Intervention de Alain Houpert

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 12 octobre 2011 : 1ère réunion
Plan d'aménagement et de développement durable de corse — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Alain HoupertAlain Houpert, rapporteur :

Le projet de loi relatif au plan d'aménagement et de développement durable de Corse, dit PADDUC, a été adopté par le Conseil des ministres le 29 juin dernier, et le Sénat en est saisi en première lecture.

Ce texte répond à une situation de blocage politique et de vide juridique.

En effet, depuis le vote de la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse, la collectivité territoriale de Corse a compétence pour élaborer un PADDUC, document-cadre d'aménagement et de planification spatiale du territoire qui n'a pas d'équivalent dans les autres régions de France.

Toutefois, le Conseil exécutif de la Collectivité territoriale de Corse n'a pas réussi à trouver de majorité au sein de l'Assemblée de Corse pour approuver le projet de PADDUC qu'il avait élaboré au cours des cinq années suivant le vote de la loi. Il a dû le retirer de l'examen en séance, le 15 juin 2009.

Le présent projet propose des modifications de la procédure d'élaboration du PADDUC qui devraient rendre plus facile la recherche d'un consensus. Il intègre dans ce document-cadre les apports du Grenelle de l'environnement et en précise la portée juridique, ainsi que son articulation avec les documents locaux d'urbanisme.

J'ai souhaité entendre l'ensemble des parlementaires de Corse, les quatre députés et les deux sénateurs. Je les ai rencontrés, à l'exception de notre collègue François Vendasi, qui est souffrant, et de M. Sauveur Gandolfi, député de Haute-Corse, que j'ai eu au téléphone. J'ai également effectué un déplacement de trois jours dans l'île, au cours duquel j'ai rencontré des représentants de tous les groupes politiques de l'Assemblée de Corse, le président de celle-ci, des élus locaux, des représentants des services de l'État, des représentants des associations protectrices de l'environnement, le président du Conseil économique, social et culturel de Corse, ainsi que les présidents des chambres d'agriculture et des chambres de commerce et d'industrie.

Je retire de ces entretiens l'impression que ce projet de loi est très attendu en Corse.

Pour comprendre l'ampleur de ces attentes, il faut connaître le contexte du développement économique de la Corse, mais aussi avoir conscience des difficultés particulières de l'aménagement de cette île, d'une beauté magnifique.

L'économie de la Corse se caractérise par une croissance démographique marquée. Depuis les années 1970, l'île ne se dépeuple plus, mais gagne des habitants à un rythme plus rapide que l'ensemble de la France, soit 1,8 % par an, contre 0,7 % seulement, entre 1975 et 1999. La Corse comptant aujourd'hui 294 000 habitants, la prolongation théorique de la tendance actuelle aboutirait à une population de 400 000 habitants en 2030. Ce dynamisme démographique s'explique davantage par les apports extérieurs à l'île, en provenance de France continentale ou de l'étranger, que par la croissance naturelle. C'est un flux de 3 000 personnes qui vient grossir chaque année la population de la Corse, et qu'il faut loger.

Cette démographie explique en partie les bonnes performances de l'économie corse, qui a amorcé son rattrapage par rapport au continent.

Certes, des points faibles persistent. Les contraintes de l'insularité et du relief sont des données naturelles impossibles à effacer. L'appareil productif est insuffisamment compétitif. La Corse s'appuie plus que d'autres régions sur l'économie publique et les transferts sociaux. L'agriculture est en voie de marginalisation, avec une moyenne d'âge des agriculteurs de 58 ans et à peine une installation d'un jeune agriculteur pour cinq cessations d'activités.

La croissance est tirée par le tourisme et la construction. Les performances de l'économie insulaire sont, sur la période récente, supérieures à la moyenne nationale. Entre 1996 et 2006, le produit intérieur brut de la Corse a augmenté au rythme de 3 % par an, alors que celui de l'ensemble de la France métropolitaine ne progressait, sur la même période, qu'au rythme de 2,3 % par an. Jusqu'en 2008, le taux de chômage avait reculé en dessous du niveau national.

La croissance démographique et la bonne tenue de l'économie corse, ajoutées à la forte demande de résidences secondaires, expliquent que le marché immobilier de l'île a été en hausse constante au cours de la dernière décennie. La baisse de régime des années 2008 et 2009 a été effacée par une reprise vigoureuse dès 2010. En dépit de leur dynamisme, les prix immobiliers demeurent en Corse inférieurs à ceux des régions littorales du continent, ce qui explique que la demande ne faiblisse pas.

Cette « bulle » immobilière se traduit par une forte pression sur le marché foncier qui, en raison des conflits d'usage, concerne autant le secteur agricole que le secteur résidentiel. Elle provoque également des tensions sur le marché du logement. Les résidents de l'île trouvent de plus en plus difficilement à se loger, y compris en location, les investisseurs privilégiant le logement locatif saisonnier. Le poids des résidences secondaires représente en Corse 35 % du parc de logement, contre 10 % en moyenne nationale. Le taux de logements sociaux n'y est que de 10 % des résidences permanentes, contre 17 % en moyenne nationale.

