Intervention de Francis Grignon

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 12 octobre 2011 : 1ère réunion
Agence nationale des voies navigables — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Francis GrignonFrancis Grignon, rapporteur :

Dans mon département, certaines berges du canal Rhône - Rhin de gabarit « Freycinet » se sont effondrées et sont envahies par les ragondins. Et ce n'est pas un exemple isolé, loin de là !

Il faut savoir que, depuis le programme lancé en 1879 par le ministre des transports Charles de Freycinet et consistant à mettre en réseau 4 000 kilomètres de rivières et 3 000 kilomètres de canaux, nous n'avons pas, ou très peu, élargi notre réseau. Quelques voies à grand gabarit ont été aménagées, mais elles sont restées trop souvent enclavées et il n'y a pas eu d'effet de réseau. Depuis de nombreuses années, le Sénat demande -en vain- que le Rhin, la Moselle, le Rhône et la Seine soient reliés entre eux. Néanmoins, le projet de canal Seine - Nord - Europe est bien avancé, ce qui va dans le bon sens.

Le Grenelle de l'environnement a fait redécouvrir les avantages du transport fluvial. C'est vrai pour les industriels, même si les avancées restent ponctuelles. Chez moi, par exemple, Peugeot utilise le canal sur le Rhin vers Rotterdam pour ses expéditions à l'export. Le Grenelle nous a également fait porter une plus grande attention à l'importance des voies navigables pour les prélèvements d'eau par l'industrie et l'agriculture, la prévention des inondations, et plus généralement la qualité environnementale et la biodiversité. Enfin, le tourisme fluvial est également un enjeu important.

Nous n'avons donc pas, comme en Europe du Nord, une approche globale du fluvial, qui prendrait en compte les canaux, le réseau et les plateformes. Voyez les autoroutes fluviales qui relient Rotterdam à Duisbourg d'où 80 lignes de voies ferrées irriguent l'Europe tout entière. Au Havre, nous sommes encore très loin d'un tel raccordement du port maritime au fluvial, je sais que vous ne me démentirez pas, Monsieur Revet !

Lors de nos auditions, on nous a dit que l'entretien d'un kilomètre de canal, pour être de qualité, coûterait en moyenne 10 000 euros par an : cela ferait 60 millions pour entretenir la totalité des voies confiées à VNF ! Dans le rapport que le Gouvernement a remis au Parlement sur la rénovation des voies navigables, la simple remise en état du réseau magistral est estimée à 1,5 milliard ! Et ces dépenses, bien sûr, viennent s'ajouter aux grands projets en cours, en particulier le canal Seine - Nord-Europe.

J'en viens au projet de loi, dont l'objet presque unique est de regrouper dans un même ensemble les agents de droit public et les agents de droit privé qui travaillent à l'exploitation, à l'entretien et au développement des voies navigables. Ce texte a été négocié avec les organisations syndicales : pour les agents publics, un protocole d'accord a été signé le 1er juillet dernier par la CGT, la CFDT, l'UNSA. Seule FO a voté contre. Pour les salariés du privé, un accord cadre a été accepté par la CFDT, seule organisation représentative du personnel de VNF.

Que disent ces accords ? D'abord, que l'établissement public industriel et commercial (EPIC) VNF devient un établissement public administratif (EPA) dénommé « Agence nationale des Voies navigables » ; ensuite, que les voies navigables demeurent la propriété de l'État ; que les avantages individuels et collectifs des agents publics et des salariés du privé sont préservés ; que la relance de la voie d'eau concerne toutes les voies navigables, et pas seulement celles dédiées au fret ; enfin, qu'aucun agent ne se verra imposer une mobilité géographique.

L'État avait plusieurs options : il aurait pu créer un service d'État à compétence nationale, comme pour le service de retraite de l'État, la direction des services de la navigation aérienne, le mobilier national, les manufactures de Sèvres et des Gobelins. Le Gouvernement préfère un établissement public en raison de la nature de l'activité concernée. Ensuite, entre un EPA ou un EPIC, le Gouvernement a tranché en faveur de l'EPA, pour deux raisons principales : le personnel relève très majoritairement du droit public et les principales ressources de l'établissement proviennent de taxes et de subventions.

Le projet de loi prévoit que l'établissement public pourra, de manière pérenne, employer des agents de droit public aussi bien que des agents de droit privé ; cela me paraît nécessaire au développement de la voie fluviale dont les techniques évoluent.

