Intervention de Jean-Paul Herteman

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 avril 2008 : 1ère réunion
Industrie de défense — Audition de M. Jean-Paul Herteman président-directeur général de safran

Jean-Paul Herteman, président du directoire de Safran :

a tout d'abord brièvement présenté le groupe Safran.

Le chiffre d'affaires de Safran s'est élevé en 2007 à 12 milliards d'euros et il devrait s'établir cette année à 11 milliards d'euros, ce qui traduit en réalité une progression de 10 % à périmètre constant et parité euro/dollar inchangée. Le chiffre d'affaires lié à la défense représente 18 % de l'ensemble, soit environ 2 milliards d'euros. Safran emploie 57 000 personnes, dont un peu moins de 40 000 en France.

Pour les deux-tiers de ses activités « défense », Safran fournit les sous-ensembles de grands systèmes d'armes : moteurs, centrales de navigation, trains d'atterrissage et câblages d'avions et d'hélicoptères ; moteurs et systèmes de guidage de missiles ; centrales de navigation de sous-marins ; viseurs de systèmes terrestres, comme le char Leclerc. Un tiers des activités « défense » concerne la fabrication d'équipements allant de petits matériels, comme les jumelles infrarouge, à des systèmes de complexité moyenne : l'équipement Felin pour le fantassin, que la Suisse, après la France, a décidé d'acquérir ; le drone tactique Sperwer, en service dans l'armée française et dans cinq pays étrangers ; l'armement air-sol modulaire (AASM), qui vient d'entrer en activité dans l'aviation de combat. L'exportation représente environ 60 % de l'activité « défense ».

a souligné l'impact très significatif du cours du dollar sur les résultats du groupe. L'objectif est de réaliser en 2008 un résultat opérationnel de 700 millions d'euros, équivalent à celui de 2007. Mais la parité actuelle euro/dollar joue négativement, pour un montant évalué, lui aussi, à 700 millions d'euros pour cette année. Le maintien à terme de cette situation aura un impact très préoccupant pour l'industrie française.

a indiqué que Safran avait achevé la phase de réorganisation liée à la fusion de Snecma et de Sagem. Il lui restait cependant à mettre en place les formules d'adossement les plus adaptées pour céder ses activités de téléphonie grand public, qui ne disposent pas aujourd'hui de la taille critique indispensable sur ce marché. Un accord a été conclu au mois de janvier avec un fonds d'investissement américain pour la reprise, dans de bonnes conditions, des activités de communication haut débit. Une solution du même type est souhaitable pour les activités de téléphonie mobile, où la part de marché de Safran est inférieure à 1 %.

a ensuite abordé les principaux enjeux industriels et technologiques liés à la politique de défense.

Il a en premier lieu insisté sur le caractère essentiel du soutien à la recherche-développement de défense et, tout en reconnaissant que le futur Livre blanc formulerait sans doute la même recommandation, il s'est demandé comment elle se traduirait concrètement dans la prochaine loi de programmation militaire.

Il a souligné que l'effort de recherche était indispensable au maintien de capacités technologiques qui apportent une réelle plus-value opérationnelle à nos forces et constituent un atout à l'exportation. S'il faut veiller à ne pas tomber dans l'excès de technologie et à proposer des coûts d'acquisition et de possession raisonnables, le créneau des équipements de bon niveau technologique reste néanmoins celui sur lequel l'industrie de défense française peut le mieux valoriser ses positions. Par ailleurs, la possibilité de pouvoir proposer à certains de ses partenaires des transferts de technologie est un élément important dans la posture internationale de la France. A l'inverse, l'abandon de certaines compétences technologiques peut aboutir à créer des situations de dépendance ou des pénalisations à l'exportation, compte tenu notamment des restrictions imposées sur l'utilisation de certains composants acquis aux Etats-Unis par leur réglementation ITAR (International Traffic Arms Regulations).

