en relation avec l'Autorité de contrôle prudentiel.
Pour l'avenir, se pose la question de la participation de la Caisse, à long terme, au financement des collectivités locales. Deux entités vont coexister. DexMA fera-t-elle l'objet d'une gestion extinctive, ou gèrera-t-elle les prêts accordés par la nouvelle structure commune entre la Caisse et la Banque postale ? Il importe de comprendre les conséquences de cet adossement pour les collectivités locales. Faudra-t-il demander à chaque collectivité de donner son accord ? La nouvelle entité de distribution des prêts sera donc détenue, si j'ai bien compris, à 65 % par la Poste et 35 % par la Caisse.
Après l'annonce faite par le président de l'Association des maires de France, Jacques Pélissard, de la future Agence de financement des collectivités territoriales, tout va très vite. Le Premier ministre a demandé, comme en 2008, à la Caisse d'ouvrir des prêts aux collectivités locales qui ont de plus en plus de mal à se refinancer. Il y a une certaine confusion, j'appellerais cela un prêt-relais, il faut que les élus le sachent.
Vous n'avez pas besoin d'autorisation pour augmenter le Fonds d'épargne, mais l'ensemble de ces opérations ne va-t-il pas conduire la Caisse à dégager un excédent moins important, je pense à la fraction du résultat que la Caisse verse à l'Etat et qui est assez intéressante pour ses finances ?
Dans le projet de loi de finances rectificative, la garantie de l'Etat - qui concerne la France, le Luxembourg et la Belgique - est portée à hauteur de 36,5 % des montants exigibles, sur un total de 90 milliards d'euros, soit 32,85 milliards d'euros pour la France. Par ailleurs, une autre garantie porte sur 10 milliards d'euros qui comprendrait les « toxiques ». Il y a aussi une interrogation sur les dettes « souveraines » de la Grèce, de l'Islande...
Elles sont sorties. Restent l'Italie, l'Espagne, la Belgique.
Pour l'instant, personne n'en parle, mais si tel était le cas, il ne s'agirait pas de quelques centaines de millions ! L'avez-vous envisagé ?
Hier, l'Agence des participations de l'Etat ne nous a pas éclairés sur la franchise de 500 millions d'euros sur les dix milliards d'euros. Comment expliquez-vous cette franchise ?
Le directeur général et la commission de surveillance doivent veiller à ce que la Caisse des Dépôts travaille en investisseur avisé. Le directeur général a un mandat fiduciaire et nous avons un mandat de protection de la Caisse des Dépôts. Nous devons veiller à ce que les investissements n'entraînent pas de pertes sèches pour la Caisse.
Cela dit, fait également partie des missions de la Caisse des Dépôts le financement des missions d'intérêt général, et le financement des collectivités territoriales en relève pleinement. D'où la nouvelle sollicitation que nous avons reçue, après celle qui nous avait été adressée lors de la crise de 2008.
La section générale avait été relativement peu sollicitée en 2008. C'est surtout le Fonds d'épargne qui a participé aux opérations de redéploiement vers les prêts aux collectivités locales, le financement d'Oseo et l'abondement du financement du logement social.
En revanche, la section générale a été concernée par les 2 milliards d'euros de recapitalisation de Dexia et par la création du Fonds stratégique d'investissement qui a nécessité l'apport de 3 milliards d'euros de fonds propres. La Caisse des Dépôts menait déjà auparavant des activités de haut de bilan. L'apport de 1,5 milliard d'euros au capital de la Poste a été plutôt un bon investissement, puisque la rentabilité moyenne du capital investi est dans la moyenne des capitaux du groupe.
Aujourd'hui, nous devons veiller à ce que l'opération envisagée ne consomme pas la totalité de nos marges de manoeuvre. Je sais, madame Bricq, que vous y êtes attentive. Il faut que la Caisse des Dépôts garde des marges de manoeuvre ! Elle le doit à ses filiales, qui lui apportent les deux tiers de ses résultats, y compris pour leurs fonds propres, si elle devait un jour ou l'autre accompagner telle ou telle de ses filiales. Nous avons besoin de moyens de liquidité.
Le directeur général l'a dit et c'est important : il ne faut pas qu'à l'occasion de l'opération DexMA, la consommation de nos fonds propres nous prive de toute opération future, voire, dans le pire des scénarios, nous oblige à la réalisation d'actifs. Nous allons mobiliser durablement 10,5 à 12,5 milliards d'euros de liquidités dans cette affaire. Nous souhaitons toutefois répartir progressivement les liquidités entre le groupe Caisse des dépôts et la Banque postale, qui sera intéressée à la distribution des prêts aux collectivités territoriales.
Nous devons aussi être attentifs à l'image de la Caisse des dépôts. Il est hors de question de répondre nous-mêmes de la renégociation structurelle des prêts consentis, notamment des prêts les plus « scorés » dans le régime Gissler. Cette affaire continuera à être traitée par DCL, avec des mécanismes de garantie sur lesquels Augustin de Romanet reviendra.
En ce qui concerne la garantie des fonds propres, nous travaillons avec le Gouvernement. Cela dépendra des améliorations que nous pourrons apporter lors du collectif. Le Parlement doit être très vigilant sur la garantie apportée à la Caisse des Dépôts. Il faut faire en sorte que la garantie qui sera apportée puisse jouer pleinement. La négociation du gouvernement français avec la Belgique et le Luxembourg a abouti à une répartition satisfaisante, compte tenu de la reprise par les Belges de la Dexia Banque Belgique (DBB).
Si je fais l'hypothèse que la valeur de la situation nette du groupe passe de 3,56 euros par action au 30 juin 2011 à 2 euros par action, l'impact négatif sur les comptes 2011 sera de 400 millions d'euros.
A un peu plus d'un milliard d'euros.
Globalement, combien la Caisse a-t-elle décaissé pour détenir sa participation dans Dexia ?
2,5 milliards de francs à la fin des années 1990, 2 milliards d'euros en 2008, tout cela a fondu à un peu plus d'un milliard d'euros aujourd'hui. Nous étions à 2,9 milliards d'euros début 2008, nous en sommes à 1,1 milliard d'euros aujourd'hui.
La participation du groupe dans Dexia s'élève à environ 20 % du capital réparti en trois blocs : la section générale pour 13 %, le Fonds d'épargne pour 4 % et CNP Assurance pour 3 %.
Normalement, quand BNP rachète Paribas, les clients de la BNP n'ont pas à donner d'autorisation. Nous n'allons pas plus solliciter l'accord des collectivités locales.
Sur la coexistence avec l'agence de financement des collectivités territoriales, je vous ai répondu, mais j'ajoute un bémol : il faudrait éviter que cette agence ne fasse une concurrence telle à la nouvelle structure que celle-ci ne puisse plus émettre. Ma préoccupation est que ce nouveau véhicule puisse émettre comme avant. Je n'ai pas d'inquiétude aujourd'hui, il faudra voir dans six mois.
L'impact sur le dividende sera à due proportion du résultat. Nous versons 50 % de nos résultats à l'Etat. L'impact sera donc de l'ordre de 200 millions d'euros.
Sur la situation des « souverains » dans le dispositif de garantie, que nous allons négocier avec Dexia SA et qui sera contre-garanti par l'Etat, nous avons la promesse, mais nous vérifierons que ce sera bien explicite dans le collectif que vous allez voter, que chaque année nous ne pourrons pas perdre plus de dix points de base du portefeuille que nous reprenons. Normalement, dans un portefeuille de prêts aux collectivités locales, le risque est d'un point de base par an. Nous faisons l'hypothèse d'une perte égale à dix points de base. Dexia SA nous garantira toute somme au-delà de cette partie, évaluée à 70 millions d'euros par an, avec la contre-garantie de l'Etat. Cette garantie porte sur les performances du portefeuille, et non seulement sur le défaut.
La franchise de 500 millions d'euros évoquée est destinée à responsabiliser Dexia, pour éviter que, dès la première renégociation, les responsables soient tentés d'être trop laxistes. Nous avons une double contrainte, comme dans toute défaisance : il faut réaliser la renégociation ou la transaction le plus vite possible, tout en évitant de tout abandonner à vil prix.
Le prix d'achat que je ne souhaiterais pas dépasser s'élève à 250 millions d'euros pour un milliard d'euros de fonds propres, soit une différence de 750 millions d'euros, qui correspond aux 70 millions d'euros dont je vous ai parlé pendant dix ans. Cela s'équilibre.
Hier soir, lors de la communication du commissaire Comolli, j'ai compris que les créances sur les Etats souverains étaient reprises par DBB et que cela justifiait le constat d'une moins-value chez Dexia. Mais j'ai cru comprendre en vous écoutant qu'une partie de ces créances souveraines resterait dans DexMA...
Oui.
Je comprends que les pertes soient limitées à 70 millions d'euros, mais les autres pertes vont altérer la valeur de Dexia et donc la valeur des participations de la Caisse nationale de prévoyance. Je doute, par conséquent, qu'il reste grand-chose de la valeur de Dexia.
Le risque encouru sur Dexia tient aux difficultés de refinancement. Aujourd'hui, elle n'a pas les fonds correspondant aux prêts qui ont été consentis. Il faut financer à moyen et court terme des prêts à moyen et long terme. Il vous faut donc donner des gages pour faire coïncider la durée des financements avec celle des prêts. Il y a un risque non négligeable que, du jour au lendemain, vous deviez faire face à une hausse des taux.
Enfin, le groupe Dexia comprend de très nombreux collaborateurs. Vous envisagez un certain nombre de licenciements. Cela a-t-il été chiffré, prévu, en avez-vous tenu compte et qui va les prendre en charge ?
Je me préoccupe de la structure du bilan de DexMA. Il y a des actifs, des engagements, mais vous avez dit que les capitaux propres ne sont pas très épais. Je crains que ceci n'aspire les moyens financiers de la nouvelle structure que vous allez créer avec la Banque postale et que le système de perfusion soit plus sollicité que prévu. La Caisse des dépôts dispose d'experts dans ce domaine. Pouvez-vous nous donner la mesure des risques que continue à présenter DexMA à cet égard ? Pourquoi vous êtes-vous associé seulement avec la Banque postale ?
M. Bouvard nous a dit que tous les malheurs de Dexia sont dus à la malchance, aux circonstances, mais je m'interroge sur la gouvernance. M. de Romanet nous a expliqué qu'il allait recruter de « bons dirigeants ». Qui étaient les mauvais ? Y aura-t-il des sanctions ? Je me souviens des interventions de Pierre Richard, très désagréables, déclarant combien les collectivités locales étaient mal gérées. Quant aux 200 millions d'euros de pertes pour l'Etat, vont-ils s'ajouter aux 200 millions d'euros que Mme Pécresse va demander aux collectivités ? Sur les 500 millions d'euros de franchise, s'agit-il vraiment de responsabiliser Dexia ou sont-ce les collectivités qui vont avoir des problèmes ?
