Intervention de Danièle Karniewicz

Commission des affaires sociales — Réunion du 25 octobre 2006 : 1ère réunion
Loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 — Audition de Mme Danièle Karniewicz présidente du conseil d'administration de la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés cnav

Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la Cnav :

a considéré qu'il est exact de dire que le déséquilibre des comptes de la Cnav présente un caractère structurel. Les personnes appartenant aux premières classes d'âge du baby-boom d'après-guerre sont désormais très nombreuses à pouvoir demander la liquidation de leur pension. Le nombre des départs en retraite s'est ainsi accru de 8 % en 2006 par rapport à 2005.

Les projections tablent pour les prochaines années sur le maintien d'un fort déficit, qui serait compris, en 2010, entre 3,3 milliards d'euros et 5,1 milliards d'euros. Ces estimations ont pourtant été élaborées sur la base d'hypothèses que certains observateurs considèrent comme « optimistes » , aussi bien en ce qui concerne la progression de la masse salariale que celle des prestations versées. Ainsi, les prévisions de déficit du régime général pour 2007 reposent sur l'idée d'une modification substantielle des comportements des assurés sociaux, en réponse à la mise en oeuvre du plan national d'action en faveur des seniors : on suppose que 40.000 personnes choisiraient, dès l'année prochaine, de repousser la date de leur départ à la retraite, ce qui n'est pas avéré.

Le creusement récent du déficit du régime général s'explique aussi en grande partie par l'ampleur des départs anticipés des assurés sociaux qui ont commencé précocement leur carrière professionnelle et qui liquident leur pension avant soixante ans. Le déséquilibre des finances de la Cnav est ainsi passé de 1,9 milliard d'euros en 2005, à 2,4 milliards d'euros en 2006 et devrait atteindre 3,5 milliards d'euros en 2007. L'augmentation du coût de la mesure des carrières longues a pesé très fortement sur cette tendance : les dépenses correspondantes se sont élevées à 600 millions d'euros en 2004, à 1,4 milliard d'euros en 2005, à 1,8 milliard d'euros en 2006 et seraient, en 2007, de 2 milliards d'euros.

Les comptes de la Cnav sont affectés par un effet de ciseau entre le rythme de croissance des recettes (+ 4,3 % en 2006 et + 4,6 % estimés en 2007) et celui, sensiblement supérieur, des prestations versées (+ 5,6 % en 2006 et + 5,2 % estimés en 2007). A cela s'ajoute la mise à contribution du régime général au titre de la compensation démographique dont le montant, qui atteint 2,8 milliards d'euros par an, s'est d'ailleurs accru de 800 millions d'euros depuis la réforme des critères intervenue à l'automne 2002. Au total, la croissance des dépenses de la Cnav atteindrait 24 % sur la période 2005/2010, tandis que la progression des recettes serait comprise, selon les hypothèses envisagées, entre 21,2 % et 23,6 %.

Après avoir constaté l'absence de changement des comportements individuels et collectifs dans les entreprises et déploré que les employeurs continuent à utiliser massivement les différents mécanismes de cessation précoce d'activité des salariés, Mme Danièle Karniewicz a indiqué que le nombre des nouveaux bénéficiaires de la mesure des carrières longues tend tout juste à se stabiliser, mais à un niveau très élevé : 102.000 en 2005, 105.000 en 2006 et probablement 95.000 en 2007. Dès l'âge de quarante-cinq ans, beaucoup de salariés ont le sentiment de représenter un fardeau pour les entreprises qui les emploient. Or, voici quelques années encore, ce couperet psychologique ne semblait apparaître qu'à cinquante, voire cinquante-cinq ans. Ce phénomène très sensible explique une tendance générale à l'oeuvre parmi les « seniors » qui consiste à vouloir partir en retraite dès que possible, afin de se prémunir contre les possibles effets de la prochaine réforme des retraites. Ce mouvement d'inquiétude semble gagner le corps social à l'approche de la « clause de rendez-vous » de 2008.

En ce qui concerne le dossier de la pénibilité, les partenaires sociaux ont engagé des négociations nationales en février 2005, conformément à l'article 12 de la réforme des retraites de 2003, mais les discussions ne semblent pas devoir aboutir rapidement à un accord. Il apparaît donc prématuré d'évoquer un futur dispositif destiné à compenser la pénibilité au cours de la carrière professionnelle, d'autant plus que la définition des contours de cette notion pose de redoutables difficultés pratiques et conceptuelles. Pour autant, Mme Danièle Karniewicz a estimé que, compte tenu de l'impact financier déjà élevé de la mesure des carrières longues et du caractère structurel du déficit du régime général, il ne sera sans doute pas possible d'indemniser la pénibilité dans des conditions généreuses. La diminution progressive, à partir du début des années 2010, des effectifs éligibles au dispositif des carrières longues pourrait toutefois donner lieu à des effets de substitution en faveur d'un nouveau dispositif de cessation d'activité, fondé cette fois sur la pénibilité.

Après avoir rappelé l'intérêt constant manifesté par la commission des affaires sociales du Sénat à la question des adossements de régimes spéciaux, M. Alain Vasselle, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie, a demandé pourquoi le dossier de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) n'a toujours pas abouti. Il a également souhaité savoir si la Cnav a reçu des assurances du Gouvernement sur l'abandon du projet consistant à amorcer, dès cette année, l'adossement des retraites de La Poste. Puis il a interrogé la caisse sur la présentation de l'adossement des industries électriques et gazières (IEG) dans son rapport annuel.

