Intervention de Jacques Rupnik

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 mai 2008 : 1ère réunion
Balkans — Audition de M. Jacques Rupnik directeur de recherche au ceri sciences po

Jacques Rupnik, directeur de recherche au CERI :

a tout d'abord souligné que l'Union européenne se trouvait, à l'égard des Etats des Balkans, dans une posture très différente de celle qui avait prévalu lors de l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale. Elle négociait alors sur la base de critères bien définis avec des Etats constitués tandis que les Etats auxquels a été reconnue une perspective d'adhésion lors du sommet de Thessalonique de 2003 sont encore en phase de constitution.

Evoquant ensuite les élections législatives serbes, il a observé que le résultat en était à la fois important et ambigu. Ces élections ayant été tenues après l'indépendance du Kosovo, un choix clair était offert aux électeurs quant à la hiérarchie des priorités politiques. La signature d'un accord de stabilisation et d'association (ASA) proposée par l'Union européenne constituait l'argument politique du président Tadic, tandis que M. Kostunica définissait le Kosovo comme enjeu politique principal. Ces élections ont apporté une victoire claire au parti démocrate, alors que les précédentes avaient toutes été remportées par le parti radical, dont le leader, incarcéré à La Haye pour crimes contre l'humanité, mène campagne depuis sa cellule.

a relevé que M. Kostunica, homme clé de la période de l'après-Milosevic, qui avait quitté la coalition gouvernementale pour provoquer des élections et mobiliser l'opinion sur la question du Kosovo, avait clairement rencontré un échec.

Il a cependant souligné que la victoire du parti démocrate ne signifiait pas pour autant sa capacité à gouverner et que dans la constitution de la future coalition gouvernementale, probablement très longue à réaliser, le parti socialiste serbe de Milosevic aurait un rôle d'arbitre. Ce parti pourrait suivre son inclinaison idéologique en constituant une coalition nationaliste avec les radicaux mais il n'est pas exclu que dans une configuration plus surprenante, il constitue la pierre d'angle d'une coalition pro-européenne.

a ensuite évoqué les acteurs internationaux actifs dans la région des Balkans.

Il a tout d'abord relevé que les Etats-Unis, pays le plus clairement et le plus précocement engagé en faveur de l'indépendance du Kosovo, opéraient actuellement un désengagement de la région, au profit d'autres priorités et avec l'argument qu'il s'agit d'un dossier européen.

Il a observé que ce mouvement de retrait s'accompagnait, ces dernières années, d'une européanisation des « protectorats » internationaux, terme qu'il a justifié par le caractère très intrusif du mandat donné à la mission européenne EULEX. Il a souligné que les Etats européens, tout en étant conscients du caractère crucial de la question des Balkans pour la crédibilité de la politique étrangère et de sécurité commune, étaient divisés. Cette division n'est toutefois pas comparable à celle qui avait prévalu lors de l'indépendance de la Croatie dans la mesure où les Etats les plus réticents à la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo ne s'opposent pas au déploiement du dispositif européen, selon un compromis réaliste.

a ensuite insisté sur le retour de la Russie dans la région et, plus généralement, sur la scène européenne, à la faveur de l'évolution de la politique serbe et sur les questions énergétiques. La Russie met en avant, sur la question du Kosovo, l'effet d'un tel précédent sur les conflits gelés en Abkhazie ou en Ossétie.

a souligné en conclusion que la particularité nouvelle de l'action européenne dans cette région était d'être impliquée dans la constitution de ses futurs Etats membres. La démocratie n'étant pas envisageable sans consensus sur le cadre territorial, la région s'est engagée dans un processus de fragmentation qui n'est viable que si tous ces nouveaux Etats partagent la même perspective européenne. Il ne s'agit donc pas d'un élargissement « classique » dans la mesure où, à la suite des empires et de la Yougoslavie, l'Union européenne est appelée à fournir le « toit commun » à cette région, ce qui exige des européens un engagement plus fort.

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