Intervention de Josselin de Rohan

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 13 juillet 2011 : 1ère réunion
Réunion des présidents des commissions de la défense des parlements de l'union européenne — Communication

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, président :

Du 3 au 5 juillet dernier, j'ai effectué un déplacement à Varsovie afin de participer à la réunion des présidents des commissions de la défense des Parlements de l'Union européenne, organisée par la Diète et le Sénat polonais, dans le cadre de la présidence polonaise de l'Union européenne, qui a débuté le 1er juillet.

La dernière réunion de ce type s'était tenue en novembre 2009 à Stockholm, sous présidence suédoise de l'Union européenne. En effet, aucun des trois pays qui ont exercé la présidence semestrielle de l'Union européenne depuis cette date, c'est-à-dire la Belgique, l'Espagne et la Hongrie, n'avait jugé utile d'organiser une telle réunion.

Cela illustre toute l'importance accordée par la Pologne au renforcement de la politique de sécurité et de défense commune, qui figure parmi les priorités de la présidence polonaise de l'Union européenne.

Je tiens, à cet égard, à féliciter et à remercier les présidents des commissions de la défense de la Diète, M. Stanislaw Wziatek, et du Sénat, M. Maciej Klima, pour la qualité de leur accueil et la très bonne organisation de cette réunion.

Lors de cette conférence, la plupart des parlements de l'Union européenne étaient représentés, à l'exception notable de l'Allemagne. L'Assemblée nationale était représentée par le Président, M. Guy Teissier, tandis que le Parlement européen était représenté par notre compatriote M. Arnaud Danjean, qui préside la sous-commission « défense et sécurité ».

Au cours de cette réunion, nous avons entendu des interventions du Président de la République de Pologne, M. Bronislaw Komorowski, du Maréchal de la Diète, M. Grzegorz Schetyna, du ministre polonais de la Défense, M. Bogdan Klich, du Secrétaire général adjoint du service européen pour l'action extérieure, M. Maciej Popowski, de la vice-Présidente de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, Mme Jadwiga Zakrzewska, du conseiller diplomatique du Président polonais, M. Roman Kuzniar, de l'ancien ministre polonais des affaires étrangères, M. Adam Rotfeld, et du Président de la commission de la défense du Conseil de la Fédération de Russie, M. Viktor Ozerov.

Au cours de notre visite, nous avons également eu un entretien très intéressant avec notre ambassadeur en Pologne, M. François Barry Delongchamps, qui nous a « décrypté » la politique étrangère polonaise.

Trois principaux thèmes ont été évoqués au cours de la conférence :

- les priorités de la présidence polonaise concernant la politique de sécurité et de défense commune ;

- la politique étrangère de l'Union européenne, en particulier à la lumière de la Libye ;

- les relations entre l'Union européenne et la Fédération de Russie.

Je vous présenterai donc mes réflexions sur ces trois points.

Le premier thème de la réunion a porté sur les priorités de la présidence polonaise concernant la politique de sécurité et de défense commune.

Alors que la Pologne figurait, il y a encore quelques années, parmi les Etats membres de l'Union européenne les plus réticents à l'égard de l'Europe de la défense et comme un soutien inconditionnel de l'OTAN et des Etats-Unis sur le continent européen (comme l'ont illustré le soutien de la Pologne à l'intervention en Irak ou encore l'achat de chasseurs F16 américains), la Pologne a fait du renforcement de l'Europe de la défense l'une des priorités de sa présidence de l'Union européenne.

Ainsi, nous avons retrouvé, dans les plaidoyers, aux accents « gaulliens », du Président de la République de Pologne, M. Bronislaw Komorowski, et du ministre polonais de la défense, M. Bogdan Klich, en faveur du renforcement de l'Europe de la défense, des idées que la France plaide sans relâche depuis plus de vingt ans, sans recevoir un grand écho jusqu'à présent au sein de l'Union européenne.

Quelles sont les raisons qui expliquent cette conversion tardive de la Pologne à l'Europe de la défense ?

La première raison tient à l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement libéral dirigé par le Premier ministre M. Donald Tusk et à l'élection d'un Président de la République, M. Bronislaw Komorowski, « pro-européens », après la politique nationaliste et atlantiste des jumeaux Kaczynski.