La démographie dynamique, la forte croissance économique et les besoins de logement non satisfaits de l'île impliquent un réel besoin d'aménagement, lequel pose des difficultés particulières.

Tout d'abord, la Corse est une « montagne dans la mer » : près de 1 000 kilomètres de côtes, plus de 200 sommets de plus de 2 000 mètres d'altitude et une altitude moyenne de 568 mètres. C'est une contrainte naturelle pour l'aménagement : en dehors de la plaine orientale, les espaces plats sont rares, ce qui accentue les conflits d'usage entre l'agriculture et le développement urbain.

En deuxième lieu, l'urbanisation en Corse est peu dense. La moitié de la population est concentrée autour d'Ajaccio et de Bastia, le reste résidant dans de petites villes, de gros bourgs et des villages. Les espaces artificialisés ne représentent qu'un peu plus de 3 % du territoire corse, contre environ 9 % en France continentale. L'urbanisation prend souvent des formes extensives. Certaines communes ne comportent pas d'agglomération bien identifiée, mais un ensemble de hameaux éparpillés sur l'ensemble de leur territoire, ce qui rend très délicate l'application de la notion d'urbanisation en continuité avec les agglomérations existantes, qui vise à éviter le « mitage » du territoire.

En troisième lieu, les espaces forestiers et les milieux semi-naturels représentent environ 85 % du territoire de l'île, dont une partie considérable fait l'objet d'une protection. Un parc naturel correspond à la chaîne montagneuse centrale, les réserves naturelles marines sont au nombre de six et les sites classés ou inscrits très nombreux. Le Conservatoire du littoral a acquis 23 % du linéaire côtier de l'île, contre 11 % seulement au plan national.

Aussi un quart des communes corses sont-elles soumises à la loi Littoral, la plupart d'entre elles ressortissent à la loi Montagne, et près de 20 % du total des communes sont concernées à la fois par ces deux textes.

Enfin, la planification est pénalisée en Corse par les lacunes des documents locaux d'urbanisme. Ceux-ci sont rares : sur un total de 360 communes, 129 seulement, soit 35,8 % de l'ensemble, disposent d'un plan local d'urbanisme, d'un plan d'occupation des sols ou d'une carte communale. Il n'y a aucun schéma de cohérence territoriale (SCOT) en Corse.

Lorsqu'ils existent, ces documents souffrent d'une grande fragilité juridique. Une succession de décisions du tribunal administratif de Bastia a récemment annulé, sur le fondement de la loi Littoral, les plans d'occupation des sols de plusieurs communes, dont ceux de Sartène et Porto-Vecchio. Le juge administratif a relevé des extensions d'urbanisation qui n'étaient pas en continuité avec les agglomérations et villages existants, la difficulté étant de savoir si l'existant peut, ou non, être considéré comme urbanisé. La réponse n'est pas évidente. Suite à l'annulation de leur plan local d'urbanisme, les communes se retrouvent soumises au règlement national d'urbanisme, encore plus restrictif que la loi Littoral.

Ce projet de loi répond à l'échec du précédent PADDUC, retiré en séance le 15 juin 2009.

Cet échec est d'abord dû à des raisons de forme. Le Conseil exécutif avait confié la rédaction du projet à un bureau d'études, qui a produit un document tenant insuffisamment compte des opinions des élus de l'Assemblée de Corse et des acteurs du développement de l'île. Au terme de cinq années de gestation, ceux-ci ont eu le sentiment de se trouver devant un projet « clef en main », à prendre ou à laisser. Cette élaboration trop longue a débouché à la fin de la mandature de la Collectivité territoriale de Corse, dans un contexte préélectoral qui n'était plus favorable à la recherche du consensus.

Il y a des raisons de fond à cet échec. Selon ses détracteurs, le projet avait le tort d'orienter le développement de la Corse vers une économie « résidentielle » exclusivement axée sur le tourisme, et d'ouvrir trop largement le littoral et les terres agricoles à l'urbanisation. Ces critiques, selon moi largement polémiques, ont porté, car le projet a été dans l'ensemble mal reçu par l'opinion publique insulaire.

Il était donc nécessaire de revoir le cadre législatif d'élaboration du PADDUC avant de remettre celui-ci en chantier.

Conformément au statut, l'Assemblée de Corse a été consultée sur l'avant-projet de loi le 8 novembre 2010. Elle a adopté à l'unanimité, le 17 décembre 2010, une délibération qui demandait notamment l'adjonction au PADDUC d'une cartographie dont l'Assemblée de Corse pourra déterminer l'échelle, l'opposabilité du PADDUC aux tiers dans le cadre des procédures d'autorisation d'urbanisme, la possibilité pour l'Assemblée de Corse de préciser les modalités d'application de la procédure d'adoption du PADDUC et le raccourcissement de dix à six ans du délai prévu pour l'examen obligatoire de l'opportunité d'une révision du PADDUC après évaluation de ses effets.

