La délégation procède à l'examen du rapport de MM. Eric Doligé et Claude Jeannerot, co-rapporteurs, sur le bilan des transferts de personnels vers les collectivités territoriales.
Le rapport qui va nous être exposé s'inscrit dans le cadre des réflexions de la délégation sénatoriale sur le thème général des relations entre l'Etat et les collectivités territoriales, qui a déjà donné lieu à des rapports sur les compensations des charges transférées et sur l'ingénierie publique. Il précède le rapport que présenteront prochainement Mme Jacqueline Gourault et M. Didier Guillaume sur le dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales.
Avec mon collègue Claude Jeannerot, nous vous exposerons les grandes lignes de notre rapport sur les transferts de personnels inscrits dans la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, en complément des transferts de compétences. Ces transferts de personnels sont en passe de se terminer et un recensement précis pourra être établi lorsque seront achevées les vagues de droit d'option et que seront élaborés l'ensemble des arrêtés interministériels de compensation. Selon les ministères concernés, il resterait moins de 5 000 emplois en équivalent temps plein (ETP) encore concernés.
Il convient de rappeler que l'Observatoire de la décentralisation, qui a précédé la délégation, s'était saisi dès 2006 de la question centrale du transfert des personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS) et de celui des personnels des directions départementales de l'équipement (DDE). Il avait alors fait état des préoccupations, notamment financières, des collectivités. Fin 2010, un nouveau bilan des mouvements effectifs des personnels s'impose. Un bilan parlementaire, j'entends, car, du côté ministériel, l'heure est aujourd'hui aux satisfécits sur ce qui est présenté comme un « pari réussi ».
Par ailleurs, Claude Jeannerot et moi-même avons tenté d'établir un bilan avant tout qualitatif de ces mouvements. En procédant à des auditions, nous avons mis au jour une réalité moins idyllique et, pour tout dire, beaucoup plus préoccupante pour l'avenir que le discours ambiant pourrait le faire penser.
En ce qui concerne le constat, je dirai d'abord que les transferts de personnels ont constitué un pari difficile, relevé avec succès par les collectivités territoriales. Il est indispensable, cependant, de rappeler que ces transferts ont constitué une véritable gageure pour les collectivités d'accueil.
D'abord, ces transferts ont été initiés dans un contexte particulièrement difficile et ont fait l'objet d'une préparation insuffisante. Ensuite, ils ont suivi un long processus mal conçu, complexe et parsemé d'obstacles.
Les transferts de personnels ont dû d'abord surmonter les inquiétudes des personnels visés. Ces transferts ont, en effet, éveillé de nombreuses craintes liées à un sentiment de « déclassement » face à une fonction publique jugée, à tort, comme moins protectrice que la fonction publique d'Etat, avec la peur d'une remise en question des droits acquis et d'une dégradation des conditions de travail (inquiétudes pour les TOS concernant une possible suppression des vacances scolaires, travail le samedi et le dimanche...).
Pour les autres, ce sont les préoccupations de carrière qui étaient présentes, par exemple, parmi certaines catégories de personnels très spécialisés des DDE (techniciens supérieurs, ingénieurs, dessinateurs..). Il en allait de même à propos du maintien de leurs régimes spécifiques d'indemnités ou de retraite.
Au-delà, il ne faut pas sous-estimer l'argument de défense du service public. Chez les TOS, la crainte d'une remise en cause de leur appartenance à la « communauté éducative » a été avancée et les transferts ont donné le sentiment à certains personnels que l'Etat se désengageait de l'Education nationale.
De leur côté, les collectivités d'accueil ont vite été préoccupées par le « flou » des conditions de mise en oeuvre des transferts.
Nous avons auditionné Mme Françoise Descamps-Crosnier, conseillère régionale d'Ile-de-France et représentante de l'Association des régions de France (ARF), qui a bien résumé les deux « péchés capitaux » de la réforme : le déficit de réflexion sur le partage des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales au niveau local et le défaut de méthodologie.
Beaucoup de facteurs de complexité étaient réunis : un champ de compétences très hétérogène, englobant l'éducation, le social, la voirie, la culture, l'aménagement du territoire ; un long processus réglementaire et conventionnel prévu sur plusieurs exercices et avec un droit d'option sur deux ans ; un volet financier faisant apparaître dès le départ une différence d'évaluation portant sur près d'un quart des dépenses (entre les calculs de l'Etat et les audits commandés par les associations d'élus).