Une autre explication tient au succès économique de la Pologne, depuis son adhésion à l'Union européenne le 1er mai 2004.

Ainsi, la Pologne a été le seul pays européen à avoir été épargné par la crise économique en 2009 et est aujourd'hui le premier bénéficiaire des fonds structurels, ce qui explique que l'opinion publique polonaise est très « europhile ».

Mais ce revirement s'explique principalement par la profonde déception de la Pologne à l'égard des Etats-Unis.

Ainsi, la Pologne a été « humiliée » par la décision prise par le Président Barack Obama de renoncer à l'installation d'intercepteurs du système américain de défense anti-missiles sur son territoire, dans le cadre de sa politique de rapprochement avec la Russie (le « reset »), même si l'installation en Pologne d'intercepteurs SM3, dans le cadre du système de défense anti-missiles de l'OTAN, est prévue à l'horizon 2018.

D'autant plus que cette décision a été annoncée par les Etats-Unis le 17 septembre 2009, soit le jour de l'anniversaire de l'invasion de la Pologne par l'Union soviétique, en application du Pacte Ribbentrop-Molotov.

Alors que la Pologne s'était fortement engagée aux côtés des Etats-Unis, en Irak ou en Afghanistan, elle estime n'avoir pas été « payée » en retour et en a tiré une profonde amertume, d'autant plus que les américains ont maintenu l'obligation de visas pour les Polonais souhaitant se rendre aux Etats-Unis. Surtout, cette décision a été perçue par la Pologne comme le début d'un retrait des Etats-Unis, dont le signe précurseur avait été l'absence totale de réaction américaine et de l'OTAN lors de la guerre russo-géorgienne de l'été 2008, sentiment qui a été conforté par le récent discours de Robert Gates, appelant les Européens à prendre leurs responsabilités pour assurer leur sécurité.

Dans ce contexte, la Pologne a opéré un « revirement stratégique » et soutient désormais fortement le renforcement de l'Europe de la défense, dont elle a fait l'une des priorités de sa présidence de l'Union européenne.

Cependant, alors que ce ralliement de la Pologne à l'Europe de la défense aurait dû conduire à nous rapprocher, il nous conduit paradoxalement à nous éloigner.

Ainsi, la presse française s'est fait l'écho des supposées « réserves » manifestées par plusieurs pays, dont la France, à l'égard des propositions de la Pologne concernant le renforcement de l'Europe de la défense.

Pour simplifier, c'est un peu comme si on se retrouvait dans la situation inverse, avec la Pologne qui se montre très allante sur l'Europe de la défense et la France qui se montre plus réticente.

Comment expliquer ce paradoxe ?

Comme nous avons pu le constater lors de nos entretiens, la réintégration pleine et entière de la France dans les structures de l'OTAN et surtout les récents accords franco-britanniques en matière de défense ont été perçus par beaucoup de pays européens, dont la Pologne, comme le signe d'un « renoncement » par la France à l'ambition d'une défense européenne autonome, ce qui n'est évidemment pas le cas.

Une autre explication tient au fait que la présidence polonaise développe une approche très « institutionnelle » de l'Europe de la défense, alors que la France privilégie une approche pragmatique et concrète.

Ainsi, la Pologne souhaitait, dans le cadre de sa présidence, donner corps à la notion de « coopération structurée permanente ». Je rappelle que la « coopération structurée permanente » est un concept introduit par le traité de Lisbonne, qui permet à un groupe d'Etats membres qui le souhaitent et qui remplissent certains critères dans le domaine des capacités militaires d'aller plus loin en matière de défense.

La « coopération structurée permanente » est donc une forme particulière de « coopération renforcée », qui permettrait par exemple à un groupe d'Etats de renforcer leur coopération en matière d'armements, d'interopérabilité de leurs forces armées ou encore de lancer des programmes communs d'équipements.

Il s'agit toutefois d'un mécanisme assez rigide, puisqu'il suppose une adoption par le Conseil et une convention entre les Etats.

Surtout, une telle initiative supposerait la mise en commun de capacités militaires, ce qui paraît très difficile dans un contexte de réduction des budgets de la défense en Europe, en raison de la crise économique. La plupart des Etats membres, dont le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne, ont émis des réserves et la Pologne a du renoncer à cette idée.