J'ai juste dit que la société était bien gérée « depuis 2008 », je n'exonère rien avant cette date.
On parle beaucoup de l'avenir, mais il faut savoir tirer les leçons du passé. Avez-vous bien tiré les leçons de l'opération de 2008 ? On constate aujourd'hui qu'elle a été un échec. On envisage une nouvelle organisation. On évoque une mauvaise organisation, des effectifs trop lourds, la crise des subprimes, etc., mais hier, dans les Echos, les dirigeants disaient avoir été peut-être trop obéissants par rapport aux demandes qui leur ont été faites de soutenir coûte que coûte les dettes souveraines des pays en difficulté aujourd'hui. Avez-vous bien analysé la gouvernance mise en place en 2008 ? « Trouver de bons dirigeants », qu'est-ce que cela signifie pour les anciens dirigeants ?
Y a-t-il lieu de revoir de fond en comble le modèle économique de cette banque, avec une nouvelle feuille de route, centrée sur ses missions fondamentales ? Nous n'avons pas évoqué les dérives spéculatives lourdes qui risquent d'être supportées par les contribuables. En a-t-on tiré le bilan, quelles garanties a-t-on qu'elles ne se reproduisent plus ? Vous dites que l'enjeu est de regagner la confiance des marchés, il faudra aussi, à mon sens, regagner la confiance des élus, qui souffrent de la RGPP, de la suppression de la taxe professionnelle, du gel des dotations, etc.
Il faut réorienter cette banque vers les projets des collectivités, l'économie réelle, mettre en place de nouveaux critères de développement, un nouveau pilotage, qui associe les élus locaux, les parlementaires, les associations d'élus, en évitant de faire appel aux collectivités seulement pour éteindre le feu, comme aujourd'hui. J'attends des garanties écrites, fermes, contractuelles, pour qu'on ne retrouve pas les mêmes dérives d'ici six mois à un an. Ce nouvel outil doit être indépendant des marchés financiers et des agences de notation.
Quel est le montant de la garantie de l'Etat évoquée par M. de Romanet ?
Je tiens à saluer l'équipe de la Caisse des dépôts qui est capable de traiter la situation que nous connaissons, en urgence. Je me souviens qu'il y a vingt ans, ici même, on débattait de l'utilité de la Caisse...
Il y a le feu pour les marchés financiers, mais aussi pour les collectivités locales françaises. Mon département, la Charente-Maritime, n'a pu réaliser, du fait des atermoiements de Dexia, plus de 40 % des emprunts programmés. Il ne peut plus lancer un quelconque ordre de service pour terminer des travaux routiers pour l'exercice 2011.
Dans ma commune, qui n'est pas endettée, nous sommes confrontés à une situation surprenante. L'Etat veut construire une belle agence de Pôle emploi, je le comprends, mais comme il n'a pas un sou, il demande à la commune de le faire et propose de payer un loyer en échange. La Caisse d'épargne n'a pas de ligne, le Crédit mutuel non plus, Dexia n'en parlons pas ! Nous n'avons reçu qu'une seule réponse, celle du Crédit agricole, qui nous propose 1 million d'euros sur vingt ans à un taux de 5,38 % ! Il faut en sortir rapidement, sinon les conséquences sur l'économie seront considérables !
Les collectivités représentent 75 % de l'investissement public, il faut donc aller vite. Ce que nous vous demandons, au fond, c'est de faire le métier de l'ancien Crédit local de France ! La France a un taux d'épargne de 17 %, c'est considérable, et les sommes correspondantes n'attendent que de se recycler ! Les solutions existent, elles sont à mettre en oeuvre très rapidement.
M. Bouvard, exprimant les quatre préoccupations de la Caisse, dont la garantie sur le portefeuille repris, m'a rassurée, car je m'interrogeais sur le périmètre. Notre interlocuteur nous indique que les prêts toxiques ne seront pas repris par la CDC : je m'en réjouis.
De nombreuses collectivités, a-t-on lu dans la presse - chiffres à l'appui, prétendument donnés par Dexia... - portent des prêts toxiques, ou des prêts qui ne sont pas comptabilisés comme tels. Je suis donc rassurée par les propos de M. Bouvard.
Vous reprenez pour 250 millions d'euros des actifs qui étaient estimés à 1 milliard. Ne courez-vous pas le risque qu'un actionnaire minoritaire refuse le prix de 250 millions et le conteste devant les tribunaux ?
Le prix de la banque de dépôts belge, 4 milliards d'euros, ne me semble pas très élevé. Les 500 millions d'euros de franchise seront-ils assumés par la banque de dépôts ou par un autre véhicule ? Je croyais que les prêts toxiques étaient repris également : sur 10 milliards d'euros de produits structurés, 4,5 sont en difficulté. Pouvez-vous nous donner des précisions ?
Pourquoi avoir associé la Banque postale à cette affaire ? Qu'apporte sa participation ?
Le « souverain », autrement dit la dette des Etats souverains, se situe dans le portefeuille « legacy » de DCL et bénéficie de la garantie des Etats. Une fraction des souverains est cependant comprise dans les 20 milliards d'euros de titres repris par DBB. Voilà pourquoi 4 milliards d'euros est un prix équitable ! DexMA comprend des titres de collectivités locales étrangères, mais ce sont des prêts à l'actif et non des postes du passif. DexMA détient aussi quelques titres islandais et grecs, mais qui sont extournés.
Dans le financement de DexMA existe un petit écart de duration d'un peu plus d'un an entre la durée des prêts et celle des emprunts. L'écart de liquidité est donc réduit. Enfin, à ceux qui craignent un siphonage de la Caisse des Dépôts et de la Banque postale par DexMA, je précise que la co-entreprise ne paiera à DexMA que le coût du refinancement ainsi que des frais de gestion ; il n'y a pas de risque pour la Banque postale, c'est la Caisse des Dépôts qui assume le risque principal dans cette affaire. Pourquoi la Banque postale intervient-elle ? Parce qu'il n'y avait aucune autre banque candidate !
J'ai parlé de « bons dirigeants » : c'est que le principal actif de DexMA sera la confiance qu'elle inspirera aux souscripteurs. Je n'émets pas de jugement sur ce qui s'est passé depuis 2008, car ce serait un anachronisme de croire que l'on pouvait faire autrement. Mais avant 2008, on a sous-estimé les risques. Je m'étais vivement opposé à Axel Miller lors d'un conseil d'administration en juillet 2008, mais je venais d'arriver et les mauvaises décisions avaient déjà été prises.
Eric Bocquet n'aura pas de raison d'être déçu, car la nouvelle co-entreprise ne distribuera que des prêts « vanille », simples et compréhensibles. En outre, le directeur de la CDC et le président de sa commission de surveillance doivent chaque année expliquer au Parlement ce que fait le groupe : aucun prêt ne sera consenti sans que M. Bouvard et moi sachions de quoi il s'agit. C'est une garantie qui en vaut bien une autre !
L'Etat ne donne pas sa garantie pour un montant prédéterminé. Dexia SA nous donne deux garanties : nous ne perdrons pas un euro sur les produits toxiques, de type « Gissler » E3, E4, E5 ou hors Gissler ; à quoi s'ajoute le « stop-loss » sur la performance de tout le portefeuille. Combien l'Etat devra-t-il verser si Dexia n'est pas capable de nous rembourser les pertes ? Je ne le sais pas. Pour la renégociation des prêts, je vous laisse juges du montant de perte que nous devrons consentir. Les fonds propres de Dexia SA, normalement, couvriront les pertes : ainsi la recapitalisation de Dexia en 2008, dont certains ont déploré qu'elle n'ait « servi à rien », aura tout de même injecté des sommes que les Etats n'auront pas à décaisser. Les 2 milliards d'euros que le groupe Caisse des Dépôts a mis en 2008 sont toujours dans les caisses de Dexia !
Nous nous assurerons qu'elle court jusqu'en 2030.
Est-on sûr du prix ? C'est effectivement la question juridique cruciale, celle qui nous a le plus taraudés, dans les 48 heures qui ont précédé le conseil d'administration. Par prudence, nous avons fait en sorte que les délibérations traduisent bien une unanimité des administrateurs pour considérer qu'il était de l'intérêt social de Dexia de nous vendre DexMA à un prix inférieur au montant des fonds propres. Si, néanmoins, un actionnaire minoritaire formait une action en justice, notre dossier serait inattaquable. Quant aux 4 milliards d'euros proposé pour DBB, c'est un bon prix et les actionnaires de Dexia SA seront intéressés si la banque est revendue plus cher dans les cinq ans. Il y a des prêts toxiques dans DexMA mais je vous ai décrit la garantie associée.
Pourquoi la Banque postale ? C'est un établissement de crédit, alors que la Caisse des Dépôts est un établissement sui generis et n'est pas une banque. Notre partenaire est une banque, présente dans les territoires.
Les 500 millions d'euros serviront à responsabiliser le système en général, car on n'améliore que ce que l'on mesure. Si au premier euro, tout ce qui est renégocié en défaveur de la banque est payé par quelqu'un d'autre, la solution n'est pas satisfaisante !
Le stock de prêts aux collectivités locales détenu par Dexia représente 35 % du total des prêts. La production de prêts par Dexia en 2010 s'est montée à 10 % du total. Au maximum, Dexia a produit 40 % des prêts aux collectivités. Nous avons besoin d'un véhicule spécifique pour ces financements, car les banques ne sont pas en mesure de consentir des prêts à très long terme ; mais nous souhaitons revenir à des pratiques plus orthodoxes, car, en 2009, lorsque nous nous sommes penchés sur les pratiques de Dexia, nous avons vu des choses invraisemblables. Il est vrai que la dérive était alors générale, certains ont distribué des snowballs et ont fait bien pire que Dexia !
Dans le giron de la Caisse des Dépôts, et avec la Banque postale, la politique de prêts sera menée dans la transparence, avec, bien sûr, un objectif de rentabilité pour rémunérer l'épargne des Français, mais à un niveau raisonnable et compatible avec les réalités financières locales. Bref, c'est un retour au métier de l'ancienne CAECL... Il s'agira d'une SA, avec un conseil d'administration, qui ne comprendra donc pas de parlementaires. Mais comme toutes les entités adossées à la Caisse des Dépôts, la nouvelle co-entreprise aura des comptes à rendre devant la commission de surveillance de la Caisse. M. Arthuis, Mme Bricq et moi-même serons vigilants !
Le document évoqué par Mme Des Esgaulx, qui a été repris dans la presse, est ancien, date de 2009, et il comporte des inexactitudes. Aujourd'hui nous ne connaissons certes pas tout ce que nous reprenons, mais ce qui est « scoré » hors Gissler fait l'objet d'une garantie de perte maximum pour couvrir la renégociation ; et le gros du stock est constitué par des prêts « vanille », qui ne comportent pas de risques majeurs.
La commission procède ensuite à l'audition de M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France.