Les instruments des transferts ont été longs à se mettre en place, ce qui démontre une insuffisante préparation de la réforme.
Ensuite, le processus a été parsemé d'obstacles. Chaque étape (état des lieux, accueil dans la collectivité, intégration dans la gestion interne) a été, en réalité, un défi à relever pour les collectivités.
Ayant suivi une « procédure biaisée », les états des lieux ont conduit à un partage forcément inéquitable. Des consignes ministérielles ont contribué à limiter le périmètre des transferts de personnels aux emplois d'exécution. Par exemple, en 2005, une instruction du ministère de l'Equipement, relative au dimensionnement des services à transférer, a exclu les postes situés au sommet de la chaîne hiérarchique, ce qui ne correspondait ni à la lettre ni à l'esprit de la loi. Pour les personnels TOS, le périmètre des transferts de personnels de gestion du rectorat s'est largement limité au service de la division des personnels administratifs, techniques et ouvriers de services sociaux et de santé, alors que d'autres services du rectorat, voire d'autres administrations de l'Etat (trésorerie générale par exemple) participaient à la gestion.
Par ailleurs, beaucoup d'emplois ont soulevé des problèmes de quotité de temps de travail. L'argument a souvent été opposé aux collectivités en ce qui concerne les cadres, car ils étaient le plus souvent responsables de missions variées, mais aussi pour les personnels d'entretien affectés, par exemple, à la viabilité hivernale.
En outre, les mécanismes de négociation locale n'ont pas toujours permis de défendre les intérêts des collectivités territoriales. Selon une étude transmise par l'Assemblée des départements de France (ADF), le préfet n'a pas toujours joué le rôle que la loi lui assigne et a laissé les administrations déconcentrées piloter les discussions sans tirer partie de la commission tripartite. Cette enquête confirme que la commission n'a été parfois pas ou peu réunie ou encore qu'elle n'a pas épuisé les sujets qui étaient de son ressort : transferts des biens, transferts locaux... Selon les témoignages recueillis, « tout cela est resté dans une forme de nébuleuse ».
D'où un partage inéquitable, déjà perceptible dans l'enquête réalisée pour le rapport de l'observatoire de 2006. Ce partage n'a pas toujours suivi une logique strictement fonctionnelle et les collectivités territoriales ont bien été obligées de recruter les personnels qui ne leur ont pas été attribués mais qui leur étaient nécessaires. Les caractéristiques des personnels des collectivités en ont été affectées. On constate une sous-représentation des catégories A dans les effectifs transférés, au profit de la catégorie C.
Après les états des lieux, l'étape délicate a été l'accueil des personnels ayant opté pour la fonction publique territoriale (FPT).
Ceci a impliqué toute une organisation matérielle et des mesures d'accompagnement largement sous-estimées. Si au niveau des DDE, cette passation semble s'être correctement déroulée grâce à une bonne coopération en général avec les services déconcentrés, la question a été plus épineuse pour les TOS en raison des relations avec les équipes des établissements scolaires. Le transfert des dossiers, par exemple, a souvent été épineux.
Cette phase a nécessité aussi une forte implication des élus dans la communication auprès des nouveaux personnels : réunions d'information, journées d'accueil... Très souvent, les présidents ou vice-présidents des assemblées locales se sont déplacés ou ont reçu les agents personnellement.
Autre étape particulièrement difficile : la gestion administrative des nouveaux arrivants. Le transfert d'importants flux de personnels a modifié de manière substantielle le fonctionnement des collectivités territoriales.
La majeure partie des transferts s'est opérée sur les exercices 2006 à 2008. On peut estimer que, sur ces années, environ 117 000 agents nouvellement recrutés dans la FPT sont issus des transferts. En s'appuyant sur la répartition des ETP entre régions et départements, on évalue le nombre d'agents arrivés dans le cadre des transferts de compétences à environ 67 000 dans les départements et à 50 000 dans les régions. Certaines collectivités ont dû multiplier par trois leurs effectifs de DRH (directions des ressources humaines) ces cinq dernières années. Ces recrutements ont dû porter sur des personnels plus spécialisés pour pouvoir gérer l'accompagnement social, les parcours professionnels et les problématiques nouvelles (handicap, hygiène et sécurité...). Il s'agit de responsables de service, de conseillers techniques en restauration, de diététiciens, d'assistantes sociales, de psychologues...
