A titre liminaire, M. André Lardeux, rapporteur, a dressé un rapide panorama de la situation des enfants en danger en France et des politiques qui concourent à leur prise en charge. Selon l'observatoire de l'action sociale décentralisée (Odas), les départements ont reçu, en 2004, environ 95.000 nouveaux signalements d'enfants en danger, dont 19.000 correspondant à des situations d'« enfants maltraités » et 76.000 à des situations d'« enfants en risque ». Cette même année 2004, on recensait, selon l'observatoire national de l'enfance en danger (Oned), près de 140.000 enfants bénéficiant d'une mesure de protection de l'enfance.
Il a rappelé que la politique de protection de l'enfance relève des départements depuis les lois de décentralisation et qu'ils y ont consacré plus de 5 milliards d'euros en 2005.
Malgré ce bilan très satisfaisant de l'action départementale, la protection de l'enfance continue d'impliquer l'intervention du juge : plus de 80 % des enfants protégés relèvent du régime de l'assistance éducative, ce qui pose des problèmes de stigmatisation des familles, entretient la méfiance de celles-ci vis-à-vis de l'aide sociale à l'enfance et empêche d'instaurer un climat favorable à la prévention. Ce recours massif au juge témoigne de la délimitation confuse des domaines d'intervention respectifs des départements et de l'autorité judiciaire.
Puis M. André Lardeux, rapporteur, a souligné la démarche de concertation entreprise par le Gouvernement pour l'élaboration du texte : débats avec les professionnels de terrain, journées thématiques au niveau national, rapports préparatoires confiés à des parlementaires et tenue, les 10 et 11 avril dernier, des premières assises nationales de la protection de l'enfance à Angers. Il en est ressorti un consensus, portant tant sur la nécessité de la réforme que sur les grands axes à retenir.
Trois constats ont été établis à cette occasion :
- d'abord sur le caractère encore perfectible des procédures de signalement : le grand public ignore souvent quel est l'interlocuteur à même de recevoir ses interrogations sur la situation d'un enfant et les professionnels ont besoin de pouvoir recouper leurs informations avec d'autres pour se forger une conviction. Il en résulte un besoin criant d'amélioration du recueil, du traitement et de l'évaluation des informations.
Certes, la loi du 10 juillet 1989 sur l'enfance maltraitée a prévu la centralisation, par le département, des signalements d'enfants en danger mais ce dispositif reste, en pratique, très lacunaire car 20 % des signalements qui parviennent au juge sont effectués par des personnes étrangères au dispositif départemental de coordination des signalements et les conseils généraux n'en sont pas correctement informés.
Enfin, l'application de la règle du secret professionnel constitue un frein au signalement, car les professionnels appréhendent souvent assez mal ce que permet ou défend la législation en termes de partage de ces informations confidentielles ;
- ensuite, sur la rigidité excessive des modes de prise en charge de l'enfant : les termes de l'alternative actuelle entre intervention à domicile et accueil de l'enfant à temps complet hors de son lieu de vie habituel ne permettent plus de répondre à la diversité des situations. S'agissant plus particulièrement de la protection judiciaire, elle apparaît même comme un carcan, puisque toute évolution, même ponctuelle, de la prise en charge, suppose de repasser devant le juge ;
- enfin, sur la grande pauvreté du dispositif de prévention précoce dans le domaine de la protection de l'enfance : la prévention assurée par l'aide sociale à l'enfance (ASE) relève déjà du traitement des difficultés familiales et les véritables agents de prévention, comme les réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents (REAAP), mis en place conjointement par l'Etat et par les caisses d'allocations familiales, se situent en réalité en dehors du champ strict de la protection de l'enfance.
La protection maternelle infantile (PMI) aurait dû être l'outil par excellence de la prévention : son action se situe en amont de toute difficulté familiale et elle bénéficie, à travers la prévention sanitaire, d'un moyen légitime d'entrer en contact avec les familles. Mais ses atouts ne sont malheureusement pas mis à profit, notamment par manque de moyens humains.
Abordant ensuite la réforme proprement dite, M. André Lardeux, rapporteur, a indiqué qu'elle s'organise précisément autour de ces trois volets, en confirmant le rôle de chef de file du département en matière de protection de l'enfance.
Pour améliorer le signalement, le projet de loi crée, sous la responsabilité de chaque département, une cellule opérationnelle chargée de centraliser les informations préoccupantes transmises par les professionnels. Cette cellule aura un triple rôle : assurer la visibilité du dispositif départemental de signalement et constituer ainsi un point de repère pour le grand public ; simplifier le travail de recoupement des signaux de maltraitance nécessaire pour mieux repérer les enfants en danger ; permettre une première analyse de la situation, afin d'orienter l'enfant vers la prise en charge la plus adaptée.
Son efficacité supposant qu'aucun signalement ne puisse lui échapper, le projet de loi prévoit que les professionnels qui saisissent directement la justice devront en informer la cellule et que le juge pourra désormais indiquer au département les saisines qui lui parviennent en dehors du circuit départemental de signalement.
