Intervention de Pierre Mariani

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 12 octobre 2011 : 2ème réunion
Situation des banques françaises et financement de l'économie — Audition de M. Pierre Mariani administrateur délégué président du comité de direction de dexia

Pierre Mariani, administrateur délégué, président du comité de direction de Dexia :

L'heure n'est pas encore au bilan, mais permettez-moi de revenir sur l'origine des difficultés du groupe. Loin d'être dissimulée, sa stratégie était clairement exposée dans le document stratégique présenté en septembre 2006 aux marchés financiers, autour de quatre priorités. Premier axe : l'expansion internationale, ou la conquête du monde. Il s'agissait de faire de Dexia le leader mondial du financement des collectivités locales. Seuls manquaient au tableau l'Inde et la Chine ; entre la privatisation et 2008, les encours de crédits étaient passés de 60 à environ 400 milliards d'euros.

Deuxième axe : le développement de FSA, assurance des collectivités locales, et des monolines pour crédits subprimes aux Etats-Unis. Dexia devait apporter une « vision d'expertise », et assurait faire preuve de « prudence » dans l'assurance de subprimes, identifiée comme le principal secteur d'expansion aux États-Unis. À l'automne 2008, le rehaussement de crédit des collectivités locales américaines représentait environ 400 milliards de dollars, et l'assurance d'asset backed securities (ABS) aux Etats-Unis environ 115 milliards de dollars.

Troisième axe : la sophistication croissante de l'offre de crédit aux collectivités locales, autour de crédits structurés, présentés comme un gage de modernité. Dexia offrait à ses clients 3 produits différents en 1995, 167 en 2006 et 224 à l'automne 2008 !

Quatrième priorité stratégique : le renforcement des portefeuilles obligataires, passés de 50 milliards d'euros à 225 milliards d'euros, soit 25 fois les fonds propres de la banque, contre une moyenne européenne de 4 à 5, et un ratio de 7 à 8 pour les banques allemandes !

La situation trouve ses limites à l'automne 2008, après la chute de Lehman Brothers. Une recapitalisation de 6 milliards d'euros est alors décidée en urgence par les Etats, au prix de 9,9 euros par action, soit davantage que le dernier cours de bourse ! Au 8 octobre 2008, il n'y avait déjà plus de liquidités : un bilan financé à 43 % à court terme, 260 milliards d'euros de besoins de financement à court terme - l'équivalent de la dette de la Grèce.

J'assume complètement le travail fait depuis mon arrivée en 2008, même si la situation actuelle n'est pas celle que j'espérais... J'ai tenté de corriger les déséquilibres grâce à la recapitalisation et à l'octroi de garanties à hauteur de 150 milliards d'euros, accordées dès mon arrivée par les trois États, ainsi qu'une garantie spécifique sur un portefeuille de crédits subprimes américains de 17 milliards de dollars.

Le portefeuille de crédits obligataires a été réduit en 36 mois de 125 milliards d'euros : cela représente 150 millions par jour ! Le groupe avait vendu au début des années 2000 pour environ 55 milliards de dollars de lignes de liquidités à des établissements financiers américains, faisant peser un risque de liquidités majeur sur le groupe ; nous sommes passés à 9,5 milliards. FSA a été vendue dès le 12 novembre 2008 : nous avons cédé à 22,3 dollars des actions achetées 8,1 dollars. Nous avons vendu Kommunalkredit Austria, filiale commune avec une banque autrichienne, qui détenait un portefeuille de 15 milliards de dollars de CDS sur des entités d'Europe centrale et orientale dans une filiale chypriote, dont le groupe ignorait jusqu'à l'existence... Nous avons fermé nos activités dans une quinzaine de pays, dont le Japon où Dexia avait accumulé 13 milliards d'euros de crédit entre 2006 et 2008. Nous avons vendu toutes les entreprises que l'accord avec la Commission européenne nous imposait de vendre à date. Entre octobre 2008 et juin 2011, le besoin de liquidité à court terme a été ramené de 260 à 100 milliards de dollars ; la proportion de financement à court terme, de 43 % à 19 %. Nous étions sur ce point en avance sur les objectifs négociés avec la Commission européenne. Nous avons augmenté la base de dépôts du groupe de 15 % en trois ans, émis pour plus de 110 milliards d'euros de dette à moyen et long terme, réduit les garanties, soldé l'exposition aux subprimes américains garantie par les Etats à hauteur de 17 milliards de dollars.

Le groupe a été très fortement impacté par la crise de la zone euro. Spécialisés dans le financement du souverain et du subsouverain, nous sommes très présents dans les pays périphériques, notamment l'Italie, l'Espagne et le Portugal, ainsi qu'en Belgique. Nous avions un besoin de financement à court terme important. Le groupe a été mis en difficulté par la décision des agences de rating de mettre sa notation à court terme sous surveillance - ce qui s'est traduit par le tarissement de tout financement non sécurisé aux Etats-Unis, et la disparition d'environ 20 milliards de dollars de funding du jour au lendemain. Paradoxalement, nous avons aujourd'hui des excédents de dollars car nous avons recouru massivement dès le mois de mai au marché des swaps de change.

En août, nous avons subi les conséquences de la restriction de la liquidité. La semaine dernière, Moody's a annoncé que notre note risquait à nouveau d'être dégradée ; à la clé, un assèchement potentiel des possibilités de financement du groupe.

Nous avons annoncé la vente accélérée des portefeuilles obligataires et engagé une discussion, avec la banque centrale de Belgique et les autorités françaises, autour d'un plan de résolution ordonnée du groupe. Nous savions que nous étions fragiles en cas de dégradation de notre note. Ce plan, élaboré dès la mi-juillet, prévoyait la vente des activités opérationnelles, la vente de portefeuilles, la constitution d'une structure rassemblant les portefeuilles non vendus et les entités bancaires difficilement cessibles, notamment nos filiales en Italie ou en Espagne.

Approuvé par les autorités belges le 15 juillet, le plan prévoyait également une réflexion autour du financement des collectivités territoriales en France. Depuis la fin du premier trimestre, le crédit aux collectivités est quasi-asséché, et la tension s'est encore accentuée depuis août. A titre d'exemple, le conseil général de l'Essonne a lancé un appel d'offre pour un financement à long terme de 100 millions d'euros, resté infructueux, suivi d'un appel d'offres pour une ouverture de crédit à court terme de 60 millions d'euros resté également infructueux... Le département en est réduit à démarcher les banques pour obtenir quelques millions d'euros de crédit à court terme !

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