La modernisation des outils de gestion a été nécessaire : documents d'évaluation, statistiques (accidents du travail en particulier), modernisation des systèmes informatiques, modules relatifs à la paie, à la formation, à la médecine professionnelle, fiches informatives (prévention, sécurité...). Surtout, l'accueil de ce public a nécessité la prise en compte de problématiques nouvelles qui étaient jusque là marginales dans ces collectivités. On a découvert, par exemple, que les problèmes de santé touchent entre 20 et 30 % des personnels transférés, d'où des phénomènes importants d'absentéisme, d'usure professionnelle et des difficultés sociales.
Quoi qu'il en soit, le pari est en passe d'être gagné. Malgré ces conditions très difficiles, les transferts de personnels prévus par la loi du 13 août 2004 se sont globalement bien déroulés, selon l'avis de tous les experts auditionnés. La preuve tangible de cette réussite se trouve, nous semble-t-il, dans deux faits : le choix massif des agents en faveur de l'intégration dans la fonction publique territoriale et la démonstration d'un véritable « savoir-faire » de la part des collectivités territoriales.
Ces transferts ont été, en règle générale une opération bénéfique pour les personnels. L'exercice du droit d'option, massivement favorable à la fonction publique territoriale, témoigne des avantages procurés aux agents par leur changement de statut, tant au plan matériel que de leurs relations avec leurs nouveaux employeurs.
Si les proportions varient d'une collectivité à l'autre, elles s'établissent globalement selon un ratio de deux tiers d'agents optant pour l'intégration et d'un tiers pour le détachement.
Les raisons d'un tel succès sont d'abord à rechercher dans l'amélioration des conditions matérielles des personnels et de leurs relations professionnelles. L'augmentation des rémunérations résulte essentiellement de la revalorisation quasi générale des régimes indemnitaires, plus favorables que dans la fonction publique d'Etat. Par rapport à la rémunération globale de l'agent, cela représente une augmentation substantielle qui peut aller jusqu'à un cinquième de celle-ci.
Par ailleurs, les collectivités ont mené une politique sociale conforme au droit, là où l'Etat s'était montré très laxiste alors qu'il est soumis aux mêmes obligations définies par le tronc commun des garanties du statut général des fonctionnaires. En matière de médecine préventive, les collectivités ont en particulier mis en place des visites médicales annuelles obligatoires et systématiques. Quant à la formation, outre les formations obligatoires (formation à l'hygiène et la sécurité, habilitations diverses, formation aux gestes et postures...), les collectivités ont également proposé des formations de professionnalisation (restauration, accueil, entretien, équipes mobiles...), ouvertes à tous et dispensées en proximité. Enfin, les agents ont eu, souvent pour la première fois, accès à certaines prestations d'action sociale (chèques vacances, fonds d'intervention sociale ou secours exceptionnels...).
En outre, les agents ont désormais les avantages d'une gestion de proximité. L'environnement de travail de ces personnels a considérablement évolué : l'écoute, la disponibilité, la considération et la valorisation de leur activité à l'extérieur... Une nouveauté a beaucoup marqué, pour des raisons autant symboliques que financières : l'arbre de Noël et les voeux du président du conseil général (ou régional).
Ainsi, les collectivités territoriales ont démontré leur savoir-faire et le service public a été globalement amélioré. Un tel résultat n'aurait pas été possible sans la mobilisation exceptionnelle des collectivités d'accueil, qui ont su montrer leur réactivité et leur capacité d'adaptation. Les collectivités ont su trouver des solutions de gestion innovantes. Elles ont également procédé à une multiplication des états des lieux socioprofessionnels afin d'éclairer leurs décisions. Des audits sur les moyens et le personnel ont produit des grilles d'évaluation et des barèmes sur la base de ratios (nombre d'élèves par bâtiment, surface par agent d'entretien, nombre de repas par jour, etc.). De nouvelles relations se sont également établies avec les organisations syndicales.
On constate la généralisation d'instruments de gestion prospectifs : projets pluriannuels, chartes de mobilité, etc. Ces actions ont donné des résultats immédiats et mesurables. La prise en compte concrète des difficultés individuelles a notamment conduit les collectivités à conduire, avec succès, une véritable politique de « déprécarisation » des personnels.