Après avoir rappelé que les négociations engagées entre la Cnav, l'Etat et la RATP se sont ouvertes au premier semestre 2005 et que, dès juin 2005, les échanges ont porté sur le montant de la soulte et sur son mode de calcul, Mme Danièle Karniewicz a indiqué que les discussions avec les pouvoirs publics semblent au point mort depuis le mois de juillet dernier. Compte tenu de ce retard qui ne lui est en rien imputable, il est désormais indispensable, pour espérer parvenir à un accord, de remettre à plat l'ensemble des éléments financiers du projet d'adossement.

Les négociations engagées avec les pouvoirs publics achoppent sur trois points de blocage principaux : la question de la prise en charge des avantages familiaux par le fonds de solidarité vieillesse (FSV), le niveau de la rente garantie des retraités et le taux d'actualisation sur la base duquel la soulte sera calculée.

S'agissant des avantages familiaux, elle a estimé que la situation actuelle de sous-financement chronique du FSV, lequel doit au demeurant 5,6 milliards d'euros à la Cnav, interdit désormais de reproduire le schéma de compromis qui avait prévalu in fine pour les IEG. Même si les sommes en jeu apparaissent nettement inférieures dans le cas de la RATP à ce qu'elles étaient pour les IEG, il s'agit d'une question de principe pour le régime général, notamment dans la perspective des opérations ultérieures d'adossement.

Il en va de même pour le niveau de la rente garantie, qui devrait être plus faible pour la RATP que dans le cas des IEG. Cette opération consiste, dans un souci de simplification, à reprendre globalement les droits des retraités du régime adossé, pour éviter d'avoir à reconstituer individuellement leurs carrières professionnelles.

Reconnaissant que cette demande pose très certainement des difficultés à l'Etat, dans la mesure où la nouvelle caisse de retraite du personnel de la RATP serait alors amenée à verser la différence, elle a toutefois estimé que ce problème n'est pas celui des assurés sociaux du régime général.

En ce qui concerne le taux d'actualisation, qui joue un rôle déterminant dans le montant de la soulte, Mme Danièle Karniewicz a indiqué que le niveau retenu il y a deux ans pour les IEG (2,5 %) n'a pas aujourd'hui vocation à être automatiquement reconduit pour la RATP. Des experts financiers et des actuaires préconisent en effet d'utiliser des taux inférieurs, ce qui aboutirait à augmenter sensiblement le montant des droits d'entrée à acquitter par le régime adossé : un écart de quelques dizaines de points de pourcentage se traduit par une différence actuarielle de plusieurs centaines de millions d'euros sur une durée de vingt-cinq ans. Après avoir réaffirmé, comme elle l'avait fait lors de son audition du 21 juin 2006 par la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat, le besoin pour la Cnav de disposer d'une contre-expertise des banques de la place pour être en mesure d'apprécier le taux d'actualisation proposé par le ministère des finances, elle a observé que les calculs de la soulte reposent également sur des hypothèses d'évolution des effectifs du personnel fournies par la RATP que la Cnav se trouve contrainte d'accepter.

Aussi bien pour le dossier de la RATP que pour celui de La Poste, Mme Danièle Karniewicz, a estimé que dès lors que la solution d'un adossement sur le régime général semble le seul schéma envisagé par le ministère des finances, il apparaît indispensable de consacrer les prochains mois à des travaux très approfondis sur ces opérations. Compte tenu de la difficulté avérée de l'exercice et de la nécessité absolue de trouver une solution en 2007, il serait impensable que l'Etat attende, pour ouvrir des négociations, que les échéances électorales de l'année prochaine soient passées.

Après avoir indiqué que la Cnav n'a reçu à ce jour aucun élément chiffré de la part de La Poste, Mme Danièle Karniewicz a rappelé, d'une part, que ce dossier porte sur un montant d'engagements de retraite de 70 milliards d'euros, d'autre part, qu'il ne s'agit pas, en l'espèce, de l'adossement d'un régime de retraite spécial. Cette entreprise publique, dont l'effectif total s'élève à 300.000 personnes, est en effet composée, pour un tiers, de salariés de droit privé et, pour le reste, de fonctionnaires de l'Etat, dont la situation au regard de la retraite est déterminée par le code des pensions civiles et militaires de retraite. Il s'agit donc d'un cas de figure entièrement nouveau par rapport aux précédents des IEG ou de la RATP, nécessitant probablement quatre ou cinq mois de travaux techniques préalables, avant d'être en mesure d'engager des négociations qui seront de toute évidence ardues.

Observant que la puissance publique joue en quelque sorte le rôle de réassureur de La Poste pour les retraites des agents publics, elle a constaté que les relations entre l'Etat et l'entreprise publique évoluent progressivement : La Poste a ainsi déjà été conduite à verser 2 milliards d'euros dans le cadre de la loi de finances pour 2006. Cette opération pourrait être renouvelée à l'occasion de l'examen de la loi de finances rectificative pour 2006.

Après s'être félicitée que le Gouvernement ait finalement abandonné le projet consistant, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, à amorcer dès cette année l'adossement des retraites de La Poste sur le régime général, par le biais d'une avance d'environ un milliard d'euros, elle a indiqué qu'une telle opération aurait pu coûter un montant équivalent à la Cnav en 2007.

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