Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la mission a procédé à l'audition de MM. Dominique Libault, directeur, Franck Le Morvan, sous-directeur des retraites, Jean-Luc Vieillerivière, sous-directeur des études et des prévisions financières, et Nicolas Agnoux, chef de bureau, de la Direction de la sécurité sociale.
Après avoir accueilli M. Dominique Libault, directeur de la direction de la sécurité sociale et ses collaborateurs, M. Alain Vasselle, président, a souligné que le sujet du veuvage et des pensions de réversion comporte de multiples aspects, sur lesquels la Mecss entend fournir une synthèse dans son prochain rapport.
s'est demandé quelles étaient les justifications de la réforme des pensions de réversion et de l'assurance veuvage intervenues en 2003 et 2004 et si ces mesures législatives et réglementaires répondaient à des revendications formulées par les partenaires sociaux ou les associations de veuves.
a rappelé que ce volet de la loi du 21 août 2003 correspondait au souhait du gouvernement de mener une réforme globale des retraites qui ne se limite pas à des considérations strictement financières. Compte tenu du rapport publié par la Cour des comptes en 2000, des revendications des associations comme la fédération des associations de conjoints survivants (Favec), ainsi que des demandes formulées par certains parlementaires, il ne semblait pas possible alors de faire l'impasse sur le sujet de la réversion. A tort ou à raison, la décision politique de traiter cette question a donc été prise, ce qui a suscité ensuite des malentendus pour des raisons techniques et pédagogiques.
a souligné que la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites se limitait pour l'essentiel à supprimer les conditions d'âge et de non-remariage dans le régime général et les régimes alignés, tout en renvoyant au pouvoir réglementaire les modalités financières de l'ajustement prévu au niveau des conditions de ressources. L'équilibre de la réforme reposait sur l'idée d'une neutralité financière à moyen terme, mais certains effets de seuil n'avaient pas été correctement perçus. Ce sont finalement ces réactions spontanées des assurés sociaux qui ont alerté les pouvoirs publics sur l'ampleur du problème posé.
s'est interrogé sur les leçons qu'il convient de tirer de cet épisode fâcheux.
a considéré que le sujet de la réversion apparaît singulièrement complexe et il a regretté a posteriori que cette réforme ait été conçue sans que l'on ait pris le temps alors d'essayer de construire un diagnostic partagé. Il a par ailleurs insisté sur les limites des outils de projection statistique, ainsi que sur la difficulté à résoudre les questions de principe qui se posent : doit-on privilégier une approche individualiste des droits sociaux, à l'instar des pays scandinaves, ou considérer que la situation actuelle des veuves impose le maintien du système conçu en 1945 ? Le problème de la répartition des droits dérivés, en cas de plusieurs mariages successifs de la personne décédée, se pose avec autant d'acuité.
a souhaité connaître les montants consacrés par les régimes sociaux au financement des pensions de réversion et à l'indemnisation de veuvage. Il s'est également demandé quel a été jusqu'ici et quel sera à l'avenir l'impact financier de la réforme des pensions de réversion et de l'assurance veuvage de 2003.
a indiqué que cette réforme devrait en définitive se traduire par un surcoût de près de 100 millions d'euros pour le régime général en 2006.
A plus long terme, M. Franck Le Morvan, sous-directeur, a évalué l'impact financier de ces mesures, pour les comptes de la Cnav, à 400 millions d'euros à l'horizon 2020 et à 600 millions d'euros par an en 2050.
a précisé qu'en 2005 l'ensemble des régimes figurant dans le champ d'investigation de la commission des comptes de la sécurité sociale a consacré 17,7 milliards d'euros aux pensions de réversion, dont 7,7 milliards pour le seul régime général. A côté de sommes aussi importantes, l'assurance veuvage n'a représenté la même année qu'un montant de 69 millions d'euros, dont 65 millions pour le régime général.
a souhaité savoir s'il existe des données prospectives permettant d'évaluer, d'ici à l'horizon 2020/2050, l'évolution prévisible du nombre des veufs et des veuves, ainsi que la masse financière représentée par les pensions de réversion. Il s'est demandé par ailleurs ce que représenterait le coût d'une extension aux formes de vie en couple autres que le mariage, comme le pacte civil de solidarité (Pacs) et le concubinage notoire.