Les collectivités territoriales ont relevé le défi de la qualité du service public. Elles ont suppléé l'insuffisance des moyens consacrés précédemment par l'Etat et les ont remis à niveau pour remplir de façon satisfaisante le service public : elles ont ainsi créé, par exemple, des postes de TOS supplémentaires pour accroître le ratio de remplacement de ces agents dans les établissements scolaires. Comme l'a rappelé l'ARF, cette politique a fait baisser le délai de carence de 23 jours à moins de 15 jours... Même constat avec la remise à niveau des moyens humains de l'entretien et de l'exploitation des routes nationales du réseau, que la Cour des comptes avait jugés être « arrivés à un état critique ».
Au-delà de ce bilan positif, nous estimons que les véritables enjeux de ces transferts sont encore à venir. Le « pari réussi » reste à installer dans la durée. La mise en oeuvre de ces transferts de personnels a révélé les véritables enjeux pour les collectivités qui sont :
- structurels, avec un impact, non seulement sur les services de ressources humaines, mais aussi sur l'ensemble des administrations locales ;
- financiers, car le constat initial d'un écart entre les dépenses et les recettes transférées est allé en s'accentuant, alors que les transferts induisaient leur propre dynamique d'augmentation.
Le premier enjeu est de réussir sur le long terme la gestion structurelle des personnels. Si les personnels découvrent maintenant certains inconvénients à leur nouvelle situation statutaire, les collectivités se trouvent confrontées, pour leur part, à des défis de gestion d'une ampleur inédite.
Il faut désormais assurer aussi une gestion dynamique des carrières des personnels. Lorsqu'ils sont interrogés sur les critiques à apporter à leurs transferts, les agents intégrés à la fonction publique territoriale évoquent principalement la mobilité et le déroulement de carrière.
Le statut de la FPT, et les cadres d'emploi spécifiques en particulier, créent des contraintes. Si l'avancement de carrière est plus rapide dans la FPT, le plafond est, en conséquence, vite atteint. Les agents progressent plus vite dans leur cadre d'emploi mais la promotion reste bloquée. Certaines collectivités ont entamé une réflexion sur l'ouverture vers la catégorie B, mais leurs marges de manoeuvre sont restreintes par leurs capacités financières.
Par ailleurs, la mobilité entre établissements est rendue plus difficile. Auparavant, les mutations étant académiques, les agents pouvaient facilement passer d'un lycée à un collège. Aujourd'hui, les mutations, au sein d'un même bassin d'emploi, entre un lycée géré par la région et un collège géré par le département, sont moins faciles et systématiques. En outre, la mobilité ne s'effectue plus selon les mêmes règles.
Ensuite, au fil du temps, les collectivités territoriales sont confrontées à de nouvelles attentes, voire exigences, de la part de ces personnels longtemps délaissés. L'égalité complète de traitement conduit, par exemple, à une demande d'alignement complet des systèmes de primes. La pression existe, par exemple, sur l'indemnité d'administration et de technicité (IAT). Les personnels sont devenus très demandeurs de formations diverses : préparation aux concours, management d'équipe, informatique, hygiène et sécurité... Les collectivités rencontrent aussi d'importantes difficultés à trouver des postes qui correspondent au profil des agents à reclasser.
De nouveaux défis de gestion pour les collectivités territoriales se profilent. Les transferts entraînent une transformation en profondeur des administrations locales. Ils ont des conséquences sur toutes les directions supports (direction des moyens et du patrimoine, direction des finances et des affaires juridiques). Cet impact va de pair avec l'augmentation des effectifs à gérer, des sites sur lesquels exercent les agents de la collectivité, des flux de mandats à traiter... Ils induisent des problématiques nouvelles en matière d'assurance, de marchés publics, de contentieux, etc. Ils entraînent aussi des réflexions organisationnelles prospectives « chronophages ».
Les changements sont tels qu'on parle parfois d'un changement de nature des collectivités. Ainsi, pour la région, on serait passé d'une administration de mission à une administration de gestion. Le défi est de réussir à construire une culture collective, le sentiment d'appartenance à la même collectivité, d'autant plus difficile à réaliser que la politique d'avancement et d'encadrement est en rodage et qu'il reste des problèmes statutaires (agents de maîtrise et adjoints techniques des établissements d'enseignement).
Les collectivités s'y emploient alors que le « choc culturel » est encore sensible. En témoignent les réactions aux règles de mobilité dans la FPT. Comme le relève le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), « la nécessité pour les agents de défendre leur candidature devant un jury est associée à une démarche commerciale, jugée à l'opposé des valeurs du service public ».
