En ce qui concerne le constat, je dirai d'abord que les transferts de personnels ont constitué un pari difficile, relevé avec succès par les collectivités territoriales. Il est indispensable, cependant, de rappeler que ces transferts ont constitué une véritable gageure pour les collectivités d'accueil.
D'abord, ces transferts ont été initiés dans un contexte particulièrement difficile et ont fait l'objet d'une préparation insuffisante. Ensuite, ils ont suivi un long processus mal conçu, complexe et parsemé d'obstacles.
Les transferts de personnels ont dû d'abord surmonter les inquiétudes des personnels visés. Ces transferts ont, en effet, éveillé de nombreuses craintes liées à un sentiment de « déclassement » face à une fonction publique jugée, à tort, comme moins protectrice que la fonction publique d'Etat, avec la peur d'une remise en question des droits acquis et d'une dégradation des conditions de travail (inquiétudes pour les TOS concernant une possible suppression des vacances scolaires, travail le samedi et le dimanche...).
Pour les autres, ce sont les préoccupations de carrière qui étaient présentes, par exemple, parmi certaines catégories de personnels très spécialisés des DDE (techniciens supérieurs, ingénieurs, dessinateurs..). Il en allait de même à propos du maintien de leurs régimes spécifiques d'indemnités ou de retraite.
Au-delà, il ne faut pas sous-estimer l'argument de défense du service public. Chez les TOS, la crainte d'une remise en cause de leur appartenance à la « communauté éducative » a été avancée et les transferts ont donné le sentiment à certains personnels que l'Etat se désengageait de l'Education nationale.
De leur côté, les collectivités d'accueil ont vite été préoccupées par le « flou » des conditions de mise en oeuvre des transferts.
Nous avons auditionné Mme Françoise Descamps-Crosnier, conseillère régionale d'Ile-de-France et représentante de l'Association des régions de France (ARF), qui a bien résumé les deux « péchés capitaux » de la réforme : le déficit de réflexion sur le partage des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales au niveau local et le défaut de méthodologie.
Beaucoup de facteurs de complexité étaient réunis : un champ de compétences très hétérogène, englobant l'éducation, le social, la voirie, la culture, l'aménagement du territoire ; un long processus réglementaire et conventionnel prévu sur plusieurs exercices et avec un droit d'option sur deux ans ; un volet financier faisant apparaître dès le départ une différence d'évaluation portant sur près d'un quart des dépenses (entre les calculs de l'Etat et les audits commandés par les associations d'élus).
Les instruments des transferts ont été longs à se mettre en place, ce qui démontre une insuffisante préparation de la réforme.
Ensuite, le processus a été parsemé d'obstacles. Chaque étape (état des lieux, accueil dans la collectivité, intégration dans la gestion interne) a été, en réalité, un défi à relever pour les collectivités.
Ayant suivi une « procédure biaisée », les états des lieux ont conduit à un partage forcément inéquitable. Des consignes ministérielles ont contribué à limiter le périmètre des transferts de personnels aux emplois d'exécution. Par exemple, en 2005, une instruction du ministère de l'Equipement, relative au dimensionnement des services à transférer, a exclu les postes situés au sommet de la chaîne hiérarchique, ce qui ne correspondait ni à la lettre ni à l'esprit de la loi. Pour les personnels TOS, le périmètre des transferts de personnels de gestion du rectorat s'est largement limité au service de la division des personnels administratifs, techniques et ouvriers de services sociaux et de santé, alors que d'autres services du rectorat, voire d'autres administrations de l'Etat (trésorerie générale par exemple) participaient à la gestion.
Par ailleurs, beaucoup d'emplois ont soulevé des problèmes de quotité de temps de travail. L'argument a souvent été opposé aux collectivités en ce qui concerne les cadres, car ils étaient le plus souvent responsables de missions variées, mais aussi pour les personnels d'entretien affectés, par exemple, à la viabilité hivernale.