Sous réserve des limites des outils de projections disponibles, M. Dominique Libault a indiqué que le nombre de veufs et de veuves du régime général pourrait plus que doubler entre 2005 (2,4 millions de personnes) et 2050 (5,2 millions d'assurés sociaux), tandis que le montant de l'indemnisation correspondante triplerait, en passant de 7,7 à 19,5 milliards d'euros. Il convient de préciser que si ces calculs ne prennent pas en compte une éventuelle extension du régime de la réversion aux personnes pacsées ou vivant en concubinage, ils reposent cependant sur l'hypothèse d'un taux de nuptialité de 90 %, ce qui rend ce chiffrage relativement pertinent.
a observé que la difficulté à établir et à disposer de données prospectives précises en cette matière ne facilite pas la tâche du pouvoir politique, auquel incombe in fine de procéder à des choix difficiles.
Puis il s'est interrogé sur la viabilité financière du dispositif actuel de couverture du risque veuvage, dans un contexte de vieillissement de la population impliquant une forte augmentation des besoins de financement de l'assurance maladie, mais aussi du coût des régimes de retraite, ainsi qu'une montée en charge des dépenses liées à la dépendance. Il s'est demandé également si la France ne se situe pas ainsi à contre-courant de ses partenaires européens qui semblent avoir durci, ces dernières années, les conditions d'accès aux systèmes de réversion et d'assurance veuvage.
a estimé que compte tenu des réformes intervenues dans le reste de l'Europe, allant parfois dans le sens d'une suppression de la réversion comme dans les pays scandinaves, la France se singularise effectivement par le maintien d'un régime de pensions de réversion généralisé.
a observé que les modalités de versement des pensions de réversion apparaissent extrêmement complexes et sont caractérisées par des disparités considérables entre les différents régimes de base et complémentaires. Il s'est demandé ainsi s'il serait utopique de vouloir tracer une perspective d'harmonisation, voire d'unification progressive, des règles dans les domaines des plafonds de ressources, des règles de minima et de maxima, des conditions tenant au mariage, des conditions d'âge, des conditions d'éligibilité en fonction du sexe et des avantages accordés aux orphelins.
Il s'est interrogé a contrario sur l'opportunité de privilégier le statu quo en raison des difficultés intervenues en 2003/2004, d'une part, du souci de préserver la stabilité du cadre juridique des personnes âgées, d'autre part.
a considéré qu'une approche cartésienne de la question des pensions de réversion conduit naturellement à prendre en compte l'ampleur des disparités entre les régimes et à s'interroger sur l'absence de plafonnement dans la fonction publique et les régimes complémentaires et spéciaux, ainsi d'ailleurs que sur le défaut d'harmonisation des conditions d'âge et de non-mariage du conjoint survivant. Il s'est déclaré favorable à une généralisation des plafonds de ressources, ainsi qu'à une unification des règles relatives aux conditions de mariage et d'âge.
Pour autant, il importe certainement de faire preuve de prudence, aussi longtemps que des travaux préparatoires n'ont pas été préalablement menés à bien, et où n'apparaît pas un consensus minimum sur les modalités d'une prochaine réforme. De ce point de vue, une éventuelle réforme des pensions de réversion ne fait pas partie des figures imposées du débat sur les retraites, qui aura lieu en 2008. Elle pourra y être incluse si les esprits ont suffisamment mûri à cette date.
a attiré l'attention de la Mecss sur le sort des jeunes veuves et des orphelins.
a précisé que la prise en charge du veuvage précoce par la collectivité nationale relève davantage de la politique familiale, par l'intermédiaire notamment de l'allocation de parent isolé, que de l'assurance veuvage.
s'est demandé, en l'absence d'une prochaine réforme de grande ampleur des pensions de réversion, s'il ne conviendrait pas de mettre en oeuvre des aménagements techniques de portée limitée.
Après avoir avancé le risque d'un manque de cohérence de tels ajustements, M. Dominique Libault a indiqué que deux mesures techniques lui sembleraient envisageables dans cette perspective : harmoniser les conditions de ressources sur la base des données fiscales, établir une pension de réversion unique pour les personnes pluripensionnées.