a également évoqué l'effet de levier considérable que représentait la dualité militaire-civil, en particulier en matière de recherche, et les « cercles vertueux » qui peuvent en résulter. Ainsi, la Snecma n'aurait pas acquis la place qui était la sienne sur le marché des moteurs aéronautiques civils sans les investissements réalisés dans le développement de moteurs pour les avions de combat français. Mais sans cette position solide dans le domaine civil, il aurait été beaucoup plus difficile, au cours de la période récente, de financer le développement du moteur du Rafale. Un constat similaire peut être effectué en ce qui concerne les interactions entre les technologies mises au point pour les tuyères des missiles balistiques et leurs applications dans le domaine du freinage aéronautique qui ont permis à Messier-Bugatti d'occuper une position de premier rang mondial.

a indiqué qu'à ses yeux, il serait plus approprié de parler de base industrielle et technologique stratégique, plutôt que seulement de défense, et il a souligné à cet égard que les Etats-Unis, sous l'égide du département de la défense (DOD), avaient su faire de l'investissement dans les technologies de défense l'un des leviers les plus efficaces pour la compétitivité de leur industrie de haute technologie.

Il a souhaité qu'au cours des années à venir, l'effort français en matière de recherche provenant du ministère de la défense soit non seulement maintenu, mais encore amélioré en dépit des contraintes budgétaires.

Abordant l'enjeu de l'exportation, M. Jean-Paul Herteman a confirmé le caractère stratégique des ventes des grands systèmes d'armes, mais il a également appelé à ne pas négliger les équipements plus modestes, en soulignant la nécessité, pour ces derniers, de procédures moins lourdes et plus adaptées. Il a pris pour exemple les dossiers d'exportation présentés par la division « Sécurité et défense » de Sagem, qui concernent en moyenne des contrats inférieurs au million d'euros.

Il a également préconisé une évolution des modalités du maintien en condition opérationnelle (MCO), estimant que la contractualisation-externalisation avec les industriels d'une plus large gamme d'opérations permettrait à la fois de renforcer l'efficacité de la maintenance et de diminuer le coût global de possession des matériels. Il s'agissait là, à ses yeux, de l'une des rares marges de manoeuvre exploitables sur le budget d'équipement militaire, déjà très contraint par les besoins de financement des programmes et la nécessité de maintenir un effort suffisant pour la recherche et technologie. SAFRAN pourrait notamment intervenir plus largement, sur le modèle de ce qui se passe au Royaume-Uni, en matière de maintien des moteurs de l'aéronautique militaire.

S'agissant plus généralement des relations entre le ministère de la défense et l'industrie, M. Jean-Paul Herteman a considéré que la conduite des programmes d'armement ne se résumait pas à une simple politique d'achat. Elle exigeait un véritable savoir-faire que la délégation générale pour l'armement (DGA) avait su développer et qui méritait impérativement d'être préservé.

Il a souhaité que le partage du risque entre l'Etat et les industriels soit bien mesuré et estimé que des taux d'autofinancement atteignant 25 %, comme pour le Rafale, voire 35 % dans le cas de l'AASM, étaient excessifs. Il a observé que des industriels étrangers concurrents bénéficiaient, pour le développement de produits commandés par l'Etat, de règles de partage du risque beaucoup plus favorables, et ceci, sans tenir compte de l'effet-dollar.

a conclu en évoquant la dimension européenne de notre politique d'équipement. Tout en l'estimant incontournable, il a estimé que la coopération européenne devait être envisagée dans un cadre clair et bien préparé. Il a cité en exemple la coopération fructueuse entre Turboméca et Rolls Royce sur les moteurs. Il a en revanche indiqué que l'organisation initialement mise en place pour la réalisation du moteur de l'A400M, dont Safran et Rolls Royce sont parties prenantes avec des partenaires allemands et espagnols, n'était pas pleinement satisfaisante. Depuis, les ajustements nécessaires ont été mis en oeuvre, ce qui a contribué à ce que le développement du moteur se déroule désormais de façon pleinement satisfaisante.

Il a souligné le rôle positif que l'Agence européenne de défense sera appelée à jouer, en intervenant très en amont dans l'identification des axes de recherche et des besoins capacitaires. Il a néanmoins estimé que les règles de coopération devaient rester compatibles avec les intérêts des industriels, ce qui n'avait pas été le cas dans les conditions prévues, en matière de protection de la propriété intellectuelle, par certains contrats de recherche lancés par l'Agence.

Un débat s'est ensuite engagé avec les commissaires.

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