En outre, les mécanismes de négociation locale n'ont pas toujours permis de défendre les intérêts des collectivités territoriales. Selon une étude transmise par l'Assemblée des départements de France (ADF), le préfet n'a pas toujours joué le rôle que la loi lui assigne et a laissé les administrations déconcentrées piloter les discussions sans tirer partie de la commission tripartite. Cette enquête confirme que la commission n'a été parfois pas ou peu réunie ou encore qu'elle n'a pas épuisé les sujets qui étaient de son ressort : transferts des biens, transferts locaux... Selon les témoignages recueillis, « tout cela est resté dans une forme de nébuleuse ».
D'où un partage inéquitable, déjà perceptible dans l'enquête réalisée pour le rapport de l'observatoire de 2006. Ce partage n'a pas toujours suivi une logique strictement fonctionnelle et les collectivités territoriales ont bien été obligées de recruter les personnels qui ne leur ont pas été attribués mais qui leur étaient nécessaires. Les caractéristiques des personnels des collectivités en ont été affectées. On constate une sous-représentation des catégories A dans les effectifs transférés, au profit de la catégorie C.
Après les états des lieux, l'étape délicate a été l'accueil des personnels ayant opté pour la fonction publique territoriale (FPT).
Ceci a impliqué toute une organisation matérielle et des mesures d'accompagnement largement sous-estimées. Si au niveau des DDE, cette passation semble s'être correctement déroulée grâce à une bonne coopération en général avec les services déconcentrés, la question a été plus épineuse pour les TOS en raison des relations avec les équipes des établissements scolaires. Le transfert des dossiers, par exemple, a souvent été épineux.
Cette phase a nécessité aussi une forte implication des élus dans la communication auprès des nouveaux personnels : réunions d'information, journées d'accueil... Très souvent, les présidents ou vice-présidents des assemblées locales se sont déplacés ou ont reçu les agents personnellement.
Autre étape particulièrement difficile : la gestion administrative des nouveaux arrivants. Le transfert d'importants flux de personnels a modifié de manière substantielle le fonctionnement des collectivités territoriales.
La majeure partie des transferts s'est opérée sur les exercices 2006 à 2008. On peut estimer que, sur ces années, environ 117 000 agents nouvellement recrutés dans la FPT sont issus des transferts. En s'appuyant sur la répartition des ETP entre régions et départements, on évalue le nombre d'agents arrivés dans le cadre des transferts de compétences à environ 67 000 dans les départements et à 50 000 dans les régions. Certaines collectivités ont dû multiplier par trois leurs effectifs de DRH (directions des ressources humaines) ces cinq dernières années. Ces recrutements ont dû porter sur des personnels plus spécialisés pour pouvoir gérer l'accompagnement social, les parcours professionnels et les problématiques nouvelles (handicap, hygiène et sécurité...). Il s'agit de responsables de service, de conseillers techniques en restauration, de diététiciens, d'assistantes sociales, de psychologues...
La modernisation des outils de gestion a été nécessaire : documents d'évaluation, statistiques (accidents du travail en particulier), modernisation des systèmes informatiques, modules relatifs à la paie, à la formation, à la médecine professionnelle, fiches informatives (prévention, sécurité...). Surtout, l'accueil de ce public a nécessité la prise en compte de problématiques nouvelles qui étaient jusque là marginales dans ces collectivités. On a découvert, par exemple, que les problèmes de santé touchent entre 20 et 30 % des personnels transférés, d'où des phénomènes importants d'absentéisme, d'usure professionnelle et des difficultés sociales.
Quoi qu'il en soit, le pari est en passe d'être gagné. Malgré ces conditions très difficiles, les transferts de personnels prévus par la loi du 13 août 2004 se sont globalement bien déroulés, selon l'avis de tous les experts auditionnés. La preuve tangible de cette réussite se trouve, nous semble-t-il, dans deux faits : le choix massif des agents en faveur de l'intégration dans la fonction publique territoriale et la démonstration d'un véritable « savoir-faire » de la part des collectivités territoriales.