Monsieur le Gouverneur, votre audition était prévue avant l'accélération de l'affaire dont nous venons de parler. Le tableau général de la situation des banques montre une aggravation depuis quelques mois. Nous voulons vous écouter sur le sujet de la recapitalisation des banques, mais aussi sur Dexia.
Nous vivons un moment délicat, crucial. Les banques françaises, je le répète même si certains me jugent autiste ou aveugle, sont saines, normalement capitalisées, elles n'ont pas un besoin urgent de recapitalisation. Leur ratio de fonds propres est de 11%. Elles disposent de 160 milliards d'euros de fonds propres très durs (core tier 1). Depuis 2009, elles ont augmenté leurs fonds propres durs de 50 milliards d'euros, par mise en réserve de bénéfices et par des augmentations de capital. Elles ne comprennent pas d'actifs toxiques cachés sous le tapis. La diversité de leurs activités explique leur résistance à la crise. Cela ne signifie pas qu'elles ne doivent pas accroître leurs fonds propres, afin d'être en mesure de résister à des évènements extraordinaires et conserver la confiance des déposants, des épargnants, des investisseurs... Mais elles ont tiré les leçons de 2008 et présentent une capacité de résistance plus grande. En raison des turbulences et des tensions actuelles, j'ai toutefois demandé une accélération de la mise en oeuvre de Bâle III, afin d'atteindre les 9 % en 2013 et non en 2018.
Pourquoi décider une recapitalisation au niveau européen ? Les banques européennes ont une exposition évidente au risque souverain, et le monde a changé : auparavant, tout le monde considérait la dette des Etats comme la plus sûre. Depuis l'été, le doute s'est installé, bien au-delà du seul cas de la Grèce. Or, si les Etats sont soupçonnables, c'est toute la finance qui est à repenser. Peut-on reprocher aux banques d'avoir acheté des actifs de la zone dans laquelle elles opèrent ? Non ! La solution réside dans une recrédibilisation des Etats souverains, dont les finances publiques ont été détériorées dès le début de la crise. Des mesures fortes de redressement ont déjà été prises en Espagne, en Italie, en France. Mais il faut tenir compte de la pression du marché ; c'est pour cela que j'ai voulu une accélération de la marche vers Bâle III. Je crois que l'Agence bancaire européenne réfléchit également en ce sens - elle doit faire des propositions à la Commission européenne et au Conseil Ecofin. Je souhaite qu'en France les banques n'aient pas besoin de solliciter les finances publiques, grâce à la mise en réserve de leurs bénéfices et à l'appel à l'épargne publique lorsque le calme sera revenu. Il faut aussi une politique de rémunération plus raisonnable.
Une précision : lorsque je parle des banques françaises, je n'inclus pas Dexia : car depuis la fusion des entités française et belge, le superviseur principal se trouve à Bruxelles. Nous n'exerçons de contrôle que sur la filiale française, pour le compte de notre homologue belge. Nous n'avons suivi ni le portefeuille obligataire de Dexia, ni ses activités américaines. Ce cas n'est pas assimilable à celui des banques françaises.
Vous n'avez pas changé d'un iota, votre discours demeure identique : « il n'y a pas d'urgence à recapitaliser nos banques ». Et ce, même après la polémique déclenchée par Mme la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) qui a dit très tôt que « les banques européennes ont besoin d'être recapitalisées ». On le refusait en France mais après le sommet franco-allemand, on a décidé qu'il fallait recapitaliser. Pourquoi y a-t-il le feu sur les négociations - ce qui alimente la crise de confiance - si les banques françaises n'ont pas besoin de recapitalisation ?
Vous conservez la même position qu'en 2008 : les banques françaises bénéficient d'un plan d'aide mais elles auraient pu s'en passer. Je suis sceptique. Pourquoi, si tout va bien, un tel grippage du marché interbancaire ? La Fédération bancaire française explique que le problème concerne seulement la dette souveraine, mais j'ai du mal à comprendre pourquoi, alors, les banques préfèrent se refinancer à la BCE plutôt que de se prêter entre elles. On observe des dysfonctionnements identiques à ceux de 2008. Quoi qu'il en soit, si l'on recapitalise les banques françaises, à combien se montera l'opération ?
En outre, au cours de nos nombreux débats sur le sujet ici, en commission, je n'ai jamais pu savoir quel rôle assumaient exactement les banques dans le soutien à l'économie réelle. Vous avez demandé aux établissements français de renforcer le plus rapidement possible leurs fonds propres : Bâle III fonctionne donc comme un accélérateur de crise ! L'Amérique, elle, n'applique pas encore Bâle II... La BCE est aujourd'hui à la limite de ce qu'elle peut faire pour l'Espagne et l'Italie. Il a été souvent question, au sein de notre commission, d'un dispositif branché directement sur la banque européenne, afin que tous les Etats conservent leur note AAA. Le fonds de solidarité européenne pour les finances aurait un statut d'établissement de crédit et se refinancerait auprès de la BCE. Celle-ci ne serait plus en première ligne pour acheter des titres souverains. Qu'en pensez-vous ?
J'estime qu'il n'est pas besoin, fondamentalement, de recapitalisation. Mais si l'on veut accélérer le renforcement des fonds propres, si les gouvernements veulent que les banques augmentent leur capital, pourquoi pas ? Il s'agit de renforcer le coussin de sécurité, la capacité à réagir aux évènements. Il faut privilégier le recours à la mise en réserve des bénéfices et au marché si les conditions le permettent. Il est aussi utile qu'en cas de besoin, à titre temporaire, l'Etat dispose d'une capacité d'intervention, d'un back-up. En France, le dispositif de 2008 peut toujours être utilisé. L'orientation sera décidée au niveau européen, il faudra bien la suivre.
Sur quel montant faut-il raisonner ? Si la décision se fixe autour d'un taux de 9 %, dans le cadre du système actuel, avec un coussin additionnel pour tenir compte des valeurs de marché des titres souverains, l'ordre de grandeur serait gérable pour les banques. Si l'exigence est posée à un horizon de six à neuf mois, les établissements peuvent y arriver par le recours au marché, même si la politique de mise en réserve des bénéfices peut entraîner des restrictions sur la distribution de dividendes. Mais s'il faut le faire du jour au lendemain, les établissements ne trouveront pas les fonds seuls. Cependant, je rappelle qu'après 2008, les banques ont remboursé l'Etat et que l'opération a pour lui été confortable. Le AAA français n'a pas été affecté, il vient d'être confirmé par trois agences de notation, avec une perspective stable. Je n'ai donc pas d'inquiétude quel que soit le scénario. J'ai voulu donner du temps aux banques pour atteindre l'objectif sans avoir à recourir à des opérations coup de poing.
L'accélération du processus comporte-t-elle un risque pour l'économie réelle ? C'est un souci. Le comité de Bâle a procédé à un arbitrage, les demandes sont assez exigeantes. Mais elles devraient être remplies sur une période suffisamment longue pour ne pas « emboliser » l'activité économique. La Banque des règlements internationaux a calculé l'effet restrictif, qui apparaît faible. Si le fonctionnement des marchés se grippe, pour assurer la croissance il faut réagir vite, au risque d'un léger effet négatif dans l'immédiat.
Au coeur de tout, il y a la confiance dans l'Etat, les finances publiques, le système bancaire. Le vrai risque pour la croissance serait un ralentissement et un report des investissements des entreprises, un tassement des exportations. La croissance a été faible au troisième trimestre, les Etats-Unis connaissent un fort ralentissement et ne parviennent pas à sortir de la crise de l'immobilier, la consommation est inégale, parce que le moral des ménages n'est pas bon : d'où, en France, notre taux considérable d'épargne, qui atteint 17 %. Mais sachez que tout ce qui se dit sur la crise a un impact sur le moral des ménages.
Les dépôts auprès de l'Eurosystème ont augmenté considérablement. Ils émanent des filiales de banques étrangères, hors zone euro, des banques anglo-saxonnes par exemple, plus réticentes que les établissements de la zone euro, mais aussi des banques de groupes industriels, ou des compensateurs, Clearstream ou Clearnet. Cela ne signifie donc pas que les banques françaises ne se prêtent pas entre elles. Le fonctionnement actuel est anormal mais sans conséquence sur le refinancement bancaire : la BCE a ouvert des opérations à taux fixe sans limitation, donc l'argent qui nous est apporté est prêté à nouveau instantanément, chaque banque peut emprunter si elle fournit les garanties nécessaires.
Le taux de distribution de crédit aux entreprises a progressé en un an de 4,5 % - de 4,8 % s'agissant des PME et TPE. Le crédit au logement a crû de 8,4 %, le crédit à la consommation a augmenté moins rapidement. Ces trois derniers mois, nous avons connu un rythme de progression supérieur à celui des autres pays européens. Le fléchissement du crédit à la consommation est à surveiller. Le refinancement en dollar est plus délicat : les fonds américains équivalents de nos SICAV sont depuis longtemps friands de signatures européennes, françaises en particulier, car ils manquaient d'objets d'investissement aux Etats-Unis. Mais les montants à placer ont fondu et les fonds ont commencé à réduire leurs placements sur les titres européens. L'impact n'est pas essentiel pour notre économie, il joue surtout sur la rentabilité des banques. Afin d'éviter un coup d'arrêt brutal, la BCE a étendu ses opérations de swap avec la Fed, ce qui nous permet de prêter en dollars aux banques européennes.
Le financement des collectivités locales est un problème plus délicat, difficile, car les banques mettent en avant les exigences de liquidité de Bâle III. Les banques européennes, françaises en particulier, faisaient trop de transformation, accordant des crédits à très long terme sur des ressources courtes. Aujourd'hui, elles ne savent pas ce qu'elles pourront lever comme ressources longues. Le marché des obligations sécurisées, le marché des foncières, s'est très bien comporté au premier semestre ; après une panne cet été, il semble reprendre doucement.
Parmi les mesures annoncées le 6 octobre par la BCE, nous avons prévu de réintervenir sur ce marché afin que les banques puissent émettre plus largement.
C'est pourquoi un traitement rapide de la situation de Dexia était indispensable. Nous avons besoin de la présence de cet acteur spécialisé, que les autres acteurs ne relaieront pas : les collectivités locales ne déposent pas leurs fonds dans les banques, mais au Trésor. Elles sont donc, en raison de ce système très français, moins attirantes pour le secteur bancaire. Reste que fondamentalement, leurs crédits sont sûrs et peuvent être portés dans des conditions classiques, indexées sur des taux longs : les banques pourraient donc être réintéressées.