L'ensemble de ces modifications a été pris en compte par le Gouvernement et intégré au projet de loi issu du Conseil d'État.

Je souligne l'importance politique du vote unanime de l'Assemblée de Corse sur l'avant-projet de loi, qui augure de la possibilité d'un consensus, ou au moins d'une majorité, pour l'adoption du prochain PADDUC.

Le projet de loi apporte trois améliorations.

Premièrement, il intègre les apports du Grenelle de l'environnement, en prévoyant que le PADDUC devra être compatible avec les plans de gestion des risques d'inondation (article 1er) et qu'il vaudra schéma régional de cohérence écologique (article 3).

Deuxièmement, il consolide la valeur juridique du PADDUC. L'article 1er précise l'insertion du PADDUC dans la hiérarchie des documents locaux d'urbanisme, qui seront compatibles avec lui. Par ailleurs, les orientations fixées par le PADDUC seront assorties d'une cartographie adaptée. L'article 1er prévoit une carte générale au 1/100 000e, qui pourra être précisée par des cartes à plus petite échelle pour certaines zones prévues aux articles 3 et 4. Enfin, le PADDUC sera opposable aux tiers dans le cadre des procédures de déclaration ou d'autorisation d'urbanisme, mais dans les seules zones « à caractère stratégique », et à condition qu'il n'existe pas de document d'urbanisme intermédiaire.

Troisièmement, l'article 5 améliore la procédure d'adoption et de modification du PADDUC, afin de faciliter la constitution d'une majorité pour l'approuver. Un débat d'orientation préalable au sein de l'Assemblée de Corse permettra au Conseil exécutif d'être éclairé sur ses attentes avant de commencer l'élaboration du projet de PADDUC. La liste des organismes associés à cette élaboration est complétée et les avis obligatoires sont enserrés dans des délais stricts. Une procédure nouvelle de modification est instaurée, plus légère que la procédure de révision. Enfin, le délai au terme duquel le Conseil exécutif doit procéder à une analyse globale des résultats de l'application du PADDUC, notamment du point de vue de l'environnement, est réduit de dix à six ans. Sur la base de cette analyse, l'Assemblée de Corse devra délibérer sur le maintien en vigueur du PADDUC, ou sur sa révision, complète ou partielle.

Ce projet de loi appelle trois observations.

Premièrement, ce texte comporte un risque d'inconstitutionnalité, qui me paraît maîtrisé. En effet, la compétence donnée à la Collectivité territoriale de Corse d'adopter des carte à plus petite échelle que la carte générale de destination du territoire de l'île au 1/100 000e, pourrait conduire à mettre les documents d'urbanisme de rang inférieur dans une relation de conformité, et non plus de compatibilité. Les principes constitutionnels s'opposent à ce que la Collectivité territoriale de Corse exerce une forme de tutelle sur les communes. Ce risque me paraît maîtrisé, dans la mesure où ces cartes à plus petite échelle ne porteront que sur certains secteurs du territoire de l'île, pour lesquels un degré supérieur de précision se justifie. La Collectivité territoriale de Corse devra néanmoins veiller, lorsqu'elle aura à déterminer l'échelle de ces cartes, à ne pas descendre dans un trop grand degré de détail.

Deuxièmement, ce projet est fondé sur la confiance qu'il accorde aux Corses, collectivement représentés par la Collectivité territoriale de Corse, pour prendre leur destin en mains. Dans la filiation des statuts de 1982, 1991, 2002, ce texte affirme la capacité des Corses a déterminer eux-mêmes une stratégie de développement durable pour leur île, à fixer les objectifs de son développement économique, social, culturel et touristique, tout en préservant son environnement exceptionnel. Ce texte fait confiance à la Collectivité territoriale de Corse pour élaborer le PADDUC sur un mode participatif et fédérateur, pour l'adopter à la majorité la plus large, puis pour en évaluer l'application et, si nécessaire, le modifier ou le réviser.

Troisièmement, lors de mon déplacement en Corse, j'ai été frappé par l'unanimité de mes interlocuteurs pour souhaiter une approbation rapide du PADDUC, donc de ce projet de loi. Il y a urgence. Idéalement, il faudrait que le Conseil exécutif puisse s'atteler à la tâche dès le début de l'année 2012, pour aboutir au plus tard à la mi-2013. Au-delà, la perspective des prochaines élections à la Collectivité territoriale de Corse, en mars 2014, réduira les chances de pouvoir dégager un consensus.

Pour ce texte qui suscite l'approbation de tous les acteurs concernés, je ne vous proposerai que des amendements rédactionnels ou apportant des améliorations de détail.

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