Ce faisant, il garantit aux agents et aux salariés un transfert à droit constant : les fonctionnaires sont placés en position normale d'activité, les contractuels - de droit public comme de droit privé - conservent l'intégralité de leurs dispositions contractuelles individuelles et de leurs garanties collectives, en particulier, pour les salariés du privé, leur convention collective. Le texte prévoit également une forme de gestion prévisionnelle de l'emploi associant les personnels et il maintient, pendant trois ans, le régime d'organisation et d'aménagement du temps de travail des services transférés.

Le projet de loi organise les modalités de représentation des agents de droit public et des salariés de droit privé au conseil d'administration. Il regroupe également leurs instances représentatives, par l'institution, en particulier, d'un comité technique unique (CTU) après une période transitoire de deux ans. Je reviendrai particulièrement sur ce point dans la discussion des articles.

De plus, le texte élargit les missions de VNF et il sort du cadre classique de l'établissement public administratif. L'agence reçoit des missions plus larges que VNF, parce qu'il faut y intégrer les missions que les services de l'État exercent sans qu'elles figurent dans les missions actuelles de l'établissement, en particulier la gestion hydraulique. Je me réjouis également que l'agence reçoive la mission accessoire d'exploiter l'énergie hydraulique.

Le projet de loi sort aussi du cadre classique de l'EPA en prévoyant que, comme un EPIC, la nouvelle agence pourra créer des filiales et prendre des participations pour valoriser son domaine public et privé, mais aussi pour des opérations d'aménagement connexes ou complémentaires à ses missions. L'objectif est en effet de traiter des flux grâce à une logistique cohérente sur l'ensemble du réseau.

Le texte ne transfère pas la propriété du domaine à l'établissement public, mais seulement sa gestion. Il s'agissait d'une demande forte des représentants du personnel : il y a environ 2 500 maisons éclusières et les agents ne voulaient pas qu'elles sortent du domaine public de l'État.

Enfin, ce projet de loi organise la décentralisation optionnelle des voies d'eau depuis l'agence, et non plus depuis l'État.

Ce texte accompagne un programme d'investissements défini par VNF, de 840 millions entre 2010 et 2013, qui va en priorité à la modernisation du réseau à grand gabarit et qui vient en plus du canal Seine-Nord-Europe. L'établissement public a également défini un plan stratégique pour améliorer l'offre de service de nos voies navigables à grand gabarit et les insérer dans les grandes chaînes logistiques européennes. Ce plan passe par une hiérarchisation des réseaux, avec une priorité au fret grand gabarit ouvert 24 heures sur 24. Côté ressources humaines, ce plan prévoit un redéploiement des effectifs et des métiers : les effectifs sont souvent dispersés, l'établissement public veut les redistribuer en fonction de l'activité réelle et il entend spécialiser certains métiers, en particulier la maintenance.

Je vous présenterai une vingtaine d'amendements. Concernant les missions, je vous proposerai de sécuriser le fait que l'État a bien une compétence générale sur l'ensemble du réseau qui lui est confié, y compris les voies secondaires. Des amendements viseront également à donner un peu plus de contenu à la notion de gestion hydraulique et de mentionner la conservation du patrimoine. Je vous proposerai, enfin, d'affirmer plus clairement que l'établissement public peut créer des filiales ou participer à des sociétés privées, mais pour des activités utiles à ses missions.

Sur les modalités de représentation des agents de droit public et de droit privé, je souhaite tenir une ligne équilibrée entre le droit de chacune de ces deux catégories à continuer de s'exprimer collectivement comme elle le souhaite, et l'exigence constitutionnelle de participation des travailleurs à l'expression collective sur leurs conditions de travail, qui veut que les agents d'un établissement public participent tous à une même institution représentative. Ce principe de participation dans une instance unique me semble être dans l'intérêt de la communauté de travail de la voie navigable, dès lors qu'elle a durablement une composante publique et une composante privée. Cependant, il faut que chacune d'elles puisse continuer à s'exprimer dans les conditions qu'elles connaissent aujourd'hui, elles y sont très attachées, dans le public comme dans le privé. Je vous proposerai en conséquence de modifier le texte, pour parvenir à une architecture des institutions représentatives du personnel qui soit plus proche de celle des accords passés au début de l'été dernier.

Sur la décentralisation des voies d'eau, je vous suggérerai de tenir compte des expérimentations actuelles en Bourgogne, pour éviter tout empiètement de la loi sur les accords passés entre l'État et les collectivités territoriales.

Je vous inviterai, enfin, à modifier le nom de l'Agence nationale des voies navigables, de façon à maintenir le sigle « VNF » : sachant l'importance du nom des marques, des logos, il serait dommage de priver le nouvel établissement public de la notoriété acquise en vingt ans par VNF.

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