Dans l'hypothèse où une réforme des pensions de réversion, quelle que soit son ampleur, s'avérait indispensable à l'avenir, M. Claude Domeizel, rapporteur, s'est interrogé sur le processus opératoire qu'il conviendrait alors d'adopter : faudrait-il y consacrer un volet au sein de la prochaine réforme des retraites, ou au contraire concevoir un texte spécifique dans cet objectif ?
a estimé que compte tenu de la sensibilité de ce sujet, il conviendrait certainement d'agir avec prudence. Pour autant, il semblerait techniquement difficile d'envisager l'avenir du veuvage en dehors des clauses de révision régulière de la réforme des retraites.
s'est demandé si le système des pensions de réversion relève aujourd'hui de la politique des retraites, de celle de la famille, ou de la solidarité nationale. Puis il s'est interrogé sur sa justification même, alors que le taux d'activité des femmes s'est considérablement accru depuis 1945.
a considéré que le système français des pensions de réversion recouvre effectivement des logiques très différentes et ce, pour des raisons essentiellement historiques. D'une part, l'existence d'un plafond de ressources et d'un montant minimum tire la réversion vers les principes de l'aide sociale. D'autre part, la répartition de la pension de réversion entre les différents conjoints survivants en cas de remariage souligne son caractère de bien patrimonial.
a estimé que l'évolution de la société française, caractérisée aussi bien par le développement de l'activité féminine, l'augmentation des divorces et la diminution du nombre des mariages, tend inévitablement à remettre en cause les fondements de la prise en charge du veuvage, tel qu'il a été conçu en 1945 dans le régime général.
a souhaité avoir davantage de précisions sur les perspectives financières des pensions de réversion, notamment au regard des nouvelles formes de vie en couple.
a rappelé que le choix de l'extension ou non du bénéfice des pensions de réversion aux personnes pacsées ou vivant en concubinage notoire relève à l'évidence du pouvoir politique. La mission de la direction de la sécurité sociale se limite à éclairer les pouvoirs publics et la représentation nationale sur ce point. Sous ces réserves, il lui apparaîtrait nécessaire d'accompagner une éventuelle reconnaissance du Pacs pour l'ouverture du droit à réversion par l'instauration d'une condition minimale de vie commune, afin d'éviter le développement de phénomènes de fraude.
a par ailleurs considéré que compte tenu des besoins massifs de financement de la sécurité sociale et de l'Etat-Providence au cours des prochaines décennies, il sera vraisemblablement impossible de satisfaire tous les besoins exprimés par les acteurs sociaux, sauf à accepter une forte hausse des prélèvements obligatoires. Il reviendra donc aux politiques de faire des choix.
Après avoir rappelé que les associations de veuves prônent toutes un alignement par le haut des dispositifs existants de pension de réversion, M. André Lardeux s'est demandé comment un tel processus d'harmonisation pourrait être raisonnablement envisagé.
a précisé qu'un abandon éventuel de la condition de ressources coûterait probablement environ 2 milliards d'euros par an au régime général à l'horizon 2020.
Se plaçant sur le plan de la méthode et de la faisabilité d'une future réforme de la réversion, M. André Lardeux s'est interrogé sur les personnes qui pourraient être concernées par cette dernière : faudrait-il en réserver le bénéfice aux futurs veufs ou l'étendre aussi aux personnes ayant déjà liquidé leurs droits ?
s'est demandé pourquoi les cotisations perçues dans le cadre de l'assurance veuvage n'étaient utilisées, semble-t-il, qu'à hauteur de 25 % de leur produit.
a précisé que cette cotisation de 0,10 %, créée en 1980, ne pouvait pas juridiquement être affectée au veuvage, et ce en l'absence de branche spécifique. Elle a donc servi principalement à abonder les ressources de l'assurance vieillesse.
Puis la commission a procédé à l'audition de M. Bertrand Fragonard, président de la 2e Chambre de la Cour des comptes.
a rappelé qu'il a participé aux réflexions sur les pensions de réversion et la prise en charge du veuvage en deux occasions : pour la rédaction d'un rapport de la Cour des comptes consacré à ces sujets en 2000 et à la demande du Gouvernement et du conseil d'orientation des retraites (Cor), lors de la crise provoquée par les décrets d'août 2004.
Il s'est déclaré frappé par l'ignorance assez générale qui affecte les questions liées à la réversion et qui a conduit à cette crise, laquelle traduisait une réelle absence de maîtrise technique du sujet. Cette ignorance est difficilement compréhensible, alors que le veuvage et la réversion concernent 7 % de la population et représentent 14 % du montant des retraites versées.