Sur la BCE et le Fonds européen de stabilité financière (FESF), notre sentiment est que l'eurosystème n'est fondé à intervenir sur titres publics que s'il considère que les tensions de marché sur ces titres sont un obstacle à sa politique monétaire. Or, les tensions sur les pays périphériques ont eu cette conséquence que les conditions de refinancement ont suivi les taux publics : décider que le taux adéquat était de 1 % n'empêchait pas le taux des crédits d'être totalement déconnecté, jusqu'à 10 %, D'où notre intervention. Pour autant, ce n'est pas notre rôle que de refinancer systématiquement le FESF. S'engager dans cette voie serait extrêmement risqué, car un jour, nous reviendrons à une politique de refinancement normal, correspondant au strict besoin de liquidités du système. Le FESF n'aurait alors droit qu'à une fraction de ce dont il bénéficie aujourd'hui : ce serait une dangereuse épée de Damoclès. Il faut donc compter surtout sur l'effet de levier. On peut, par exemple, imaginer une deuxième tranche de refinancement sans garantie des Etats. Reste que la vraie solution, qui est à l'oeuvre, passe par la recrédibilisation des Etats, pour tranquilliser les marchés et décourager la spéculation.
Je vous suis sur la première partie de votre intervention, relative à la solidité des banques françaises, mais pas sur la question, ensuite, de la recapitalisation. Vous affirmez que les titres représentatifs de la dette souveraine ont une valeur, et qu'il n'est pas question d'y toucher. Je tiens, quant à moi, que ces titres ne valent pas monnaie, et que s'ils ont une valeur nominale, ils ont aussi une valeur réelle inférieure. Voudriez-vous d'une obligation grecque d'une valeur nominale de 100 euros, sachant qu'elle n'est pas négociable à ce prix ? D'où la question de la recapitalisation, en lien avec les ratios prudentiels. On compte actuellement les dettes souveraines dans les actifs : c'est une erreur. Au delà des controverses, il y a là dessus convergence. La femme de César ne doit pas être soupçonnée ? Héla, elle l'est. On sait bien que la valeur réelle de ces titres n'est pas la valeur nominale, et si le ratio des banques est relevé, elles auront besoin de rechercher des capitaux propres.
Sur cette question des fonds propres, j'ai du mal à comprendre les banquiers. Quand une entreprise se tourne vers sa banque, elle se voit souvent opposer l'insuffisance de ses fonds propres. Et les banques s'exonèreraient de cette exigence qui est la leur ? Sans compter les pratiques auxquelles on a assisté, comme celle de BNP Paribas rachetant, il y a peu, 2,5 millions de ses actions, ou celle de la Générale pour un peu moins ... Belle façon d'optimiser le rendement et beau jackpot pour les dirigeants qui détiennent des stock options !
Sur la dette souveraine, j'observe que la crise de 2008 a placé les Etats en situation d'assureur systémique. La banque a considéré que les créances des Etats étaient bonnes, y compris s'agissant de la Grèce, qui a eu recours à d'éminents banquiers, de Goldman Sachs pour ne pas les nommer, pour maquiller ses comptes... Sans problème de dette souveraine, pas de problème de capitaux propres et de recapitalisation... Le vrai problème, c'est que les banques ont été trop généreuses, finançant des déficits publics sans regarder s'ils étaient ou non chroniques, structurels. Cette excessive bienveillance, pour ne pas dire ce laxisme à l'égard des Etats n'est pas pour rien dans la situation que nous connaissons.
Faut-il séparer les banques de dépôt et les banques d'affaires ? J'aimerais surtout savoir si de votre point de vue, on peut veiller à la bonne orientation des fonds dont disposent les banques, pour qu'elles ne se transforment pas en une sorte de casino mais aillent de préférence vers des placements plus classiques, au service de l'économie, des collectivités. Je me demande, de surcroît, si les banquiers ne mènent pas auprès d'elles un lobbying sur les turpitudes de Bâle III, afin qu'elles s'en fassent l'écho au Parlement. Une petite manipulation, en somme...
On entend souvent dire, en effet, que les exigences de Bâle III privent les banques de fonds disponibles pour répondre aux besoins de l'économie. Vous avez rappelé, au sujet des collectivités locales, que leurs fonds sont versés au Trésor : cela ne milite-t-il pas pour un outil public au service de leur financement ? Vous plaidez pour substituer au court terme les ressources du long terme, en matière de prêts aux collectivités. Qu'est-ce que cela signifie ?
Dernière remarque, enfin. On a beaucoup parlé de perte de confiance, avec ses conséquences sur la demande de crédits à la consommation et partant, sur l'activité économique. Mais si perte il y a, c'est aussi de ressources pour les emprunteurs potentiels, sous l'effet des politiques de rigueur.
Je voulais poser, comme Jean Arthuis, la question de la séparation entre banque de dépôts et banque d'affaires. Par ailleurs, que pensez-vous de l'idée de créer une structure de financement propre aux collectivités, défendue par les associations d'élus locaux ? J'y vois personnellement un risque de surcoût.
Le chiffre de 200 milliards de recapitalisation évoqué cet été par Mme Lagarde avait été jugé farfelu. Aujourd'hui, il paraît crédible, et souhaitable. Quel est votre sentiment sur ce point ?
La distinction fondamentale aujourd'hui, monsieur Bourdin, est entre portefeuille de négociation, susceptible d'être vendu à tout moment, et par conséquent calculé en valeur de marché, et investissement de long terme. Que se passe-t-il dans le cas des entreprises ? En cas de doute sur la solvabilité du débiteur, on passe une provision. En ce qui concerne les Etats, cela a été fait pour la Grèce.
Si nous passions tout en valeur de marché, l'exposition aux dettes des pays périphériques - étant entendu que je ne prends pas ici en compte les plus-values latentes, avec les titres allemands, autrichiens, les obligations assimilables du Trésor (OAT) françaises - serait gérable pour les banques comme je l'ai évoqué tout à l'heure. Ce qui me conduit par conséquent à ne pas penser qu'il faut recapitaliser tout de suite.
Je suis tout prêt, comme l'a suggéré Jean Arthuis, à considérer que les investisseurs ont péché par aveuglement sur les dettes souveraines. Il est clair, que dans le futur, les gestionnaires de fonds feront preuve de plus de clairvoyance : les Etats aux finances publiques dégradées ne pourront plus compter sur des taux bas, et leur gestion devra être très rigoureuse.
Je suis également Jean Arthuis sur le raisonnement des banques en matière de capitaux propres. La pratique consistant à racheter ses propres actions pour maintenir son cours de bourse m'a toujours parue baroque. Je l'ai interdite en 2011, alors que les banques doivent s'acheminer vers Bâle III. Je n'ai pas reçu que des applaudissements, mais si nous constatons des dérives, nous prendrons les sanctions qui s'imposent.
Le Parlement nous a livré une gamme de sanctions suffisante pour y pourvoir.
Comment mieux orienter les crédits ? Ce fut le grand débat au sein du comité de Bâle. Comment mettre un terme aux opérations « casino » au profit des crédits utiles à l'économie ? Nous avons beaucoup renforcé l'exigence en capital pour les opérations de marché, de titrisation. C'est un premier pas. Il est déjà bon d'avoir multiplié les exigences par quatre ou cinq. Même aux Etats-Unis, les banques ont été conduites à réduire ce type d'opérations. Je suis favorable à pousser plus loin sur la question des ratios. On peut, au titre du pilier II, rajouter encore des exigences pour rendre ces opérations plus coûteuses, moins rentables. Nous le ferons.
Si l'Etat souhaite, madame Beaufils, créer un outil public pour le financement des collectivités, je n'ai pas d'objection à soulever. Ce peut être là un bon instrument, s'il est géré aux conditions légales - autonomie des actionnaires, règles communes en matière de capital et de refinancement. Si l'on relance le nouveau Dexia Crédit Local sous la forme d'une coentreprise entre la Caisse des dépôts et la Banque postale, je suis sûr que l'on peut réanimer le marché du financement des collectivités. A L'Etat de juger si, au-delà, un outil public est nécessaire.
Quant à la nécessité de remplacer les ressources courtes par des ressources longues, j'indique que le ratio vers lequel on s'achemine tient à l'idée que, pour financer des crédits de long terme, il faut soit des dépôts suffisamment stables, soit des ressources à long terme sous forme d'obligations émises par les banques. Il peut être intéressant de prêter à long terme à des clients qui vous apportent des dépôts. Le raisonnement vaut pour les particuliers et les entreprises. Le cas des collectivités est un peu différent : il faut aller chercher des ressources obligataires. Mais en ces temps troublés, les banques n'ont pas pu émettre d'obligations en Europe depuis quelques mois. On peut se demander, dès lors, si elles n'exercent pas une pression lobbyiste sur la question du ratio de Bâle...
Banque de dépôts, banque d'affaires ? Je ne crois pas à cette distinction. Toutes les banques d'investissement financent également le commerce international...
Y compris les exportations d'Airbus, et assurent ainsi la liquidité des obligations des collectivités et des entreprises. En 2008, deux banques ont été les moteurs de la crise, l'américaine Lehman Brothers, pure banque d'investissement, et la britannique Northern Rock, pure banque de dépôts.
Je crois davantage qu'à la séparation, à la nécessité de pourchasser les activités risquées et inutiles. Et la commission Vickers en Angleterre, ainsi qu'il apparaît également dans les conclusions du gouvernement britannique, use de plus de prudence qu'au départ. Même chose aux Etats-Unis.
Sur les 200 milliards récemment évoqués au FMI...
Entendons-nous bien, il ne s'agit nullement d'opposer les personnes, mais ce chiffre vient d'être repris officiellement par certains...
l'institution elle-même considère qu'il s'agit seulement d'un chiffrage de risques qui peuvent se traduire en une inquiétude des opérateurs de marché. Il faut un niveau de capital plus important, qui n'est pas chiffré. L'ambiguïté demande à être clarifiée pour le grand public : il ne s'agit nullement d'un montant de recapitalisation estimé nécessaire.
Sur le plan méthodologique, nous avons de nombreux points de désaccord. Le FMI fait comme si l'on n'avait pas déjà constitué de provisions passées sur les expositions bancaires, son calcul n'est par conséquent pas juste. Il estime ensuite un effet de levier comme si les banques européennes avaient le même référentiel comptable que les banques américaines, qui font un netting des opérations dérivées ; selon la Deutsche Bank la taille du bilan, donc le ratio de fonds propres, passe du simple au double en fonction de la méthode. Le FMI, ensuite, ne retient pas le taux des obligations sur le marché, mais le taux des Credit default swaps (CDS) à cinq ans, qui est plus biaisé, opaque, manipulé, non crédible, et qui évolue souvent loin du vrai marché des obligations. Dernière réserve, enfin, le calcul des risques est fait sur les titres décotés, sans prendre en compte la réduction de risque sur les titres en plus-value.
Reste cependant que la directrice générale du FMI a raison quand elle dit qu'il faut travailler au renforcement des banques car il faut trouver le moyen de rassurer les marchés, soit aussi les déposants, les épargnants, pour renouer avec une marche normale du système, clé d'un bon fonctionnement de l'économie.
Si une nouvelle audition pouvait être organisée pour évoquer la place de la banque de l'ombre dans l'économie française et européenne...
Je suis à votre disposition.
Comme l'a rappelé le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), 75 % des transactions financières échappent à tout contrôle : il serait de fait utile de se pencher sur ces zones d'ombre...
Puis, la commission procède à l'audition de M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor.