Au-delà, des questions essentielles n'ont pas été réglées. La double autorité, une autorité fonctionnelle et une autorité hiérarchique au sein des établissements, apparaît comme une impasse, source de complications quotidiennes : alourdissement des circuits, sources de conflits... C'est pourquoi nous estimons nécessaire d'étudier aujourd'hui la possibilité d'un transfert des gestionnaires (collèges) et des intendants (lycées), ainsi que de leurs collaborateurs, sous l'autorité unique de l'exécutif local.
Un autre aspect contesté, à juste titre, de ces transferts est la création de doublons administratifs alors qu'on aurait pu en attendre des gains de productivité. Le rapport de la Cour des comptes de 2009, sur « La conduite par l'Etat de la décentralisation », est très clair sur ce point. L'Etat a maintenu ses interventions territoriales dans des domaines transférés. Dans certains cas, ces doublons sont liés au fait que les transferts n'ont pas été assez loin : il faut citer celui des personnels des centres d'information et d'orientation (CIO), dont le rôle consiste notamment à favoriser l'accueil des jeunes, et qui auraient pu aussi relever des régions, compétentes en matière de formation professionnelle.
Nous estimons donc que le reproche fait aux collectivités territoriales concernant la progression des effectifs de la fonction publique territoriale est « un mauvais procès ». On ne peut établir une corrélation complète entre les transferts de compétences et la progression des effectifs de chaque niveau de collectivité puisque, actuellement, les recrutements qui augmentent sont ceux du bloc communal. Par ailleurs, comme l'a reconnu M. André Barbé, conseiller maître à la Cour des comptes, il existe une « zone grise » de transferts indirects liés à la nécessité d'une remise à niveau des services transférés et, à défaut de référentiel commun, le débat est à proprement parler sans fin.
Il y a un deuxième enjeu majeur : dégager les moyens financiers nécessaires pour éviter que ces transferts ne se transforment en véritables « bombes à retardement ». Le rapport de l'observatoire en 2006 faisait état d'un bilan financier « incertain ». Désormais, les collectivités territoriales en sont sûres : les transferts de personnels représentent un coût très élevé. L'expérience est venue confirmer, souvent en pire, les craintes initiales étayant le constat d'un processus coûteux pour les finances publiques et absolument pas maîtrisé pour l'avenir.
Le bilan financier a été largement sous-évalué. Officiellement, pour les TOS, on parvient à un montant de compensation globale de 2,66 Mds €, dont 1,397 Md € pour les régions et 1,263 Md € pour les départements. Pour les ex-DDE, ce montant s'élève à 961,651 M €. Le total, avec les autres transferts, avoisine donc 3,6 Mds €.
Mais, entre les dépenses mal compensées, celles qui n'ont pas été compensées du tout et les dépenses induites par les transferts, le décompte complet n'a pas été fait, selon l'aveu même du président de la Commission consultative d'évaluation des charges (CCEC).
Le dispositif de compensation financière a été insatisfaisant, malgré la garantie constitutionnelle de l'article 72-2 de la Constitution et les travaux - pourtant excellents - de la CCEC. Certains sujets ont fait l'objet de désaccords durables et d'arbitrages défavorables aux collectivités. Il faut citer notamment le cas des postes vacants ou disparus, du treizième mois ou encore celui des contrats aidés. Ces exemples sont illustratifs des retards, des calculs « au rabais » (par exemple, avec le choix d'une compensation en « pied de corps » et non en moyenne du corps) et des contraintes juridiques qui ont empêché une compensation intégrale des transferts.
Surtout, la méthode au sein de la CCEC s'est révélée trop unilatérale. Toutes ces informations étant détenues par les administrations d'Etat, les collectivités territoriales ont eu beaucoup de mal à argumenter leurs désaccords et faire valoir leur point de vue. Or, toutes les collectivités constatent des écarts de plusieurs millions d'euros qui se cumulent chaque année.
On constate également que les transferts de personnels sont structurellement inflationnistes.
Les exigences du service public de proximité sont différentes. La nécessité d'une mise à niveau des services avec la constatation de nombreuses disparités (notamment dans les ratios personnels/élèves) a un impact immédiat. Grâce aux bilans dressés « spontanément » par les collectivités, on sait notamment que les dépenses de suppléance, de formation, d'action sociale, de recrutement de personnels supports, d'assurances, pour les TOS progressent et qu'elles sont peu ou pas couvertes.