L'étude du veuvage fait ressortir deux types de lignes de partage. Il convient, en premier lieu, de distinguer veuvage précoce, lorsque le conjoint décède avant cinquante-cinq ans, et veuvage des seniors. Le veuvage précoce représente 35 000 décès par an sur un total de 520 000 à 540 000. Dans un tiers des cas, le conjoint survivant a encore la charge d'enfants.
Une seconde distinction doit être faite selon le niveau de prise en charge assurée par les différents régimes. Deux situations extrêmes se côtoient. D'une part, la fonction publique assure un traitement très favorable du veuvage en ne prévoyant aucune condition d'âge ou de ressources et en complétant le dispositif par une pension temporaire d'orphelin. Au contraire, le régime général de base propose un mécanisme dont l'accès est très restrictif, même si la réforme de 2003 a supprimé les conditions tenant au cumul des droits propres et des droits dérivés ainsi que la condition d'âge. L'existence de pensions de réversion des régimes complémentaires de l'association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) et de l'association des régimes de retraite complémentaire (Arrco) ne modifie pas franchement ce constat, sauf pour les conjoints de cadres d'un niveau élevé, qui bénéficient effectivement d'un bon niveau de réversion.
Il est regrettable qu'en 2003 la réflexion se soit limitée à la question de la suppression de la condition d'âge, alors qu'il eût été possible d'aller dans la direction de la mise en place de mécanismes de prévoyance, similaires à ceux prévus pour les cadres par la convention de 1947.
Le paysage de la réversion apparaît ainsi totalement incohérent, avec des écarts considérables de traitement selon les cas.
a estimé qu'il est nécessaire, en cette matière, de réfléchir au préalable sur la question de savoir si le veuvage est un risque justifiant une couverture sociale. Soit, en effet, l'on considère qu'une veuve, notamment une jeune veuve, est susceptible de trouver du travail et de se remarier : dès lors, il est possible de rester dans la logique de l'assurance veuvage telle qu'elle existait avant la réforme de 2003, c'est-à-dire une allocation faible et temporaire. Soit l'on estime qu'il s'agit bien d'un risque, et il est alors nécessaire de préciser s'il doit être couvert par un système assurantiel ou par un mécanisme de prévoyance.
Si le régime assurantiel est retenu, il convient ensuite de faire un choix entre une approche généreuse, de type pension de réversion de la fonction publique, ou plus restrictive, de type régime général.
Compte tenu des effectifs concernés, l'enjeu budgétaire de la couverture du risque veuvage se concentre essentiellement sur les veufs et les veuves de conjoints qui avaient déjà liquidé leurs droits à la retraite.
a indiqué qu'à ce point de l'analyse la première des deux questions majeures à poser sur le veuvage des seniors porte sur le lien à établir entre le droit à une pension de réversion et le statut matrimonial des conjoints. La réversion est restée, jusqu'à présent, corrélée à une condition de mariage dans un contexte où le taux de nuptialité, excédait 90 % de la population. La baisse continue, ces dernières années, de la nuptialité impose cependant de s'interroger sur une extension du bénéfice de la réversion à toutes les formes d'unions. Une brèche a déjà été ouverte en matière de capital-décès, dorénavant ouvert aux personnes ayant conclu un pacte civil de solidarité (Pacs). Une ouverture en direction du Pacs et du concubinage poserait cependant des difficultés d'ordre pratique, notamment pour établir la réalité de la vie en commun du bénéficiaire et de son conjoint décédé.
Sur un plan financier, la limitation du droit à réversion aux seuls couples mariés aura des effets lourds, avec une forte baisse de la masse des pensions à l'horizon 2020. A l'inverse, une extension aux couples en Pacs ou en situation de concubinage pourrait à terme représenter un coût tel qu'il risquerait de justifier la suppression de la réversion.
A cette question du statut matrimonial s'ajoute celle de la prise en compte des unions successives. Depuis 1978, la pension de réversion est partagée entre les différents conjoints du défunt, au prorata des durées de mariage. Lorsque le montant de la pension est faible, ce partage prend la forme d'un saupoudrage peu pertinent. M. Bertrand Fragonard a émis l'idée que la question de l'éventuel versement d'une pension de réversion soit traitée dans la convention de divorce, la réversion devant être considérée comme un actif.
La seconde des deux questions majeures touchant au veuvage des seniors est celle du droit à pension de réversion et du niveau de cette pension.
Trois approches doctrinales sont possibles. La première est celle qui prévaut dans la fonction publique : il s'agit d'une vision patrimoniale dans laquelle une fraction des droits à la retraite acquis par le défunt est automatiquement transmise au conjoint survivant, quelles que soient les ressources dont ce dernier bénéficie par ailleurs.