Ces transferts ont été, en règle générale une opération bénéfique pour les personnels. L'exercice du droit d'option, massivement favorable à la fonction publique territoriale, témoigne des avantages procurés aux agents par leur changement de statut, tant au plan matériel que de leurs relations avec leurs nouveaux employeurs.
Si les proportions varient d'une collectivité à l'autre, elles s'établissent globalement selon un ratio de deux tiers d'agents optant pour l'intégration et d'un tiers pour le détachement.
Les raisons d'un tel succès sont d'abord à rechercher dans l'amélioration des conditions matérielles des personnels et de leurs relations professionnelles. L'augmentation des rémunérations résulte essentiellement de la revalorisation quasi générale des régimes indemnitaires, plus favorables que dans la fonction publique d'Etat. Par rapport à la rémunération globale de l'agent, cela représente une augmentation substantielle qui peut aller jusqu'à un cinquième de celle-ci.
Par ailleurs, les collectivités ont mené une politique sociale conforme au droit, là où l'Etat s'était montré très laxiste alors qu'il est soumis aux mêmes obligations définies par le tronc commun des garanties du statut général des fonctionnaires. En matière de médecine préventive, les collectivités ont en particulier mis en place des visites médicales annuelles obligatoires et systématiques. Quant à la formation, outre les formations obligatoires (formation à l'hygiène et la sécurité, habilitations diverses, formation aux gestes et postures...), les collectivités ont également proposé des formations de professionnalisation (restauration, accueil, entretien, équipes mobiles...), ouvertes à tous et dispensées en proximité. Enfin, les agents ont eu, souvent pour la première fois, accès à certaines prestations d'action sociale (chèques vacances, fonds d'intervention sociale ou secours exceptionnels...).
En outre, les agents ont désormais les avantages d'une gestion de proximité. L'environnement de travail de ces personnels a considérablement évolué : l'écoute, la disponibilité, la considération et la valorisation de leur activité à l'extérieur... Une nouveauté a beaucoup marqué, pour des raisons autant symboliques que financières : l'arbre de Noël et les voeux du président du conseil général (ou régional).
Ainsi, les collectivités territoriales ont démontré leur savoir-faire et le service public a été globalement amélioré. Un tel résultat n'aurait pas été possible sans la mobilisation exceptionnelle des collectivités d'accueil, qui ont su montrer leur réactivité et leur capacité d'adaptation. Les collectivités ont su trouver des solutions de gestion innovantes. Elles ont également procédé à une multiplication des états des lieux socioprofessionnels afin d'éclairer leurs décisions. Des audits sur les moyens et le personnel ont produit des grilles d'évaluation et des barèmes sur la base de ratios (nombre d'élèves par bâtiment, surface par agent d'entretien, nombre de repas par jour, etc.). De nouvelles relations se sont également établies avec les organisations syndicales.
On constate la généralisation d'instruments de gestion prospectifs : projets pluriannuels, chartes de mobilité, etc. Ces actions ont donné des résultats immédiats et mesurables. La prise en compte concrète des difficultés individuelles a notamment conduit les collectivités à conduire, avec succès, une véritable politique de « déprécarisation » des personnels.
Les collectivités territoriales ont relevé le défi de la qualité du service public. Elles ont suppléé l'insuffisance des moyens consacrés précédemment par l'Etat et les ont remis à niveau pour remplir de façon satisfaisante le service public : elles ont ainsi créé, par exemple, des postes de TOS supplémentaires pour accroître le ratio de remplacement de ces agents dans les établissements scolaires. Comme l'a rappelé l'ARF, cette politique a fait baisser le délai de carence de 23 jours à moins de 15 jours... Même constat avec la remise à niveau des moyens humains de l'entretien et de l'exploitation des routes nationales du réseau, que la Cour des comptes avait jugés être « arrivés à un état critique ».