a rappelé qu'il a participé aux réflexions sur les pensions de réversion et la prise en charge du veuvage en deux occasions : pour la rédaction d'un rapport de la Cour des comptes consacré à ces sujets en 2000 et à la demande du Gouvernement et du conseil d'orientation des retraites (Cor), lors de la crise provoquée par les décrets d'août 2004.
Il s'est déclaré frappé par l'ignorance assez générale qui affecte les questions liées à la réversion et qui a conduit à cette crise, laquelle traduisait une réelle absence de maîtrise technique du sujet. Cette ignorance est difficilement compréhensible, alors que le veuvage et la réversion concernent 7 % de la population et représentent 14 % du montant des retraites versées.
L'étude du veuvage fait ressortir deux types de lignes de partage. Il convient, en premier lieu, de distinguer veuvage précoce, lorsque le conjoint décède avant cinquante-cinq ans, et veuvage des seniors. Le veuvage précoce représente 35 000 décès par an sur un total de 520 000 à 540 000. Dans un tiers des cas, le conjoint survivant a encore la charge d'enfants.
Une seconde distinction doit être faite selon le niveau de prise en charge assurée par les différents régimes. Deux situations extrêmes se côtoient. D'une part, la fonction publique assure un traitement très favorable du veuvage en ne prévoyant aucune condition d'âge ou de ressources et en complétant le dispositif par une pension temporaire d'orphelin. Au contraire, le régime général de base propose un mécanisme dont l'accès est très restrictif, même si la réforme de 2003 a supprimé les conditions tenant au cumul des droits propres et des droits dérivés ainsi que la condition d'âge. L'existence de pensions de réversion des régimes complémentaires de l'association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) et de l'association des régimes de retraite complémentaire (Arrco) ne modifie pas franchement ce constat, sauf pour les conjoints de cadres d'un niveau élevé, qui bénéficient effectivement d'un bon niveau de réversion.
Il est regrettable qu'en 2003 la réflexion se soit limitée à la question de la suppression de la condition d'âge, alors qu'il eût été possible d'aller dans la direction de la mise en place de mécanismes de prévoyance, similaires à ceux prévus pour les cadres par la convention de 1947.
Le paysage de la réversion apparaît ainsi totalement incohérent, avec des écarts considérables de traitement selon les cas.
a estimé qu'il est nécessaire, en cette matière, de réfléchir au préalable sur la question de savoir si le veuvage est un risque justifiant une couverture sociale. Soit, en effet, l'on considère qu'une veuve, notamment une jeune veuve, est susceptible de trouver du travail et de se remarier : dès lors, il est possible de rester dans la logique de l'assurance veuvage telle qu'elle existait avant la réforme de 2003, c'est-à-dire une allocation faible et temporaire. Soit l'on estime qu'il s'agit bien d'un risque, et il est alors nécessaire de préciser s'il doit être couvert par un système assurantiel ou par un mécanisme de prévoyance.
Si le régime assurantiel est retenu, il convient ensuite de faire un choix entre une approche généreuse, de type pension de réversion de la fonction publique, ou plus restrictive, de type régime général.
Compte tenu des effectifs concernés, l'enjeu budgétaire de la couverture du risque veuvage se concentre essentiellement sur les veufs et les veuves de conjoints qui avaient déjà liquidé leurs droits à la retraite.
a indiqué qu'à ce point de l'analyse la première des deux questions majeures à poser sur le veuvage des seniors porte sur le lien à établir entre le droit à une pension de réversion et le statut matrimonial des conjoints. La réversion est restée, jusqu'à présent, corrélée à une condition de mariage dans un contexte où le taux de nuptialité, excédait 90 % de la population. La baisse continue, ces dernières années, de la nuptialité impose cependant de s'interroger sur une extension du bénéfice de la réversion à toutes les formes d'unions. Une brèche a déjà été ouverte en matière de capital-décès, dorénavant ouvert aux personnes ayant conclu un pacte civil de solidarité (Pacs). Une ouverture en direction du Pacs et du concubinage poserait cependant des difficultés d'ordre pratique, notamment pour établir la réalité de la vie en commun du bénéficiaire et de son conjoint décédé.
Sur un plan financier, la limitation du droit à réversion aux seuls couples mariés aura des effets lourds, avec une forte baisse de la masse des pensions à l'horizon 2020. A l'inverse, une extension aux couples en Pacs ou en situation de concubinage pourrait à terme représenter un coût tel qu'il risquerait de justifier la suppression de la réversion.
A cette question du statut matrimonial s'ajoute celle de la prise en compte des unions successives. Depuis 1978, la pension de réversion est partagée entre les différents conjoints du défunt, au prorata des durées de mariage. Lorsque le montant de la pension est faible, ce partage prend la forme d'un saupoudrage peu pertinent. M. Bertrand Fragonard a émis l'idée que la question de l'éventuel versement d'une pension de réversion soit traitée dans la convention de divorce, la réversion devant être considérée comme un actif.
La seconde des deux questions majeures touchant au veuvage des seniors est celle du droit à pension de réversion et du niveau de cette pension.