Le partage des informations au sein de la cellule ne sera possible que si les difficultés liées au secret professionnel sont levées. Le projet de loi est parvenu à trouver un juste équilibre en la matière : les informations à caractère confidentiel pourront être partagées entre professionnels liés par le même devoir de discrétion, dans la limite de ce qui est strictement nécessaire pour assurer la protection de l'enfant.
Enfin, le projet de loi clarifie les critères d'orientation vers la protection administrative ou judiciaire, en posant le principe d'une intervention subsidiaire du juge. Celui-ci ne sera plus saisi que dans deux cas : lorsque la protection administrative est insuffisante et lorsque cette dernière se révèle impossible à mettre en oeuvre par refus de collaboration de la famille.
Dans le domaine de la diversification des modes de prise en charge, M. André Lardeux, rapporteur, a expliqué que le projet de loi s'attache en réalité à donner une base légale aux solutions innovantes déjà expérimentées par certains départements. Trois nouveaux types d'accueil sont ici envisagés : l'accueil de jour, l'accueil exceptionnel ou périodique et l'accueil d'urgence, cette dernière formule étant plus spécifiquement destinée aux jeunes fugueurs, pour lesquels une mise à l'abri provisoire est prévue pour tenter de dénouer la crise. Particulièrement souple, cette formule n'exige pas d'admission formelle à l'ASE : elle pourra donc s'organiser sur la base d'une simple information des parents, sous réserve du contrôle du juge.
Parmi les nouveaux modes de prise en charge prévus par le projet de loi, il a également salué la création d'une mesure administrative d'accompagnement en économie sociale et familiale destinée à la prise en charge précoce des familles, en amont d'une éventuelle mesure de tutelle aux prestations familiales. Sa mise en place risque toutefois de soulever des difficultés pratiques pour les départements, les professionnels capables d'assurer ce type de prestation étant pour l'instant faiblement représentés parmi les effectifs des conseils généraux.
Il a souligné le double souci du projet de loi d'assurer la continuité de la prise en charge pour l'enfant et d'associer, autant que possible, ses parents à la définition des mesures et à leur mise en oeuvre. En témoignent l'obligation pour l'ASE d'élaborer avec les parents un document de prise en charge pour chaque enfant confié et la désignation d'un référent de l'enfant pour en assurer le suivi.
Le texte organise aussi les conditions du maintien du lien avec la famille : selon les cas, le juge pourra désormais suspendre intégralement le droit de visite, le conditionner à la présence d'un tiers ou, au contraire, en assouplir les modalités d'exercice, laissant les parents et le service accueillant l'enfant en définir les aspects pratiques.
Enfin, pour ce qui concerne la prévention précoce, M. André Lardeux, rapporteur, a expliqué que l'objectif du projet de loi est de multiplier les occasions de contact entre les familles et les professionnels, en amont de toute difficulté, pour anticiper les problèmes et accompagner les parents. Il s'appuie sur la PMI qui voit ses missions étendues de la prévention sanitaire à une forme de prévention sociale, grâce notamment à l'organisation d'un entretien obligatoire pour les femmes enceintes au cours du quatrième mois de grossesse et à la possibilité qui lui est ouverte d'entrer en contact avec les parents dès la maternité, afin de leur proposer un suivi à domicile pendant les suites de couches.
Approuvant les orientations générales du projet de loi, le rapporteur a ensuite présenté les amendements destinés à en parfaire certains aspects.
S'agissant du dispositif de signalement, il lui a semblé nécessaire d'assurer l'exhaustivité de l'information transmise aux départements, grâce à un retour systématique du juge sur les cas de saisine directe et sur leurs suites. De même, les maires, qui signalent des familles en difficulté, mais ne parviennent jamais à savoir si une solution leur a été proposée, doivent aussi bénéficier de ce retour d'information.
En ce qui concerne les caractéristiques de la formation prévue par le texte en matière de protection de l'enfance, il convient de mettre en place des modules de formation communs aux différentes professions, pour faire progresser une culture partagée de la prévention et des bonnes pratiques de signalement.
S'agissant des modes de prise en charge, il a approuvé le dispositif de mise à l'abri prévu par le projet de loi pour les jeunes fugueurs mais les procédures à appliquer lorsque la fugue révèle des difficultés plus profondes et que le retour de l'enfant dans sa famille est impossible doivent être précisées ; de même, il conviendrait de préciser que le dispositif autorisant l'hébergement exceptionnel par les services d'action éducative en milieu ouvert (AEMO) ne concerne que les enfants pour qui le juge a préalablement prévu cette possibilité et doit pouvoir être contesté par les parents.
Il a enfin plaidé pour un approfondissement de la politique de prévention, grâce à l'intervention accrue de la PMI et de la médecine scolaire.
Abordant, pour conclure, les aspects financiers du projet de loi, M. André Lardeux, rapporteur, a indiqué que le Gouvernement avait évalué le coût de la réforme à 150 millions d'euros, dont 115 millions d'euros à financer par les conseils généraux, notamment au titre du recrutement du personnel social et médical. Le contexte financier difficile que connaissent les départements, avec l'explosion des dépenses de RMI et la montée en charge rapide de la nouvelle prestation de compensation du handicap, justifie que leur soit accordée la compensation de ces charges nouvelles.