Les bilans varient bien entendu selon les collectivités. Pour le Tarn par exemple, le déficit entre les dépenses et les recettes de compensation pour les transferts de personnels en 2010 dépasse 3 millions € (chiffre donné par M. Thierry Carcenac, président de ce département et de la CCEC).
Le cas du forfait d'externat est significatif. Les élus ont constaté un coût, à effectif constant, de 40 à 60 % supérieur au montant de la compensation.
Au total, les perspectives sont alarmantes pour deux raisons au moins : la poursuite de mouvements de transferts sans cohérence d'ensemble et les déficits croissants.
Il ne nous était pas possible de traiter la question des transferts de personnels sans aborder deux dossiers d'actualité, les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et les parcs d'équipement, qui sont de véritables « bombes à retardement » pour les collectivités territoriales.
Ces deux opérations mériteraient chacune une étude à part. Le rapport se limite à quelques observations générales concernant des transferts, engagés postérieurement à la loi de 2004, sans rationalité ni méthodologie, et qui se révèlent, au final, particulièrement dispendieux.
A cela s'ajoutent les effets d'autres transferts liés à divers phénomènes en cours : l'impact de la restructuration des services de l'Etat, « l'incontinence réglementaire » de l'Etat qui se poursuit, voire s'accroît, l'ensemble des décisions de l'Etat qui entraînent une augmentation des charges pesant sur les collectivités territoriales...
On constate donc un effet de ciseaux de plus en plus marqué : depuis 2004, on assiste à une évolution des dépenses de fonctionnement plus rapide que celle des recettes de cette même section. Compte tenu des contraintes exogènes qui pèsent sur la plupart des dépenses de fonctionnement (ainsi que de leur rigidité) et du peu d'élasticité des recettes de fonctionnement, l'équilibre budgétaire est partout menacé.
En conclusion, le bilan des transferts de personnels fait apparaître :
- un long processus de mise en oeuvre complexe et parsemé d'obstacles, depuis l'état des lieux initial jusqu'à l'intégration dans la fonction publique territoriale ;
- au-delà de leurs effets organisationnels immédiats, un impact structurel considérable sur les collectivités territoriales d'accueil nécessitant une adaptation du cadre et des modes de gestion aux caractéristiques des nouveaux agents et aux exigences spécifiques d'un service public de proximité ;
- des perspectives financières alarmantes liées au passif accumulé du fait de l'insuffisance du dispositif de compensation prévu et aux multiples effets indirects résultant des transferts opérés, le tout intervenant dans un contexte général de restrictions budgétaires.
Notre sentiment est qu'une réflexion d'ensemble et en profondeur sur cette politique de transferts est aujourd'hui nécessaire et la question du partage des responsabilités doit être un préalable à toute nouvelle décision relative aux transferts de personnels. C'est pour contribuer à cette réflexion que nous vous soumettons quatorze propositions.
Nos recommandations poursuivent un double objectif : corriger les dysfonctionnements constatés dans le dispositif des transferts intervenus depuis la loi du 13 août 2004 ; tenter de définir une méthodologie dans l'éventualité de nouveaux transferts de personnels.
Pour les transferts de personnels déjà réalisés, il convient d'ajuster le cadre et les modes de gestion de ces personnels, d'où quatre propositions :
1. Remettre en question les cadres d'emplois spécifiques : la logique de la décentralisation, désormais, va vers une suppression de ces cadres par une intégration dans les cadres existants de la fonction publique territoriale.
2. Supprimer les situations de double hiérarchie : la solution est de choisir entre l'une ou l'autre autorité. Pour les TOS, il s'agirait de transférer les gestionnaires des agents concernés (TOS), à savoir les gestionnaires (collèges) et les intendants (lycées) et leurs collaborateurs, sous l'autorité unique de l'exécutif local.
3. Élargir les possibilités de mobilité des personnels, notamment en développant les bourses d'emploi au niveau régional.
4. Permettre des adaptations réglementaires, car une procédure uniforme apparaît inadéquate au regard des réalités des territoires. Cette question devrait pouvoir être examinée par la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) et autorisée par voie législative.