Si nous partageons l'objectif d'une relance de l'Europe de la défense, il nous paraît qu'une approche plus pragmatique et concrète serait plus efficace.

C'est la raison pour laquelle la France, l'Allemagne et la Pologne ont fait, dans le cadre du « Triangle de Weimar », des propositions concrètes pour relancer l'Europe de la défense, qui figurent dans une lettre adressée par les ministres des affaires étrangères et de la défense des trois pays à la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Catherine Ashton.

Ces propositions, qui témoignent d'une approche pragmatique et concrète, s'articulent autour de quatre priorités :

- le renforcement des capacités permanentes de planification et de conduite des opérations au niveau européen ;

- la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN ;

- l'utilisation des groupements tactiques ;

- la mutualisation des capacités (« pooling and sharing »).

Toutefois, si ces quatre thèmes ont été repris par la présidence polonaise, les premières consultations menées auprès des représentants des Etats membres n'ont guère été encourageantes, comme cela nous a été confirmé.

La création d'un véritable centre permanent de planification et de conduite des opérations (sorte de « quartier général européen ») de l'Union européenne se heurte toujours au veto du Royaume-Uni, qui y voit une duplication de l'OTAN.

La coopération entre l'Union européenne et l'OTAN est durablement bloquée en raison du conflit chypriote et de l'intransigeance de la Turquie, qui refuse toujours d'appliquer les dispositions du protocole d'Ankara et d'ouvrir ses ports aux navires en provenance de Chypre, malgré les inconvénients de cette situation sur les théâtres d'opérations, comme en Afghanistan.

Alors qu'il existe, depuis déjà plusieurs années, une vingtaine de « groupements tactiques », ils n'ont jusqu'à présent encore jamais été utilisés en opérations.

Dans un contexte de réduction sensible des budgets de la défense chez la quasi-totalité de nos partenaires, il paraît très difficile d'envisager de nouvelles coopérations industrielles en matière d'armement.

L'Agence européenne de défense, dont Chypre bloque l'accès à la Turquie par représailles, a vu son budget « gelé » pour 2012, à la demande des britanniques, son budget ne représentant pourtant que 30 millions d'euros.

La plupart des Etats membres, et en particulier l'Allemagne, sont réticents à l'idée de lancer de nouvelles opérations de l'Union européenne, en large partie pour des raisons budgétaires et en raison d'une certaine « lassitude » de l'opinion publique, notamment par rapport à l'Afghanistan. Le sentiment général est qu'il n'existe pas aujourd'hui parmi les vingt-sept Etats membres de réelle volonté d'avancer sur l'Europe de la défense.

C'est la raison pour laquelle j'ai plaidé pour que ce sujet soit évoqué lors d'un Conseil européen, car il me semble que, dans le contexte actuel, seule une forte volonté politique au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement permettrait réellement de relancer la politique de sécurité et de défense commune.

En effet, Mme Catherine Ashton elle-même ne semble pas manifester un grand intérêt pour les questions de défense. Ainsi, la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a annoncé qu'elle ne participera pas à la prochaine réunion des ministres de la défense, car elle préfère se rendre à New York pour participer à une conférence sur le racisme.

En réalité, à la veille de la présidence polonaise, la crise libyenne a porté un coup sévère à l'Europe de la défense, puisque l'Union européenne est restée spectatrice d'une crise majeure intervenue à sa porte, exactement comme il y a une dizaine d'années dans les Balkans.

Le deuxième sujet de la conférence a porté sur la politique étrangère de l'Union européenne.

Lors de la crise libyenne, l'Union européenne est apparue fortement divisée, avec d'un côté les pays favorables à une intervention, comme la France et le Royaume-Uni, et de l'autre les pays opposés, comme l'Allemagne et la Pologne. Le conseiller diplomatique du président polonais n'a d'ailleurs pas manqué de s'interroger publiquement au cours de la conférence sur la légitimité, le déroulement et l'issue de cette opération, ce qui a conduit les représentants français et britannique à réagir à ses propos.

Malgré la création du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et du service européen pour l'action extérieure par le traité de Lisbonne, l'Union européenne n'arrive toujours pas à parler d'une seule voix sur la scène internationale en raison des divisions entre les Etats membres.

