Intervention de Monique Cerisier-ben Guiga

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 19 septembre 2007 : 1ère réunion
Traités et conventions — Musée universel d'abou dabi - examen du rapport

Photo de Monique Cerisier-ben GuigaMonique Cerisier-ben Guiga, rapporteur :

a rappelé que la France et les Emirats Arabes Unis avaient signé trois accords le 6 mars 2007 relatifs à la réalisation d'un nouveau musée à Abou Dabi, qui devrait porter le nom de « Louvre Abou Dabi ». Elle a indiqué qu'avant même leur signature, ces accords avaient suscité une polémique et des critiques, reprises dans plusieurs journaux, notamment de la part de certains conservateurs de musée.

Trois principaux reproches ont été formulés à l'encontre de ce projet. Tout d'abord, le choix d'Abou Dabi pour accueillir le futur musée a fait l'objet de critiques. Certains ont estimé que ce choix résultait plus de considérations politiques et diplomatiques que culturelles. Ensuite, d'autres personnalités se sont inquiétées du nombre d'oeuvres d'art qui feront l'objet de prêts au musée d'Abou Dabi, privant ainsi le public français et les touristes étrangers présents dans la capitale de ces oeuvres pour une plus ou moins longue période. Enfin, certains conservateurs ont dénoncé la remise en cause du principe de la gratuité du prêt des oeuvres d'art entre les musées au profit d'une logique commerciale.

a donc souhaité examiner successivement ces trois arguments.

En premier lieu, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur, a évoqué le choix du site d'Abou Dabi pour accueillir le futur musée. Elle a rappelé que les Emirats arabes unis étaient une fédération de sept émirats qui forment un Etat prospère et stable (5e réserve de pétrole et de gaz, PIB par habitant de 26.000 euros parmi les plus élevés du monde). L'émirat d'Abou Dabi, qui détient 94 % des réserves pétrolières et représente 73 % du territoire, est la clef de voûte tant politique qu'économique de la fédération. Traditionnellement, l'émir d'Abou Dabi préside d'ailleurs la fédération. Les Emirats Arabes Unis entretiennent depuis longtemps des relations privilégiées avec la France, dans les domaines politique, militaire, économique et commercial. C'est le seul pays de la région avec lequel la France a conclu un accord de défense. En outre, c'est le premier partenaire commercial de la France dans la région avec plusieurs grands contrats dans les domaines de l'aéronautique, des biens d'équipement et du matériel militaire.

a indiqué que les Emirats Arabes Unis s'étaient engagés à la fin des années 1980 dans un processus de diversification de leur économie, afin d'anticiper sur l'épuisement des ressources pétrolières et gazières. Mais alors que Dubai se caractérise par son dynamisme économique et commercial, notamment autour de son aéroport international et de son port, Abou Dabi souhaite se concentrer davantage sur l'aspect culturel et le tourisme.

Abou Dabi a, en effet, pour ambition de devenir le coeur de la région du Golfe pour l'enseignement supérieur et la culture et le lieu de rencontre et d'échanges entre les civilisations, au carrefour des continents, a précisé Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Pour ce faire, l'Emirat d'Abou Dabi a lancé sur l'île de Saadiyat, située en face de la capitale émirienne, un projet de district culturel d'envergure mondiale, qui comprendrait plusieurs musées, dont un musée des arts islamiques, un musée maritime et un musée d'art moderne construit en partenariat avec la Fondation Guggenheim.

Après s'être tourné une première fois vers l'expertise française en matière d'enseignement supérieur, avec l'installation, à l'automne 2006, d'une antenne de la Sorbonne, Abou Dabi a demandé l'aide de la France et du musée du Louvre pour l'aider à réaliser et à développer un autre musée, qui serait davantage axé sur la période classique, dans sa capitale.