Bienvenue à M. Ramon Fernandez, que nous invitons à livrer son analyse d'une situation économique et bancaire où chaque jour apporte son lot de nouvelles fraiches...
Nous sommes dans le contrecoup de la crise de 2008-2009 : une deuxième onde de choc frappe tout le secteur bancaire international. Avec une croissance plus faible, les perspectives de résultat s'assombrissent et le doute s'accroît. D'où de fortes turbulences, un retrait partiel de l'accès au dollar du fait de la fermeture des guichets américains, ayant conduit les autorités européennes à mettre en place des solutions de substitution. La difficulté, ensuite, est venue de l'accès à la ressource euro, avec les tensions que l'on sait sur le marché interbancaire - même si la situation n'est pas comparable à 2008 puisque ces tensions sont essentiellement concentrées sur les marchés européens. L'accès à la ressource dollar est rendu nécessaire par le développement d'activités internationales importantes dans des banques qui sont davantage exposées à la crise de la dette souveraine - Grèce, Espagne, Italie - et sont qui plus est présentes, comme banques de détail, dans les Etats soumis à des attaques.
Des plans d'ajustement ont cherché à limiter leurs besoins de financement, avec retrait de certaines activités de financement, notamment internationales, et une décision de renforcer leurs fonds propres, selon un calendrier accéléré - 2012 ou 2013 au lieu de 2019, comme le prévoyait Bâle III (directive CRD4).
Un débat international a défrayé la chronique avant même les assemblées annuelles de Washington, le FMI ayant affirmé qu'une recapitalisation serait nécessaire. Un communiqué du G20 indique à son tour que les banques doivent être suffisamment capitalisées - signal nécessaire - et les discussions se sont engagées depuis, au sein de l'Ecofin et de l'Autorité bancaire européenne, pour émettre des recommandations.
Les ratios actuels de nos banques, en matière de niveau de capitalisation, sont confortables. Leur notation, à l'aune des comparaisons internationales, est favorable.
Pour garantir l'accès à la liquidité, la BCE a ouvert à un an l'accès à l'euro ; elle l'a fait dès septembre sur le guichet dollar ; elle a, enfin, relancé un programme d'achat des obligations sécurisées. Sur le volet européen, les discussions sont engagées avec nos partenaires, et notamment l'Allemagne. Le conseil européen d'octobre sera l'occasion d'apporter des réponses sur quatre points : quelle réponse cohérente au défi de la Grèce ? Comment mobiliser le Fonds de stabilité ? Comment renforcer la gouvernance de la zone euro ? Quelle recapitalisation pour les banques ? Sur cette dernière question, l'Autorité bancaire européenne a mis ses idées sur la table et M. Barroso vient de livrer ses commentaires il y a quelques minutes.
Le financement de l'économie croît, en France, à un rythme supérieur à celui de la zone euro : plus 6 % en rythme annuel, contre 2,2 % pour la zone, 0,6 % pour l'Allemagne, tandis que l'Espagne est dans le rouge. L'encours de crédit aux entreprises a crû de 4,5 % ; l'encours de trésorerie, qui avait fléchi entre fin 2009 et début 2010, est sur une pente de 6 % ; l'encours de crédit aux ménages progresse, lui, de 7 %.
L'évolution est-elle différente pour les PME et TPE ? Les chiffres ne font pas apparaître de difficulté particulière. Les structures indépendantes progressent de 4,8 % sur un an, soit une pente plus rapide que celle que nous connaissions depuis l'été 2009. Et cela à un niveau de taux très faible (5 % pour les ménages, 3,5 % pour les sociétés non financières, contre, respectivement, 6,3 % et 5,6 % en 2008).
Cela étant, les dernières enquêtes montrent qu'il faut rester vigilants et qu'un durcissement des conditions reste possible : l'offre se tend et la demande peut décroître. L'enquête Oseo, à l'échantillon très fiable, demeure toutefois positive. Reste que l'économie mondiale se trouve dans une phase dangereuse, selon le terme même du FMI, et qu'il convient de rester en alerte.
Les réformes réglementaires apportent, dans ce contexte, un degré de contrainte supplémentaire. Multiplier par quatre ou cinq le niveau de fonds propres des banques à l'horizon 2019 aura nécessairement un impact sur la croissance - l'accès aux ressources sera plus coûteux pour les banques, qui répercuteront cette charge sur leurs clients. Une organisation internationale représentant les grandes banques vient de monter au créneau en déclarant qu'elle en fixait l'impact à 4 % du PIB, soit un niveau de richesse en valeur inférieur de 3,4 % à ce qu'il aurait été sans cette réglementation, allégation faite pour contredire le comité de Bâle, qui concluait à un impact positif de quelque 0,4 %, en incorporant le gain des crises ainsi évitées.
Il y aura à court terme un impact sur la croissance.
M. Barroso vient de déclarer qu'il faudrait aller plus vite vers un ratio de 9 %, d'ici à 2013. Quel impact sur la croissance de court terme ?
La France, dans ce débat, est réputée convaincue que l'idée d'une recapitalisation rapide manque de cohérence, si l'on s'en réfère aux déclarations du gouverneur de la Banque de France et, la semaine dernière, de Jacques de Larosière, considérant qu'elle risque d'accélérer la contraction du crédit et de rendre ainsi plus difficile le financement de l'économie. C'est juste... tant que l'on a raison d'avoir raison. Le problème reste que les investisseurs affirment que le secteur bancaire européen manque de la sécurité suffisante pour absorber les chocs.
D'accord pour une action sur le niveau de capital des banques, en fonction de leurs besoins, mais dans le cadre d'une réponse globale, englobant aide durable et crédible à la Grèce, renforcement du fonds européen et gouvernance solide. Dans ce cadre, une telle action a un sens, mais ne sera pas sans impact sur la capacité des banques à financer l'économie.
Le gouverneur de la BCE priait hier, devant le Parlement européen, les autorités politiques d'agir de toute urgence ; ses déclarations paraissent en décalage avec celles du gouverneur de la Banque de France... Comment faire la part des choses ? Aggravation potentielle ou simple matelas de sécurité destiné à rassurer l'opinion ?
La dichotomie est moins forte qu'elle ne l'était il y a quinze jours. Avant le G20 de Washington, la BCE critiquait la recapitalisation prônée par le FMI. À Washington, certains aspects méthodologiques ont été clarifiés, les écarts d'analyse réduits, le consensus a progressé : indiquer que les banques européennes disposent du capital suffisant peut contribuer au retour de la confiance, quelle que soit l'analyse fondamentale sur le niveau d'adéquation des fonds propres aujourd'hui. La rationalité pure des chiffres n'est plus la seule : il faut tenir compte des signaux qu'envoie le marché. Or il doute de la capacité des banques à absorber les chocs.
Les discussions au sein de l'Ecofin et de l'Autorité bancaire européenne ont abouti à une recommandation, qui sera discutée par les ministres. Il s'agit de fixer un objectif à un horizon plus proche, auquel les banques devraient satisfaire en ayant recours à trois types de ressources possibles : le marché privé, des dispositifs publics nationaux, ou le Fonds européen de stabilité financière, réformé pour pouvoir concourir à la recapitalisation des banques.
Nous en savons plus qu'hier. Le débat préalable au Conseil européen, hier en séance, nous a frustrés : lorsque les sujets abordés sont financiers et budgétaires, il faudrait, pour l'information du Parlement, un représentant du gouvernement qui puisse nous répondre !
Un éventuel compromis européen porterait donc sur quatre sujets : le soutien à la Grèce, la gouvernance, le renforcement du fonds européen de stabilité financière, l'anticipation du calendrier pour arriver à 9 % de fonds propres, de nature à faire revenir la confiance.
Ma question, à laquelle le ministre hier n'a pas pu répondre, porte sur le fonds européen. Une réponse graduée suppose que l'on fasse d'abord appel au marché, ensuite au secteur public. Dans ce cas de figure, en quoi consisterait l'effet de levier dont on envisage de doter le fonds ? Suppose-t-il une forme juridique particulière ? Quels sont les montants en cause ? Il faut accroître cette force de frappe. Si les États ne peuvent plus accroître le montant des garanties qu'ils accordent, et si la BCE rencontre ses limites institutionnelles, doit-on prévoir un mécanisme nouveau ?
Créé en mai 2010, le Fonds européen de stabilité financière a été doté d'une capacité de prêt de 440 milliards d'euros, et ne pouvait que prêter à des pays. Le Fonds se finance sur les marchés : il emprunte puis prête, assez cher et sur des périodes courtes. Pour assurer une note AAA, il a fallu multiplier les précautions : résultat, la capacité de prêt réelle n'est que de 220 à 250 milliards. Au terme d'un an de débat, nous avons constaté qu'il fallait restaurer une capacité de prêt effective de 440 milliards, et prêter moins cher, pour plus longtemps. C'est ce que vous avez voté cet été.
Le 21 juillet 2011, il a été décidé d'autoriser le Fonds, à ressources constantes, à recapitaliser les banques, via les État, à intervenir sur les marchés primaires, en souscrivant des emprunts émis par des pays tel le Portugal, et surtout à intervenir sur le marché secondaire de la dette de ces États - ce que la BCE faisait, à son corps défendant, depuis mai 2010 dans le cadre de son Securities Market Programm (SMP). Loin de s'être gorgée, la BCE est toutefois restée sage en la matière, avec 170 milliards de titres de dette acquis - contre 1 600 milliards pour la Fed ! Il est fondamental d'arriver à mettre en place cette capacité d'intervention sur le marché secondaire de manière efficace.
En septembre, la situation restait difficile. Les marchés trouvent que les décisions prises tardent à être concrétisées, sachant qu'elles doivent être ratifiées par les dix-sept Parlements nationaux. À Washington, il a été décidé de flexibiliser le Fonds européen, et surtout de maximiser son impact : c'est l'effet de levier. Il s'agit d'utiliser plus intelligemment les 440 milliards. Différentes options sont envisageables, incluant ou non la BCE. D'autres reposent exclusivement sur le fonds tel qu'il est, qui pourrait intervenir pour donner des garanties à des émissions d'Etat, permettant ainsi d'accroître les montants susceptibles d'être levés sur le marché par cet Etat.
Ce type de solution présente l'inconvénient d'introduire un marché obligatoire à deux vitesses et de provoquer des effets secondaires pas tout à fait souhaitables.
Comment cela peut-il aider la recapitalisation des banques ? Plus le Fonds sera doté d'une force de frappe importante, plus il pourra distraire une partie de ses ressources pour aider des États attaqués, qui auraient besoin de passer par un guichet européen. La Banque européenne d'investissement peut aussi être associée.
J'ai compris qu'il fallait passer du langage diplomatique au langage du réel, et que c'était possible. C'est déjà pas mal.
Qu'est-il permis d'espérer ? Le sommet Ecofin de la semaine prochaine permettra-t-il d'avancer ?