A cet égard, de nombreux intervenants ont évoqué le risque que l'Union européenne apparaisse à nouveau fortement divisée, en septembre prochain, dans l'hypothèse du vote sur une éventuelle résolution sur la reconnaissance de l'Etat palestinien aux Nations Unies.

Un autre risque tient au fait que, faute d'une défense européenne crédible et autonome, l'Union européenne s'en tienne à une « diplomatie du chéquier », c'est-à-dire qu'elle intervienne uniquement sur les aspects civils ou humanitaires, devenant ainsi une sorte de « super ONG » ou d' « OSCE bis », alors que les opérations militaires seraient assurées par l'OTAN, à l'image de l'intervention en Libye.

Or, le profil du service européen pour l'action extérieure et l'influence de la Commission européenne accentuent cette tendance européenne.

Enfin, le dernier sujet qui a été évoqué lors de la conférence a porté sur les relations entre l'Union européenne et la Russie.

Depuis déjà quelques années, la Pologne a effectué un rapprochement avec la Russie, qui s'est notamment illustré lors de la tragédie de Smolensk.

Le renforcement des relations avec la Russie figure ainsi parmi les priorités de la présidence polonaise de l'Union européenne.

Pour autant, si les relations se sont en apparence apaisées, il semble encore subsister beaucoup de méfiance de la part de la Pologne à l'égard de son voisin.

Lors de la réunion, nous avons entendu une intervention très intéressante de M. Adam Rotfeld, ancien ministre polonais des affaires étrangères. Nous avons également pu écouter le président de la commission de la défense du Conseil de la Fédération de Russie, M. Viktor Ozerov.

En ce qui concerne les relations entre l'OTAN et la Russie, c'est surtout la question du système de défense anti-missiles qui a été évoquée, puisque, malgré la volonté de coopération annoncée lors du Sommet de l'OTAN à Lisbonne, de nombreux désaccords persistent entre l'OTAN et la Russie sur l'architecture et la localisation de ce système.

S'agissant des relations entre l'Union européenne et la Russie, il a été beaucoup question du « Partenariat oriental ».

La Pologne souhaite, en effet, organiser un Sommet des pays du Partenariat oriental (Ukraine, Moldavie, Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan), afin de renforcer la coopération avec les voisins orientaux, ce qui soulève une certaine inquiétude de la part de la Russie, qui veut conserver son influence dans ce qu'elle considère comme son « pré-carré ».

Pour ma part, j'ai évoqué l'idée de la chancelière allemande Mme Angela Merkel de créer un Conseil Union européenne-Russie, sur le modèle du Conseil OTAN-Russie, pour discuter de la politique étrangère, tout en souhaitant davantage d'ouverture de la part de la Russie s'agissant de la résolution des « conflits gelés », comme la Transnistrie, le Haut-Karabakh ou encore les entités séparatistes en Géorgie.

En réponse, le président de la commission de la défense russe n'a pas manqué de faire un parallèle entre les entités séparatistes d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie avec le Kosovo et de critiquer l'intervention en Libye.

L'idée d'un accord sur la participation de la Russie aux opérations militaires de l'Union européenne a également été abordée, à la lumière de l'expérience au Tchad, où la Russie avait fourni quatre de ses hélicoptères.

Toutefois, cet accord se heurte à une difficulté car autant la Russie est disposée à placer ses troupes sous commandement européen ou mixte, autant les européens, et notamment les pays d'Europe centrale et orientale, ne sont pas disposés à placer leurs hommes sous commandement russe.

En conclusion, tous les participants ont souligné l'intérêt, pour les parlementaires nationaux, de pouvoir échanger régulièrement sur les questions de politique étrangère et de défense au niveau européen.

La mise en place d'une conférence semestrielle consacrée au suivi des questions de politique étrangère et de défense par les Parlements nationaux, après la disparition de l'assemblée de l'UEO, figurait d'ailleurs à l'ordre du jour de la dernière conférence des présidents des Parlements, où j'avais accompagné le Président Gérard Larcher.

Toutefois, il n'avait pas été possible d'aboutir à un accord sur la taille de la délégation du Parlement européen, puisque celui-ci réclamait au moins vingt-sept représentants, contre six représentants pour chaque Etat membre.

Ce sujet devrait être à nouveau évoqué lors de la COSAC.

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