Intervention de Pierre Assouline

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales — Réunion du 18 juillet 2007 : 1ère réunion
Secteur de l'édition — Audition de M. Pierre Assouline

Pierre Assouline, journaliste, blogueur :

a constaté que la crise de l'édition était un problème récurrent, qui avait toujours été considéré comme actuel depuis près d'un siècle. Il a observé, toutefois, que le débat actuel se nourrissait d'une forte dose d'incertitude, les éditeurs étant aujourd'hui confrontés à des interrogations auxquelles on ne peut apporter de réponse. Evoquant les changements radicaux que commençait d'entraîner l'internet, il a estimé qu'ils affectaient dans des proportions différentes le monde de la presse et celui de l'édition : la presse évolue déjà vers un nouveau modèle dans lequel les supports papier sont condamnés à ne plus exister que comme des produits de luxe, les journaux en ligne tendant à devenir le mode de diffusion ordinaire ; il convient d'en prendre acte et d'orienter dès maintenant les jeunes vers ces nouvelles formes de diffusion numérique ; le monde du livre reste, en revanche, davantage préservé, du fait à la fois, de l'attachement du lecteur français à l'objet-livre, et de l'attitude assez conservatrice d'un milieu français de l'édition, géographiquement concentré et fidèle à ses habitudes, pour ne pas dire à ses rituels.

Il a noté, cependant, que le segment des dictionnaires et des encyclopédies était en passe d'être absorbé par internet, du fait des avantages inhérents à ce nouveau support qui permet de remédier à la fois à l'encombrement, au coût, et à l'obsolescence qui pénalisaient inévitablement les supports papier. Il a jugé significatif que le « Quid », qui s'était vendu à près de 500.000 exemplaires par an pendant un bon quart de siècle, soit brutalement tombé à 200.000 exemplaires, il y a deux ans, annonçant un déclin inéluctable. Il a estimé que dans ce segment, les éditeurs devraient en outre trouver les réponses au défi de la gratuité, et, par exemple, proposer gratuitement des références en ligne tout en préservant un accès payant à des archives et des services supplémentaires, au prix d'un changement radical de leurs habitudes. Il a observé, en effet, qu'une encyclopédie en ligne comme « Wikipédia » avait radicalement modifié le contexte concurrentiel où s'inscrivent les encyclopédies, tout en soulignant les lacunes et les erreurs qui affectent ce type de base de données. Illustrant son propos par des exemples concrets, il a déploré que la notice consacrée à Philippe Pétain se limite à une succession de dates et de faits qui ne permettent pas de comprendre les controverses auxquelles a donné lieu ce personnage historique ; il a relevé également que la notice consacrée à Albert Londres le présente, à tort, comme un « journaliste juif » se faisant, en quelque sorte, l'écho de ses détracteurs antisémites des années 20 ; enfin, il a constaté que des erreurs pouvaient rester en ligne pendant plus de deux mois avant d'être corrigées.

Il a jugé, en revanche, qu'en littérature - qu'il s'agisse des romans ou des essais - le livre avait encore un bel avenir devant lui, tout en considérant que l'internet pourrait apporter une réponse au marasme où s'enfoncent, aujourd'hui, les sciences humaines : en effet, la publication de thèses savantes, commercialement invendables et condamnées au pilon, devant davantage relever d'une mise en ligne permettant au public restreint des chercheurs et étudiants de ne consulter que les parties susceptibles de les intéresser.

Abordant ensuite les conséquences de l'internet sur le secteur de la librairie, M. Pierre Assouline a constaté que les quatre grands sites de vente de livres en ligne avaient déjà obligé les libraires traditionnels à se mettre à la vente par internet pour toucher des clients au-delà de leurs zones de chalandise habituelle. Il a estimé que cette évolution devait également obliger les éditeurs à repenser leur politique éditoriale pour remédier à l'engorgement que provoque la publication régulière d'un trop grand nombre de titres, dont beaucoup ne méritent pas d'être publiés. Il a reconnu, cependant, que le métier d'éditeur reposait sur des paris et que les plus grands succès, même quand ils paraissent évidents après coup, sont en réalité imprévisibles, à l'image des « Bienveillantes », qui sont passées inaperçues pendant les deux premiers mois de leur publication, avant de se vendre à 700.000 exemplaires.

Il a estimé que, dans ce nouveau contexte, les « blogs », comme celui qu'il a lancé et qui ne traite que de littérature, avaient vocation à prendre le relais d'une émission télévisée comme « Apostrophe » qui est restée sans descendance, et à jouer un rôle de prescripteur, conférant une ampleur nouvelle à un phénomène vieux comme le monde : le bouche à oreilles. Il a estimé, qu'au contraire des critiques littéraires publiées dans un journal et qui s'adressent de ce fait à un public bien déterminé, les essais publiés sur un « blog » avaient vocation à toucher le monde entier et à susciter des réactions dans les villes d'Amérique latine ou du Canada et à intéresser des gens qui lisent, mais ne parlent pas le français, comme tel est le cas en Corée du Sud. Il a estimé que ces outils apportaient une contribution très précieuse à un combat dans lequel notre engagement n'est malheureusement pas à la hauteur de celui de nos partenaires francophones : le combat pour la langue française.

Un débat a suivi l'exposé de M. Pierre Assouline.

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