Les chefs d'État se réunissent sur la base d'un dossier préparé par leurs ministres, qui devront donc avoir une vue d'ensemble d'ici samedi 22 octobre.
A-t-on des doutes sur la capacité des États à rembourser leur dette et qu'en est-il de la France ? J'aimerais aussi savoir d'où proviennent ces 440 milliards : fait-on tourner la planche à billet de l'euro ?
La France fait du crédit revolving !
Avez-vous le sentiment que le paquet gouvernance est enfin signe de lucidité ? La gouvernance européenne a longtemps été calamiteuse et honteuse : on a transformé le pacte de stabilité et de croissance en pacte de tricheurs et de menteurs. Eurostat aura-t-il enfin les moyens de s'assurer de la sincérité des comptes publics ? L'Italie ne nous réserve-t-elle pas des surprises ?
Le Sénat a introduit dans la loi de régulation bancaire et financière d'octobre 2010 un article 66, qui impose aux banques de consacrer au moins 75 % des augmentations de collecte d'encours des livrets d'épargne réglementés à de nouveaux prêts aux PME. Le président de la République s'en est d'ailleurs prévalu pour annoncer 3 milliards supplémentaires pour les PME. L'information que transmettent les banques est-elle fiable ? S'agit-il de nouveaux prêts, ou de l'addition de prêts antérieurs aux PME ?
Les collectivités territoriales ont du mal à emprunter. Les banques sont réticentes car les fonds qui ne sont pas instantanément utilisés vont dans les caisses du Trésor public. Ne pourrait-on aménager cette règle pour que l'argent reste dans les caisses des banques dans l'attente de leur utilisation ?
Comment le Fonds européen interviendra-t-il dans la recapitalisation bancaire ? Va-t-il rentrer au capital des banques ? Va-t-il leur prêter, et sous quelle forme ? En échange de quelles garanties ? Cela implique-t-il une modification de son statut juridique ?
En outre, j'ai du mal à réconcilier votre description de l'évolution des encours aux entreprises avec le taux de croissance quasi-nul que connaît la France actuellement...
Les marchés n'ont pas réagi comme espéré à l'annonce des différents plans. Y a-t-il un risque de liquidité ? Les difficultés de Dexia tiennent moins à ses fonds propres qu'à sa capacité à se refinancer...
Je ne doute pas de la capacité des États à rembourser leur dette, mais ce n'est pas le cas des marchés. Il y a urgence à casser une dynamique. D'où la nécessité d'une réponse globale sur la dette souveraine. Les agences de notation ont confirmé lundi la note AAA de la France, car elles font confiance au Gouvernement pour tenir ses engagements.
Les 440 milliards ne proviennent pas de la planche à billet, monsieur Dassault, mais de l'emprunt. Le fonds qui succèdera au FESF, doté d'un capital de 80 milliards, sera plus orthodoxe, alors que le FESF est exclusivement assis sur la garantie des États.
Le paquet gouvernance est là pour garantir qu'une telle crise ne se reproduira pas. Nous avons désormais des outils, avec des sanctions fortes, dont les conséquences n'ont pas été mesurées.
Un pays en difficulté ne pourra y faire face : comment voulez-vous que la Grèce paye une sanction de plusieurs milliards d'euros ?
Il y a également un volet préventif. Même un État dont le déficit est inférieur à trois points de PIB mais qui ne respecte pas la dynamique de dette pourra être sanctionné. Le pacte de stabilité et de croissance intervient désormais beaucoup plus tôt, et les sanctions sont semi-automatiques. La surveillance portera également sur les déséquilibres de compétitivité macroéconomiques dont ont notamment souffert les nouveaux entrants. Nous n'avions pas jusqu'ici d'instrument adapté ; c'est chose faite. À nous d'utiliser ces outils, même si certaines choses ne sont pas faciles à dire à des amis ou voisins.
Jusqu'ici, Eurostat ne pouvait parler qu'à son homologue - soit en Grèce, l'Office statistique, qui dépendait jusqu'à peu du Gouvernement. Maintenant, il peut effectuer des visites dites méthodologiques, à l'instar du FMI, auprès de tous les acteurs : banque centrale, direction du budget, Parlement, entreprises, syndicat, etc. Il est dès lors beaucoup plus difficile de tricher, à condition bien entendu que les gens fassent leur travail.
Ils ont des statisticiens détachés par les organisations statistiques nationales. Croiser les informations fera mieux apparaître les anomalies éventuelles. En Grèce, Eurostat aurait pu mieux déceler les anomalies s'il avait pu s'adresser à un office statistique grec indépendant. Les Grecs viennent de changer ses statuts.
L'évolution des encours de crédit des PME respecte à la lettre l'article 66 de la loi de régulation bancaire et financière. Les PME ne souffrent pas aujourd'hui d'un rationnement du crédit. L'abandon du principe de dépôt au Trésor des fonds libres des collectivités locales ? Pas sûr que nous ayons envie de faire cette facilité aux banques...
La recapitalisation des banques par le FESF se ferait a priori uniquement via les États. Chypre pourrait ainsi demander des prêts du Fonds européen, sans programme FMI, uniquement pour traiter ses banques, mais c'est l'État qui investirait dans ses banques. On peut également envisager d'autres dispositifs permettant de mutualiser les ressources pour permettre d'autres formes d'intervention.
L'évolution positive des crédits à l'économie est-elle compatible avec une croissance molle ? La croissance française reste positive, car la consommation et l'investissement continuent de la tirer, et il y a une demande de crédit. Il n'y a pas aujourd'hui d'incohérence.
Les marchés ne sont pas convaincus de l'absence de risque de liquidité, car les annonces du 21 juillet ont tardé à être mises en oeuvre. On attend le vote du Parlement slovaque : c'est le temps de la démocratie ! Une fois ces mesures adoptées, on peut espérer convaincre. Entretemps, nous avons mis en place des outils pour répondre à l'assèchement partiel des liquidités, notamment via la BCE, qui a multiplié les ouvertures de guichet.
La commission procède enfin à l'audition de M. Pierre Mariani, administrateur délégué, président du comité de direction de Dexia.
L'audition de M. Pierre Mariani, président du Comité de direction et administrateur délégué de Dexia, était programmée depuis plusieurs semaines, mais est aujourd'hui d'une actualité brûlante. Pouvez-vous nous dresser l'état de la situation ?
J'étais venu devant votre commission peu après ma nomination, il y a trois ans. À l'époque, l'inquiétude portait surtout sur la capacité des Etats et collectivités locales d'Europe de l'Est à faire face à leurs obligations. Mes déclarations s'étaient d'ailleurs traduites par une baisse de 25 % du cours de bourse !
L'heure n'est pas encore au bilan, mais permettez-moi de revenir sur l'origine des difficultés du groupe. Loin d'être dissimulée, sa stratégie était clairement exposée dans le document stratégique présenté en septembre 2006 aux marchés financiers, autour de quatre priorités. Premier axe : l'expansion internationale, ou la conquête du monde. Il s'agissait de faire de Dexia le leader mondial du financement des collectivités locales. Seuls manquaient au tableau l'Inde et la Chine ; entre la privatisation et 2008, les encours de crédits étaient passés de 60 à environ 400 milliards d'euros.
Deuxième axe : le développement de FSA, assurance des collectivités locales, et des monolines pour crédits subprimes aux Etats-Unis. Dexia devait apporter une « vision d'expertise », et assurait faire preuve de « prudence » dans l'assurance de subprimes, identifiée comme le principal secteur d'expansion aux États-Unis. À l'automne 2008, le rehaussement de crédit des collectivités locales américaines représentait environ 400 milliards de dollars, et l'assurance d'asset backed securities (ABS) aux Etats-Unis environ 115 milliards de dollars.
Troisième axe : la sophistication croissante de l'offre de crédit aux collectivités locales, autour de crédits structurés, présentés comme un gage de modernité. Dexia offrait à ses clients 3 produits différents en 1995, 167 en 2006 et 224 à l'automne 2008 !
Quatrième priorité stratégique : le renforcement des portefeuilles obligataires, passés de 50 milliards d'euros à 225 milliards d'euros, soit 25 fois les fonds propres de la banque, contre une moyenne européenne de 4 à 5, et un ratio de 7 à 8 pour les banques allemandes !
La situation trouve ses limites à l'automne 2008, après la chute de Lehman Brothers. Une recapitalisation de 6 milliards d'euros est alors décidée en urgence par les Etats, au prix de 9,9 euros par action, soit davantage que le dernier cours de bourse ! Au 8 octobre 2008, il n'y avait déjà plus de liquidités : un bilan financé à 43 % à court terme, 260 milliards d'euros de besoins de financement à court terme - l'équivalent de la dette de la Grèce.
J'assume complètement le travail fait depuis mon arrivée en 2008, même si la situation actuelle n'est pas celle que j'espérais... J'ai tenté de corriger les déséquilibres grâce à la recapitalisation et à l'octroi de garanties à hauteur de 150 milliards d'euros, accordées dès mon arrivée par les trois États, ainsi qu'une garantie spécifique sur un portefeuille de crédits subprimes américains de 17 milliards de dollars.
Le portefeuille de crédits obligataires a été réduit en 36 mois de 125 milliards d'euros : cela représente 150 millions par jour ! Le groupe avait vendu au début des années 2000 pour environ 55 milliards de dollars de lignes de liquidités à des établissements financiers américains, faisant peser un risque de liquidités majeur sur le groupe ; nous sommes passés à 9,5 milliards. FSA a été vendue dès le 12 novembre 2008 : nous avons cédé à 22,3 dollars des actions achetées 8,1 dollars. Nous avons vendu Kommunalkredit Austria, filiale commune avec une banque autrichienne, qui détenait un portefeuille de 15 milliards de dollars de CDS sur des entités d'Europe centrale et orientale dans une filiale chypriote, dont le groupe ignorait jusqu'à l'existence... Nous avons fermé nos activités dans une quinzaine de pays, dont le Japon où Dexia avait accumulé 13 milliards d'euros de crédit entre 2006 et 2008. Nous avons vendu toutes les entreprises que l'accord avec la Commission européenne nous imposait de vendre à date. Entre octobre 2008 et juin 2011, le besoin de liquidité à court terme a été ramené de 260 à 100 milliards de dollars ; la proportion de financement à court terme, de 43 % à 19 %. Nous étions sur ce point en avance sur les objectifs négociés avec la Commission européenne. Nous avons augmenté la base de dépôts du groupe de 15 % en trois ans, émis pour plus de 110 milliards d'euros de dette à moyen et long terme, réduit les garanties, soldé l'exposition aux subprimes américains garantie par les Etats à hauteur de 17 milliards de dollars.