Une deuxième approche est celle du régime général : à l'opposé de la précédente, elle conçoit la réversion comme un minimum social accordé au conjoint survivant, dans la mesure seulement où les revenus de celui-ci sont faibles. Les plafonnements, assez sévères, créent un effet de seuil massif.
Dans ce système, la baisse continue de la nuptialité combinée avec la montée progressive des droits propres des femmes crée une formidable pression déflationniste et allège peu à peu le coût de la réversion pour le régime général.
a plaidé pour une troisième approche, qui n'est actuellement mise en oeuvre par aucun régime de retraite, conférant aux mécanismes de pension de réversion la mission de garantir au conjoint survivant le maintien du niveau de vie qui était le sien avant le décès du défunt.
Dans cette optique, le taux de liquidation de la pension doit tenir compte de tous les éléments de revenu du conjoint survivant, et notamment du régime fiscal dont il bénéficie.
A ce sujet, M. Bertrand Fragonard a regretté la grande myopie qui frappe les études sur les ressources des personnes âgées, alors que ces dernières paient moins d'impôts et de contribution sociale généralisée (CSG) que le reste de la population. Ainsi, les avantages dont bénéficient les veufs et les veuves sont loin d'être négligeables, grâce notamment à un mode de calcul de l'impôt sur le revenu qui favorise les exemptions, lesquelles entraînent à leur tour des exemptions de CSG et de taxe d'habitation.
La structuration du paysage de la réversion entre les deux modèles extrêmes que sont, d'un côté, la fonction publique et, de l'autre, le régime général, a pour conséquence une répartition des bénéficiaires le long d'une courbe en U. En effet, les conjoints survivants les plus modestes perçoivent des revenus convenables en termes relatifs en provenance du régime général, complétés par la pension de réversion de l'Arrco, le tout dans un environnement fiscal très favorable. A l'autre bout de l'échelle des revenus, les veufs et veuves les plus aisés perçoivent de confortables pensions de réversion de l'Agirc, tout en jouissant également d'un traitement fiscal avantageux. Les classes moyennes, en revanche, se situent dans le bas de la courbe.
a plaidé pour la définition d'une philosophie générale de la réversion avant tout lancement d'une réforme. Les décrets de 2004 ont ainsi pêché par absence de vision d'ensemble.
Puis revenant sur l'approche qu'il préconise, il a donné le détail des calculs qu'il a lui-même effectués pour déterminer le taux de réversion garantissant au conjoint survivant le maintien de son niveau de vie. Ces calculs reposent sur le présupposé, établi par l'institut national de la statistique et des études économiques (Insee), selon lequel les coûts supportés par une personne seule s'élèvent à 1,5 lorsque les charges du ménage s'élevaient précédemment à 2. Il existe en effet des charges fixes incompressibles que le conjoint survivant doit continuer de couvrir avec ses revenus.
Sur cette base, le taux de réversion garantissant le maintien du niveau de vie sera de 67 % pour un conjoint survivant ne bénéficiant d'aucune retraite, mais il tombera à 33 % pour un conjoint touchant une retraite d'un montant identique à celle dont bénéficiait le défunt.
Ces taux apparaissent toutefois assez volatiles et varient considérablement selon que l'on s'éloigne du coefficient d'1,5 retenu par l'Insee. Ainsi, en prenant un coefficient de 1,4, le taux de réversion doit être porté à 71 % pour le conjoint survivant ne bénéficiant d'aucune retraite et à 43 % pour celui dont la retraite était équivalente à celle du défunt.
Le taux de 60 % réclamé par les partenaires sociaux pour les pensions de réversion du régime général, au lieu du taux actuel de 54 %, trouve une justification dans cette approche : il est celui permettant de garantir le niveau de revenu du conjoint survivant lorsque sa retraite représentait 20 % du montant de celle du défunt, en retenant le coefficient d'1,5 proposé par l'Insee.
a reconnu que le système qu'il propose pêche toutefois par sa complexité, qui le rend difficilement gérable. Il serait toutefois envisageable de définir un taux unique de réversion, de 43 %, correspondant à la situation moyenne observée, à savoir une veuve dont la retraite s'élève à 70 % du montant de la pension de son conjoint disparu.