Par ailleurs, il conviendrait de revoir en profondeur le volet financier des transferts opérés, d'où quatre autres propositions que nous vous soumettons :
5. Établir un bilan complet et sincère des dépenses non compensées car, de l'avis unanime, le coût des transferts n'a été que très partiellement compensé, la référence étant les dépenses de l'Etat au jour du transfert, sans tenir compte du coût réel de prise en charge pour les collectivités. En outre, l'écart se creuse au fil du temps, avec un véritable « effet de ciseaux » entre les recettes transférées et l'ensemble des dépenses induites par ces transferts.
6. Diversifier les instruments d'évaluation : il faudrait que les collectivités puissent, sur la base de leurs propres évaluations, enquêtes, analyses et bilans, obtenir une appréciation plus sincère et équitable de leurs charges réelles, avec les spécificités locales constatées, le cas échéant, et non sur la base d'une moyenne nationale abstraite.
7. Elargir le rôle de la CCEC aux nouveaux transferts intervenus depuis le 1er janvier 2005 : ses compétences ont été délimitées par la loi du 13 août 2004 et il conviendrait désormais de les élargir à la compensation des charges nouvelles : compensations de certaines formations sanitaires pour les régions (ambulanciers, infirmiers, etc.), réformes affectant les diplômes sociaux (DEEJE, DEETS, DEASS), réforme de la protection juridique des majeurs.
8. Lancer une évaluation prospective des effets induits à moyen et long terme : ce débat devrait être engagé avec les associations d'élus, par exemple au niveau de la Conférence nationale des exécutifs. Une telle évaluation serait nécessaire, en particulier pour les régimes de retraites concernés (CNRACL) sur la base des caractéristiques démographiques des personnels.
Pour les futurs transferts, nous vous proposons, premièrement, de définir une méthodologie de mise en oeuvre des transferts de personnels, avec trois recommandations :
9. Organiser une réflexion préalable sur le partage des compétences au niveau local entre l'Etat et les collectivités.
10. Prévoir un calendrier resserré.
11. Réaliser des états des lieux des emplois à transférer plus sincères.
Deuxièmement, il conviendrait de prévoir un dispositif véritablement contradictoire et ajustable de compensation financière avec trois dernières propositions :
12. Tenir compte du « passif » dans les conditions énoncées précédemment.
13. Prévoir une évaluation financière préalable des nouvelles mesures. A cet égard, les propositions présentées par M. Alain Lambert, ancien président de la délégation, et déposées le 12 octobre dernier, s'inscrivaient dans cette démarche. Devenues caduques à la suite de la démission du Sénat de leur auteur, elles mériteraient, nous semble-t-il, d'être reprises.
14. Établir des référentiels pour pouvoir intégrer les objectifs de service public.
Telles sont les propositions que nous vous soumettons.
Il existe effectivement des plaintes des personnels concernant leur possible mobilité, qui serait moindre suite aux transferts. Elles sont cependant à relativiser, car les personnels disposent d'avantages sur d'autres plans. En revanche, je souhaiterais connaître le coût de ces mesures pour les collectivités.
Nous devons améliorer les modalités de mobilité entre collectivités ; en effet, la souplesse qui prévalait avant les transferts des personnels - par exemple pour le passage d'un collège vers un lycée - n'existe plus. En ce qui concerne le coût, aucun bilan chiffré précis n'est disponible. Pour disposer de telles données, nous pourrions interroger quelques départements et régions ; il n'est pas douteux que le coût total, toutes collectivités confondues, se monte au minimum à plusieurs centaines de millions d'euros.
Nous savons que le coût des transferts est très conséquent. Il serait effectivement possible de mettre en place une méthode de calcul visant à évaluer ces coûts dans quelques départements ou régions avant de les extrapoler pour avoir des chiffres nationaux et des moyennes.
Effectivement, nous pourrions élaborer un questionnaire en ce sens, à l'intention de quelques collectivités territoriales tests.
Malgré le coût supporté par les collectivités, on s'accorde globalement sur un bilan positif en termes de satisfaction des personnels. Néanmoins, il existe des différences de traitement importantes entre départements ou entre régions comparables. Existe-t-il un bilan de ces distorsions et, si oui, peut-on dire qu'elles sont liées à des paramètres sociaux ou culturels ?
L'Etat présentait effectivement un schéma de gestion unique, ce qui n'est pas le cas des collectivités territoriales, qui sont autonomes les unes des autres. L'absence d'uniformité de leurs politiques salariales rend les comparaisons plus difficiles.