Le groupe a été très fortement impacté par la crise de la zone euro. Spécialisés dans le financement du souverain et du subsouverain, nous sommes très présents dans les pays périphériques, notamment l'Italie, l'Espagne et le Portugal, ainsi qu'en Belgique. Nous avions un besoin de financement à court terme important. Le groupe a été mis en difficulté par la décision des agences de rating de mettre sa notation à court terme sous surveillance - ce qui s'est traduit par le tarissement de tout financement non sécurisé aux Etats-Unis, et la disparition d'environ 20 milliards de dollars de funding du jour au lendemain. Paradoxalement, nous avons aujourd'hui des excédents de dollars car nous avons recouru massivement dès le mois de mai au marché des swaps de change.
En août, nous avons subi les conséquences de la restriction de la liquidité. La semaine dernière, Moody's a annoncé que notre note risquait à nouveau d'être dégradée ; à la clé, un assèchement potentiel des possibilités de financement du groupe.
Nous avons annoncé la vente accélérée des portefeuilles obligataires et engagé une discussion, avec la banque centrale de Belgique et les autorités françaises, autour d'un plan de résolution ordonnée du groupe. Nous savions que nous étions fragiles en cas de dégradation de notre note. Ce plan, élaboré dès la mi-juillet, prévoyait la vente des activités opérationnelles, la vente de portefeuilles, la constitution d'une structure rassemblant les portefeuilles non vendus et les entités bancaires difficilement cessibles, notamment nos filiales en Italie ou en Espagne.
Approuvé par les autorités belges le 15 juillet, le plan prévoyait également une réflexion autour du financement des collectivités territoriales en France. Depuis la fin du premier trimestre, le crédit aux collectivités est quasi-asséché, et la tension s'est encore accentuée depuis août. A titre d'exemple, le conseil général de l'Essonne a lancé un appel d'offre pour un financement à long terme de 100 millions d'euros, resté infructueux, suivi d'un appel d'offres pour une ouverture de crédit à court terme de 60 millions d'euros resté également infructueux... Le département en est réduit à démarcher les banques pour obtenir quelques millions d'euros de crédit à court terme !
Nous avons engagé des discussions avec les pouvoirs publics, la Caisse des dépôts et consignations et la Banque postale, afin d'adosser à la Caisse le véhicule traditionnel de refinancement des prêts et d'assurer plus durablement le financement des collectivités. Il était évidemment hors de question que cette opération se traduise par une mise en cause de la dotation de la Caisse des dépôts. Pas question non plus de lui transférer des risques de Dexia ; l'opération se fera aux conditions de marché.
La semaine dernière, malheureusement, a vu la menace d'une nouvelle dégradation de la notation à court terme, qui a entraîné un début de fuite sur les dépôts en Belgique et au Luxembourg. La négociation s'est donc accélérée. Dimanche dernier, le conseil d'administration a annoncé une première série de mesures, correspondant à la mise en oeuvre du plan de résolution discuté pendant l'été : la confirmation de l'engagement des discussions avec la Caisse des dépôts et la Banque postale ; le rachat de Dexia Banque Belgique (DBB) par les autorités belges ; la mise en vente de la Banque Internationale à Luxembourg ; un plan de garanties des Etats. Quant au reste des mesures de cession d'actifs de différentes entités opérationnelles du groupe, elles font l'objet de discussions avec des investisseurs en vue d'une mise en oeuvre dans les meilleurs délais.
Il faut bien avoir conscience qu'en 2008, Dexia était le « Lehman Brothers européen » et que les décisions prises cette semaine n'ont été rendues possibles que par l'effort de réduction de la taille du bilan sur laquelle nous avions travaillé pendant trois ans. Si je ne peux complètement me réjouir de l'issue actuelle, je suis tout de même satisfait que l'annonce du démantèlement n'ait pas créé de choc sur le secteur bancaire, ni sur les marchés financiers. Ce résultat a été longuement préparé.
C'est à la fin de la semaine dernière que la banque conseil de l'Etat fédéral belge m'a indiqué envisager la reprise de DBB pour un montant de 1,5 milliard d'euros. Je n'ai pu que refuser de soumettre un montant aussi faible à l'examen du conseil d'administration en rappelant que s'il tenait à nationaliser la banque à ce prix, l'Etat conserverait la possibilité de recourir aux procédures spéciales prévues à cette fin.
Puis, j'ai rencontré samedi soir et dimanche, les Premiers ministres français et belge, ainsi que le ministre des finances luxembourgeois, auxquels j'ai indiqué, qu'à mon sens, le prix de cession devrait s'établir au minimum à 4,5 milliards d'euros. Il a finalement été décidé de procéder à cette opération pour un montant de 4 milliards, le groupe conservant la propriété de sa filiale chargée de la gestion d'actifs (DAM).
J'ai en outre obtenu des trois gouvernements des garanties concernant le soutien au reclassement des 600 collaborateurs de Dexia SA dans les pays concernés. Dans ces conditions, le conseil d'administration a adopté le plan de démantèlement à l'unanimité.
Des questions ne manqueront sans doute pas de vous être posées sur le passé, et notamment sur les octrois de prêts toxiques, mais je souhaiterais pour ma part me concentrer sur la période 2008-2011. Ma première interrogation concerne le fait que vous ayez manqué de temps pour mener à bien votre mission, puisqu'il semble ressortir de vos propos, ainsi que de ceux de Jean-Luc Dehaene, que vous auriez manqué de deux ans pour mener à son terme le plan stratégique que vous avez conduit à marche forcée. Deuxième question : la situation actuelle n'est-elle pas aussi le résultat de difficultés intrinsèques indépendantes du contexte général de crise des dettes souveraines de la zone euro ?
Le péché originel, c'est que notre bilan reposait en 2008 à 43 % sur des financements à court terme, alors que notre actif consistait pour moitié en un portefeuille d'obligations, ce qui n'existe nulle part ailleurs dans le monde bancaire.
La question qui s'est posée en 2008 était de savoir si nous devions garder ou bien céder ce portefeuille qui s'élevait alors à 220 milliards d'euros. Fin 2008, sa valeur de marché « théorique », compte tenu de l'absence de marché, était très fortement négative, peut-être à hauteur de 25 milliards d'euros, mais il demeure de bonne qualité puisqu'il bénéficie d'une notation moyenne de niveau A-. Même s'il a été réduit de plus de 100 milliards d'euros au cours de la période, c'est en fait le besoin de financement à court terme qui constitue notre principale difficulté, en particulier dans un contexte d'assèchement du marché interbancaire.
Vous avez passé les stress tests et votre ratio Tier One est d'ailleurs excellent, même s'il semblerait qu'une polémique soit apparue quant à son niveau, tel qu'il résulte des stress tests.
Nous avons effectivement toujours été dans une bonne situation en matière de fonds propres, avec un Tier One qui s'établissait à plus de 11,4 % le 30 septembre. Notre difficulté ne se situe pas à ce niveau. Elle concerne l'accès à la liquidité interbancaire.
Vous étiez déjà en discussion avec la Caisse des dépôts et consignations et l'Etat depuis début juillet, n'est-ce pas ? Nous sommes très intéressés par ce point, car le Gouvernement nous a soumis début septembre un projet de loi de finances rectificative en ne disant rien à ce sujet.
Rien n'était encore envisageable début septembre. Nos discussions du mois de juillet portaient sur un plan applicable en cas de difficulté et notamment d'abaissement de la notation. Les réflexions avec les régulateurs portaient sur les mesures à prendre dans cette hypothèse et non sur des discussions éventuelles avec la Caisse des dépôts et consignations.
Mais, entretemps, la dette souveraine a plongé, après la rencontre Merkel-Sarkozy du 16 août.
Nous avons surtout été affectés par deux éléments. Le premier est le fait que le plan d'aide à la Grèce, décidé le 21 juillet, ne soit, trois mois après, toujours pas entré en vigueur : la crise est politique avant d'être bancaire.
Marie-Hélène Des Esgaulx. - N'inversons pas les rôles ! Avant d'être une crise politique, cette crise est d'abord une crise des banques.
Il y a un problème d'application des décisions.
Le second type d'événement qui nous a affecté a été l'attaque de la France par les marchés financiers, tenant à la fois à un effet de report des spéculations vers notre pays, à partir du moment où les titres de dettes des Etats d'Europe du Sud ont bénéficié d'opérations de rachat par les banques centrales, et aux inquiétudes des marchés sur la façon dont les banques françaises seraient affectées par l'évolution de ces mêmes pays auxquels elles sont très exposées. Il s'agissait de jouer ainsi la crise de la zone euro.
Pour ma part, j'ai été frappé, au moment même où Christine Lagarde appelait à la recapitalisation des banques européennes, par les propos de Robert Zoellick, le président de la Banque mondiale - beaucoup moins repris dans la presse -, qui estimait que les accords entre banques centrales exposaient la Fed à des risques très importants liés à la détention « d'actifs toxiques », entendez par là, les titres de dettes souveraines de pays de la zone euro.
Cet ensemble d'événements a eu pour effet de geler le marché interbancaire en Europe au cours du mois de septembre.
La Denizbank en Turquie est une véritable pépite. Pourrez-vous la céder à un prix correct ?
Oui, je le pense.
J'en viens aux collectivités territoriales. Pensez-vous que Bâle III aura des conséquences sur leur financement ?
D'une façon générale, je pense que le risque le plus important pour la croissance européenne est celui d'une contraction du crédit. Tout le mouvement réglementaire s'est concentré sur le niveau de fonds propres des banques. Or celui-ci n'est pas le seul indicateur de solvabilité, comme l'illustre de façon particulièrement cinglante le cas de Dexia.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à la Cour des comptes et devant la commission de surveillance de la Caisse des dépôts, l'activité de prêt à long terme des banques est fortement menacée par les ratios de liquidité imposés par Bâle III. Cette menace concerne non seulement les collectivités territoriales mais aussi l'ensemble des activités de financement de projets ou de financement de la grande exportation. Je suis à cet égard très frappé d'entendre depuis quelque temps des responsables de grands groupes bancaires français mettre en avant le fait qu'ils se désengagent d'activités importantes pour le financement de l'économie et pour la compétitivité de nos entreprises.
Pensez-vous que la création de la nouvelle entité, ainsi que les mesures qui ont été annoncées, seront de nature à prendre le relais du financement bancaire des collectivités ?
Je pense que, dans tous les cas, les prêts aux collectivités seront plus chers, plus courts - les prêts sur vingt ans étant remplacés par des financements sur cinq à sept ans. En outre, la nouvelle réglementation conduira les banques privées à diminuer la part de ces financements dans leurs bilans. L'on se rapprochera probablement du modèle des pays d'Europe du Nord, dont l'Allemagne, dans lesquels le financement des collectivités est assuré par des entités publiques.
La Fed a fait en sorte d'allonger l'horizon du crédit en agissant sur les taux longs. Cela peut-il avoir un impact en Europe ?
Il est vrai que les taux longs sont historiquement bas, ce qui fait que l'on ne ressent pas encore les effets de ce que j'évoquais, et ce, bien que les marges prises par les banques sur les taux interbancaires n'aient jamais été aussi élevées. Mais dès que les taux longs entameront leur remontée, leurs effets risquent d'être particulièrement sensibles, ce qui compliquera l'équilibre des budgets locaux mais aussi de leurs sections d'investissement.