En conclusion, M. Bertrand Fragonard a souligné à nouveau les écarts considérables dans les règles de réversion d'un régime à l'autre. Il a mentionné l'émergence de mécanismes de prévoyance, tout en relevant que ces mécanismes supposent que les bénéficiaires procèdent à des arbitrages, ce qui est très éloigné de notre culture. Il a insisté sur le défaut de doctrine qui affecte aujourd'hui la conception de la réversion. Enfin, il s'est déclaré opposé à toute idée de suppression de la réversion.
a indiqué déduire des propos de M. Bertrand Fragonard qu'il n'est peut-être pas opportun de lier une modification des règles de la réversion au rendez-vous de 2008 sur les retraites. Il a estimé qu'il est du devoir du législateur de proposer des progrès dans le sens d'une harmonisation des règles entre les régimes. Il a souligné le caractère spécifique de la situation des jeunes veuves par rapport au veuvage des seniors. Il a enfin exprimé sa certitude que les règles de la réversion ne pourraient qu'être bousculées par la montée en puissance des formes d'unions alternatives au mariage, ainsi que par le développement du divorce et des autres modalités de rupture de la vie en couple.
s'est prononcé en faveur d'une réflexion sur les pensions de réversion partiellement autonome par rapport à celle menée sur les retraites dans la perspective du rendez-vous de 2008.
Revenant sur la méthode mise en oeuvre lors de l'élaboration des décrets, il a insisté sur son caractère désastreux : il était particulièrement risqué d'imposer une révision aussi brutale des conditions de ressources à des personnes qui avaient déjà liquidé leurs droits à pension de réversion. Il est regrettable de ne pas avoir suivi la démarche prudente adoptée, par exemple, pour les deux précédentes réformes des retraites, qui avaient exigé très peu de sacrifices de la part des personnes proches de l'âge de départ en retraite et reporté l'essentiel de l'effort sur les générations les plus jeunes, lesquelles avaient, quant à elles, le temps de se préparer aux nouvelles conditions qui leur étaient imposées.
a rappelé que l'objectif du législateur de 1945, en créant les pensions de réversion, était d'assurer un niveau de revenu décent aux veuves, dans un contexte où les femmes ne travaillaient pas et où, seul, l'époux pourvoyait aux ressources du foyer. En se plaçant sur un plan théorique, il s'est demandé s'il ne conviendrait pas de supprimer la réversion pour la remplacer par d'autres mécanismes, au rebours de l'opinion exprimée par M. Bertrand Fragonard, dès lors que les situations auxquelles elle était censée apporter une réponse ont de fait disparu avec la montée en puissance du travail des femmes.
a tout d'abord rappelé que le schéma évoqué par M. Claude Domeizel est celui du régime général : dans la fonction publique, les pensions de réversion sont bien antérieures à 1945 et ont toujours obéi à une toute autre logique. Elles ont, en effet, été d'emblée considérées comme reflétant un « droit de suite » au bénéfice du conjoint survivant, puisant sa justification dans les droits à retraite acquis par le défunt.
L'idée d'une suppression de la réversion doit, d'une façon générale, être écartée, car elle aurait pour conséquence que les veufs et veuves seraient plus pauvres que les autres retraités. En définitive, ce qui fonde la réversion, ce sont les charges fixes du foyer.
Cependant, dès lors que les ressources des conjoints survivants augmentent, notamment grâce à la croissance des droits propres des veuves, il est légitime de prévoir une baisse tendancielle du taux de la réversion, conçue comme une garantie de maintien du niveau de vie.
En 1945, le bon taux de réversion aurait vraisemblablement été de 60 %. Aujourd'hui, ce taux conduirait à des situations où les veuves auraient un revenu plus élevé après qu'avant le décès de leur conjoint, dans la mesure où elles bénéficient de plus en plus de droits propres.
Complétant son propos sur la nécessité de disposer d'une vision globale des ressources des veufs et des veuves afin de fixer le taux pertinent de réversion, M. Bertrand Fragonard a estimé qu'il convient non seulement de tenir compte de la fiscalité qui s'applique à eux, mais encore des clauses de protection prévues lors de la conclusion d'emprunts, ainsi que des mécanismes de prévoyance et de capital-décès dont ils sont, le cas échéant, amenés à bénéficier.
Il a proposé d'explorer la voie d'une suppression du traitement fiscal favorable dont bénéficient les veufs et les veuves, soulignant son caractère perturbant et ses effets indésirables.