Cependant, elles procèdent à des alignements de rémunérations entre les personnels transférés et les agents territoriaux, afin de rendre acceptables des situations qualifiées d'indignes pour certains personnels. Ces mesures sont coûteuses mais relèvent d'un meilleur mode de gestion, favorisé par la proximité entre les agents et leurs élus.
Précisons qu'il s'est souvent agi, notamment pour les statuts les plus précaires, de hausses de salaire de l'ordre de 20 %...
Ces mesures sont certes coûteuses, mais elles ont un impact largement positif en termes de satisfaction des personnels et d'amélioration du fonctionnement des services publics.
Je souhaiterais avoir la position de la délégation sur la suppression du principe de la double hiérarchie, à savoir celle de l'Etat et des collectivités territoriales, qui existe sur les personnels transférés.
C'est une proposition qui répondrait à une demande des agents et des élus locaux.
Les maires parviennent à s'accommoder d'une double hiérarchie, par exemple avec les ATSEM. La suppression de la double hiérarchie serait sans doute plus pratique, mais aussi source de conflits.
Je souhaiterais revenir sur les coûts engendrés par les transferts de personnels et sur les méthodologies envisageables pour leur compensation. Plusieurs types de surcoûts doivent être distingués : les coûts cachés, que vous avez évoqués et qui devraient être compensés ; les coûts induits, liés à des points (par exemple des différences de statuts) dont on avait connaissance en amont ou à des mesures que les collectivités ont elles-mêmes prises (je pense en particulier à la manière dont elles ont mis en oeuvre les « 35 heures » qui a parfois été généreuse) et qu'il est difficile de reprocher à l'Etat ; les coûts, enfin, liés à des changements de périmètre, dont les coûts sont difficiles à évaluer et qui devraient être discutés en amont, par exemple au sein de la Conférence des exécutifs, lorsqu'est envisagé un tel changement.
Pour revenir à la double hiérarchie, je rappelle que, dans l'Education nationale, on est confronté à des situations disparates avec, par exemple, des interlocuteurs différents - et autant de processus de gestion - dans le primaire et dans le secondaire. Une cohérence de fonctionnement doit être recherchée.
Je vous ai trouvé un peu sévères sur le rôle de l'Etat dans la question des transferts de personnels. C'est vrai : des personnels ont fait l'objet de traitements quelquefois inacceptables de la part de l'Etat.
J'ai eu connaissance de cas d'agents qui n'avaient pas bénéficié d'une visite médicale d'embauche !
Néanmoins, sur le terrain, je n'ai pas vu beaucoup de personnels inquiets. Les choix pour la FPT, à la lecture des chiffres que vous avez cités, prouvent que les choses ne se sont pas trop mal passées et que, malgré votre description sur la très mauvaise préparation, cela aurait pu être pire.
Nous estimons que le transfert des personnels s'est plutôt bien passé mais nous soulignons deux éléments négatifs. Tout d'abord, le manque de préparation de la réforme, sans doute voulu par les administrations concernées, qui n'a pas permis de chiffrer le coût global de l'opération. Ensuite, l'aggravation de la situation financière des collectivités territoriales, et notamment des départements, même si cette situation n'est pas directement imputable aux transferts de personnels mais plutôt au coût des politiques d'action sociale.
Nos interlocuteurs doivent accepter ce constat : ces transferts ont été insuffisamment compensés. Si l'Etat nous a effectivement transféré les sommes consacrées à la rémunération et à la gestion des personnels concernés, nous dépensons aujourd'hui des sommes supérieures en raison de dépenses non comptabilisées au moment du transfert, liées à la gestion des ressources humaines, à des contraintes matérielles ou des règles législatives différentes, par exemple en matière de cotisations sociales pour l'assurance vieillesse.
Nous avons dressé un état des lieux juste et équilibré. Cette réforme se caractérise par son impréparation mais également par une crainte manifeste des personnels. Cette crainte a une dimension idéologique, selon laquelle seule la fonction publique d'Etat est noble, le transfert vers la fonction publique territoriale étant alors vécu comme un déclassement. Le fait que l'Etat ait conservé en son sein les fonctionnaires de catégorie A est significatif de cet état d'esprit.
Le rapport de nos collègues sera donc publié, et je vous informe que la prochaine réunion de la délégation aura lieu le mardi 23 novembre 2010 à 19 heures.