Le département de la Loire est très touché par les prêts toxiques. Notre collègue maire de Saint-Etienne m'a en particulier chargé de vous interroger sur le type de structures par lesquelles ces prêts seront repris. S'agira-t-il de la Caisse des dépôts ou d'un organisme doté d'un statut spécial ? Quelles conséquences cela aura-t-il sur les collectivités territoriales, dont certaines se voient aujourd'hui imposer des taux d'intérêt de 22 % ?
Nous avons bien compris que les titres de dettes souveraines seraient répartis par l'Etat belge et par la structure de défaisance créée au sein de Dexia. Cela signifie t-il qu'aucune part de ces dettes ne sera hébergée par DexMA ?
C'est bien cela.
Il y a pourtant un risque de voir les collectivités de certains pays faire défaut. En Argentine, en 2002, on avait commencé par sacrifier les créanciers étrangers. Peut-on connaître la part des collectivités territoriales des pays d'Europe du Sud au sein du portefeuille de DexMa ?
Comment les collectivités territoriales seront-elles financées demain ? Aura-t-on des établissements régionaux mutualisant leurs emprunts auprès des épargnants ? Le projet d'une sorte de joint-venture entre la Banque postale et la Caisse de dépôts n'est-il pas déjà dépassé ?
Enfin, toutes les opérations que vous conduisez actuellement se font avec l'aide de banques-conseils dont Goldman Sachs et JP Morgan. Outre que cela a un coût, que vous nous direz peut-être, le fait que cet établissement ait conseillé la Grèce pour maquiller ses comptes ne crée-t-il des états d'âme déontologiques ?
Je rejoins Jean Arthuis. Les collectivités représentent 12 % du PIB et il ne peut y avoir dans ce pays d'industrie des transports, du logement ou de l'environnement qui ne s'appuient sur elles.
J'ai apprécié votre langage direct car, dans la situation actuelle, nous ne pouvons pas nous raconter de « salades ». Nous devons relancer l'économie. Vous évoquiez par exemple la situation du département de l'Essonne pour un financement de 100 millions. Face à de telles situations, quel est le remède ? Je souhaite que notre commission prenne le temps d'examiner les questions absolument essentielles qui sont soulevées par ce type de situations.
Les collectivités qui ont souscrit des emprunts dangereux ont été mauvaises gestionnaires et doivent en assumer les responsabilités. Pour ma part, j'ai veillé à ne pas accepter ce type de produit, et si un directeur financier m'y avait conduit, il y a longtemps qu'il aurait été sanctionné. Quand on a privé les départements et les régions de la maîtrise de leurs ressources fiscales, j'en ai immédiatement tiré les conséquences sur la garantie aux constructions HLM.
Dans le même temps, les établissements qui les ont proposés sont eux aussi responsables. Vous sentez-vous comptable de ces situations, y compris sur vos revenus et sur vos bonus ?
Vous avez dit que Dexia était le Lehman Brothers européen mais, pour vous, s'agit-il d'une banque belge ou d'une banque française ?
Pour le reste, je ne peux pas vous laisser dire que la crise que nous connaissons est d'abord une crise politique, car nous savons bien qu'elle trouve son origine dans une crise bancaire à laquelle les Etats ont dû répondre. Cela doit être rappelé clairement. N'inversons pas les rôles ! Je ne vous cache pas que, bien que je n'aie, moi non plus, pas souscrit d'emprunts toxiques, l'affaire Dexia m'a beaucoup énervée.
Le sens de mon propos était plutôt de distinguer la crise de 2008, face à laquelle chacun des Etats s'était occupé de ses propres banques, et la crise de cet été, qui appelle une réponse européenne à laquelle nous ne sommes toujours pas parvenus du fait des difficultés de la gouvernance européenne. Trois mois après le 21 juillet, les dix-sept Etats n'ont pas encore ratifié les décisions. Cela ne retire rien au fait que, dans cette crise aussi, la responsabilité des banques est très grande.
Dès mon arrivée chez Dexia en 2008, j'ai fait procéder à l'analyse de l'ensemble des produits offerts par l'établissement qui s'élevaient à plus de 200. Cela m'a conduit à en supprimer un grand nombre. J'ai demandé à trois personnalités, un vice-président de la commission des finances de l'Assemblée, un ancien secrétaire général de la Commission bancaire et un conseiller maître à la Cour des comptes de recenser les pratiques commerciales. Ces travaux et les dix engagements que nous avons pris en novembre 2009 ont inspiré la « charte Gissler » que, d'ailleurs, l'Association des départements de France n'a pas ratifiée en considérant qu'elle contrevenait à la libre administration des collectivités locales.
Je crois moi aussi que les responsabilités sont partagées. A ce propos, je précise que d'autres banques ont proposé des prêts structurés mais que, pour l'heure, si d'autres banques ont été condamnées, Dexia ne l'a pas été. Nous avons actuellement huit procès en instance et un jugement vient d'être rendu en notre faveur. Par ailleurs, une affaire nous oppose à la ville de Rosny-sur-Seine qui nous reproche de lui avoir prêté à taux fixe, la privant ainsi du bénéfice de la baisse des taux. Au titre des responsabilités partagées, je songe aussi aux journées de l'innovation financière, destinées aux collectivités, organisées chaque année en octobre par la communauté urbaine de Lille. Or chacun sait qu'il n'y a pas de solution miracle. Lorsque quelqu'un vous propose un prêt de 200 points de base inférieur au coût du marché, c'est comme lorsque l'on propose un rendement financier de 14 %, cela implique nécessairement une prise de risque.
Nous avons très mal reçu la publication récente dans un journal du matin des chiffres faux imputés à Dexia - que vous auriez dû démentir - et qui ont fait beaucoup de tort aux collectivités.
Nous n'avons pas non plus apprécié de nous retrouver en première page de Libération, coincés entre un titre alarmiste et un article sur un film évoquant une maison close du début du siècle. Nous avons publié un démenti, demandé et obtenu un droit de réponse et porté plainte pour vol de documents et présentation de fausses informations. Sur le fond, le chiffre de 5 500 collectivités annoncé par le journal ne correspond à rien.
La réalité des prêts hors charte, c'est 4,82 milliards d'euros et 347 collectivités locales. On est loin des 5 500. D'où ce chiffre vient-il ? Je n'en sais rien. 3 300 collectivités ont souscrit des produits structurés pour un encours structuré de 22,9 milliards d'euros au 31 août 2011, qui portent pour l'essentiel sur des produits relativement simples, tels que des prêts à taux variable indexés.
L'encours des collectivités locales est de 45 milliards d'euros sur un total de 66,4 milliards pour tout Dexia crédit local en France. Quant aux 10 milliards d'euros inscrits dans le projet de loi de finances rectificative au titre de la contre-garantie de l'Etat accordé à la garantie de Dexia, ils correspondent effectivement à l'ensemble des engagements structurés de Dexia MA.
S'agissant ensuite des taux appliqués à ces crédits, ils sont en moyenne de 3,91 %, le taux moyen du premier décile s'établissant à 6,20 % et celui du dernier décile à 0,57 % au 31 août 2011.
Que peut-on faire face aux situations difficiles ? S'il ne m'appartient pas de qualifier juridiquement les situations, nous proposons gratuitement des solutions à nos clients car nous ne considérons pas cela comme une opération nouvelle. Quant aux solutions elles-mêmes, elles sont en fait de deux types. Vis-à-vis des clients pour lesquels il est manifeste qu'ils ne disposent pas des compétences et des capacités de gestion suffisantes, nous procédons à un retour à un prêt à taux fixe, en prenant la différence de coût à notre charge, ce qui est possible puisque les conditions de marchés qu'ils subissent aujourd'hui n'ont rien d'irréversible (il n'y a pas d'effet de cliquet). En revanche, il y a des cas où nous sommes face à des clients qui disposaient des compétences pour mesurer les risques qu'ils prenaient, et qui ont successivement procédé à six ou sept opérations de restructuration, et pas seulement chez nous - perseverare diabolicum - ; ceux-là cherchaient à réduire la charge de l'emprunt à court terme.
Oui, les collectivités, qui représentent en France 70 % de l'investissement public, auront besoin de partenaires financiers disposant de moyens importants. Je ne pense pas que la Banque postale pourrait seule remplir cette mission. Elle gagnerait néanmoins à se concentrer sur ce type de financements plutôt que de tenter de s'aventurer sur le terrain des prêts aux entreprises où elle trouvera de très nombreux concurrents.
Notre exposition aux collectivités grecques s'élève à 300 millions d'euros du fait du contrat de financement du métro d'Athènes mais je tiens à préciser que, par le passé, comme en Russie en 1998 ou lors de la crise asiatique, les administrations locales ont toujours continué à honorer leurs engagements, même en cas de défaillance du souverain.
Nous ne travaillons pas avec JP Morgan, qui conseille la Caisse des dépôts. Goldman Sachs nous aide à valoriser les instruments de marché pour un tarif de l'ordre de deux à trois millions d'euros, c'est-à-dire inférieur aux normes habituelles. Avoir été en contentieux avec Goldman Sachs aux Etats-Unis, dans le cadre du dossier FSA, n'empêche pas la collaboration actuelle avec eux.
Concernant la situation de Saint-Etienne, j'observe tout d'abord que le département de la Loire a été touché par des commerciaux particulièrement agressifs, et pas uniquement de Dexia.
Pour le reste, nous sommes en discussion constructive avec M. Vincent depuis trois ans. Certains prêts ne sont pas restructurables à court terme. D'autres collectivités ont refusé six ou sept fois les offres de structuration de leur dette que nous avions pris l'initiative de leur proposer. On a restructuré pour 6 milliards d'euros de dette pour la ramener à des niveaux acceptable.
Quant au point de savoir si Dexia est belge ou française, je sais simplement que j'ai de grands actionnaires dans les deux pays et que 28 % du capital de la banque est flottant - sans doute aujourd'hui détenu par des fonds spéculatifs.
Je peux comprendre un certain agacement lorsque je relis les articles écrits par l'ancien président de Dexia nous expliquant combien il était essentiel pour le principe de libre administration des collectivités locales de libéraliser leur financement. A posteriori, après que cette leçon d'autonomie locale a été relayée comme on le sait par les équipes commerciales sur le terrain, je ne peux aujourd'hui qu'éprouver une certaine amertume, que je partage avec mes collaborateurs. Et puisque vous évoquiez la question des rémunérations, je puis vous dire que M. Miller a quitté Dexia avec une année de salaire et que Pierre Richard a bénéficié en 2008 d'une retraite par capitalisation d'un montant de 13 millions d'euros.
Dans l'analyse des situations, prend-on en compte le gain qu'a pu représenter pour une collectivité le fait d'avoir bénéficié de taux très avantageux lorsque les conditions de marchés étaient plus favorables ?
Oui, nous le faisons au cas par cas, en particulier lorsque nous proposons le passage à un prêt à taux fixe.