Intervention de Jean-François Humbert

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 6 juillet 2011 : 1ère réunion
Utilisations autorisées des oeuvres orphelines — Communication

Photo de Jean-François HumbertJean-François Humbert :

Le 20 octobre 2010, notre commission examinait la proposition de loi n° 441 relative aux oeuvres visuelles orphelines déposée par Mme Marie-Christine Blandin et les membres du groupe socialiste. Lors de cette réunion, nous avons dressé plusieurs constats permettant de bâtir notre position. Permettez-moi de les rappeler :

- premièrement, les oeuvres visuelles sont difficilement dissociables du reste de l'écrit tant leurs enjeux patrimoniaux et culturels sont liés. Nous avons estimé, compte tenu des enjeux de numérisation du patrimoine écrit, qu'il serait hasardeux de distinguer le traitement des oeuvres visuelles (photographies, dessins, croquis) de celui des ouvrages qui les contiennent. C'est donc une approche globale de l'ensemble de l'écrit qu'il faut privilégier ;

- nous savions ensuite qu'une proposition de directive était sur le point d'être présentée et il nous semblait prématuré de définir un cadre législatif national sans connaître les grandes lignes du cadre juridique européen. Avec quelques mois de retard sur les délais annoncés, le projet de la Commission européenne a finalement été présenté le 26 mai dernier et nous avons décidé de nous saisir de ce texte soumis par le gouvernement en application de l'article 88-4 de la Constitution ;

- enfin la question des « droits réservés », évoquée à l'automne dernier, est une question à part entière dont les problématiques ne recoupent pas complètement celles des oeuvres orphelines. Ces dernières ne constituent en effet qu'une partie des oeuvres visuelles dont la publication n'est pas accompagnée d'une mention des auteurs. En revanche, ces deux questions ont un point commun : tout cadre juridique visant une utilisation respectueuse de la propriété intellectuelle doit nécessairement s'appuyer sur un outil permettant une recherche efficace, diligente, des auteurs ou ayants droit. Les bases de données accessibles constituent donc un défi indissociable du traitement de la question des oeuvres orphelines comme de celle des droits réservés.

Fort de ces trois considérations, j'ai examiné la proposition de directive transmise au Parlement qui traite la question des oeuvres orphelines sous l'angle de la numérisation et de la diffusion du patrimoine culturel européen.

Je souhaiterais tout d'abord souligner les aspects positifs de ce texte :

- la définition des oeuvres orphelines proposée à l'article 2 rejoint celle que nous avions arrêtée, même si les termes diffèrent légèrement. La Commission européenne mentionne une « recherche diligente » tandis que nous avions retenu l'expression de « recherche avérée et sérieuse ». L'article précise utilement que l'identification ou la localisation d'un seul ayant droit fait tomber la qualification d'oeuvre orpheline ;

- l'article 3 prévoit expressément que les États membres veillent à ce que le résultat des recherches diligentes effectuées sur leur territoire soit enregistré dans une base de données accessible au public. Cet élément est essentiel pour pouvoir concrètement mettre en oeuvre toute recherche diligente et donc tout traitement juridique des oeuvres orphelines ;

- le principe de la reconnaissance mutuelle rappelé à l'article 4 offre une sécurité juridique satisfaisante pour toutes les parties prenantes.

Cependant certaines questions soulevées à l'occasion de l'examen de la proposition de loi de notre collègue Marie-Christine Blandin demeurent sans réponse :

Tout d'abord, les oeuvres visuelles ne sont pas traitées en tant qu'oeuvres indépendantes par la présente proposition de directive, comme le précise son article 11. Cette clause de réexamen prévoit de considérer cette question annuellement en fonction de l'évolution des sources d'information sur les droits d'auteur.

Pourtant, les mêmes oeuvres visuelles sont censées être prises en compte dès lors qu'elles figurent dans des ouvrages écrits, selon la présentation des éléments juridiques figurant dans l'exposé des motifs de la proposition de directive. Il est regrettable que cela n'apparaisse pas plus clairement dans l'article premier qui définit l'objet et le champ d'application de la directive.

On peut en outre se demander ce qui justifie une telle dichotomie entre les oeuvres visuelles indépendantes et celles intégrées dans des ouvrages écrits dans la mesure où, dès lors que les oeuvres visuelles de l'écrit font partie du champ d'application, cela a plusieurs conséquences :

Tout d'abord, il faudra considérer qu'une photo dont on retrouverait l'ayant droit ferait tomber le caractère orphelin de l'ouvrage dans lequel elle figure. Compte tenu des risques de complication, ne peut-on pas craindre une numérisation partielle des ouvrages laissant de côté les oeuvres visuelles et une application à deux vitesses de la directive ? On retomberait alors dans une situation juridique complexe et une vision segmentée du patrimoine écrit rejeté par notre commission.

Ensuite, en application de l'article 3 de la proposition de directive, les États membres seraient tenus d'enregistrer les résultats des recherches diligentes d'oeuvres visuelles dans une base de données accessible au public. Mais si un tel outil est mis en place, quel est alors l'intérêt de reporter ultérieurement le traitement des oeuvres visuelles en tant qu'oeuvres indépendantes ? Les bases de données constituent l'obstacle pratique dont fait mention l'article 11 en faisant référence à « l'évolution des sources d'information sur les droits d'auteur ».

Un autre point mérite d'être souligné : allant au-delà de la stricte approche institutionnelle et patrimoniale, l'article 7 précise les conditions dans lesquelles il est possible pour les bibliothèques, musées, ou établissements d'enseignement d'utiliser une oeuvre orpheline à une fin autre que celle de l'accomplissement d'une mission d'intérêt public. Cet article de la directive aura un impact direct sur le traitement, par les éventuelles législations nationales, de la question de l'utilisation des oeuvres orphelines à des fins commerciales.

Cet aspect rejoint donc précisément les sujets que nous souhaitions traiter dans le cadre de la « PPL 441 ». On ne peut que regretter qu'un pan entier du patrimoine culturel, constitué notamment des photographies détenues par les institutions patrimoniales, ne soit d'office traité par la directive. Car évidemment cela faciliterait le développement des bases de données et donc la recherche diligente qui permettra de distinguer les vraies oeuvres visuelles orphelines des autres cas pouvant constituer des formes d'abus et de violation de la propriété intellectuelle.

Au regard de ces remarques, j'ai estimé qu'il était nécessaire de vous soumettre une proposition de résolution demandant que le cadre juridique proposé pour les oeuvres orphelines de l'écrit ne se fasse pas au détriment des oeuvres visuelles.

A l'issue de ce débat, la commission conclut au dépôt de la proposition de résolution présentée par M. Jean-François Humbert, rapporteur, et décide de fixer au lundi 11 juillet 2011 à 12 heures le délai-limite de dépôt, par tout sénateur, d'amendements éventuels à ce texte, dont l'examen interviendra lors de la réunion de la commission qui se tiendra l'après-midi du mardi 12 juillet.

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