Toutefois, les négociateurs français sont parvenus à faire évoluer cette demande vers un concept de « musée universel », c'est-à-dire un musée dont les collections présenteront, à terme, des oeuvres majeures dans les domaines de l'archéologie, des beaux-arts et des arts décoratifs, couvrant toutes les périodes, y compris la période contemporaine, et toutes les aires géographiques.

Le musée du Louvre ne pouvant porter à lui seul ce projet, étant donné que le futur musée devrait couvrir des périodes postérieures à celles couvertes dans les collections du Louvre (comme la période contemporaine) ou des civilisations qui n'y sont pas représentées (comme l'art asiatique), il a été décidé d'y associer d'autres institutions, notamment le musée d'Orsay, le musée national d'art moderne (centre Georges Pompidou), le musée du quai Branly ou le musée Guimet. Une structure particulière, l'« Agence France Museums », qui réunit l'Etat et les principaux musées français, a été créée en juillet 2007 pour mettre en oeuvre ce projet. Cette agence devrait notamment apporter une expertise à Abou Dabi afin que la conception et la réalisation du bâtiment soient conformes aux standards de conservation, de présentation des oeuvres et d'accueil du public des grands musées internationaux.

Les experts français devraient notamment apporter des conseils pour la mise en place de la future structure de gestion du musée, participer à la formation des cadres et accompagner pendant une durée de vingt ans le fonctionnement du musée jusqu'à ce qu'il acquière une totale autonomie. Les conservateurs et historiens d'art français, qui seront chargés d'élaborer le projet scientifique et culturel du musée, proposeront également une stratégie en matière d'acquisition d'oeuvres d'art sans toutefois y participer directement pour éviter tout conflit d'intérêt. Sur le plan architectural, la conception du futur musée, qui devrait ouvrir ses portes en 2013, a été confiée à l'architecte français Jean Nouvel, qui a réalisé le musée du Quai Branly.

En deuxième lieu, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur, a évoqué les garanties prévues concernant le prêt des oeuvres d'art et l'utilisation du nom du Louvre. En ce qui concerne les conditions en matière de prêt des oeuvres d'art, l'accord prévoit que l'Etat français prêtera au musée universel d'Abou Dabi des oeuvres issues des collections françaises pendant une durée de 10 ans. Pendant cette période, les Emirats arabes unis pouront acquérir des oeuvres afin de constituer leur propre collection nationale. Au-delà de ces dix ans, seules les oeuvres des collections émiriennes seront exposées dans les galeries permanentes du musée. Par ailleurs, la France organisera pendant quinze ans quatre expositions temporaires par an (une grande, une moyenne et deux petites).

Le nombre d'objets prêtés par la partie française diminuera progressivement (300 oeuvres les trois premières années à compter de l'ouverture du musée, puis 250 les quatre années suivantes et 200 les quatre dernières années). Ainsi, l'engagement de la France ira donc en décroissant jusqu'à ce que le Louvre Abou Dabi acquière une totale autonomie.

a rappelé que 35.000 oeuvres, dont 6.000 tableaux, sont exposées au musée du Louvre sur les quelque 445.000 que compte le musée, et que, chaque année le musée du Louvre acquiert entre 200 et 300 oeuvres d'art. Plus de 1.400 oeuvres sont prêtées chaque année par le musée du Louvre à d'autres musées, en France et à l'étranger, ce qui permet au Louvre de recevoir environ 1.000 oeuvres provenant d'autres musées.

Le prêt de 300 oeuvres issues de plusieurs musées ne devrait donc pas dégarnir les galeries de nos musées, a estimé le rapporteur. Chaque prêt se fera exclusivement sur la base du volontariat, sous le contrôle d'une commission scientifique et fera l'objet d'une convention particulière en conformité avec les règles des musées nationaux en matière de prêt. Chaque oeuvre sera prêtée pour une durée comprise entre six mois et deux ans, éventuellement renouvelable, à l'exception d'objets particuliers, notamment les oeuvres sur papier et textiles qui seront prêtées, conformément aux standards internationaux, pour des durées plus courtes. En cas de risque pesant sur la sécurité des oeuvres, la France pourra procéder au rapatriement sans délai de toutes les oeuvres prêtées.

