Intervention de Annie Guilberteau

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 14 mars 2006 : 1ère réunion
Familles monoparentales et familles recomposées — Audition dans le cadre d'une table ronde de M. Stéphane Clerget pédopsychiatre de Mme Françoise deKeuwer-défossez doyen de la faculté de droit de l'université de lille ii membre du haut conseil de la population et de la famille de Mme Annie Guilberteau directrice générale du centre national d'information sur les droits des femmes et des familles cnidff de M. Didier Le gall professeur de sociologie à l'université de caen et de Mme Jacqueline Phelip présidente de l'association « l'enfant d'abord »

Annie Guilberteau, directrice générale du Centre national d'information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF) :

a tout d'abord rappelé que les centres d'information sur les droits des femmes, nés en 1972, s'étaient fortement développés dans les années 1980 et, qu'aujourd'hui, le réseau rassemblait 115 associations et 980 points d'information implantés sur l'ensemble du territoire. Elle a précisé que ce réseau avait développé son activité dans le champ des services de l'accès des femmes au droit, de l'aide aux victimes de violences, du soutien à la parentalité et de l'accès à la formation professionnelle. En 2005, le réseau a accueilli 338 000 personnes et traité 661 000 demandes d'information, une attention particulière ayant été portée aux familles monoparentales qui représentent 23 % des personnes informées.

Centrant son intervention sur trois aspects, la paupérisation des mères isolées, les difficultés relationnelles consécutives à la séparation et la persistance des violences après la séparation, Mme Annie Guilberteau a tout d'abord insisté sur la solitude extrême des femmes en situation de monoparentalité qui s'adressent au réseau. Evoquant les témoignages recueillis sur le terrain, elle a indiqué que, selon les représentations dominantes, l'homme élevant seul ses enfants avait droit à la considération de son entourage, tandis que la femme, dans la même situation, souffrait d'une certaine stigmatisation. Elle a ajouté que les revenus des mères isolées étaient largement constitués de minima sociaux, cette tendance s'étant aggravée au cours des dix dernières années. Elle a rappelé que la rupture d'un couple engendrait la plupart du temps un appauvrissement de ses deux membres et estimé que ce phénomène était insuffisamment pris en compte au moment de la séparation.

Elle a fait observer que les femmes en situation de monoparentalité qui sollicitaient le réseau des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) disposaient toutes de revenus insuffisants et devaient repenser leur temps de travail : souvent désireuses de l'augmenter lorsqu'elles travaillaient auparavant à temps partiel, ces femmes sont souvent confrontées à des situations qui reflètent les inégalités persistantes entre hommes et femmes dans les structures professionnelles, leur volonté en effet d'investir ou réinvestir une vie professionnelle nécessaire à la sécurité financière de la famille étant confrontée au risque de laisser les enfants livrés à eux-mêmes.

a insisté sur le fait que des freins d'ordre psychologique sont à prendre en considération dans les démarches d'accompagnement vers l'emploi : la peur de laisser les enfants seuls et d'être tenue pour responsable face au père et à la société si un problème ou un accident arrivait, reste un obstacle majeur à la réinsertion professionnelle de nombreuses femmes qui ont intégré, pour des raisons culturelles et sur un mode identitaire, l'idée qu'un statut de « bonne mère » passait inévitablement par un investissement permanent auprès des enfants.

Elle a précisé que les CIDFF conduisaient de nombreuses actions pour favoriser l'exercice de la coparentalité et qu'un travail important était à faire pour faire prendre conscience que les compétences parentales ne relèvent pas de la différence biologique des sexes.

a également souligné que les séparations, notamment pour les jeunes couples, étaient souvent concomitantes au déroulement ou à la fin d'un congé parental et qu'il était difficile pour les femmes de reprendre une activité à l'issue de ce congé, en dépit de la législation en vigueur.

Puis elle a évoqué les difficultés des mères en termes d'accès aux modes de garde, en particulier pour les femmes occupant un emploi précaire ou travaillant dans des secteurs à horaires atypiques (grande distribution, hôtellerie, restauration, milieu hospitalier...). Elle a souligné le désarroi des femmes recherchant un emploi qui, confrontées à la complexité de la législation, sont parfois conduites à abandonner leur démarche de recherche d'emploi compte tenu du risque de perte des minima sociaux que peut provoquer une reprise d'emploi à temps très partiel. Elle a souhaité qu'il puisse être remédié à cette difficulté et a fait observer que l'allocation de parent isolé (API) n'était pas assortie d'une obligation d'insertion, et ne pouvait pas remplacer une autonomie économique propre. Ajoutant que le réseau des CIDFF encourageait les femmes à la reprise d'activité, elle a néanmoins souligné que l'accès aux crèches était impossible pour les femmes allocataires poursuivant, dans cet objectif, un cursus de formation.

a par ailleurs signalé qu'une grande partie des demandes reçues par les CIDFF étaient liées aux difficultés de recouvrement des pensions alimentaires non versées ou versées irrégulièrement. Précisant que ce problème était fréquemment évoqué, elle a reconnu que l'impossibilité de payer invoquée par le père pouvait parfois justifier une telle situation, mais souligné qu'il s'agissait en réalité souvent de la persistance d'une forme de domination ultime de l'époux sur son ex-femme par le biais du versement irrégulier de la pension. Relevant que, dans un grand nombre de cas, le montant de la pension alimentaire avait été fixé à un niveau inférieur à celui de l'allocation de soutien familial (ASF) qui s'élève à 80,90 € par enfant et par mois, elle a considéré que le montant de la pension alimentaire devrait être au moins égal à celui de l'ASF.

De manière plus générale, elle s'est dite convaincue que notre société vivait un « choc de cultures », dans lequel certains couples se séparaient dans un contexte égalitaire certes tendu, mais gérable, et que d'autres rompaient après avoir vécu dans une configuration traditionnelle. Elle a insisté sur le traumatisme que constitue la rupture pour certaines femmes non préparées à assumer une autonomie financière et une identité propre en dehors de leur vie familiale. Elle a estimé qu'une évolution de la famille vers une configuration plus égalitaire était de nature à limiter les traumatismes en cas de séparation.

a enfin souligné que le réseau des CIDFF était régulièrement confronté à des situations catastrophiques dans lesquelles des résidences alternées sont décidées lors de la rupture de couples, alors même que des faits de violences conjugales sont avérés et perdurent après la séparation. Elle a estimé que le choix de la résidence alternée n'était pas adapté lorsque les causes de la rupture sont relatives à des violences conjugales, insistant sur le fait qu'insulter, frapper, déconsidérer la mère de ses enfants remet fondamentalement en cause la compétence d'un auteur de violence à être un bon parent.

Elle a par ailleurs manifesté son désaccord à l'égard du discours sur le thème des accusations mensongères de violence qui ne seraient destinées qu'à exclure le conjoint de l'autorité parentale en cas de séparation. En effet, elle a fait observer qu'il était plus facile de révéler les violences ou les faits d'inceste à partir du moment où une certaine distance s'était instaurée entre les victimes et l'auteur de violences conjugales ou incestueuses. Insistant sur la nécessité de jeter un regard dépassionné sur ces questions, elle a témoigné du fait que bon nombre de femmes ayant conservé le silence sur des faits graves pendant une longue période sont en mesure de les révéler après la séparation, parce que la pression exercée par l'auteur des faits est moindre.

Après avoir remercié l'intervenante pour son propos, Mme Gisèle Gautier, présidente, a rappelé la récente adoption d'une proposition de loi sanctionnant les violences conjugales et a souligné l'afflux de courriers reçus sur cette question depuis le début du débat sur ce texte au Parlement.

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