Trois approches doctrinales sont possibles. La première est celle qui prévaut dans la fonction publique : il s'agit d'une vision patrimoniale dans laquelle une fraction des droits à la retraite acquis par le défunt est automatiquement transmise au conjoint survivant, quelles que soient les ressources dont ce dernier bénéficie par ailleurs.
Une deuxième approche est celle du régime général : à l'opposé de la précédente, elle conçoit la réversion comme un minimum social accordé au conjoint survivant, dans la mesure seulement où les revenus de celui-ci sont faibles. Les plafonnements, assez sévères, créent un effet de seuil massif.
Dans ce système, la baisse continue de la nuptialité combinée avec la montée progressive des droits propres des femmes crée une formidable pression déflationniste et allège peu à peu le coût de la réversion pour le régime général.
a plaidé pour une troisième approche, qui n'est actuellement mise en oeuvre par aucun régime de retraite, conférant aux mécanismes de pension de réversion la mission de garantir au conjoint survivant le maintien du niveau de vie qui était le sien avant le décès du défunt.
Dans cette optique, le taux de liquidation de la pension doit tenir compte de tous les éléments de revenu du conjoint survivant, et notamment du régime fiscal dont il bénéficie.
A ce sujet, M. Bertrand Fragonard a regretté la grande myopie qui frappe les études sur les ressources des personnes âgées, alors que ces dernières paient moins d'impôts et de contribution sociale généralisée (CSG) que le reste de la population. Ainsi, les avantages dont bénéficient les veufs et les veuves sont loin d'être négligeables, grâce notamment à un mode de calcul de l'impôt sur le revenu qui favorise les exemptions, lesquelles entraînent à leur tour des exemptions de CSG et de taxe d'habitation.
La structuration du paysage de la réversion entre les deux modèles extrêmes que sont, d'un côté, la fonction publique et, de l'autre, le régime général, a pour conséquence une répartition des bénéficiaires le long d'une courbe en U. En effet, les conjoints survivants les plus modestes perçoivent des revenus convenables en termes relatifs en provenance du régime général, complétés par la pension de réversion de l'Arrco, le tout dans un environnement fiscal très favorable. A l'autre bout de l'échelle des revenus, les veufs et veuves les plus aisés perçoivent de confortables pensions de réversion de l'Agirc, tout en jouissant également d'un traitement fiscal avantageux. Les classes moyennes, en revanche, se situent dans le bas de la courbe.
a plaidé pour la définition d'une philosophie générale de la réversion avant tout lancement d'une réforme. Les décrets de 2004 ont ainsi pêché par absence de vision d'ensemble.
Puis revenant sur l'approche qu'il préconise, il a donné le détail des calculs qu'il a lui-même effectués pour déterminer le taux de réversion garantissant au conjoint survivant le maintien de son niveau de vie. Ces calculs reposent sur le présupposé, établi par l'institut national de la statistique et des études économiques (Insee), selon lequel les coûts supportés par une personne seule s'élèvent à 1,5 lorsque les charges du ménage s'élevaient précédemment à 2. Il existe en effet des charges fixes incompressibles que le conjoint survivant doit continuer de couvrir avec ses revenus.
Sur cette base, le taux de réversion garantissant le maintien du niveau de vie sera de 67 % pour un conjoint survivant ne bénéficiant d'aucune retraite, mais il tombera à 33 % pour un conjoint touchant une retraite d'un montant identique à celle dont bénéficiait le défunt.
Ces taux apparaissent toutefois assez volatiles et varient considérablement selon que l'on s'éloigne du coefficient d'1,5 retenu par l'Insee. Ainsi, en prenant un coefficient de 1,4, le taux de réversion doit être porté à 71 % pour le conjoint survivant ne bénéficiant d'aucune retraite et à 43 % pour celui dont la retraite était équivalente à celle du défunt.
Le taux de 60 % réclamé par les partenaires sociaux pour les pensions de réversion du régime général, au lieu du taux actuel de 54 %, trouve une justification dans cette approche : il est celui permettant de garantir le niveau de revenu du conjoint survivant lorsque sa retraite représentait 20 % du montant de celle du défunt, en retenant le coefficient d'1,5 proposé par l'Insee.
a reconnu que le système qu'il propose pêche toutefois par sa complexité, qui le rend difficilement gérable. Il serait toutefois envisageable de définir un taux unique de réversion, de 43 %, correspondant à la situation moyenne observée, à savoir une veuve dont la retraite s'élève à 70 % du montant de la pension de son conjoint disparu.
En conclusion, M. Bertrand Fragonard a souligné à nouveau les écarts considérables dans les règles de réversion d'un régime à l'autre. Il a mentionné l'émergence de mécanismes de prévoyance, tout en relevant que ces mécanismes supposent que les bénéficiaires procèdent à des arbitrages, ce qui est très éloigné de notre culture. Il a insisté sur le défaut de doctrine qui affecte aujourd'hui la conception de la réversion. Enfin, il s'est déclaré opposé à toute idée de suppression de la réversion.