L'accord prévoit que « ces oeuvres seront d'une qualité comparable à celles des oeuvres présentées au Musée du Louvre et dans les grands musées français » et qu'une « proportion raisonnable des oeuvres présentées sera en permanence issue des collections du Louvre ».

a indiqué qu'elle avait interrogé, lors d'une audition, le président directeur du Louvre, M. Henri Loyrette, sur ce qu'il fallait entendre par cette expression de « part raisonnable », et qu'il lui avait répondu qu'il était difficile de chiffrer précisément le nombre d'oeuvres qui seront issues des collections du Louvre étant donné que cela dépendrait des thèmes qui seront retenus pour les expositions. Ainsi, dans le cas d'une exposition portant sur les impressionnistes français, le musée du Louvre ne serait pas concerné, mais le musée d'Orsay.

En tout état de cause, la France gardera un contrôle strict en matière de prêt des oeuvres. Il sera impossible par exemple de prêter la Joconde ou la Vénus de Milo. En effet, une oeuvre liée à l'histoire de France et dont on ne peut priver le public et celles dont la fragilité interdit un déplacement ne pourront pas quitter le musée du Louvre.

Toutefois, il est aussi dans l'intérêt du musée du Louvre de présenter des chefs d'oeuvres, car il y va de son prestige et, comme le montre l'exemple des expositions du Louvre organisées au Japon, cela incitera les amateurs d'art à se rendre en France, a précisé Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur. Enfin, des garanties sont prévues en matière d'insaisissabilité des oeuvres prêtées.

En ce qui concerne le nom du « Louvre », afin de souligner de façon visible l'ambition universelle de ce projet et le rôle de l'expertise française dans la conception du nouveau musée, celui-ci sera autorisé à porter le nom de « Louvre Abou Dabi » pendant trente ans et six mois. Les modalités et conditions de l'usage de cette dénomination font l'objet d'une convention d'application spécifique, signée le même jour que l'accord, pour protéger la qualité d'utilisation du nom et de la marque « Louvre ». Cette convention prévoit de strictes conditions en matière d'utilisation du nom et de la marque « Louvre », notamment en ce qui concerne les produits dérivés.

En dernier lieu, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur, a abordé la question des contreparties financières prévues dans l'accord. Les retombées financières de cet accord pour le Louvre et les autres musées français participants ne sont pas négligeables.

Le Musée du Louvre devrait être le principal bénéficiaire, puisque le Louvre va bénéficier, outre des 400 millions d'euros pour le droit d'usage de son nom, d'un mécénat de 25 millions d'euros pour son développement. A cela s'ajoutent : 190 millions d'euros sur dix ans pour les institutions participant aux prêts d'oeuvres dans les galeries permanentes ; 195 millions d'euros sur quinze ans pour les musées participant à l'organisation des expositions ; 165 millions d'euros sur vingt ans pour l'expertise de l'Agence France Museums. Au total, c'est donc un montant d'environ 1 milliard d'euros sur trente ans qui sera versé directement par les autorités émiraties aux musées français participant au projet.

A titre de comparaison, le budget du musée du Louvre était de 188 millions d'euros en 2006, dont 110 millions provenant de la subvention de l'Etat et 78 millions d'euros de ressources propres, provenant essentiellement des droits d'entrée (avec 8,3 millions de visiteurs en 2006, dont un tiers de Français et deux tiers d'étrangers, le musée du Louvre est le premier musée du monde) a remarqué le rapporteur.

s'est interrogée sur l'utilisation de cette véritable « manne financière », dont le musée du Louvre devrait être le premier bénéficiaire. Ce dernier étudie la possibilité de créer un centre commun des réserves, en banlieue parisienne, pour accueillir les réserves du Louvre et des autres musées de la capitale, comme celles du musée d'Orsay, menacées par la crue centennale de la Seine. Cela permettrait de mettre à l'abri une grand nombre d'oeuvres des réserves, aujourd'hui stockées en zone inondable ou dans des conditions souvent déplorables, de libérer le pavillon de Flore, où sont actuellement situés les ateliers de restauration, pour pouvoir y accueillir des oeuvres et le rendre ainsi au public et de constituer un grand centre consacré à la conservation, à la restauration et à la recherche. Cette contribution pourrait également permettre d'achever le projet Grand Louvre, qui a commencé avec l'édification de la pyramide en 1989 et qui se poursuit actuellement avec l'ouverture d'un nouveau département des arts de l'Islam prévue en 2010. En effet, certaines parties du palais, comme la cour carrée, n'ont pas encore été rénovées. Enfin, les sommes recueillies pourront permettre aux musées participants de financer de nouveaux projets d'investissement et d'enrichir les collections par la restauration ou l'acquisition de nouvelles oeuvres, etc.

a rappelé que l'ancien ministre de la culture et de la communication s'était engagé à ce que ces ressources nouvelles viennent « en surcroît et non en compensation de l'effort budgétaire de l'Etat qui maintiendra son effort », et elle a indiqué qu'elle souhaitait interroger la Ministre de la culture, lors du débat en séance publique au Sénat sur ce texte, afin qu'elle confirme cet engagement pris par le précédent gouvernement.

En effet, il ne faudrait pas que ce projet se traduise par une réduction de la dotation budgétaire de l'Etat, ce qui remettrait en cause la philosophie même du projet, a-t-elle estimé.

L'accord intergouvernemental est d'ailleurs assorti d'une convention fiscale qui prévoit l'absence d'imposition des sommes versées par les Emirats arabes unis.

Afin d'assurer la meilleure gestion de ces fonds, le musée du Louvre, qui a déjà bénéficié d'un premier versement de 150 millions d'euros en avril dernier, et le ministère de la culture étudient également la possibilité de créer un fonds de dotation, sur le modèle des « endowment funds » américains, en vue de faire fructifier ce capital et pérenniser ainsi ces ressources financières.

Cela permettrait également d'encourager le mécénat, à l'image des grandes universités américaines. De nombreux grands musées, comme le Metropolitan Museum of art de New York, le British Museum ou le musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg, ont développé ces dernières années des stratégies au niveau international, avec plus ou moins de succès. Qu'on le veuille où non, il existe aujourd'hui un véritable marché de l'art et la concurrence entre les grands musées est très forte, a estimé Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur. Or, notre pays dispose de formidables atouts dans ce domaine, avec un patrimoine d'une richesse exceptionnelle et une expertise reconnue. Dès lors, s'est-elle interrogée, pourquoi ne pas permettre à nos grands musées nationaux, comme le musée du Louvre, qui est le plus grand musée du monde, de développer leur coopération au niveau international ?

Bien entendu, cela ne doit pas se faire dans n'importe quelles conditions et il existe des exemples de dérives commerciales, comme l'illustre le cas de la Fondation Guggenheim. Afin de prévenir tout risque de dérive, Mme Monique Cerisier-ben Guiga a souhaité que le Parlement, au travers de ses commissions compétentes ou d'une mission ad hoc, soit régulièrement informé de la mise en oeuvre concrète de ce projet, de l'utilisation des fonds versés par le gouvernement d'Abou Dabi ainsi que de l'action de l'agence France Museums, dans ses aspects administratifs, ses choix scientifiques et sa gestion financière.

a estimé que cette coopération culturelle d'une ampleur inédite devrait aussi favoriser le dialogue des cultures et des civilisations entre l'Orient et l'Occident, dans une région du monde où les échanges culturels et artistiques peuvent constituer le vecteur du dialogue politique.

Elle a donc recommandé l'adoption du projet de loi.

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